L'État Islamique est plus détesté par les Américains que Poutine ou Assad. Voici comment cela façonne les préférences de politique, par Shibley Telhami
Source : The Washington Post, le 01/11/2016
Bien que les élections présidentielles aux États-Unis aient peu porté sur les programmes politiques, le conflit en Syrie et la lutte contre l’État islamique ont fait partie des questions débattues fréquemment par Hillary Clinton et Donald Trump au cours de la dernière année. Bien que tous deux aient souligné la menace que constitue l’Etat islamique, ils ont divergé sur la façon de la traiter réellement.
Un nouveau sondage sur les enjeux critiques de l’Université du Maryland, mené par Nielsen Scarborough auprès d’un échantillon représentatif national de 1528 électeurs inscrits, avec une marge d’erreur de 2,5 points de pourcentage, apporte un nouvel éclairage sur la position du public américain sur ces questions. Il s’avère que les Américains veulent mettre de côté les divergences avec la Russie et s’unir pour combattre l’État islamique (ISIS dans le sondage). Cela ne veut pas dire que les Américains ont confiance en la Russie ou aiment son président, Vladimir Poutine. En fait, les Américains n’aiment pas Poutine, les Démocrates l’identifiant dans une question ouverte comme le leader national ou mondial le plus détesté, alors que les républicains l’identifient comme le quatrième le plus détesté, proche de Kim Jong Un, mais loin derrière leurs ennemis nationaux, Obama et Clinton.
Malgré cette aversion exprimée de Poutine, le public américain est enclin à mettre de côté les différences avec la Russie pour faire face à l’État islamique, même si Moscou travaille également avec les opposants des États-Unis, à savoir le régime du président syrien Bachar el-Assad, le Hezbollah et L’Iran. Et tandis que les Américains continuent à exprimer des réserves sur une implication militaire plus étendue des États-Unis en Syrie, l’électorat de Trump exprime des vues beaucoup plus bellicistes que non seulement celles de Clinton, mais aussi celles que Trump a exprimé.
Commençons par les attitudes concernant les relations avec la Russie sur la Syrie. Les américains à travers les lignes partisanes sont unifiés sur une question : dans quelle mesure ils aimeraient voir plus de coopération russo-américaine. Les deux tiers du public disent que le niveau actuel de coopération est inférieur à ce qu’ils aimeraient voir, y compris 72 pour cent des républicains et 65 pour cent des démocrates.
Après avoir décrit le fait que les États-Unis et la Russie soutiennent des côtés opposés du conflit syrien tandis que les deux veulent vaincre l’État islamique, les sondés ont été interrogés sur la meilleure façon de vaincre l’État islamique. Environ 60 pour cent, dont deux tiers des républicains et une majorité de démocrates, préféraient mettre de côté les différences avec la Russie pour se concentrer sur la confrontation à l’État islamique.
Évidemment, l’un des moteurs de ces attitudes est le fait que le public a identifié l’État islamique comme une menace majeure pour les intérêts américains depuis de nombreux mois, dès Novembre 2014. En fait, dans le sondage actuel, la lutte contre l’État islamique précède même l’immigration et le déficit commercial dans les priorités du public américain. Lorsqu’on a demandé aux sondés de choisir leurs deux principales priorités parmi une liste de questions qui incluaient également la montée de la Chine et la détermination de la Russie, la lutte contre l’État islamique était au sommet de toutes, 53 pour cent des répondants l’identifiant comme l’une des deux priorités.
Cette focalisation du public sur la menace de l’État islamique la fait passer devant d’autres préoccupations, y compris les inquiétudes portant sur l’affirmation de la Russie. Elle remplace aussi les inquiétudes du public à propos d’Assad. Il est évidemment possible que le public américain, distrait par sa campagne présidentielle, n’ait pas accordé assez d’attention aux rapports des bombardements du gouvernement russe et syrien qui ont tué de nombreux civils et détruit des hôpitaux. Il est également peu vraisemblable qu’une grande partie du public ait été exposée à des arguments selon lesquels Assad avait un intérêt dans la montée de l’État islamique comme moyen de détourner les énergies globales et domestiques qui auraient autrement pu se concentrer sur lui. Mais l’histoire de la Syrie existe depuis des années et les reportages des médias américains se sont concentrés sur les atrocités et les réfugiés bien avant que la campagne ne commence. Beaucoup d’Américains détestent profondément Assad (il a été nommé sixième sur la liste des plus détestés) et veulent voir son régime changé. Dans une question spécifique sur quoi ils aimeraient que les États-Unis se concentrent en Syrie, 35 pour cent des répondants ont déclaré qu’ils voyaient à la fois la défaite et le renversement du gouvernement d’Assad comme une des priorités. Cependant, 52 pour cent ont choisi de battre l’État islamique contre seulement 2 pour cent qui ont choisi de retirer Assad.
Favoriser la coopération avec la Russie peut également être considéré en fonction de mauvaises alternatives : les deux tiers du public craignent de donner un soutien militaire significatif aux rebelles syriens qui peuvent inclure des éléments islamistes autres que l’État islamique ou al-Qaïda. Même après avoir présenté aux répondants une série d’arguments conventionnels en faveur et contre l’envoi d’une grande force terrestre américaine pour aider à vaincre l’État islamique, 63 pour cent des Américains finissent toujours par s’opposer à une telle mesure.
Si l’on peut affirmer que le fait de s’attaquer à l’Assad ou à la politique étrangère russe devrait être au moins aussi important que de combattre l’État islamique – ou que la menace de l’État islamique peut être exagérée compte tenu des autres priorités mondiales de l’Amérique – ce sondage montre que les Américains ne l’ont pas entendu. Pour l’instant, la lutte contre l’État islamique passe avant tout, y compris l’aversion pour Poutine et Assad.
Shibley Telhami est professeur et directeur Sadat, sur les enjeux critiques des sondages à l’Université du Maryland. Il est non-résident éminent à la Brookings Institution.
Source : The Washington Post, le 01/11/2016
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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