Justifier les massacres saoudiens au Yémen, par Gareth Porter
Source : Consortium News, le 31/10/2016
Le 31 octobre 2016
Exclusif : Le discours officiel de Washington est de dire que l’Iran est le principal fauteur de trouble au Moyen-Orient alors que c’est clairement faux, mais le “groupe de réflexion” explique pourquoi quelques cargaisons d’armes interceptées à destination de la Somalie sont liées à l’Iran et au Yémen, rapporte Gareth porter.
Par Gareth Porter
L’administration Obama a mené une campagne délibérément trompeuse en accusant l’Iran d’envoyer secrètement des armes aux Houthis par voie maritime, une affirmation de Washington destinée à justifier l’attaque aérienne saoudienne massive contre les Houthis qui a commencé l’année dernière.
En répétant l’accusation en boucle, l’administration a amplement réussi à transformer une allégation douteuse en fait avéré, même s’il est contredit par des éléments de preuve bien documentés présents dans le dossier public.
Le secrétaire d’État John Kerry a présenté la nouvelle variante du thème familier de l’administration Obama sur les « activités néfastes » de l’Iran dans la région, deux semaines après le début du bombardement du Yémen par l’Arabie saoudite le 26 mars 2015. Kerry a déclaré au PBS NewsHour : « Les approvisionnements viennent clairement de l’Iran, » citant un certain nombre d’arrivées de vols constaté chaque semaine. Kerry a juré que les États-Unis « n’allaient pas rester sans rien faire alors que la région est déstabilisée. »
Plus tard, l’administration a commencé à accuser l’Iran d’utiliser des bateaux de pêche pour faire passer des armes aux Houthis en contrebande. La campagne a consisté en une série de quatre interceptions de petits bateaux de pêche ou de boutres en mer d’Arabie ou à proximité, de septembre 2015 à mars 2016. Les quatre interceptions avaient deux points communs : les bateaux contenaient des armes illicites, mais les équipages ont toujours affirmé que le navire était destiné à la Somalie, et pas au Yémen et aux Houthis.
Mais au lieu de reconnaître le fait évident que les armes n’avaient rien à voir avec la relation Iran-Houthis, un porte-parole militaire américain a publié une déclaration des États-Unis « estimant » dans les quatre cas que la destination ultime des armes était un territoire contrôlé par les Houthis au Yémen.
Le choix des mots était significatif. La communauté du renseignement déclare qu’elle « estime » que quelque chose est vrai tant qu’elle n’a pas la preuve claire du contraire. Dans le cas de l’utilisation iranienne supposée de boutres de pêche pour la contrebande d’armes destinée aux Houthis, les porte-parole des États-Unis n’ont pas cité un seul élément de preuve pour cette « estimation », dans aucun des quatre cas. En fait, lorsqu’on lui a demandé une justification, le porte-parole militaire a refusé.
Le premier boutre de pêche a été intercepté en mer d’Arabie le 25 septembre 2015 par un membre d’une coalition de 31 nations appelée Combined Maritime Forces patrouillant en mer d’Arabie et les eaux environnantes contre la piraterie. Le navire de la coalition a trouvé à bord du boutre 18 missiles Konkurs antichar, 71 autres obus antichar et 54 lance-missiles.
Accuser l’Iran
Plus tard, la Cinquième Flotte des États-Unis publia un communiqué disant : “D’après les déclarations de l’équipage, nous pensons que le boutre et ses armes illégales proviennent d’Iran.” il estimait également que les missiles anti-char étaient d’origine russe ou iranienne, et les documents du bâtiment indiquaient qu’il avait été contrôlé par les autorités douanières et portuaires des Provinces iraniennes de Sistan et du Baloutchistan.
Mais l’équipage du bâtiment avait dit que sa destination était la Somalie et non le Yémen, comme l’a reconnu le porte-parole de la Cinquième Flotte à Associated Press. Un porte-parole militaire saoudien a laissé entendre que l’Iran avait l’intention de rediriger les armes ultérieurement de Somalie vers le Yémen, mais sans donner de preuve.
Le 27 février 2016, un bâtiment australien intercepta un deuxième boutre de pêche au large de la côte d’Oman. Les australiens découvrirent à son bord 1989 fusils d’assaut AK-47, 100 roquettes et 40 mitrailleuses PKM. La défense australienne publia un communiqué officiel de cette prise qui ne mentionnait pas l’implication de l’Iran. D’après le communiqué, le bateau n’était pas immatriculé et il semblait que la destination des armes était la Somalie. Le porte-parole de la Défense australienne expliqua à CNN que cette conclusion était fondée sur les déclarations de l’équipage.
Mais un porte-parole du commandement central des forces navales des États-Unis, le lieutenant Ian McConnaughey, a donné une orientation politique tout à fait différente à l’interception. Dans un courriel à NBC News, McConnaughey dit : “D’après le cap du bateau, on pense que son port d’origine et la source des armes illicites est l’Iran.” Il ajouta que l’on “estimait” que l’équipage était iranien, ce qui sous-entendait que l’équipage lui-même ne l’avait pas indiqué.
McConnaughey a reconnu à NBC et The Telegraph : « Selon les forces de la coalition, on pense que la destination du navire était dans les environs de la Somalie. » Mais le porte-parole du CENTCOM a indiqué que cela n’avait pas d’importance ; Les États-Unis insistaient sur leur récit qu’il s’agissait d’approvisionnements clandestins d’armes iraniennes à destination des Houthis.
“La première évaluation des États-Unis est que la destination finale est probablement les Houthis au Yémen,” affirma McConnaughey à la NBC et au Telegraph.
Quand le présent auteur demanda à McConnaughey par e-mail sur quelles bases les États-Unis “estimaient” que ces armes étaient destinées au Yémen, en dépit des preuves contraires, McConnaughey répondit : “Nous n’allons pas discuter des renseignements et des autres informations qui nous ont amenés à cette affirmation.”
Une troisième cargaison
Le 20 mars, une frégate française intercepta un troisième boutre au large de l’île de Socotra, dans le nord de l’Océan Indien, et découvrit plusieurs centaines de fusils d’assaut AK-47, des mitrailleuses et des armes anti-chars. Le communiqué officiel de la capture de la part du commandement Maritime Combiné annonçait formellement : “Le boutre a été repéré faisant route vers la Somalie.”
Et parce que les armes étaient “supposées destinées à la Somalie,” expliquait-il, “elles ont été saisies conformément au mandat d’embargo sur les armes en accord avec la résolution “UNSCR 224 (2015)”. Cette résolution du Conseil de Sécurité donne mandat pour un embargo à destination de l’Erythrée.
L’Australie et d’autres États participant aux Forces Maritimes Combinées mirent en doute la ligne de propagande de États-Unis. Mais là encore, les militaires américains se servirent des médias d’information pour renforcer leur affirmation que l’Iran envoyait clandestinement des armes aux Houthis. Le capitaine de frégate Kevin Stephens de la Cinquième flotte, annonça à CNN que, selon des informations américaines, “le Yémen était la destination probable” de ces armes.
Une quatrième interception – la troisième en trois semaines – fut faite le 28 mars par un bâtiment de l’US Navy qui ne faisait pas partie de la Force Maritime Combinée mais était directement sous les ordres du commandement central des forces navales des États-Unis. Ceci permit au commandement central de publier sa propre version de l’histoire le 4 avril.
Dans son premier paragraphe, le rapport affirmait que les États-Unis “estimaient” que la cargaison d’armes illicites trouvée à bord du boutre “provenait d’Iran et était destinée aux insurgés Houthis au Yémen.
Une ruse précédemment utilisée
L’administration Obama avait déjà cherché à promouvoir l’accusation selon laquelle l’Iran envoyait secrètement des armes aux Houthis par mer plus de deux ans auparavant. En janvier 2013, le gouvernement du Yémen appuyé par les États-Unis et l’Arabie saoudite avait revendiqué l’arraisonnement d’un bâtiment chargé d’une importante cargaison d’armes en provenance d’Iran et destinée aux Houthis du Yémen.
L’administration Obama soutint cette accusation dans des déclarations aux journalistes. Après le début de la guerre aérienne saoudienne contre le Yémen en 2015, les États-Unis réclamèrent à un groupe d’experts un rapport sur les sanctions contre l’Iran qui donnerait de la crédibilité à leur accusation.
Mais il s’avéra rapidement que la revendication de 2013 était un stratagème. Un groupe de surveillance du Conseil de Sécurité sur la Somalie et l’Erythrée révéla, dans un rapport de juin 2013, que les membres de l’équipage avaient dit aux diplomates qui les interrogeaient que le chargement de carburant diesel était destiné à la Somalie et non au Yémen. Et comme les armes étaient dissimulées sous les réservoirs de fuel, les armes n’étaient accessibles qu’après leur vidange, c’est-à-dire après l’amarrage du navire en Somalie.
Le groupe de surveillance apprit des autorités de la région de Puntland, en Somalie, où la plupart des armes de contrebande entraient dans le pays, qu’il s’agissait d’une méthode de contrebande d’armes largement utilisée dans le pays.
De plus, le groupe de suivi a déterminé que la vaste gamme d’armes à bord du navire, intercepté en janvier 2013, ainsi que leur origine, indiquaient que les cachettes d’armes avaient été posées par des marchands d’armes. Les autorités du Puntland ont fourni des données au groupe de surveillance indiquant que la plupart des expéditions d’armes vers le Puntland au cours des mois précédant janvier 2013 provenaient de marchands d’armes étroitement liés politiquement au Yémen.
Certains des bateaux de pêche qui furent interceptés avec des armes illicites à bord en 2015-16 avaient des propriétaires iraniens. Mais le rapport du groupe de suivi révèle que la vraie cause de leur présence est le rôle important des navires iraniens dans la pêche illégale dans les eaux somaliennes. La grande majorité des centaines de navires impliqués dans ces réseaux de pêche illégaux était soit iranienne, soit yéménite. Au moins 300 de ces bateaux appartenaient à des yéménites alors que 180 d’entre eux appartenaient à des iraniens.
Le groupe de surveillance a indiqué qu’il enquêtait sur des rapports non confirmés selon lesquels certains de ces bateaux de pêche illégaux étaient également utilisés pour la contrebande d’armes et qu’il avait établi « d’autres liens entre les réseaux de pêche illégaux et les réseaux impliqués dans le commerce des armes et liés à al-Shabaab au nord-est de la Somalie. »
Mais l’administration Obama n’a montré aucun intérêt pour les preuves considérables recueillies par le groupe de suivi et qui donnent une explication plus crédible pour la présence des armes trouvées sur ces quatre boutres de pêche.
Une telle explication n’est pas politiquement utile, alors que les accusations de contrebande iranienne vers les Houthis confortent de multiples intérêts politiques et bureaucratiques, justifiant la sanglante campagne aérienne saoudienne soutenue par les États-Unis contre le Yémen, et les mises en garde incessantes de Washington à propos de « l’agression iranienne. »
Gareth Porter est un journaliste d’investigation indépendant et lauréat du prix du journalisme Gellhorn en 2012.
Source : Consortium News, le 31/10/2016
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la sourc
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