Leonard Besselink : Au-delà de la notification : Comment quitter l'Union Européenne sans avoir recours à l'article 50 du TUE
Source : UK Constitutional Law Association, le 30/06/2016 En termes légaux, le référendum en Grande-Bretagne à propos de l’appartenance à l’UE est un référendum de consultation abrogatif. Le cas échéant, il doit être mis en application par les autorités compétentes, à commencer par le Parlement. De plus, toutes les parties souhaitent combler le vide de l’abrogation de la loi de l’UE. Ceci nécessite une interprétation du référendum par toutes les parties concernées, dans laquelle les politiciens britanniques sont à présent complètement engagés. Cela nécessite aussi une interprétation des règles constitutionnelles pertinentes et des principes qui devront être mis en œuvre. L’article 50 du TUE sur le retrait de l’UE est maintenant reproduit dans tous les principaux journaux européens, et les politiciens, les journalistes et les avocats semblent se voir attribuer un rôle important dans tout ceci. Dans ce blog j’explique que ce rôle est largement surestimé, tout d’abord car quel que soit le sens qu’il puisse avoir il est assujetti à une réalité politique telle qu’interprétée par les acteurs impliqués, et ensuite parce qu’il a un faible sens légal. Je montre de plus que l’interprétation la plus évidente du résultat du référendum pour l’Écosse pourrait rendre superflu le recours à l’article 50. Retrait : les révolutions politiques et la loi Le retrait de l’Union Européenne dans ce cas implique de défaire le travail d’intégration d’une des plus grandes économies d’Europe dans un marché commun interne avec maintenant 27 autres états membres, qui tous ensemble forment une entité publique qui tend vers le bien commun de ses citoyens. C’est un processus qui vise à des ruptures de nature politique, qui ont immanquablement des impacts économiques. Ce n’est pas un processus naturel, mais une révolution historique, consciente, et faite uniquement par les hommes. Même les plus pacifiques des révolutions dont nous avons été témoins en Europe depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, telles que la fin de la dictature des colonels en Grèce, la fin du fascisme libéral au Portugal et en Espagne, et la chute du Mur, sont des preuves que les révolutions ne peuvent pas être adaptées de force par la loi au moment où elles se produisent. C’est aussi le cas pour l’Union Européenne et la rupture de la Grande-Bretagne. La politique est décisive en tant que moyen légal pour adapter les situations dans le régime post-révolutionnaire, et non pas les lois qui étaient valides auparavant. Ceci était aussi le cas pour la moins compliquée des révolutions constitutionnelles, celle d’Allemagne : les Allemands ont introduit une disposition subtile dans leur Grundgesetz [Constitution, NdT], Loi fondamentale, qui spécifie comment l’Allemagne serait unifiée constitutionnellement une fois que l’Est et l’Ouest seraient réunifiés (Article 146 GG) — quand la réunification a eu lieu, cette disposition n’a pas du tout été utilisée. Cette preuve historique rend peu crédible le fait que cela pourrait être différent avec la séparation de la Grande-Bretagne de l’Union à laquelle aspire le référendum. Cela impliquerait aussi que nous soyons prudents en ne donnant plus qu’un rôle modeste à jouer à l’article 50 du TUE. Cependant, l’opinion répandue est que la loi est déterminante dans le processus politique qui doit suivre le souhait de l’électorat britannique de quitter l’Union. Malheureusement, l’article 50 du TUE a bien peu à offrir au-delà d’un vague chemin procédural, qui peut difficilement être plus qu’une option parmi d’autres. C’est parce que l’article 50 a une fonction principale différente : celle de prendre en compte le droit unilatéral des états membres de quitter l’Union, en plus de fournir à l’Union la possibilité de mettre unilatéralement un terme à l’application des traités pour un état la quittant. Au-delà de la “notification” Si l’on comprend que l’article 50 nous offre peu et que ce qu’il fournit est optionnel dans le sens où il ne s’agit que d’une option parmi d’autres, le retrait d’un état membre sans la “notification” qu’il mentionne ne serait bien entendu pas en mesure d’empêcher son retrait. L’article 50 du TUE n’indique pas la forme qu’une notification devrait prendre, pourtant cette expression semble désormais comprise de façon générale comme une déclaration formelle — un fait étrange : une déclaration formelle dont la forme est inconnue. Pas plus que l’article 50 n’indique à quel moment une telle “notification” devrait être fournie. En l’absence de ces fondements élémentaires, la fameuse “période de deux ans” perd son sens. Et dans ce cas il est difficile de comprendre que l’article 50 implique une obligation légale pour les autorités d’un état membre sortant de donner une “notification” selon les lois de l’UE. En plus de cela la formulation actuelle de l’article 50 montre clairement qu’il n’est pas non plus nécessaire de parvenir à une entente avec l’UE, puisqu’il assure l’expiration des traités vis-à-vis d’un tel état membre en l’absence d’un accord. Bien sûr, une autorité compétente d’un état membre pourrait notifier l’intention de retrait, et le faire en utilisant l’article 50 du TUE, avec pour résultat, si rien d’autre ne se passe, que l’UE considérerait les traités inapplicables pour cet état membre au bout de deux ans. Mais c’est uniquement une façon de dire qu’il s’agit d’une part d’un ensemble de mesures unilatérales prises par un état membre et d’autre part de la décision par l’UE de mettre un terme aux traités avec cet état. Ceci nous amène à la fonction réelle à laquelle l’article 50 du TUE était destiné : il a été introduit dans le Traité Constitutionnel raté pour ôter le doute que les états membres puissent se retirer unilatéralement de l’Union — une perspective qui avait été précédemment rejetée par la plupart des avocats européens (mais pas cependant par le chef du service légal de la commission, Dewost, qui a témoigné à la cour constitutionnelle allemande dans le cas de Maastricht). Ce droit à un retrait unilatéral est codifié dans le premier paragraphe de l’article 50 du TUE, tout comme l’hypothèse de la durée de deux ans dans le troisième paragraphe qui rajoute la reconnaissance du droit unilatéral de l’Union de considérer les traités inopérants avec un état se retirant, qu’il soit incapable ou non-désireux de parvenir à un accord sur la situation. Les amendements proposés durant la convention sur le futur de l’Europe, qui ont tenté de refuser le droit à un retrait unilatéral en tant que tel ou de rendre un retrait dépendant d’un accord mutuel, n’ont pas été adoptés dans le texte final du Traité Constitutionnel, que l’on retrouve maintenant dans l’article 50 du TUE. L’Écosse (et peut-être l’Irlande du Nord) resterai(en)t, tandis que l’Angleterre et le Pays de Galles s’en iraient La signification de “retrait” dans le contexte du Brexit n’est pas simple. Le Royaume-Uni n’est pas un état monobloc, et politiquement parlant il est certain qu’une nette majorité de tous les districts écossais consultés ont voté pour rester dans l’Union — constat qui n’est pas tout à fait vrai pour l’Irlande du Nord, bien que dans cette partie de la Grande-Bretagne une majorité ait exprimé un vote de maintien dans l’UE. L’Écosse qui resterait dans l’Union alors que l’Angleterre et le Pays de Galles la quitteraient a des précédents historiques dans l’histoire législative de l’UE, comme l’histoire des relations entre le Groenland et l’UE le démontre amplement. En effet, il existe de nombreux états membres dans lesquels les traités et le droit communautaire dérivé ne s’applique qu’à certaines parties du territoire de l’état. Il en est ainsi pour le Royaume-Uni (voir l’article 355 du TFUE), mais aussi pour la France. Le Royaume des Pays-Bas en est un autre exemple : la loi européenne ne s’applique pas dans les pays autonomes des Caraïbes du Royaume, et même en ce qui concerne les pays autonomes des Pays-Bas inclus dans le Royaume, la loi européenne ne s’applique qu’à la partie du continent européen. Il y a l’exemple de l’île de St-Martin, dont la moitié française est dans l’Union Européenne et où la loi européenne s’applique, et dont l’autre moitié (néerlandaise) est hors de l’Union. Fait intéressant, il existe une frontière ouverte entre ces deux parties basée sur un ancien traité entre la France et les Pays-Bas. Nous avons donc un exemple actuel d’une île dont une partie est dans l’Union et l’autre à l’extérieur, sans frontière physique ni gardes-frontière. Il n’est pas irréaliste de penser qu’il pourrait y avoir bientôt une autre île dans la même situation. En effet, la sortie de l’Union de la part de l’Angleterre et du Pays de Galles pourrait prendre la forme légale d’un changement de disposition de l’application territoriale des traités. Dans la pratique, l’article 355(5) du traité de fonctionnement de l’Union pourrait être amendé de façon à inclure une disposition qui énoncerait que, “nonobstant l’article 52 du TUE”, qui établit que les traités s’appliquent au Royaume-Uni, “les traités ne s’appliquent pas à l’Angleterre et au Pays de Galles” — cette dernière phrase pouvant être insérée après la lettre (a) de l’actuel paragraphe 5 de cet article. Cette élégante solution légale serait en accord avec les résultats du référendum anglais, et n’impliquerait pas l’utilisation de l’article 50 du TUE. Cette solution possède quelques avantages non-négligeables, bien que certains soient contingents de développements politiques. Un des avantages est que la partie qui se joue revient en effet aux politiques et n’est pas restreinte à cette difformité légale dénommée article 50. Un autre avantage de cette approche est que l’Irlande du Nord et l’Ecosse n’auraient pas besoin de devenir indépendants et de se séparer du Royaume-Uni cela éviterait au moins un référendum redondant. L’impact de l’exclusion de l’Angleterre et du Pays de Galles du fonctionnement des traités est tel qu’il nécessiterait d’être accompagné par un dispositif sur la position de ces deux états envers l’Union Européenne, mais ceci devrait de toute manière être fait dans un traité à part, considérant que l’Angleterre voudrait d’une façon ou d’une autre bénéficier d’une relation spéciale avec l’UE — comme cela serait le cas avec quelque chose comme le statut de la Turquie ou des pays de l’AELE. Il y a bien entendu aussi des écueils. Le plus évident serait que l’Écosse reste dans le Royaume-Uni et dans l’UE alors que l’Angleterre en sort, créant ainsi une frontière ouverte. En l’absence d’une frontière physique et de contrôles frontaliers combinés à l’absence d’un registre public des habitants et de leurs droits de résidence, le maintien de la liberté de circulation des personnes seulement pour l’Écosse reviendrait dans les faits à une liberté de circulation des citoyens européens dans l’Angleterre et le Pays de Galles. Mais puisque certaines personnes pensent que la Zone Commune de Voyage entre le Royaume-Uni et l’Irlande pourrait aussi être conservée après un Brexit, et que d’éminents militants pro-Brexit reviennent sur l’intérêt revendiqué de supprimer la libre circulation pour l’ensemble des personnes, en échange d’un accès au marché européen, cet inconvénient pourrait bien moins peser que ce nous pensions il y a seulement une semaine. Quoi qu’il en soit, cette façon de maintenir une partie de la Grande-Bretagne dans l’Union Européenne pourrait éviter un quelconque recours à l’article 50 du TUE, quoi que cette disposition ait à offrir. Leonard F.M. Besselink est professeur de droit constitutionnel à l’Université d’Amsterdam et co-éditeur en chef du European Constitutional Law Review. Source : UK Constitutional Law Association, le 30/06/2016 Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source. |
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