mercredi 23 novembre 2016

Syrie : marche turque vers Raqqa et marche funèbre pour les Kurdes ? Par Fabrice Balanche

Syrie : marche turque vers Raqqa et marche funèbre pour les Kurdes ? Par Fabrice Balanche

Source : Le Figaro, Fabrice Balanche, 07/11/2016

Coimbattants Kurdes lors d'un point presse à propos de l'opération contre Raqqa, capitale syrienne de l'Etat Islamique. Crédits photo : RODI SAID/REUTERS

Coimbattants Kurdes lors d’un point presse à propos de l’opération contre Raqqa, capitale syrienne de l’Etat Islamique.
Crédits photo : RODI SAID/REUTERS

FIGAROVOX/TRIBUNE – Les Forces Démocratiques Syriennes (FDS), dirigées par les Kurdes syriens, ont lancé l’offensive contre Raqqa, capitale syrienne de Daech. Mais pour Fabrice Balanche, la situation est encore très incertaine sur fond de rivalité entre Kurdes et Turcs.

Dimanche 6 novembre, les Forces Démocratiques Syriennes (FDS), dirigées par les Kurdes syriens, ont annoncé officiellement le début de l’offensive contre Raqqa, capitale syrienne de l’État islamique. Cela fait suite aux déclarations de la Turquie, qui elle aussi souhaite s’attaquer à Raqqa avec l’aide des rebelles arabes qu’elle a utilisés pour sécuriser sa frontière entre Azaz et Jerablous au Nord de la Syrie. Cette course à Raqqa dans le discours a-t-elle des chances de se traduire dans la réalité? Le but principal de la Turquie, à travers son intervention en Syrie, est d’empêcher les Kurdes syriens du PYD (Parti de l’Union Démocratique) de réaliser l’unité de leurs territoires dans le Nord de la Syrie sous la forme de ce qu’ils appellent le Rojava. Face à la menace turque, le PYD syrien espère obtenir la protection des États-Unis en promettant enfin de se diriger vers Raqqa, au lieu de tenter de relier l’enclave kurde d’Afrin au reste du Rojava, comme ce fut le cas en août dernier avec la prise de Manbij.

Nous pouvons donc douter sérieusement de la volonté des Kurdes syriens, comme de la Turquie du reste, de vouloir lancer une offensive sérieuse sur Raqqa. Néanmoins accordons aux deux acteurs le bénéfice du doute et tentons d’examiner comment le PYD et la Turquie pourraient tenter de s’emparer de Raqqa comme ils le prétendent.

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Les Forces démocratiques syriennes, dominées par les Kurdes, ne sont qu’à trente kilomètres de Raqqa

Les FDS ont conquis la partie nord de la province de Raqqa (district de Tel Abyad) depuis le printemps 2015, après leur victoire à Kobané contre Daech. Depuis cette date, les forces pro-kurdes ne sont qu’à une trentaine de kilomètres au nord de Raqqa, sur une ligne de front très étendue, qui peut leur permettre de lancer une offensive de différents endroits. Entre les lignes des FDS et Raqqa, le territoire est peu peuplé et sans obstacle physique. Les villages sont très clairsemés et ne se concentrent que le long de la vallée du Baligh, une rivière à sec désormais une partie de l’année.

Raqqa est située à quelques kilomètres au nord de l’Euphrate, sur un plateau qui domine le lit majeur du fleuve. Ce dernier ne présente donc pas une défense naturelle pour toute attaque venant du Nord. Raqqa est une ville champignon donc la population a explosé en raison d’un exode rural massif depuis les années 1970 et d’une croissance naturelle galopante (doublement de la population tous les vingt ans), comme dans le reste de la vallée de l’Euphrate. En 2011, la ville comptait 260,000 habitants contre seulement 37,000 en 1970. La population est désormais quasi-exclusivement arabe sunnite avec la fuite des Chrétiens (1% de la population) et de la plupart des Kurdes (20% de la population). Leur départ a été compensé par l’arrivée d’une centaine de milliers de réfugiés de la région d’Alep et de plusieurs milliers de djihadistes étrangers avec leur famille, telle que la sœur de Mohamed Merah.

Raqqa est une ville très étendue avec une faible densité de population: la terre ne manque pas dans la région et les quartiers illégaux représentent plus de la moitié de l’espace urbain. Ces derniers sont constitués de petites maisons de plain-pied entourées par de vastes cours qui permettent de construire des pièces supplémentaires à mesure que les enfants se marient, comme dans les villages voisins. Les immeubles de plusieurs étages se trouvent au centre-ville mais là encore, ils sont séparés par de larges avenues comme c’est la tradition chez les urbanistes formés dans l’ex-Union Soviétiques. Cela complique la défense de la ville pour Daech, car il sera facile à des véhicules blindés de pénétrer par les larges artères et les djihadistes ne pourront pas utiliser la population civile comme bouclier anti-aérien dans les quartiers périphériques puisque les maisons n’ont pas d’étage.

Le barrage sur l’Euphrate est la clé de Raqqa

Néanmoins avant de lancer une attaque sur Raqqa, les FDS auraient intérêt à s’emparer de Tabqa et du barrage sur l’Euphrate (Thaoura), situés à 40 km à l’Ouest. D’une part, ils pourront ainsi utiliser le pont sur l’Euphrate pour menacer aussi la ville par le Sud et couper toute retraite des djihadistes sur la rive sud. D’autre part, il s’agit de la principale source d’électricité de la vallée de l’Euphrate. En revanche, la menace de la destruction du barrage par l’État Islamique, pour provoquer un raz de marée meurtrier, semble écartée. Il s’agit un barrage de type «bulgare»: un amoncellement de terre et de roches qui soutient un mur en ciment, une construction basique mais extrêmement résistante.

Les FDS sont donc très bien positionnés pour lancer une offensive sur Raqqa. Ils peuvent attaquer sur plusieurs fronts à la fois pour encercler Raqqa, notamment en visant le pont de Halabyah à 50 km à l’Est de Raqqa et le barrage de Thaoura qui fait également office de pont. Ils seront ainsi protégés par le fleuve d’une contre-attaque de l’État islamique en provenance de la rive sud et pourront s’approcher de Raqqa par le nord, l’est et l’ouest. La proximité de leur territoire limite la longueur des lignes de communication ce qui permet de ne pas bloquer trop de forces à l’arrière, plus utiles sur la ligne de front. Ce qui n’est pas le cas de l’armée turque et de ses alliés locaux.

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Une longue marche turque depuis al-Bab 

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