lundi 24 septembre 2012

L' Europe est elle à la veille d'une nouvelle guerre ?

État(s) de guerre en Europe

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Épargnée par les conflits majeurs depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’Europe est-elle pourtant réellement à l’abri de troubles géopolitiques majeurs? La crise actuelle n’est-elle pas le prélude à des bouleversements plus ou moins radicaux à terme? L’Union Européenne est-elle le ciment ou l’incubateur de troubles socio-économico-politiques? Quel rôle entend jouer l’Allemagne dans un futur proche? Telles sont les pistes de réflexion et d’analyse par notre invité.
Michel Ruch est diplômé de Sciences Politiques Strasbourg et de l’Institut des Hautes Études Européennes. Il a publié L’Empire Attaque : Essai sur Le systeme de domination Américain aux éditions Amalthée. Et réside partiellement au Portugal.


L’Europe est en paix depuis 1945, à l’exception des guerres qui ont fait éclater la fédération yougoslave. Elle est considérée en paix à la condition restrictive d’admettre que la définition de la guerre se limite à l’expression violente, militaire et armée des conflits entre nations, Etats, ou autres entités.
Vouloir traiter d’état(s) de guerre en Europe est donc un exercice d’autant plus hasardeux que le processus de son union est qualifié par principe de projet de paix, dont le discours officiel loue indéfiniment les vertus et visées d’unité, d’amitié, de stabilité, et d’intégration qui lui sont attribuées. Or, s’il existe un seul avantage aux crises financières répétitives qui secouent l’Europe depuis une demi décennie, (2007-2012) c’est de démasquer une réalité de conflits que le système de son union ne parvient plus à contenir, ni son discours à occulter.
L’Union Européenne est un système constructiviste dépourvu de pragmatisme et de ce qu’on peut appeler un empirisme organisateur capable de prendre en compte l’extrême diversité historique, économique et culturelle des nations d’Europe. La répétition des crises financières qui s’y déroulent traduit une crise de système, et non des états de conjoncture accidentels appelés soit à se dissiper dans une logique de « laisser faire », soit susceptibles d’être surmontés par des actes de renforcement de ce système.
Tout système produit naturellement un esprit de système qui engendre un langage de système dont une des principales caractéristiques est le déni de réalité. Le discours officiel de l’Union Européenne peut ainsi être qualifié de langue de bois. La fonction d’une langue de bois est certes de travestir la réalité, mais aussi de masquer l’incapacité, voire l’incompétence des responsables à gérer des situations dont le contrôle leur échappe. La succession accélérée des « sommets de crise » de l’Euro/Europe depuis 2010 illustre cette incapacité, sans pour autant aboutir à un constat public d’impasse ou à une reconnaissance d’échec. Un premier niveau de conflit intra européen, d’ordre mental ou idéologique, est donc formé par la contradiction entre la perception de la réalité par les dirigeants européens, et un changement de système qu’exigerait objectivement le traitement de cette réalité en vue d’une sortie de crise.
Dans son discours automatisé en langue de bois, l’Union Européenne prend soin d’évacuer toute controverse officielle et publique relative aux causes originelles et structurelles des crises financières. Les dirigeants européens ne mettent en cause ni la conception, ni le fonctionnement du modèle financier qui régit l’Europe puisqu’ils découlent des traités européens à la fois réputés parfaits et reconnus comme tels par les pays membres les ayant signés. Le seul lien de causalité formelle que l’Union Européenne établit entre les crises et son système, est de les attribuer à l’insuffisance de son intégration, ce qui revient à justifier une situation par le défaut du préalable qui l’aurait évitée.
Un tel procédé de raisonnement, de type jésuitique, est politiquement habile puisqu’il a l’avantage non seulement d’exonérer le système européen de toute responsabilité dans les difficultés aggravées de l’Europe, mais aussi d’exercer une pression itérative vers un objectif affiché d’intégration renforcée.
Le discours dérape cependant hors du cadre rationnel lorsqu’il invoque en parallèle « LA CRISE » comme un phénomène distinct des crises financières pour expliquer l’état de dégradation économique et sociale qui affecte un nombre croissant de pays d’Europe. La langue de bois glisse alors vers une forme de pensée magique attribuant LA CRISE à une fatalité malheureuse sans indication d’origine. Dans ce cadre, l’habileté des dirigeants européens consiste à instrumentaliser les crises financières pour imposer dans l’urgence des politiques récessives et d’austérité proclamées comme indispensables à l’amalgame des genres dénommé « sortie de crise ». L’objectif en la matière est d’éviter que les populations n’interprètent la récession et le chômage qu’elles subissent comme la conséquence de crises financières elles-mêmes produites par la nature du système financier européen, clé de voûte de son système global.
Le principe et le projet d’instaurer une paix définitive en Europe étaient légitimes après les deux guerres du 20ème siècle. La question centrale n’est donc pas celle de l’objectif, mais celle des instruments et de la méthode pour l’atteindre. S’il est évident d’autre part que le système actuel de l’Union Européenne a évacué le risque de conflits armés, il n’a nullement éliminé en son sein les mêmes formes de conflits qui jadis pouvaient s’exacerber jusqu’à la guerre. La deuxième question centrale est donc de savoir si ce système est apte à les surmonter, ou si au contraire sa nature conduit à les développer.
La réponse à cette double question passe par la mise en examen préalable des fondements idéologiques qui ont formaté la structure juridique et politique de l’Union Européenne définie par ses traités successifs.
L’Union Européenne repose sur le postulat idéologique de l’ultra libéralisme affirmé comme intangible, insurpassable et sans alternative. C’est le modèle TINA (There Is No Alternative) d’origine anglo-saxonne aujourd’hui imposé aux 500 millions d’habitants de l’Europe. Ce modèle prétend instaurer une paix universelle par les vertus illimitées du libre échangisme, de la dérégulation, de la force auto régulatrice du marché, et des dynamiques impulsées par la finance délivrée de tout encadrement et contrôle.
« La paix par le commerce » est un slogan ancien dans la rhétorique de l’affairisme, mais sa transposition en concept basique de l’idéologie dite libérale n’a jamais eu de sens et de valeur que dans des contingents limités de temps et d’espace. Or cette idéologie revêt dans l’Union Européenne un caractère absolutiste apparemment devenu incapable de donner au libéralisme la place relative et proportionnée que lui imposerait la complexité croissante des sociétés occidentales. A ce niveau, a resurgi indiscutablement en Europe un nouvel échelon de conflictualité idéologique postérieur à l’effondrement des systèmes fasciste, national-socialiste et communiste, et cette conflictualité procède directement de l’esprit de système qui régit l’Union Européenne.
En substitution aux guerres honnies et bannies en Europe, sont proclamés le principe et la vertu de « la compétition pacifique » au sein de l’Union Européenne, et au-delà, avec le monde entier. Sur la base d’un postulat réductionniste, et pour évacuer à la fois la guerre et les conflits entre nations, cette compétition ouverte se limiterait par nature au champ économique et commercial. Plus restrictivement encore, elle n’impliquerait plus les nations entre elles, mais seulement, grâce au marché unique, les entreprises les unes avec les autres sans indicatif de nationalité. Cette pensée irrigue depuis plus de trois décennies aussi bien le discours européen figé en langue de bois, que la production torrentielle des textes des traités, lois et directives du droit européen.
Il faut constater qu’un tel décret idéologique reste sans équivalent ni précédent dans le reste du monde. Il illustre l’abaissement du niveau intellectuel des élites dirigeantes en Europe par une chute de la raison critique consécutive à cinq siècles d’histoire européenne fertilisée par l’art de la mise en question, la pratique du doute, la recherche d’idées nouvelles, l’exercice de la dialectique, et la quête obstinée du progrès de la société par l’exigence du dépassement.
La stérilisation de la pensée européenne et ce qu’on peut appeler sa dérive psychotique consistent donc à postuler aujourd’hui, par exemple, qu’il n’est de guerre que militaire. Cette idée est clairement régressive après qu’au 20ème siècle, l’Europe, de Clausewitz aux études de polémologie, avait su de façon magistrale élargir le cadre et perfectionner le concept de guerre globale (politico-militaire, civile, économique, psychologique, cybernétique). Or l’Europe post-communiste et plongée dans la mondialisation se retrouve à l’évidence en différents états de guerre à la fois segmentés et globalisés.
FRONT IDEOLOGIQUE
La pacification des esprits et l’euphorie ayant suivi la fin du conflit Est-Ouest avaient laissé croire qu’un compromis historique allait s’installer en Europe pour associer ce que les régimes capitalistes et socialistes avaient chacun de meilleur. Il n’en a rien été, et l’Union Européenne, empressée d’éradiquer le socialisme en Europe de l’Est, a planifié l’unification d’un régime ultralibéral sur la totalité du continent.
Berceau de toutes les idéologies, l’Europe croit donc les avoir éliminées par l’instauration du libéralisme intégral, qui n’en serait pas une, couplée à la vertu pacificatrice de son unification. En réalité, l’Union Européenne a ouvert un front idéologique qui est à la fois le moyen de défense de son propre système, et l’outil d’attaque contre la globalité des idées déviantes, à savoir : le socialisme, le souverainisme, le protectionnisme, le patriotisme, le populisme, le solidarisme, l’étatisme, le keynésianisme. Idéologie devenue dominante en Europe, l’ultralibéralisme tire sa prégnance, non de l’interdiction du débat contradictoire, mais de sa domiciliation officielle dans tous les organes de direction et de contrôle de l’Union Européenne, dans tous les textes juridiques qu’elle produit, et dans une large majorité de media ralliés par leur actionnariat de contrôle.
Contrairement aux idéologies passées, l’ultralibéralisme européen ne possède toutefois pas la force argumentaire qui lui permettrait de recueillir une adhésion massive des populations. Les maîtres à penser et directeurs de conscience de l’Union Européenne utilisent donc d’abord la tactique de l’évitement pour fuir le risque de capitulation intellectuelle où leurs contradicteurs les acculeraient d’autant mieux que l’impasse du système européen se démontre par l’échec répétitif du traitement des crises. Réduits à la défensive par ces crises ni prévues ni maîtrisées, les maîtres de l’Europe contre attaquent cependant par deux techniques classiques qu’enseigne la psychologie manipulatoire : le dénigrement et la culpabilisation.
A tous les échelons de direction de l’Union Européenne démultipliés jusqu’aux échelons d’exécution nationaux, on observe que le débat doctrinal, technique et politique sur la pertinence du régime ultralibéral de l’Europe est aujourd’hui inexistant ou ostracisé. Le dénigrement et la culpabilisation, par contre, introduisent une distinction entre le bien et le mal qui permet une condamnation morale. Combinée à la posture du mépris, l’opprobre relègue ainsi les réfractaires à l’ultralibéralisme au rang de mécréants et d’hérétiques, et au mieux de nostalgiques du passé. Ceux-ci sont désignés, au sens stalinien, comme ennemis objectifs du système parce qu’en ralentissant une standardisation de l’ultralibéralisme encore largement inachevée en Europe, ils seraient responsables, jusqu’à des échelons gouvernementaux, du retard des sorties de crises. Un bon exemple du langage associé à cette méthode a été donné par un premier ministre de la République Française qui, en février 2011, a dénoncé publiquement au Parlement, dans un amalgame expressif, « les ornières boueuses du protectionnisme, du souverainisme et du populisme », sans aucun débat technique sur les termes et le contenu de ces catégories.
La régression du niveau intellectuel des élites qui dirigent l’Europe, juxtaposée à la dérive psychotique du libéralisme dans l’extrémisme ultralibéral, confère en outre un caractère religionnaire à l’idéologie dominante par un glissement vers une forme de pensée magique propre aux sociétés primitives.
La pensée magique religionnaire de l’ultralibéralisme européen imbrique plusieurs univers mentaux complètement étrangers au rationalisme occidental. C’est d’abord l’évocation d’un royaume enchanté à gagner comme une terre promise ; c’est ensuite la transposition de ce monde en une forme de divinité qui exige obéissance et prosternation ; ce sont enfin le dénigrement des incroyants et la punition collective des hérétiques.
Dans l’Europe actuelle, la divinité aux bras multiples tout comme SHIVA en Inde, c’est l’Euro, la finance magicienne, le bonheur mercantile, le marché unique mondial, le libre-échangisme universel. Ce phénomène unique au monde n’intéresserait que les anthropologues s’il n’était la matrice d’états de guerre faisant glisser la civilisation d’Europe dans une insidieuse décomposition.
DESARMEMENT UNILATERAL
La notion d’un état armé ou désarmé n’a aucun sens dans l’univers mental enchanté des institutions européennes, où l’idée d’une guerre économique est considérée soit comme une abstraction, soit comme une invention de bellicistes. Dans l’idéologie officielle de l’Europe, ne prévaut que la compétition universelle, un principe exclusivement chargé de valeur positive. Nulle différence n’est faite en ce qu’elle peut être aussi bien bénéfique que mortifère. Aucun risque de résultat négatif de la compétition n’est pris en considération. C’est la loi du plus fort qui détermine le partage entre gagnants et perdants, sans prévision ni examen des conséquences économiques, sociales et autres des destructions d’entreprises, de savoir-faire, d’emplois, etc. Application corollaire : la compétition de tous avec tous est aussi exigée entre individus au sein de l’entreprise où il est imparti au fort d’éliminer le faible.
Le principe d’un quelconque intérêt commun (national, général, collectif, communautaire) est évidemment exclu d’un tel cadre, ce qui correspond à l’objectif d’uniformisation de l’Europe nécessaire à son immersion dans la « globalisation » sous la seule règle du profit. Il est utile de rappeler ici que cette immersion sans quelque limite que ce soit, n’est pas un phénomène subi, mais une volonté stratégique, le président de la Commission Européenne ayant proclamé notamment que « la crise est pour l’Europe l’opportunité d’approfondir la globalisation ».
L’inégalité fondamentale du rapport d’échanges et de relations commerciales instaurée délibérément par l’Union Européenne avec le reste du monde est une mutation géostratégique d’ampleur historique, qui oriente vraisemblablement l’avenir de l’Europe vers un horizon de chaos et d’autodestruction.
Cette orientation coercitive et sans accord des peuples d’Europe ressort directement de l’arsenal juridique de l’Union Européenne, articulé à celui de l’OMC, et qu’on peut qualifier par oxymore comme « un arsenal de désarmement ». Alors que tous les grands pays de la planète gèrent leurs échanges commerciaux en cherchant à développer ou préserver leurs intérêts, l’Union Européenne a choisi la voie de l’absolutisme libre échangiste unilatéral qui consiste à favoriser les exportations de ses concurrents ou présumés « compétiteurs » du monde entier. Alors que ces mêmes pays gèrent leurs importations dans un cadre politique global modulé selon les rapports de force, les accords ou désaccords, les intérêts partagés, l’Union Européenne a emprisonné ses relations commerciales avec l’extérieur dans un cadre juridique auto-répressif et dictatorial.
La transposition de la compétition dite pacifique dans le droit européen est appelée « la concurrence libre et non faussée », obligatoire et inscrite dans le traité de Lisbonne (2009). Apparemment simple appendice des principes d’économie de marché et de marché ouvert (open market), cette clause condense et couronne « l’arsenal du désarmement » juridique accumulé dans tous les textes antérieurs et périphériques à ce traité. Globalement, l’Union Européenne, sans réciprocité, récuse toute taxe, tout droit d’entrée, tout quota, toute restriction, tout contrôle, aux importations et aux investissements dans sa zone, les exceptions étant rares. Chaque acte de protection contrevenant à cette obligation a un caractère délictuel et passible de la Cour de Justice Européenne de Luxembourg, qui instruit en permanence des procédures d’infraction.
En raison de la puissance devenue colossale de la Chine, deuxième du monde, les importations de sa provenance prennent en volume l’allure de l’invasion, et à terme de la submersion. Comme il est bien connu, cette concurrence est inégale, inéquitable, et imparable d’abord en raison de coûts de fabrication asiatiques (hors Japon) de cinq à dix fois inférieurs à ceux d’Europe, déclarée « ville ouverte » Elle est également déloyale par l’absence de règles et d’éthique sociales, juridiques et environnementales que l’Union Européenne s’impose à elle-même sans les exiger des autres.
Toute guerre implique une intention, une volonté, une cible, une stratégie, dont le but est de conquérir, affaiblir, dominer, parfois asservir ou anéantir. C’est lorsque la compétition atteint une dimension macroéconomique et intercontinentale que ses enjeux transforment nécessairement la concurrence en guerre commerciale.
La déclaration de « ville ouverte » (Prague en 1938, Paris en 1940, Saïgon en 1975) est toujours associée à la situation d’une guerre perdue ou en voie de l’être. Les transferts de technologie que l’Europe est en train de faire au profit de la Chine pour conserver les ouvertures contingentées qu’elle y détient précairement, lui reviendront sous forme de produits de mieux en mieux élaborés (automobile, avionique, etc). Leur potentiel est de détruire peu à peu l’industrie européenne jusqu’à ses activités les plus pointues.
Très prisé par la théorie libérale, le concept économique de Schumpeter « destruction-création » s’applique parfaitement à la relation de l’Europe avec la Chine-Asie : destruction chez la première, création chez la seconde. C’est ainsi que l’angélisme de la compétition se transformera probablement, par détraquement idéologique, en guerre perdue pour l’Europe.
GUERRE ENDOGENE
Si l’évocation d’une guerre actuelle à l’intérieur de l’Europe semble à priori inepte, c’est que l’écheveau des institutions, traités et alliances (OTAN) y garantit l’impossibilité des conflits

Michel Ruch est diplômé de Sciences Politiques Strasbourg et de l’Institut des Hautes Études Européennes. Il a publié L’Empire Attaque : Essai sur Le systeme de domination Américain aux éditions Amalthée. Et réside partiellement au Portugal.
armés du passé. Pour autant, c’est une erreur fondamentale que d’attribuer à un système juridique la capacité d’évacuer toute conflictualité d’ampleur à l’intérieur d’un espace géostratégique aussi vaste que l’Union Européenne. Cette conflictualité y revêtira d’autres formes dont le degré de gravité ou de virulence détermine leur qualification de guerre selon la nécessaire conception globale de ce terme.
Le fossé idéologique qui s’est ouvert dans l’Union Européenne en créant l’opposition entre les « eurosceptiques » et les prêtres des « Etats-Unis d’Europe » est la conséquence logique des crises financières dont l’avantage est de révéler l’erreur de conception intrinsèque du système européen. La réalité de ce conflit n’est pas celle qui oppose des nationalistes aux architectes de l’unification. C’est celle qui oppose une autre conception des rapports entre les nations d’Europe au dogmatisme de ses maîtres actuels. Mais ce dogmatisme n’est lui-même que le produit de la rigidité extrême du système européen, et la conformité à sa morphologie totalitaire. Entre l’ultralibéralisme européen et le système de l’Union Européenne, il y a aujourd’hui le même rapport qui existait entre le marxisme-léninisme et le système soviétique formé par l’URSS et ses satellites, ce qui peut valider l’hypothèse d’une issue identique.
S’agissant du désarmement unilatéral de l’Union Européenne dans ses rapports commerciaux avec l’extérieur, les conflits internes à l’Europe prennent depuis les crises financières une ampleur qui dépasse les fissures et divergences pour devenir une fracture. En rappelant que la guerre se définit par une volonté, une cible et une attaque, il s’agit d’identifier qui est l’attaquant, quelle est la cible pour quel objectif avec quelle stratégie.
Tout projet d’accroissement de puissance et de prospérité par un agglomérat tel que l’Union Européenne n’acquiert en théorie une valeur propre que si le sacrifice des intérêts nationaux est fait au profit d’intérêts communs supérieurs, dont les retombées bénéficient à ceux qui y ont consenti. Mais ce principe purement axiologique en garantit d’autant moins le résultat que s’accroît constamment le nombre des membres de l’union. Or, il est indiscutable que l’Union Européenne passée de 6 à 27 membres (bientôt 28) ne favorise que certains de ses membres au détriment d’une majorité d’autres, en provoquant ainsi un déséquilibre structurel majeur au sein de l’Europe, ce déséquilibre étant accentué dans la zone Euro par l’Euro.
Dans ce cadre, l’assimilation courante d’un projet des « Etats-Unis d’Europe » avec les Etats-Unis d’Amérique est soit une absurdité conceptuelle, soit un artifice de langage. L’Union Européenne n’a aucune politique globale, ni industrielle, ni énergétique, ni sociale, ni fiscale, ni de taux de change, ni de défense, et sa politique commerciale se ramène à l’absence de droits de douane à ses frontières. Elle a par contre une politique économique : c’est d’abord celle du laisser-faire intégral associant le désarmement de l’Europe au soutien objectif à ses concurrents ou « compétiteurs » extérieurs, opéré soit par abandon, soit par déséquilibres assumés dans des accords de libre-échange inégaux. C’est ensuite celle d’accepter le dumping fiscal et social universel tout en le favorisant dans la zone européenne elle-même.
Un principe élémentaire de droit dans n’importe quel pays souverain veut qu’un désarmement unilatéral volontaire profite à l’adversaire réel ou potentiel, et donc s’assimile au délit, devenu obsolète en Europe, d’intelligence avec une puissance étrangère.
Pour justifier la pertinence de son orientation, l’Union Européenne depuis son origine prétend trouver des modèles de référence aux USA affichés comme exemples de la politique économique à suivre. Le dérèglement mental de ses dirigeants est notamment illustré par l’ineptie de cette comparaison. La première puissance du monde cultive par ses lois et sa morale un patriotisme intransigeant sans rapport avec l’angélisme mondialiste qui prévaut en Europe. Si l’Union Européenne copiait les USA, elle devrait par exemple fixer un périmètre d’activités stratégiques inviolable pour protéger et développer ses intérêts vitaux, et organiser dans ce cadre une coopération totale entre la puissance publique et le secteur privé. Aux USA, tous les projets susceptibles de menacer ces intérêts sont passés au crible par une commission fédérale des investissements étrangers, inexistante en Europe. Il faut ajouter que leur violation peut être un crime de trahison justiciable des tribunaux fédéraux.
La raison essentielle pour laquelle l’Union Européenne n’a aucune politique industrielle, énergétique, etc, est que de telles politiques exigeraient l’intervention coordonnée des Etats dans des programmes communs fixant des partages d’intérêts à géométrie variable, ce qui est radicalement prohibé par le droit européen.
Le système européen ne se limite pas seulement au désarmement passif de l’Europe. Il agit à l’intérieur de sa zone pour combattre toute action qui tendrait à protéger ou faire prévaloir des intérêts nationaux, ou même plurinationaux, sur des intérêts extérieurs à sa zone. L’étau idéologique et juridique invariablement utilisé est, comme indiqué, la trinité sanctuarisée formée par « la concurrence libre et non faussée », l’interdiction des « entraves au marché » et la chasse aux « distorsions de concurrence ». Dans ce cadre, le système européen n’empêche aucune destruction d’entreprises, perte d’emplois et de savoir-faire, et n’oppose aucune résistance aux rapts de technologie par des intérêts extérieurs à sa zone. L’Europe a ainsi perdu en 2005 le contrôle du plus puissant pôle sidérurgique de la planète au profit d’un prédateur non professionnel de son domaine, uniquement motivé par la captation de richesse et l’appât du gain.
NB: Le cas de ce sidérurgiste franco-hispano-belgo-luxembourgeois, ARCELOR, est exemplaire, au sens négatif, du comportement de la Commission Européenne. Celle-ci a bloqué avec succès, par ses instruments juridiques, les tentatives des Etats et celles de l’actionnariat de contrôle, d’échapper à l’OPA hostile sur le groupe lancée par un milliardaire marchand de ferraille indien basé à Londres et soutenu par la finance internationale. Champion mondial de la technologie sidérurgique, ARCELOR subit depuis 2010 la saignée programmée d’une stratégie exclusivement financière qui, à terme, videra l’entreprise de ses forces vives et de sa substance européenne pour ne laisser qu’une coquille vide.
En finalité, il apparaît clairement que l’Union Européenne, par dogmatisme idéologique, a pris le risque final d’une liquidation du capital historique accumulé par l’Europe au cours de siècles de travail dans le plus large éventail d’activités qui ait jamais existé. On peut évoquer dans ce cadre ce qui s’apparente à un état de guerre de basse intensité peu visible, mais de lente autodestruction, l’attaquant étant donc le système européen lui-même avec le renfort de l’étranger, et sa cible l’économie européenne dans son ensemble. En ces termes de guerre, le travail de la Commission Européenne s’apparente à celui d’une cinquième colonne.
Il convient de répéter que cette situation est unique au monde puisqu’il n’existe aucun grand pays ou bloc de pays qui ne pratique une stratégie sélective de développement, de protection et d’ouverture, selon une combinaison réfléchie d’intérêts propres et d’intérêts partagés.
GUERRE FINANCIERE
Même si son détonateur fut américain (scandale des « subprimes, 2007), la crise financière dans l’Union Européenne a pour matrice son propre système financier. Elle y a créé un chaos rendu d’autant moins maîtrisable par elle que la conception de ce système ne le permet pas. Cette incapacité est évidemment illustrée par les tempêtes boursières cycliques, la répétition de réunions de crise au sommet sans résultat, et la spéculation financière endémique contre la dette publique de certains Etats.
Parmi les dirigeants de l’Union Européenne et leurs exécutants nationaux, règne une confusion mentale qui procède moins de la difficulté du problème, que d’une carence de diagnostic sur le caractère intrinsèquement nuisible du système financier européen. Ce dernier non seulement échappe légalement, par défaut, à toute régulation, mais possède une caractéristique unique au monde qui est le refus de mettre les Banques Centrales, à présent la Banque Centrale Européenne (BCE) au service de l’économie et de la société. L’objectif stratégique de l’Union Européenne, longtemps inaperçu des opinions publiques et de maints gouvernements aveugles, était à l’origine de placer les Etats d’Europe sous la dépendance exclusive et directe des marchés financiers internationaux, pour leur offrir les sources de profit colossales à la mesure de leurs besoins budgétaires. Le couronnement de cette stratégie a été la création de l’Euro combinant le monopole d’émission monétaire de la BCE, avec l’interdiction faite aux Etats d’émettre leur monnaie nationale.
Jusqu’en 2010, les organes de direction de l’Union Européenne étaient sur la défensive devant la crise surgie, à l’échelle euroatlantique, de l’éclatement d’une gigantesque bulle spéculative suivie d’une récession économique. Leur incompétence visible devant cette situation faisait courir le risque politique d’une perception négative de l’Union Européenne par des centaines de millions d’européens. Une stratégie de renversement a cependant été mise en œuvre à partir de 2010.
NB : Sans qu’on sache en attribuer précisément la paternité, on peut supposer que le président de la Commission Européenne en charge (2004-2014), par sa formation à la dialectique léniniste-maoïste mise au service de l’ultralibéralisme, a pu en être l’inspirateur, assisté des stratèges financiers nécessaires.
Le procédé de renversement est simple dans son concept, indépendamment des outils dont il doit disposer : il s’agit de transférer la culpabilité des crises sur des cibles, des politiques et des comportements transformés en responsables et bouc émissaires devant l’opinion publique, et en mobilisant l’arsenal médiatique requis. La contre offensive a pris deux axes : d’abord une guerre de mouvement rapide sur le champ de bataille de « la crise de la dette », et en parallèle une guerre de positions lente sur le terrain d’opération de « la compétitivité ».
L’incrimination sans discernement, donc politique, du supposé surendettement de certains Etats (à l’exception du cas réel de la Grèce) est un procédé stalinien puisque seul un examen rigoureux de la structure de la dette (données associées des montants, taux, durées, maturités, échéances) permet de déterminer si un pays peut être qualifié, comme tout débiteur, de surendetté ou non.
S’agissant de « la crise de la dette », une erreur de diagnostic parmi les autres serait de croire (NB : selon, par exemple, le propos naïf d’un ex-ministre français de l’agriculture) que l’Europe serait « en guerre avec les marchés ». En réalité, l’Union Européenne est installée dans une relation chaotique de subordination–partenariat aux / avec les marchés, où l’une et les autres sont, tout en poursuivant leurs buts propres, des alliés objectifs aux intérêts articulés.
Autour de cette réalité, s’est développée une véritable psychose collective entretenue par les dirigeants européens et leurs relais médiatiques, faisant des marchés une sorte de divinité colérique qu’il faut constamment contenter, calmer, rassurer. C’est désormais ouvertement que les organes de direction de l’Union Européenne acceptent de prendre sous la pression et dans l’intérêt des marchés financiers, des décisions coercitives négligeant leurs conséquences négatives sur l’économie et les équilibres sociaux.
A l’exception de celle de la Grèce hors normes et hors cadre, « la crise de la dette » définie comme la spéculation financière sur l’endettement des Etats pour en tirer profit, est une fabrication de la Commission Européenne en liaison avec le cartel des banques, lui-même en liaison avec les agences de notation. Une première preuve en est que les grands pays souverains tels que les USA (endettés à 100% de leur PIB), la Grande –Bretagne (endettée à 90% de son PIB), le Japon (endetté à 200% de son PIB) ne subissent aucune spéculation et empruntent paisiblement à des taux minimes (entre 0 % et 2%)
C’est évidemment grâce à l’interdit fait à la BCE de prêter aux Etats dépouillés par l’Euro de leur souveraineté monétaire, que la spéculation peut être lancée contre ceux dont l’endettement reste gérable si les taux sont maintenus au niveau dont bénéficient ces grands pays souverains. La stratégie désormais bien identifiée consiste, par les annonces alarmistes et catastrophistes des organes européens, d’orienter une hausse des taux rapidement insoutenable sur des pays (Portugal, Espagne, Italie, non limitativement) accusés de surendettement, de laxisme et d’incapacité à se « réformer ». Une preuve à contrario de ce ciblage est que, par exemple, la petite Belgique, membre de la zone Euro et où le secteur public est endetté à 103% du PIB ( 60% étant le maximum autorisé ), reste à l’abri des attaques spéculatives.
Concrètement, la Commission Européenne et l’Eurogroupe se servent des spéculateurs pour contraindre les Etats, tandis que le cartel banques / finance se sert de ces organes européens pour obtenir une garantie globale sur ses opérations. Plus précisément, par le déclenchement des « crises de l’Euro », ce cartel exige et obtient des Etats, par l’intermédiaire de ces organes, une assurance tous risques illimitée sur leur solvabilité finale, elle-même à la charge des contribuables.
La coercition exercée sur les Etats a pour but ultime l’exécution des programmes de l’ultralibéralisme par ailleurs inscrits dans les traités et directives de l’Union Européenne : réduction des services publics, privatisations généralisées, démantèlement du droit social, défiscalisation des entreprises. Ces programmes sont à l’œuvre à des degrés d’avancement variés dans la zone Euro (Portugal, Espagne, Italie, Irlande) et en dehors (Roumanie, Hongrie, Lettonie) avec le renfort, dans les cas d’intervention de « la Troïka », du FMI, sous l’appellation « plans d’ajustement structurel ».
La deuxième contre offensive de la Commission Européenne a été lancée sur le front de la « compétitivité ». Le procès public en manque de compétitivité ouvert depuis 2010 / 2011 incrimine certains membres de la zone Euro accusés à la fois de surendettement et de résistance aux « réformes ». Dans la langue de bois de l’Union Européenne, le défaut de compétitivité est à traduire par : législation du travail nuisible, basse productivité, coûts salariaux trop élevés, dissuasifs d’investissements, et cause de récession économique (recul du PIB + hausse du chômage). Ici, le procédé jésuitique cherche à attribuer le manque de compétitivité présumé de certains membres de la zone Euro à de telles causes, alors que l’Euro en est précisément le responsable selon de nombreux économistes.
Deux niveaux d’interprétation de cette offensive : le premier conduit à relever l’inversion de l’effet et de la cause (dénoncée elle aussi par de nombreux économistes), qui consiste à attribuer le surendettement présumé au laxisme, alors qu’il a d’abord servi à payer les dégâts économiques et sociaux d’une crise financière elle-même issue du code génétique du système européen.
Le second niveau d’interprétation permet d’identifier une opération stratégique révélant à la fois une fracture majeure au sein de l’Union Européenne et l’intention de l’utiliser par l’ouverture d’un front de guerre intérieur. Parmi les maîtres de l’Europe, il est difficile de départager ceux négligeant les énormes disparités de nature, de structure, et de développement entre les économies européennes, et ceux persuadés qu’elles disparaîtraient par la seule vertu de leur méthode d’unification. Dans leur onirisme, ces maîtres essentiellement formatés et obsédés par la finance, ont pensé qu’une monnaie unique, l’Euro, élèverait automatiquement le niveau de compétitivité de tous les pays de la zone jusqu’à ses meilleurs standards, ce qui dans le raisonnement économique n’a aucun sens. Il est cependant évident qu’un cercle restreint de stratèges a aussi conçu l’Euro comme un instrument de coercition politique contre tout pays rebelle au régime disciplinaire de l’Union Européenne. L’expérience de « la crise de la dette » dite souveraine (?) révèle à la fois cette fonction politique de l’Euro, et son incapacité à engendrer une quelconque harmonisation économique.
A la période initiale où l’Europe baignait dans l’euphorie de la monnaie unique (spéculation boursière / immobilière déchaînée, surendettement croisé des banques, délinquance bancaire libre), a succédé depuis 2010 une action punitive dirigée contre de faux responsables des crises pour détourner l’incrimination de leurs vraies causes. La contre offensive des organes européens consiste, à travers « la crise de la dette » et le procès en non compétitivité, à diviser l’Europe en deux camps : d’un côté les pays déclarés laxistes, surendettés, peu productifs et non compétitifs, et de l’autre ceux qui possèdent toutes les vertus contraires.
Cette division crée ipso facto un état de guerre interne à l’Europe puisque le camp des « bons » a promis d’assiéger celui des « mauvais ». C’est la Grèce qui subit l’action punitive la plus violente par la strangulation financière que lui applique la Troïka, dans un climat de terrorisme psychologique et de guerre sociale. L’ensemble des pays dits « du Sud » (Portugal, Espagne, Italie, Chypre), sans exclure d’autres (le sort de la France restant en suspens), ont reçu ou recevront un traitement similaire modulé selon le degré de leur obéissance aux injonctions des organes européens.
Une nouvelle étape récente a été franchie dans la stratégie intérieure des organes de direction européens. D’abord par une déclaration officielle (du président de la BCE) du caractère « irréversible » de l’Euro. Même si un tel décret a une forme d’incantation religionnaire plutôt que directive, il articule le second volet d’une contrainte absolue désormais imposée à tous les membres de l’Union Européenne, dont ceux de la zone Euro : c’est l’interdiction officiellement proclamée de sortir et de l’une et de l’autre. Cet interdit, un coup de force totalement dépourvu de base juridique, est comparable à celui infligé aux pays de l’Est qui, de l’après-guerre à 1989, n’avaient pas le droit de sortir du « camp socialiste » dirigé par l’URSS.
Globalement, l’utilisation combinée des marchés financiers et de l’Euro comme instruments de coercition crée ainsi une tension en Europe proche d’un état de guerre aux conséquences encore imprévisibles.

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