Amnistie sociale : la gauche vole en éclats
son ennemi c'est MÉLENCHON ! |
Après la fête de mariage, le réveil endeuillé. Mercredi matin, à 8 h 30, la seule mesure sur laquelle l’ensemble des partis de la gauche parlementaire s’était entendu depuis un an, avec le mariage pour tous, a été enterrée. L’amnistie sociale, votée il y a trois semaines à l’unanimité de la gauche sénatoriale sous la bienveillance de la ministre Christiane Taubira, se voit désormais objecter une « opposition claire et ferme » de l’exécutif. Le ministre des relations avec le parlement, Alain Vidalies, pourtant favorable en privé à cette loi, annonce la nouvelle. Sur France Info.
Au même moment, sur BFM TV, Bruno Le Roux, président du groupe PS, estime que « ce texte ne peut pas être adopté en l’état par l’Assemblée nationale ». Comme justification, il dit ne « pas supporter les violences commises aujourd’hui », et « ne pas vouloir (les) légitimer d’une quelconque façon », mettant sur le même plan les cas visés par le texte du Front de gauche avec les mouvements d’agriculteurs en Bretagne et les violences des anti-mariage .
Trois heures plus tard, alors que le texte est examiné en commission des lois à l’Assemblée, l’affaire est entendue. Hormis le rapporteur Marc Dolez (député du Front de gauche) et l’écologiste Sergio Coronado, qui défend en vain plusieurs amendements, les articles sont rejetés les uns après les autres, sous l’œil du président Jean-Jacques Urvoas, qui s’est déjà publiquement opposé au texte.
Seul le Marseillais Patrick Mennucci a rompu les silences, plus ou moins complices, dans les rangs socialistes. « Pour une fois, je vais exprimer un désaccord », annonce-t-il. Il dit vouloir voter pour l’amnistie, car « c’est une question purement symbolique », un « signe d’équilibre politique donné à notre électorat », celui-là même qui a « parfois du mal à comprendre notre politique ». Froidement interrompu par son collègue et camarade Jean-Jacques Urvoas, qui lui rappelle qu’il n’est « pas à une réunion du PS », Mennucci s’emporte. « Entendre à la radio que je n’ai pas le droit de voter pour, je ne l’accepte pas ! lâche-t-il. Ça suffit, cette façon de nous traiter ! Je crois que j’ai le droit de dire ce que je dis : je pense que nous faisons une erreur ! »
Depuis l’élection de François Hollande, ce texte est un boulet pour le gouvernement. Fin mai 2012, en marge d’un déplacement à Marseille pour lancer la campagne des législatives, Jean-Marc Ayrault nous avait confié : « L’amnistie, ce n’est pas notre genre. » Plusieurs ministres étaient contre, notamment Manuel Valls. François Hollande, quant à lui, avait dit le contraire à Jean-Luc Mélenchon, assure ce dernier. « Quand il nous a reçus en juin dernier, il nous a dit son accord, dit Martine Billard, co-présidente du Parti de gauche. Il nous a autorisés à en parler aux médias à notre sortie. » « Il nous avait même répondu “Ça aidera” », selon Mélenchon. Mais le cabinet du président n’a jamais été « enchanté » par le projet. Les violences commises lors d’une manifestation des salariés de Goodyear cet hiver n’ont fait que conforter cette prévention – plusieurs représentants des forces de l’ordre avaient été blessés, parfois grièvement.
Au Sénat, déjà, le gouvernement avait hésité (lire notre article) avant de donner son feu vert, aiguillonné par un groupe socialiste favorable au texte. Mais depuis une dizaine de jours, il se murmurait que l’Élysée n’était plus très chaud. Comme souvent, c’est François Hollande qui a tranché au dernier moment.
Quitte à désavouer la ministre de la justice, Christiane Taubira, au lendemain de son jour de gloire du mariage pour tous. Au Sénat, elle s’en était remise à la « sagesse » de la chambre et avait même plaidé pour élargir le texte (en augmentant légèrement sa durée pour inclure des faits dans les territoires d’outre-mer).
« Nous devons d’abord remettre de l’ordre dans la maison »
Mais c’était il y a deux mois. Depuis, le contexte a changé, estime l’exécutif. Des incidents répétés ont émaillé les derniers jours des débats sur le mariage pour tous. Les violences commises à l’endroit des forces de l’ordre ou des journalistes (lire notre reportage aux Invalides) ont été vivement dénoncées par la gauche. « On entend monter la petite musique sur le “deux poids deux mesures”. Cela crée une vraie difficulté… », estime un cadre socialiste. Difficulté d’autant plus grande que le PS estime que ces violences ont affaibli l’opposition, qui ne les a pas dénoncées clairement.
« Pour le gouvernement, la position a aujourd’hui un caractère d’évidence parce qu’on ne peut pas accepter les faits de violence. C’est un point de vue qui relève de l’opinion commune », dit-on à Matignon. « Cette loi reviendrait à envoyer un signal un peu laxiste… Et puis, on est lancé dans la bataille pour l’emploi : on a bien d’autres priorités ! » entend-on aussi à l’Élysée. C’était d’ailleurs le sens de la courte intervention télévisée de François Hollande à la sortie du conseil des ministres mercredi : « Quand les passions dégénèrent en violence, elles doivent être condamnées. (…) Je cherche et j’appelle chacun à chercher l’apaisement, c’est-à-dire la compréhension, le respect. Parce que tout maintenant doit être consacré à ce qui est l’essentiel : la réussite économique de notre pays et la cohésion nationale. »
La majorité croit aussi que l’opinion exprime « une demande de rigueur généralisée » après l’affaire Cahuzac. « On nous demande de nous en tenir à la loi, à la République », dit un élu PS. Pour Laurent Baumel, cofondateur de la “gauche populaire”, « l’opinion nous a déjà reproché d’avoir abrogé le jour de carence pour les fonctionnaires. Ce serait une fois de plus donner un symbole que la gauche ne s’occupe que des corporations ou des structures dont elle est proche ». « Je ne suis pas contre, mais ce n’est pas opportun de le faire, explique de son côté le député Michel Destot. Nous devons d’abord remettre de l’ordre dans la maison, et ça commence par l’organisation des chantiers parlementaires. Nous ne devons pas nous disperser et concentrer nos efforts sur le redressement économique du pays. »
Une position partagée par Arnaud Leroy, proche d’Arnaud Montebourg. « Il y a certainement du bon dans cette loi, mais il y a aussi d’autres priorités que de voter un texte mal ficelé ! Mettons-le plutôt à l’ordre du jour de la prochaine conférence sociale ! » Raison invoquée par les députés : le mauvais « signal » envoyé aux entrepreneurs. « On ne peut pas leur donner le sentiment qu’on va voter un permis de casser, poursuit Leroy. Il faut apaiser les choses si on veut relancer l’activité… »
Comme nombre de ses collègues socialistes, il ne cache pas son exaspération vis-à-vis du Front de gauche, en particulier de Jean-Luc Mélenchon. « Qu’est-ce que vous voulez qu’on deale avec eux, s’emporte Leroy. On ne va pas jeter de l’huile sur le feu pour un mec qui veut surtout se faire mousser dans les médias. On ne cède pas au chantage. » Plus loin, un autre député PS y va cash, mi-blagueur mi-sérieux. « Les communistes, faut leur donner des claques… »
Mais pour d’autres au PS, ce refus abrupt est contre-productif. « On voudrait redonner de l’air à Mélenchon, qu’on ne ferait pas mieux… », s’agace Guillaume Balas, responsable du courant de Benoît Hamon au PS. Selon lui, la forme pose problème. « On sort juste d’un séminaire où on nous dit qu’on va parler très en amont des sujets à venir, avec le parti comme avec les parlementaires, afin d’être plus cohérents dans nos votes. Et là bing !, on découvre deux jours après, à la radio, que le gouvernement pense différemment qu’il y a trois semaines au Sénat. »
« C’est n’importe quoi !, s’étrangle un député, à l’abri du off. On savait que le texte sorti du Sénat devait être retravaillé et on n’a rien fait. Comme si personne n’avait fait de suivi à l’Élysée ou à Matignon. » Un responsable du PS ose une explication cruelle : « Le problème de fond, c’est que ce texte considère les violences syndicales sous Sarkozy comme de la légitime défense ou une circonstance atténuante. Mais on se rend compte que les violences syndicales sont les mêmes sous Hollande. »
Pour Emmanuel Maurel, responsable du courant de l’aile gauche du PS, la résignation guette. « C’est rageant et navrant, regrette-t-il. On s’enferre dans un rapport de conflictualité avec le PCF, ce qu’il ne faut exactement pas faire en période de crise. »
PS et Front de gauche : « Après le mariage, le divorce »
Le vote unanime de la gauche au Sénat avait pourtant marqué une tentative de réconciliation entre le PS et les communistes, à un an des municipales. En vain : en deux semaines, le fossé s’est à nouveau considérablement creusé, comme en témoigne le recours au vote bloqué, samedi au Sénat, pour faire adopter l’accord trouvé entre les partenaires sociaux (Ani, lire notre article), ainsi que le refus dans la même commission des lois de ce mercredi de la proposition de loi des licenciements boursiers, également portée par le Front de gauche. « À un moment, il faut dire stop », justifie un proche de François Hollande.
« Cette décision est totalement incompréhensible. Le gouvernement bafoue la démocratie parlementaire, estime le secrétaire national du PCF Pierre Laurent. On ne parle pas de syndicalistes violents, mais de gens qui essaient de faire vivre leur famille et qui, pour se faire entendre, ont lancé de la peinture sur des préfectures, bloqué des autoroutes ou refusé de donner leurs empreintes digitales… » « Les propos de Vidalies sont d’une extrême gravité, abonde Éliane Assassi, présidente du groupe au Sénat. Le gouvernement devrait être plus attentif à ce qui se dit dans le pays où monte la déception. » « Visiblement, la ligne Valls a encore gagné », s’insurge aussi Martine Billard, co-présidente du Parti de gauche.
La décision gouvernementale est d’autant plus mal accueillie que les communistes avaient accepté une version très édulcorée du texte, par rapport à leurs propositions initiales. « On avait fait le choix de ne pas en rajouter, de ne pas reprendre des points écartés par le Sénat, a rappelé André Chassaigne, chef de file du Front de gauche à l’Assemblée. On ne voulait pas être dans la surenchère. Le texte était calé, cadré, réfléchi… et bien plus limité que l’amnistie de Chirac en 2002 ! »
De fait, seuls les « conflits du travail » et les « mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux, liés au logement » étaient concernés. Et uniquement les condamnations de cinq ans ou moins, pour des délits pour dégradation de biens et diffamation exclusivement, commis entre le 1er janvier 2007 et le 1er février 2013. Enfin, les mouvements de désobéissance civile, comme les faucheurs d’OGM ou les anti-nucléaire, étaient déjà exclus de cette amnistie, comme les militants du collectif d’aide aux sans-papiers, du Réseau éducation sans frontières (RESF).
Au bout du compte, « quelques dizaines de cas » étaient visés, selon l’estimation de Christiane Taubira elle-même. Le symbole était quand même fort. Parmi les quelques privilégiés de l’amnistie, le syndicaliste de Continental, Xavier Mathieu. Après avoir appris le renoncement de l’exécutif, il dit sa colère, sur France Info. « Ils ont quand même oublié que c’est en grande partie la classe ouvrière qui les a élus et ils sont en train de la massacrer »…
« C’est un signal politique qui tourne le dos au monde du travail, se désole Sergio Coronado. Après le traité européen, le crédit-impôt de 20 milliards, c’est un nouvel acte du glissement du gouvernement loin de cette ambition sociale-démocrate qu’il voulait incarner. » Le député écologiste se dit « scandalisé par ce changement de pied brutal » : « Ils auraient pu avoir l’élégance de laisser la loi être examinée, quitte à la dépouiller complètement pour n’en voter qu’une ossature. »
À moins d’une bien improbable révolte collective des députés de gauche le 16 mai, il n’y a plus aucune chance que ce texte soit adopté. Seule possibilité pour les communistes : le déposer à nouveau dans le cadre de leurs niches parlementaires au Sénat et l’Assemblée nationale. « Ça veut dire pas avant 2014 pour nous ici à l’Assemblée ! » fustige Marc Dolez. Autre hypothèse, qui ne garantit pas davantage de célérité : un renvoi en commission des affaires sociales, et non des lois, afin de retrouver l’esprit de dialogue du Sénat à l’Assemblée.
D’ici là, l’épisode semble avoir contribué à rebattre davantage encore les cartes de la majorité autour de François Hollande. Au risque de les brouiller plus encore. La décision de renoncer à cette amnistie sociale a été saluée par François Bayrou, comme par des représentants du Medef. « Le message est clair, déplore Martine Billard : Patrons, faites ce que vous voulez. Ouvriers, taisez-vous ! »
Le porte-parole du PCF, Olivier Dartigolles, écrit dans un communiqué : « Après le mariage, le divorce. » Si André Chassaigne et Pierre Laurent refusent de parler de « rupture », la crispation est nette. Au point que le président du groupe PCF à l’Assemblée, jusqu’ici très hostile à la manifestation du 5 mai, annonce finalement sa venue aux côtés de Mélenchon. « C’est sûr que cet enterrement est un formidable appel à aller défiler le 5 mai … », lâche Sergio Coronado, proche d’Eva Joly. Ira-t-il lui-même ? « Joker. »
La boîte noire :Toutes les personnes citées, sauf mention contraire, ont été interrogées à l’Assemblée ou par téléphone, ce mercredi. Contacté, le cabinet de Christiane Taubira ne nous a pas rappelés.
http://ldhcibp.wordpress.com/2013/04/26/amnistie-sociale-la-gauche-vole-en-eclats/
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