mardi 6 décembre 2016

Steve Bannon, responsable des domaines stratégiques du Président élu “Un mouvement politique entièrement nouveau”

Steve Bannon, responsable des domaines stratégiques du Président élu "Un mouvement politique entièrement nouveau"

Source : The Hollywood Reporter, le 18/11/2016

Par Michael Wolff le 18/11/2016

Chip Somodevilla/Getty Images Steve Bannon

Chip Somodevilla/Getty Images

Steve Bannon

“Je ne suis pas un nationaliste pro-blanc. Je suis un nationaliste. Je suis un nationaliste économique,” déclare Bannon au chroniqueur de THR media Michael Wolff, alors que le chef controversé de Breitbart News devenu conseiller à la Maison-Blanche se déchaine contre Hillary Clinton, Fox News et ses détracteurs.

À la fin de l’été, lorsque je suis allé voir Steve Bannon, récemment nommé directeur de la campagne présidentielle de Donald Trump, dans son bureau de la Trump Tower à New York, il m’a révélé un scénario qui semblait absurde. Trump, disait-il, créerait la surprise en affichant un grand succès auprès des femmes, des hispaniques et des Afro-Américains, en plus des travailleurs, et partant de là prendrait la Floride, l’Ohio, la Pennsylvanie et le Michigan – et par conséquent l’élection présidentielle. Le 15 novembre, lorsque je suis retourné à la Trump Tower, Bannon, promu par le président élu à un poste de stratège en chef de la nouvelle administration, et par les médias comme le symbole officiel de toutes les choses haineuses et virulentes au sujet de la prochaine présidence Trump, me dit tout bonnement comme il m’avait joué son scénario la première fois : « Je vous l’avais dit. »

Le pare-feu libéral contre Trump était principalement basé sur la croyance que le candidat républicain était trop désorganisé, bizarre, outrancier et dépourvu de finesse pour mener une campagne politique de qualité. Ce point de vue n’a été confirmé que lorsque Bannon, rédacteur en chef du brutal et grossier média Breitbart News Network, a pris la relève en août. Maintenant, Bannon est sans doute la personne la plus puissante de la nouvelle équipe de la Maison-Blanche, incarnant plus que quiconque la souffrance existentielle et la fureur des libéraux : Comment quelqu’un d’aussi faux – non seulement faux, mais inopportun, mal embouché et « répugnant », selon le New York Times – peut-il légitimement gagner une telle place ?

Dans ces jours sombres pour les démocrates, Bannon est devenu le plus grand trou noir.

“L’obscurité est bonne,” nous dit Bannon, qui ressemble à un étudiant de Master en T-Shirt, chemise ouverte et vieille veste bleu défraichie au milieu des costumes cravates qui l’entourent à la Tour Trump, mais un étudiant de Master de 62 ans. “Dick Cheney. Dark Vador. Satan. C’est le pouvoir. Cela nous aide seulement lorsqu’ils” – je pense que par “ils” il désigne la gauche et les médias, qui font déjà campagne pour son renvoi – “se trompent. Lorsqu’ils sont aveugles à ce que nous sommes et ce que nous faisons.”

Sur ce point précis, le New York Times, dans un article largement diffusé, décrira cette journée à la Trump Tower comme une scène de “désordre” pour l’équipe chargée de la transition. En fait, tout le monde est à pied d’œuvre : Mike Pence, le vice-président élu et chef de la transition, ainsi que Reince Priebus, le nouveau chief of staff [équivalent du directeur de cabinet, NdT], font la navette entre des salles de réunion pleines ; Jared Kusner, le beau-fils de Trump et selon de nombreuses sources son plus proche conseiller, fait des déclarations dans les halls ; le sénateur Jeff Sessions enchaine les réunions à l’étage occupé par l’équipe de transition ; Rudy Giuliana est plus haut avec Trump (entendu dans les couloirs : “est-ce que le chef est sérieusement en réunion avec Rudy ou est ce qu’ils discutent juste le bout de gras ?”), et Bannon avec une longue file d’hommes et de femmes à l’extérieur de son bureau dans le coin. S’il s’agit de désordre, il est singulièrement concentré et organisé.

C’est le thème de Bannon, la myopie des médias – qui racontent uniquement les histoires qui confortent leurs opinions, et qui en définitive furent incapables de voir un résultat alternatif et de réaliser une vraie évaluation des risques pesant sur les variables politiques – alimentant la propre myopie politique du camp d’Hillary Clinton. C’est la définition des réalités parallèles dans lesquelles les gens de gauche, dans leur propre vision d’eux même, représentaient une catégorie moralement supérieure tandis que Bannon – dépeint sur Twitter comme un voyou nationaliste pro-blanc, raciste et antisémite – était la perversion ultime du Trumpisme.

L’accent mis sur Bannon, mais pas nécessairement la description qui en est faite, est justifié. Il est l’homme avec l’idée. Si le Trumpisme doit représenter quelque chose d’intellectuellement et d’historiquement cohérent, c’est le rôle de Bannon de le faire. Dans cette optique, il ne pourrait pas être une figure moins rassurante et déroutante pour la gauche – furieusement intelligent et pourtant à l’extrême opposé de toutes ses théories et ses totems [voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Shibboleth, NdT]. Enfant de la classe ouvrière, il s’enrôle dans la marine après le lycée, obtient un diplôme à Virginia Tech, puis Georgetown, et ensuite Harvard Business School. Ensuite c’est Goldman Sachs, puis il devient homme d’affaires et entrepreneur à Hollywood – où il obtiendra une juteuse partie des royalties de Seinfeld [série télévisée à succès] dans une bataille improbable et très chanceuse, ce qui lui assurera une petite fortune personnelle – puis dans l’autre monde des grandes théories du complot et des médias conservateurs de droite.

Ce qu’il semble avoir conservé de sa jeunesse de petit garçon dans une famille ouvrière, syndiquée et démocrate de Norfolk, en Virginie, et de son voyage au sein de l’establishment américain est un sens brut de conscience de classe, si ce n’est pas d’amertume ou de trahison. Le Parti Démocrate a trahi ses racines ouvrières, de la même façon qu’Hillary Clinton a trahi la connexion de longue date des Clinton – celle de Bill – avec la classe ouvrière. “La force des Clinton,” dit-il, “était de parler aux gens qui ne sont pas allés à l’université. Les gens qui se sont arrêtés au lycée. C’est comme cela que vous gagnez les élections.” Et, de manière similaire, le parti Républicain a fini par trahir sa base électorale ouvrière acquise sous Reagan. En somme, la classe ouvrière a été trahie par l’establishment, ou ceux qu’elle rejette comme la “classe des donneurs”.

Dire qu’il voit cette classe des donneurs – qui est aussi dans ses discours “l’Amérique ascendante”, c’est à dire les élites, aussi bien que la “bulle métrosexuelle” qui englobe les sensibilités cosmopolites qu’on retrouve largement à Shanghai, dans le quartier de Chelsea à Londres, à Hollywood et dans l’Upper West Side [quartier huppé de New York, NdT] – un monde à part, est un euphémisme. A ses yeux, il y a à peine un lien entre ce monde et son opposé – l’Amérique que l’on survole [fly-over America : les États du centre que les populations urbaines des grandes villes ne voit que depuis l’avion quand elle vole d’une côte à l’autre, NdT], l’Amérique laissée pour compte, l’Amérique qui s’enfonce – à peine une langue commune. C’est en partie pour cela qu’il considère le portrait que la gauche fait de lui comme quelqu’un de socialement abominable, comme le diable incarné du politiquement incorrect, est risible – et pourquoi il ne montre résolument aucun regret. Ils – la gauche et les médias – ne comprennent pas ce qu’il dit, ni pourquoi, ni à qui. Breitbart, avec ses provocations coutumières – la liste de ses diverses bravades (parmi elles : l’auteur conservateur David Horowitz a appelé le militant conservateur Brill Kristol un “juif renégat”, ou encore le site se délectant de unes telles que “un taux de séropositivité 49 fois plus élevé chez les travelos” et “la contraception rend les femmes folles et peu séduisantes”) était largement partagée après l’élection parmi les démocrates consternés – est un site aussi opaque pour la classe de donneurs mondialistes de gauche que peut l’être Lena Dunham [créatrice et actrice d’une série télévisée féministe sur HBO, NdT] pour les classes ouvrières sans emploi. Et tout ceci renvoie aux yeux de Bannon à la profonde incompréhension qui a conduit la gauche à croire que la bouche de Donald Trump le condamnerait, au lieu de le faire élire.

Bannon est peut-être une des personnes les plus engagée dans la grande fracture américaine, et une de ceux qui l’ont vu le plus clairement.

Il rejette en bloc, et de manière moqueuse, l’idée qu’il s’agirait d’une fracture raciale. “Je ne suis pas un nationaliste pro-blanc, je suis un nationaliste. Je suis un nationaliste économique,” me dit-il. “Les mondialistes ont dépecé la classe ouvrière américaine et ont créé une classe moyenne en Asie. Le problème est désormais pour les Américains de ne pas se faire enc***. Si nous y arrivons” – par “nous” il entend l’administration Trump – “nous obtiendrons 60% du vote blanc, et 40% du vote noir et hispanique et nous gouvernerons pendant 50 ans. C’est ce que les Démocrates n’ont pas compris. Ils parlaient à ces gens qui ont des entreprises avec une capitalisation boursière de 9 milliards de dollars et emploient 9 personnes. Ce n’est pas la réalité. Ils ont perdu de vue ce dont le monde était vraiment fait.”

Dans une administration naissante aux convictions apparemment aléatoires, Bannon peut sembler ne pas être une voix claire, mais presque une voix messianique :

“Comme le populisme de [Andrew] Jackson, nous allons construire un mouvement politique complètement neuf,” annonce-t-il. “Tout a trait à l’emploi. Les conservateurs vont devenir fous. Je suis celui qui milite pour un plan d’infrastructure de mille milliards de dollars. Avec des taux d’intérêt négatifs partout dans le monde, c’est la plus grande chance de tout reconstruire. Les chantiers navals, la sidérurgie, mettez-les sous stéroïdes. Nous allons juste tout mettre sur le feu et voir si la sauce prend. Ce sera aussi excitant que dans les années 30, plus fort que la révolution de Reagan – les conservateurs et les populistes, c’est un mouvement de nationalisme économique.”

Bannon représente, croit-il raisonnablement, la chute de l’establishment. Les opinions auto-satisfaites, consanguines et homogènes de l’establishment sont à la fois ce qu’il combat et ce qui a constitué la faille nécessaire à la révolution Trump. “La bulle médiatique est le symbole ultime de ce qui ne va pas dans ce pays,” enchaine-t-il. “C’est juste un cercle de gens qui se parlent entre eux et n’a aucune putain d’idée de ce qui se passe. Si le New York Times n’existait pas, CNN et MSNBC seraient hors service. Le Huffington Post et tout le reste se basent sur le New York Times. C’est un cercle fermé d’information dans lequel Hillary Clinton a puisé toutes ses informations, et sa confiance. C’était notre opportunité.”

À ce moment-là, alors que nous discutons, on frappe à la porte du bureau de Bannon, un espace provisoire de cadre moyen, impersonnel, avec un fouillis de chaises pour de perpétuelles réunions impromptues. Le sénateur Ted Cruz, anciennement le feu-follet républicain, devenu maintenant une petite figure sans envergure, a attendu patiemment pour une discussion, et Bannon s’excuse pendant un court instant. Il est clair que lorsque nous revenons à notre conversation que ce n’est pas seulement de l’institution libérale que Bannon croit avoir triomphé, mais aussi du parti conservateur, et surtout de Fox News et de ses propriétaires, les Murdochs. « Ils ont eu plus mal que quiconque, » dit-il. « Rupert est un globaliste et n’a jamais compris Trump. Pour lui, Trump est un radical. Maintenant, ils vont aller vers le centre pour construire le réseau autour de Megyn Kelly.” Bannon raconte, sans ironie, que lorsque Breitbart a attaqué Kelly après ses défis contre Trump dans le débat républicain initial, le chef de Fox News Roger Ailes – que Bannon décrit comme un mentor important, et que les accusations de Kelly de harcèlement sexuel aideront à faire tomber en juillet – a appelé à la défendre. Bannon dit qu’il a mis en garde Ailes que Kelly serait encline à le faire basculer aussi.

Il est moins évident de savoir comment Bannon, à l’heure actuelle le cerveau stratégique officiel de l’opération Trump, se synchronise avec son patron ayant la réputation de ne pas être spécialement stratégique. Lorsque Bannon a récupéré la campagne en cours de Paul Manafort, il y en avait beaucoup dans l’entourage de Trump qui s’étaient résignés à l’évidence que le candidat n’écoutait personne. Mais, ici aussi, ça a été une trouvaille de Bannon : Quand la campagne semblait le plus en roue libre ou dans le désarroi, c’est là qu’il était peut-être le plus dans le vrai. Alors que Clinton a été largement absente de la campagne électorale, tout en se concentrant sur la cour à ses donateurs, Trump — même après la révélation audio du jeu de mot “prendre-par-la-chatte” — parlait à une foule sans cesse croissante de 35 000 ou 40 000 personnes. “Il la prend ; il s’en saisit intuitivement,” dit Bannon, peut-être encore surpris d’avoir dégoté une embarcation aussi idéale. “Vous avez probablement le plus grand orateur depuis William Jennings Bryan, couplé avec un discours économique populaire et deux partis politiques qui sont tellement détenus par leurs donateurs qu’ils ne s’adressent plus à leur public. Mais il parle d’une façon simple, non politisée, il communique avec ces personnes en parlant avec ses tripes. Personne dans le parti Démocrate n’a écouté ses discours, de sorte qu’ils n’avaient aucune idée du côté convainquant et puissant du message économique qui a été délivré. Il est arrivé en retard de 3 heures et demi dans le Michigan, à une heure du matin, il y avait 35 000 personnes qui attendaient dans le froid. Quand ils ont reçu [Clinton] dans la tournée des donateurs, elle est allée à la Temple University et ils ont attiré 300 ou 400 enfants.”

En effet, pendant les pires jours de la campagne, jusque dans les derniers jours quand la plupart dans l’entourage de Trump pensaient que seul un miracle pourrait les sauver, “je savais qu’elle ne pourrait pas se terminer comme ça. – Ils nous avaient coté à 10 contre 1, ils avaient dix fois plus de personnel et disposaient de tous les médias avec eux, mais j’ai continué en disant que ça n’avait pas d’importance, ils ont eu tout faux, nous les avons bien eus.”

Bannon fait maintenant partie d’une structure politique à deux têtes de la Maison-Blanche, avec Reince Priebus – dans et hors du bureau de Bannon comme nous discutons – en tant que chef d’état-major, chargé de faire arriver les trains à l’heure, faisant des rapports au président, et Bannon en tant que stratège en chef, en charge de la vision, des objectifs, de la composition et du plan d’attaque, rendant compte au président de la même façon. Ajoutez à cela les ambitions et les caprices du président lui-même, et les circonstances nouvelles de celui qui n’a jamais occupé de fonctions électives, l’agenda de sa famille très influente et les soubresauts d’un parti dont des factions importantes lui étaient hostiles, et vous vous retrouvez avec une quasi cour de tribunal à laquelle Bannon devra tout en finesse imposer le règne de l’homme du labeur avec mille milliard de dollars de dépenses nouvelles.

“Je suis,” dit-il avec délectation, “Thomas Cromwell à la cour des Tudors.”

Source : The Hollywood Reporter, le 18/11/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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