jeudi 27 octobre 2016

Visualiser les divergences des valeurs dans l’Union européenne, par Peter Turchin

Visualiser les divergences des valeurs dans l'Union européenne, par Peter Turchin

Source : Cliodynamica, Peter Turchin, le 20/07/2016

Le 20 juillet 2016, par Peter Turchin

Dans mon post du 1er juillet, le Brexit comme destruction créative, j’ai argumenté qu’une des causes principales du dysfonctionnement de l’Europe avait été le choix fait par les élites européennes d’étendre l’Union trop vite, trop loin. Pourquoi je pense que c’était une erreur ?

Comme je l’ai dit à de nombreuses occasions (sur ce blog et dans mes autres écrits), il est difficile de faire coopérer les gens, notamment au sein d’importants groupes sociaux. Une coopération réussie impose que les gens partagent des valeurs et des institutions. Les valeurs nous disent pourquoi nous voulons coopérer : quel bien public voulons-nous créer collectivement ? Les normes et les institutions nous disent comment nous allons organiser cette coopération. Une inadéquation entre les valeurs et les institutions peut condamner tout effort de coopération avant même qu’il ne se mette en place.

De mon point de vue, l’agrandissement de l’Europe à partir des six pays à l’origine (Benelux, France, Allemagne et Italie, que je regrouperai sous la dénomination de “cœur” des nations européennes), pour atteindre actuellement 28 États fut une grosse, une très grosse erreur. Nous pouvons utiliser les données rassemblées par le World Values Survey (WVS) (Étude des Valeurs dans le Monde) pour comprendre l’énormité de l’erreur.

Depuis 1981, le WVS a enregistré des données sur les croyances des populations de nombreux pays. Un résultat intéressant tiré de ces données est que l’essentiel des variantes entre les populations de différents pays peuvent être cartographiées en deux dimensions : 1) les valeurs traditionnelles face aux valeurs laïques et rationnelles, et 2) les valeurs de survie face aux valeurs d’expression individuelle. Quand les valeurs moyennes de chaque pays dans l’échantillon sont placées sur une représentation en deux dimensions autour de ces deux axes, nous obtenons ce qui est connu sous le nom de carte culturelle Inglehart-Welzel. La voici dans sa dernière édition (la sixième) :

cultural_map_wvs6_2015

Inglehart-Wetzel groupe les pays de culture similaire selon : “Europe catholique”, “Europe protestante”, “Anglophones”, etc.

Mais j’ai choisi d’analyser cette cartographie à partir d’un autre point de vue. J’ai donc  mis en légende les pays selon les catégories suivantes :

Le cœur (rouge) : les six pays à l’origine de la Communauté Economique Européenne

UE (marron) : les 22 autres membres de l’Union Européenne

Europe (vert) : deux pays de l’Europe de l’ouest qui ne font pas partie de l’UE

Postulant (jaune) : postulants actuels à l’entrée dans l’UE

Monde (gris) : le reste de la planète (j’ai omis le nom des pays par souci de clarté)

Note : la raison pour laquelle l’Italie a un astérisque est que, pour différentes raisons, les données ne viennent pas de la 6e mais de la 5e édition.

Et voici à quoi cela ressemble…

wvs_seshat

Le tracé est si frappant qu’il n’a pratiquement pas besoin de commentaires, mais analysons-le cependant. Les six pays d’origine (le “cœur” de l’Europe) sont très rapprochés. Il n’y a que deux autres pays qui font partie du même groupe: l’Autriche et la Suisse. De façon remarquable, les espaces géographiques modernes de ces deux ensembles englobent les limites de l’empire carolingien (est-ce le début de la fin de l’Union européenne ?). Il semble que le “fantôme” de l’empire de Charlemagne ait plus d’influence sur les valeurs culturelles d’aujourd’hui que des différences plus récentes comme catholicisme vs protestantisme.

D’autre part, les 28 pays actuels de l’Union européenne ne forment pas du tout un groupe. Au contraire, ils couvrent les trois-quarts des variantes des valeurs mondiales. Seuls les pays africo-islamiques et l’Amérique centrale se retrouvent en dehors de l’ellipse englobant les 28 membres de l’Union européenne.

Avec une telle disparité normative, est-il si surprenant que l’Union européenne, dans sa composition actuelle, soit une organisation en dysfonctionnement ?

Source : Cliodynamica, Peter Turchin, le 20/07/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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