Euro : quand les prix Nobel qui font de l'économie contredisent ceux qui font de la politique
Mardi, 25 prix Nobel d'économie ont signé un texte présenté comme dénonçant le programme « anti-éuropéen » de Marine Le Pen. Le texte, très court et peu argumenté, est surtout un condensé de pensée unique eurolibérale, critiquant mollement la sortie de l'euro. Dommage que les travaux précédents d'une partie de ses signataires contredisent cette tribune.
Postures politiques contre pensée économique
Joseph Stiglitz oublie un peu vite qu'il a écrit un livre intitulé « L'euro : comment la monnaie unique menace l'avenir de l'Europe », où il écrit que les conditions qu'il met à son maintien sont « peu probables ». Oliver Hart, lauréat 2016, qui a également signé la tribune, affirmait il y a quelques mois que les pays de la zone euro ne sont « pas suffisamment homogènes » et que l'abandon de la monnaie unique « ne serait pas une mauvaise idée du tout ». Christopher Pissarides affirmait en 2013 que « si l'Espagne veut se sauver, elle doit revenir à la peseta (…) d'un point de vue économique, ce serait ce qu'il y a de mieux pour tout le monde. Dévaluer la peseta de 20% et recalculer la dette et les actifs espagnols sur cette base ». Et James Mirrlees disait que « l'Espagne a besoin de quitter l'euro, revenir à la peseta et imprimier beaucoup d'argent et l'utiliser pour les investissements publics souhaitables et pour des politiques en faveur de l'emploi ». Enfin, Amartya Sen évoquait dans le Monde « la décision saugrenue d'adopter une monnaie unique (…) c'est pour moi une piètre consolation de rappeler que j'étais fermement opposé à l'euro ».
Mais pour qui lit avec un peu d'attention cette tribune insipide, le texte n'a qu'une portée très limitée. Dire « les évolutions proposées par les programmes antieuropéens déstabiliseraient la France et remettraient en cause la coopération entre pays européens » est évident et oser dire que que cette coopération « assure aujourd'hui une stabilité économique et politique en Europe » est risible, pour ne pas dire insultant, pour qui sait ce qui s'est passé en Grèce, au Portugal, ou en Espagne. La critique des dévaluations est aussi assez ridicule sachant que la croissance des pays européens était sensiblement meilleure à l'époque du SME qu'avec l'euro. Et si dire qu'il « y a une grande différence entre choisir de ne pas rejoindre l'euro en premier lieu et en sortir après l'avoir adopté » est juste, il y a bien des exemples qui montrent que cela est parfaitement possible, comme l'avait montré Jonathan Tepper. Enfin, il est risible de défendre qu'il « faut renouveler les engagements de justice sociale, et ainsi garantir et développer l'équité et la protection sociale » alors que cette Union Européenne promeut le contraire depuis 30 ans.
Les organisateurs de cette tribune ont été malins de la sortir 5 jours à peine avant le premier tour, pour tenter de couper l'herbe sous le pied des candidats hostiles à l'euro. Ce faisant, ils servent donc l'agenda antisocial sauvage de Fillon et celui, un peu plus modéré, de Macron. Bien évidemment, Marine Le Pen a été incapable de défendre sa position sur TF1 mardi soir. Il n'était pourtant pas compliqué de venir avec les citations que j'ai compilées aujourd'hui… Mais cela l'intéresse-t-elle seulement ? Encore pire, alors que Gilles Bouleau évoquait les avantages de l'euro, à savoir faciliter la vie des 3 millions de Français qui font du tourisme dans la zone euro, elle n'a même pas eu la présence d'esprit et la répartie de dire que cela ne concerne que 4% de la population et qu'elle préfère défendre l'intérêt des 96% restant. Une fois encore, elle n'a pas été à la hauteur de la situation. Et merci aux prix Nobel qui se renient de montrer une fois de plus les ravages de cette idée européenne, cette foi qui fait dérailler les esprits les plus brillants.
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