Bien après la Seconde Guerre mondiale, l’appareil judiciaire allemand est resté noyauté par d’anciens nazis. C’est ce que vient de révéler un rapport d’historiens commandé par le ministère de la Justice, connu en Allemagne sous le nom de «dossier Rosenburg», du nom du château qui abritait le ministère à Bonn.

Leur nombre a augmenté après la guerre

Le fait que l’Allemagne de l’Ouest ait conservé d’anciens nazis dans son administration était connu. Mais la proportion était insoupçonnée. «Le nombre des anciens membres du parti NSDAP au sein du ministère n’a pas diminué après la guerre comme on le pensait. Il a même augmenté», explique le juriste Christoph Safferling, qui a eu accès aux fiches personnelles de quantité d’anciens fonctionnaires. Entre 1949 et le début des années 70, 53% des 170 hauts fonctionnaires du ministère étaient d’anciens nazis, avec un pic de 77% en 1953. 34 personnes au moins ont appartenu aux milices SA, les «sections d’assaut» du parti nazi. Plus surprenant pour les chercheurs : le premier ministre de la Justice ouest-allemand, Thomas Dehler, membre du parti Libéral FDP, persécuté par les nazis pour avoir épousé une juive, ainsi que son secrétaire d’Etat Walter Strauss, lui-même juif, ont recruté quantité d’anciens nazis plutôt que de chercher à faire rentrer d’exil d’anciennes pointures du ministère ayant fui le régime d’Hitler.

La dénazification des organes de pouvoir passe au second plan

«Après la guerre, on a dû recourir à des cadres expérimentés pour réorganiser l’appareil judiciaire», explique l’ancienne ministre Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, qui avait commandé le travail des historiens. La dénazification des organes de pouvoir, priorité des Alliés dans l’immédiat après-guerre, passe au second plan avec la guerre froide. La reconstruction doit permettre de faire face au bloc communiste. «Au château de Rosenburg régnait un climat défensif, estime l’historien Manfred Görtemaker. On s’y retranchait littéralement. Il était inutile d’attendre de ces gens qu’ils entreprennent quoi que ce soit pour faire toute la lumière sur le passé. Le système judiciaire s’est en quelques sortes autoamnistié.» Comme le montre le cas de Max Merten, fonctionnaire du ministère de la Justice du temps d’Hitler, puis de nouveau à partir de 1952, après avoir organisé la déportation des Juifs de Thessalonique. Finalement jugé en Grèce, le ministère de la Justice plaide sa cause auprès d’Athènes, organise son retour et la remise en liberté du haut fonctionnaire.

Gênante clémence

Ce noyautage de la justice contribue à expliquer l’étonnante lenteur avec laquelle la République fédérale allemande (RFA) a jugé les crimes nazis. Entre 1945 et 2011, la justice allemande a fait preuve d’une clémence gênante avec les anciens nazis, avec 6 656 condamnations seulement, à des peines de moins de cinq ans de prison dans 90% des cas. Il faudra attendre 2011 et la condamnation du gardien de camp John Demjanjuk pour que la justice allemande semble se réveiller. La présence de hauts fonctionnaires nazis a également influé la juridiction allemande, comme le montre le cas du paragraphe 175 du code pénal allemand, qui pénalise l’homosexualité. Amendé en 1935, aggravant les peines à l’encontre des homosexuels, il ne fut amendé qu’en 1969, pour être finalement supprimé en 1994.