COMMENT DÉPLAÇAIT-ON LES STATUES DE L'ILE DE PÂQUES ?
Après avoir fait un essai en bougeant eux-mêmes une statue, les chercheurs supposent que les indigènes ont soulevé ces figures monumentales en position debout, puis les on fait "marcher" en les balançant jusqu'à leur emplacement.
(C) Photo by Sheela Sharma
"Beaucoup de ce que les gens croient savoir au sujet de l'île se révèle être faux," explique Lipo Carl, archéologue à la California State University à Long Beach.
Lipo et l'anthropologue Terry Hunt, de l'Université d'Hawaï, ont exposé leur cas dans un livre intitulé "The Statues That Walked" (les statues qui marchaient).
Il s'agit d'un véritable contrepoids au scénario peignant une sombre saga dans l'île de Pâques; scénario détaillé dans le livre mieux connu "Collapse: How Societies Choose to Fail or Succeed," (Effondrement: Comment les sociétés décident de disparaitre ou de survivre), par l'auteur scientifique Jared diamond de l'UCLA.
Le scénario de Diamond
D'après Diamond, la société de l'île de Pâques est dépeinte comme vouée à l'échec en raison de la surpopulation, des conflits et de la déforestation.
Les Polynésiens auraient colonisé l'île il y a 1600 ans, et abattu les forêts de palmiers dans le cadre d'une stratégie de brûlis. Cela aurait conduit à l'agriculture intensive, la dégradation des sols, les conflits, le cannibalisme et le dépeuplement massif.
Au moment de l'arrivée des Européens au 18e siècle, la société de l'île de Pâques était moribonde.
Les statues de l'île, les moai, auraient joué un rôle important dans ce scénario.Diamond s'appuie sur les conclusions d'autres chercheurs disant que les monolithes, qui pèse jusqu'à 90 tonnes, ont été déplacés par des centaines d'insulaires, en utilisant les arbres tombés comme des traîneaux, des rouleaux et de leviers.
Les chefs rivaux recrutaient des tribus entières pour ériger ces monuments à leur gloire. Les statues brisées trouvées le long des chemins de l'île seraient un témoignage de l'échec final de la société concernant ces sculptures sur pierre.
Le scénario de Hunt et Lipo
Ils proposent un point de vue radicalement différent. D'après eux, l'île de Pâques n'a jamais été un super endroit pour y vivre: "cela n'a jamais été verdoyant, et il n'y a jamais eu de très nombreuses personnes sur l'île".
Dans ce scénario, les Polynésiens se sont installés sur l'île il y a 800 ans environ, et ils sont arrivés avec des rats qui ont dévoré les arbres.
La population serait restée relativement stable pendant des siècles, mais, à l'arrivée des Européens, les insulaires auraient été victimes de maladies que leurs systèmes immunitaires ne pouvaient pas combattre.
Hunt reconnait que, "d'un point de vue de la biodiversité, ce fut une catastrophe."
Mais il pense que les méthodes agricoles utilisées par les anciens insulaires ont été conçues pour tirer le meilleur parti d'une mauvaise situation. Des pierres ont été empilées pour créer des parcelles de jardin circulaires connues sous le nom "Manavai". Les éléments nutritifs auraient rapidement disparu du sol, mais la roche fraîche était pulvérisée et ajoutée au sol comme paillis.
"Ils étaient en mesure de gérer leurs vies d'une manière qui était vraiment stable et durable", affirme Lipo.
Les statues jouent aussi un rôle différent dans leur scénario. D'après eux, il n'y avait pas besoin d'autant de gens pour déplacer les statues si elles étaient soulevées à la verticale puis balançées sur la route.
La tâche aurait aidé à se défouler, et aurait pu être une sorte de ciment social d'après Hunt: "ils mettent beaucoup d'efforts dans le déplacement d'une statue, plutôt que de se battre. Déplacer le moai était un peu comme jouer un match de football."
La controverse
Après la sortie du livre "The Statues That Walked", Diamond a fortement contesté les conclusions de Hunt et Lipo, déclarant sur le blog de Mark Lynas (expert climatique) qu'elles ont été "considérées clairement fausses par la quasi-totalité des archéologues ayant des programmes actifs sur l'île de Pâques."
Diamond aborde le débat en détail, y compris l'idée que les statues aient pu être déplacées verticalement: "Cela semble invraisemblable. Imaginez vous-même: Si on vous dit de transporter une statue de 90 tonnes et 10 mètres de haut sur une route de terre; pourquoi se risquer à la basculer et la casser en la transportant à la verticale avec tout son poids concentré sur sa petite base, plutôt que d'éviter le risque de basculement en la posant à plat et distribuant son poids sur toute sa longueur ? "
Lipo et Hunt ont publié leur propre contre-réfutation sur le blog de Lynas: ainsi, le débat sur les données historiques dépend de l'interprétation sophistiquée des tests de datation au radiocarbone, de l'analyse du pollen et des marques de dents sur les coquilles de noix de palmier.
Mais la partie sur le transport horizontal contre vertical ? Cela pourrait être facilement testé.
Jo Anne Van Tilburg de l'UCLA, avait déjà montré que la méthode horizontale était réalisable, s'il y avait beaucoup d'ouvriers et de bois.
Lipo et Hunt ont donc mis en place leur propre expérience: ils ont construit une réplique de moai de 5 tonnes, avec la répartition du poids que l'on retrouve dans une vraie statue. Puis ils ont attaché des cordes autour d'elle, l'on soulevé à l'aide d'une grue, et se sont apprêtés à la laisser reposer librement.
Ils on pu voir immédiatement que la statue allait tomber vers l'avant si la grue relâcher la tension sur la corde...
Hunt et Lipo étaient sur le point de s'éloigner de dégoût lorsque l'opérateur de la grue fit avancer la statue en manipulant la corde. Les chercheurs ont ainsi découvert que le ventre rebondi de la statue produit un centre de gravité faisant chuter vers l'avant, ce qui facilite le transport vertical.
Ainsi, une équipe de seulement 18 personnes (à titre de comparaison, l'équipe deVan Tilburg utilisait 60 tireurs.) peut utiliser des cordes pour faire mouvoir la statue d'avant en arrière, afin qu'elle se déplace en avant.
Bien sûr, une statue de 90 tonnes est bien plus grande qu'une statue de 5 tonnes, mais Hunt a constaté que la technique était évolutive.
"Nous ne sommes pas des échecs"
L'expérience de la statue qui marche ne fait pas que confirmer le scénario proposé par Hunt et Lipo, mais elle est compatible avec les revendications des insulaires et leur tradition orale: en effet, les statues descendaient la route en "marchant" dans les temps anciens.
Elle fournit également une explication alternative pour les statues en ruines qui jonchent les routes: c'est ce qui arrivait lorsqu'ils perdaient le contrôle de la corde.
Le débat sur les deux scénarios autour du passé de l'île de Pâques pourrait bien se poursuivre pendant des générations. Mais il est clair que le scénario de Hunt etLipo est préféré par les insulaires.
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