vendredi 13 janvier 2017

Vengeance et pétrole : « La guerre en Irak était la solution pour éviter d’instaurer une démocratie », par Subhi Toma

Vengeance et pétrole : « La guerre en Irak était la solution pour éviter d'instaurer une démocratie », par Subhi Toma

Subhi Toma est spécialiste du Moyen-Orient. Ancien opposant au régime baasiste, il a milité au sein de nombreux comités anti-guerre en Irak, en France et en Europe.

Source : Subhi Toma, 30-12-2016

Un employé d'un site pétrolier essaie d'éteindre l'incendie lancé par des combattants de Daesh d'un champs pétrolier à Qayyara, au sud de Mossoul. © Goran Tomasevic Source: Reuters

Un employé d’un site pétrolier essaie d’éteindre l’incendie lancé par des combattants de Daesh d’un champs pétrolier à Qayyara, au sud de Mossoul.
© Goran Tomasevic Source: Reuters

Dix ans après l’exécution de Saddam Hussein, l’expert en géopolitique et ancien opposant au régime baas, Subhi Toma, revient sur l’invasion américaine motivée par le pétrole et le désir de revanche et dont les conséquences semblent interminables.

 Vous étiez militant irakien de gauche et un opposant à Saddam Hussein. Vous avez été emprisonné à ce titre. Plus tard, après votre arrivée en France, vous vous êtes néanmoins mis à militer contre les embargos et contre l’intervention américaine en Irak. Que représentait Saddam Hussein pour vous?

Subhi Toma (S. T.) : Je me suis engagé contre l’arrivée au pouvoir de Saddam Hussein et du parti Baas dès le premier jour. Je m’y opposais car Saddam Hussein s’appuyait sur les forces armées pour régler les problèmes politiques. Saddam Hussein était d’ailleurs assez connu en Irak pour être quelqu’un de violent qui n’hésitait pas à recourir à la force. Nous étions dans les années 1968 et ma génération avait d’autres aspirations pour l’Irak. On souhaitait sortir de l’infernal cycle de coups d’Etat qui propageait une violence aveugle dans le pays. Nous avons alors organisé des grèves dans le milieu universitaire et syndical pour nous opposer à lui. C’est dans ce contexte que j’ai été emprisonné un an dans la prison célèbre à l’époque qu’on appelait le «palais de la fin» et où beaucoup de militants sont morts. Après ma libération, j’ai quitté l’Irak où je ne pouvais plus étudier ou avoir d’activité professionnelle. Je suis alors arrivé à Paris et je me suis occupé de l’association des étudiants irakiens de l’opposition en France. J’ai failli être arrêté dans l’ambassade irakienne en France. Ils ont fini par m’enlever mon passeport. Je n’avais plus la possibilité d’aller en Irak. En 1991, lorsque l’Irak a envahi le Koweït, j’ai commencé à militer contre l’embargo total décidé par la résolution de l’ONU. Je me suis senti concerné car je savais que cette décision allait surtout toucher les catégories d’Irakiens les plus fragiles : les pauvres, les enfants, les vieillards… J’ai voulu essayer de sensibiliser le monde au sort de cette population avec l'association «La coordination pour la levée de l’embargo imposé à l’Irak».

Je considérais que ce choix de renverser Saddam Hussein ou non devait revenir aux Irakiens eux-mêmes.

Durant plusieurs années, cette association a joué un rôle important auprès de la communauté internationale et m’a permis de me rendre en Irak dans le cadre d’une délégation européenne pour l’évaluation des besoins de populations souffrant de l’embargo. Lors de cette visite, les autorités irakiennes se sont montrées plutôt intéressées par notre action, même s’il s’agissait de personnes de l’opposition comme moi. Mais, à mes yeux, tout cela n’avait rien à voir avec le destin de Saddam Hussein, ni avec sa survie ou sa chute. Ce qui comptait pour moi, c’était le peuple irakien. Or, il n’a plus eu de pouvoir sur le sort de Saddam Hussein à la seconde où la communauté internationale et les pays les plus puissants du monde ont déclenché la guerre. Saddam Hussein ne pouvait plus être renversé par quelqu’un d’autre que ces grandes puissances. En tant qu’Irakien, je considérais que ce choix devait revenir aux citoyens eux-mêmes.

Georges W. Bush avait une haine viscérale contre Saddam Hussein car il considérait qu’il était la raison qui avait empêché la réélection de son père

Etait-ce aussi pour vous une erreur que de renverser le régime de Saddam Hussein ? Quelle solution aurait-été préférable ? 

S. T. : Tous ceux qui ont participé à la guerre, en partant des responsables américains et britanniques, considèrent aujourd’hui qu’ils ont commis une erreur fatale en la déclenchant. Tony Blair a été contraint de présenter ses excuses au peuple irakien. Même s’il défend ce qu’il a fait, il a reconnu que cette guerre mal préparée a eu pour résultat de propager le terrorisme à l’échelle planétaire. L’ex-secrétaire de la Défense américain et l’ex-responsable de la CIA le reconnaissent aussi. De mon côté, je m’y suis opposé immédiatement par le biais de comités anti-guerre et du collectif d’intellectuels européens et américains «Pas en notre nom». Là aussi notre propos n’était pas de savoir s’il fallait faire avec ou sans Saddam Hussein, mais de dire que leur guerre entraînerait l’apparition d’un chaos généralisé. Pourquoi ont-ils été aussi pressés de faire cette guerre ? De renverser Saddam Hussein ? Ils étaient aveuglés par d’autres motivations. Georges W. Bush avait une haine viscérale contre Saddam Hussein car il considérait qu’il était la raison qui avait empêché la réélection de son père à la présidence. Il a donc tout fait pour aller punir l’Irak.

C’est une parfaite imbécillité que de s’imaginer qu’on peut par la violence, en tuant un peuple signer des contrats pétroliers

Il y avait aussi des considérations économiques et géostratégiques : la possibilité de maîtriser 80% de la production du pétrole du Moyen-Orient. Cette mainmise était vitale pour la communauté internationale. Le complexe militaro-industriel américain était intéressé par le résultat de la guerre et les perspectives de nouveaux contrats de construction et d’armement dans un pays totalement détruit. Cela s’est vu dès la première année de guerre lorsque le contrôle des concessions d’exploitation des gisements de pétrole a été placé sous la tutelle des grands groupes pétroliers américains, retirant au peuple irakien la maîtrise de cette richesse. Si la communauté internationale avait été sincère et fidèle à ses valeurs, elle aurait dû utiliser d’autres moyens. Elle aurait dû aider les véritables démocrates irakiens pour qu’ils soient eux-même capables de changer leur gouvernement. Mais ils ont choisi cette solution pour éviter d’instaurer une démocratie en Irak. Selon moi, le pétrole et la démocratie sont incompatibles. On ne peut pas gérer l’exploitation de pétrole de manière parfaitement démocratique et transparente. Leur objectif était motivé par de la pure vengeance contre Saddam Hussein et l’envie de s’accaparer la richesse du pays. Ils étaient convaincus que c’était la seule solution. Pour moi, c’est une parfaite imbécillité que de s’imaginer qu’on peut par la violence et en tuant un peuple signer des contrats pétroliers. En démantelant l’Etat irakien, ils ont menacé non seulement le peuple irakien, mais aussi le peuple européen, car de cette guerre a résulté une grande partie des tragédies que l’Europe a connues.

C’est donc un fonctionnaire de Georges W. Bush qui a décidé du sort des Irakiens

Treize ans après l’intervention américaine, dix ans après la mort de Saddam Hussein, l’Irak est toujours dans une situation chaotique. Vous qui êtes originaire de Mossoul, vous connaissez les dégâts de Daesh dans cette ville. Que faut-il faire pour sortir de cette crise à la fois politique et confessionnelle ? 

S. T. : Personne n’avait préparé la suite. Personne ne la prépare aujourd’hui. Après la guerre, lorsqu’on était amené à réfléchir sur le destin de l’Irak, je pensais que pour trouver une issue plus pacifiée à l’Irak, la communauté internationale allait prendre ses responsabilités. Il incombait au Conseil de sécurité et à l’ONU, avec des intentions sincères, d’organiser les discussions et pourparlers autour du processus démocratique de sortie de crise. Il fallait mettre en place un projet de reconstruction du pays en compagnie de l’ensemble des factions et communautés du pays. Les Américains n’ont pas voulu de cette solution et ont choisi de nommer une sorte de «proconsul de l’empire» Paul Bremer. C’est donc un fonctionnaire de Georges W. Bush qui a décidé du sort des Irakiens. Le résultat a donné cette guerre confessionnelle que l’on connait encore aujourd’hui.

Les Américains ne semblent pas très pressés de chasser Daesh

Mossoul est symptomatique de ce choix de ne rien préparer. Aujourd’hui, les responsables américains déclarent que la lutte contre Daesh à Mossoul prendra six mois, voire peut-être 24, parce qu’ils n’étaient pas assez préparés, n’avaient pas pris en compte l’après libération de Mossoul. Ils n’ont toujours rien prévu pour le destin de cette ville à la fin de l’offensive. Tout cela nous indique quand même que les Américains ne semblent pas très pressés de chasser Daesh. Daesh est devenu un instrument supplémentaire de manipulation et de domination de la région. On peut utiliser Daesh contre ses voisins. Les terroristes étaient indispensables à leur arrivée à Mossoul car les Etats-Unis négociaient fermement avec l’Iran leur accord sur le nucléaire. Daesh pouvait être une menace éventuelle contre Téhéran. C’est devenu un instrument comme un autre dans la guerre politique américaine. Il faudra voir maintenant ce que fera Donald Trump. Il a promis lors de sa campagne qu’il mettrait en place un plan de libération de Mossoul et Raqqa dès le premier mois de son mandat. Attendons de voir cela.

Le temps est encore long avant que nous ne connaissions une véritable paix

Etes-vous optimiste pour l’avenir de votre pays ?

S. T. : Malheureusement non. Ce qui est certain c’est que la coalition internationale arrivera à chasser Daesh. Mais depuis treize ans, le tissu social a été tellement abimé et l’Etat totalement démantelé. Je ne vois pas dans leur plan comment les problèmes des différentes communautés et minorités vont être réglés. Ce que le peuple yézidi a subi, ce que les petites communautés ont vécu ne sera pas oublié. Tous les groupes religieux ne pourront pas être appelés à revivre ensemble en un instant à la seconde où Daesh sera chassé. Il reste des questions importantes à régler : quel sera l’avenir des Kurdes ? Que deviendront les communautés qui ont été chassées de leurs terres ? Je ne suis pas très optimiste. Si leur projet s’avère être celui de la partition de l’Irak en trois ou quatre états – un Etat kurde, un sunnite, un chiite – la situation s’aggravera. Cela pourrait déclencher des conflits supplémentaires avec les pays voisins. Je pense que le temps est encore long avant que nous ne connaissions une véritable paix.

Source : Subhi Toma, 30-12-2016

Aucun commentaire: