vendredi 8 juillet 2016

Le jugement des Prud’hommes sur l’affaire Kerviel

Le jugement des Prud'hommes sur l'affaire Kerviel

Trèèèès intéressant en fait…

Allez aux parties surlignées en jaune si vous manquez de temps…

Conseil de prud’hommes de Paris
Section encadrement chambre 5
7 juin 2016


Jugement contradictoire et en premier ressort
Prononcé à l'audience publique du 07 juin 2016 par Monsieur Hugues CAMBOURNAC, Président, assisté de Madame Christelle LEROY, Greffier
Débats à l'audience du : 19 mai 2016

Composition de la formation lors des débats :

M. Hugues CAMBOURNAC, Président Conseiller Employeur Mme Chantal COUTAUD, Conseiller Employeur Mme Christine GAUTREAU, Conseiller Salarié M. Pierre NOJLOT, Conseiller Salarié
Assesseurs

assistée de Madame Christelle LEROY, Greffier

ENTRE

M. K.

Assisté de Me David KOUBBI P246 (Avocat au barreau de Paris)

DEMANDEUR

ET

SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE 29 BOULEVARD HAUSSMANN
75009 PARİS Représenté par Me Arnaud CHAULET P461 (Avocat au barreau de PARIS)

DÉFENDEUR

PROCÉDURE
– Première saisine le 11 février 2013 le numéro de RG 13/01603. Mode de saisine : courrier posté le 8 février 2013.

— Convocation de la partie défenderesse par lettres simple et recommandée dont l'accusé réception a été retourné au greffe avec signature en date du 18 février 2013.

— Audience de bureau de conciliation en date du 04 juillet 2013. Les parties ont comparu et en l'absence de conciliation, l'affaire a été renvoyée en bureau de jugement. L'affaire a été radiée le 24 mars 2014.

— Saisine du Conseil : 01 Juillet 2015 par demande déposée au greffe le 29 juin 2015, sous le présente numéro de RG,

— Débats à l'audience de jugement du 19 mai 2016 à l'issue de laquelle, les parties ont été avisées de la date et des modalités du prononcé.

— Les parties ont déposé des pièces et écritures.

DEMANDES PRÉSENTÉES AU DERNIER ETAT DE LA PROCÉDURE

— Indemnité de licenciement légale : 13 609,23 €

— Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (36 mois) : 324 383,76 €

— Bonus 2007 : 300 000,00 €

— Indemnité compensatrice de préavis : 18 083.32 €

— Indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 1808,336 €

— Dommages et intérêts pour préjudice moral consécutif aux conditions vexatoires dans lesquelles le licenciement est intervenu : 170 000,00 €

— Dommages et intérêts pour absence de bonne foi dans l'exécution du contrat de travail : 4 915 610 154,00 €

— article 700 du code de Procédure Civile : 10 000,00 €

— Dépens
– Exécution provisoire
– Intérêts au taux légal

Demande présentée eņ défense SA SOCIETE GENERALE
– article 700 du code de Procédure Civile : 5 000,00 €

EXPOSÉ DU LITIGE :

Faits et moyens des parties :

Les parties ont déposé des conclusions à l'audience du 19 mai 2016, exposé à la barre les faits propres à fonder leurs prétentions et apporté les justificatifs nécessaires à leurs succès.

Monsieur K. expose au Conseil que:

Il a été engagé par la Société Générale à compter du 1 août 2000 par contrat à durée indéterminée en qualité de Chargé de Middle-Office.

Son travail consistait à rentrer dans la base informatique les données utiles au traitement des opérations négociées par les traders.

En 2002, il a été nommé Assistant Trader sur le pôle arbitrage du département « Dérivés Actions et Indices ).

Courant 2004, il a été nommé « Assistant Trader Dédié » et en 2005 est devenu « Trader Junior ».

En 2007 il a fait gagner plus d'1,5 milliard d'Euros à la Banque. Il se verra gratifier d'un bonus de 300.000 € qu'il ne percevra pourtant pas.

Au 31 décembre 2007, il avait un encours d'opérations s'élevant à plusieurs dizaines de milliards d'euros.

Malheureusement, à cette date, une crise profonde a fait chuter la bourse de sorte que virtuellement ses positions généraient une perte potentielle importante.

Il conteste tout d'abord les intentions frauduleuses que lui prête son employeur, n'ayant jamais tiré le moindre profit personnel de ces opérations.

En second lieu, il entend justifier que son employeur était parfaitement au courant de ses opérations et du dépassement de ses limites de placement.

Il conteste tout autant la gravité des fautes reprochées que la cause réelle et sérieuse de son licenciement et demande au Conseil de condamner son employeur à lui verser les indemnités de rupture.

La Société Générale pour sa part fait valoir au Conseil que :

Elle a été amenée à recruter Monsieur K. en date du 1 août 2000 par contrat à durée indéterminée en qualité de Chargé de Middle Office.

En juillet 2002, après deux années passées au Middle Office, Monsieur K. a sollicité et obtenu un changement de poste devenant Assistant Trader.

En cette qualité il était chargé d'apporter un service et une assistance matérielle au trading, son rôle consistant à tenir le trader informé au quotidien de ses positions et de son résultat. Il était le garant de la correcte alimentation des produits dans les bases de gestion et veillait au bon traitement des opérations par le Back Office.

Au second semestre 2004, il a été affecté sur un autre desk et a alors exercé son activité dans la Salle des marchés, directement aux côtés des traders qu'il assistait, apprenant progressivement Son métier de trader dans le domaine du « Market Making ».

C'est dans ces conditions qu'elle a accepté en 2005 la promotion sollicitée par Monsieur K. et qu'il est passé au Front Office, en devenant « trader junior ».

Monsieur K. a utilisé des manoeuvres frauduleuses pour dissimuler ses prises de positions sur les marchés, dont elle n'a eu connaissance que le 18 janvier 2008.

Ces faits ayant été qualifiés de frauduleux sur le plan pénal, elle indique au Conseil que celui-ci n'est pas habilité à les requalifier et qu'il doit confirmer le licenciement pour fautes lourdes de Monsieur K. et le débouter de l'intégralité de ses demandes.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de Procédure Civile, pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, le Conseil renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience ainsi qu'aux prétentions orales reprises au dossier.

A titre liminaire:

Attendu qu'il n'est pas contesté que Monsieur K. a été licencié par courrier recommandé du 12 février 2008 ; qu'il n'est pas non plus contesté que Monsieur K. a saisi la présente juridiction d'une demande à l'encontre de la Société Générale en date du 08 février 2013, enregistrée le 11 février 2013 soit 5 ans après son licenciement ; que l'affaire a été inscrite à la séance de Conciliation du 04 juillet 2013 ;

Attendu qu'à la séance de conciliation du 04 juillet 2013, les parties n'étant pas parvenues à un accord, le Conseil a fixé des dates de communication de pièces :

Au 30 novembre 2013 pour le demandeur
Au 15 janvier 2014 pour le défendeur
Que les parties ont accepté ce calendrier de communication de pièces et conclusions, en signant avec le Président du Bureau de Conciliation le plumitif.

Et renvoyé l'affaire à l'audience du bureau de jugement du 24 mars 2014 pour plaidoiries au fond
Que le demandeur a sollicité du Conseil que soit prévu à cette audience un temps pour les plaidoiries dépassant largement le temps habituellement accordé aux plaideurs.

Attendu qu'à l'appel des causes de l'audience du bureau de jugement du 24 mars 2014, les avocats de Monsieur K. ont déclaré ne pas être en état dans la mesure où d'une part, malgré leurs demandes nombreuses et répétées, ils n'avaient reçu les pièces de la part de la Société Générale que le 20 février 2014 soit peu de temps avant l'audience ; que d'autre part bien qu'ayant conclu, ils n'ont pas été en mesure de soumettre leurs conclusions à Monsieur K., celui-ci rentrant de Rome à pied ; qu'ainsi ils ne contestent pas n'avoir pas respecté le calendrier de communication de pièces ; que de ce fait ils sont contraints de solliciter un renvoi ; que la Société générale ne s'y oppose pas ; que pour éviter que les parties ne récidivent à la prochaine audience, le Conseil a décidé de prononcer une radiation motivée, de sorte que les parties n'ignorent pas que l'affaire ne pourra être rétablie que dès lors qu'elles auront accompli les diligences mises à leur charge; que Monsieur K. a sollicité par courrier du 29 juin 2015 le rétablissement de son affaire au rôle; que l'affaire a été inscrite à l'audience du Bureau de Jugement de ce jour jeudi 19 mai 2016.

Attendu, dans ces conditions, que seuls les agissements exclusifs des parties sont responsables des délais importants entre la date de la rupture du contrat de travail de Monsieur K. et la date du jugement (8 ans et quart), de sorte que ni le présent Conseil des Prud'hommes, ni l'État Français ne pourront être sanctionnés de ce retard et avoir à en supporter les conséquences.

En droit :

1. Sur la rupture des relations contractuelles

Attendu que le contrat de travail de Monsieur K. n'est pas contesté; qu'il n'est pas contesté que Monsieur K. a été licencié pour fautes lourdes par courrier du 12 février 2008 ; que Monsieur K. conteste tout autant l'extrême gravité des fautes reprochées que la cause réelle et sérieuse de son licenciement.

Attendu que les dispositions de l'article 6 du code de Procédure Civile stipulent: «A l'appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à les fonder », et l'article 9 ajoute : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la Loi, les faits nécessaires au succès de leurs prétentions»; qu'en conséquence la charge de la preuve de la contestation des griefs revient à Monsieur K., la Société Générale ayant pour sa part la charge d'établir l'extrême gravité des fautes commises par Monsieur K. ayant entrainé son licenciement pour fautes lourdes; qu'en application des dispositions de l'article L 1235-1 du code du Travail, si un doute subsiste, il profite au salarié.

Attendu que Monsieur K. produit sa lettre de licenciement; qu'en application des dispositions de l'article L 1232-6 du code du Travail, la lettre de licenciement circonscrit les limites du litige entre les parties et lie le juge; que celle-ci est ainsi libellée: «Vous avez pris principalement en 2007 et début 2008 des positions directionnelles sur différents indices boursiers européens, d'un montant considérable (de l'ordre de 50 milliards d'euros) sans commune mesure avec la limite de risque de votre activité (125 millions d'euros). Vous avez dissimulé ces positions directionnelles de manière frauduleuse, notamment par de nombreuses opérations fictives et la falsification de documents censés justifier ces opérations. Au total ces agissements ont causé un préjudice considérable, tant sur le plan financier, de l'ordre de 4,9 milliards d'euros, que sur le plan de l'image de l'entreprise».

Attendu, à titre principal, que Monsieur K. invoque la prescription des faits au moment de leur sanction; que pour ce faire il évoque les pratiques de fonctionnement de la table de marché à laquelle il était affecté, précisant qu'un tableau des encours était publié chaque matin, de sorte que personne ne pouvait ignorer le volume des encours de chacun des traders.

Attendu pour sa part que la Société Générale soutient que les agissements de Monsieur K. ayant été jugés de manière définitive au plan pénal, le présent Conseil n'est pas habilité à les requalifier; que dans ces conditions le Conseil ne peut qu'entériner le licenciement pour fautes lourdes de Monsieur K..

Attendu que la prescription des faits est, en matière de droit du travail, définie par les dispositions de l'article L 1332-4 du code du Travail qui stipulent : « Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales » ; que pour sa part la Société Générale soutient qu'elle n'a eu connaissance des faits que le 18 janvier 2008; qu'en conséquence le licenciement de Monsieur K. pour fautes lourdes serait justifié ; que cependant les dispositions de l'article L 1232-6 du code du Travail stipulent : « Lorsque l'employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception. Cette lettre comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur » ; que la rupture du contrat de travail est intervenue le jour où l'employeur a manifesté la volonté d'y mettre fin, soit le jour de la notification du licenciement ; que c'est à cette date et exclusivement à cette date que le présent Conseil doit analyser la régularité de la procédure mise en oeuvre par l'employeur d'une part, la validité du licenciement au regard des dispositions du Code du Travail d'autre part et que c'est uniquement une fois ces deux conditions remplies que le Conseil doit juger de l'adéquation des faits et griefs invoqués par l'employeur avec la qualification de la sanction retenue par celui-ci et la rupture des relations contractuelles, toute qualification ultérieure différente des faits étant, au regard du même code, inopérante.

Attendu que la Société Générale, considérant que les manoeuvres de Monsieur K. étaient d'une extrême gravité, l'a licencié pour fautes lourdes en précisant « Vous avez pris principalement en 2007 et début 2008 des positions directionnelles sur différents indices boursiers européens, d'un montant considérable (de l'ordre de 50 milliards d'euros) sans commune mesure avec la limite de risque de votre activité (125 millions d'euros)» ; que cependant la Société Générale, alertée par l'Autorité des Marchés Financiers reconnaît avoir rappelé à l'ordre oralement Monsieur K. mi-2005 sans le sanctionner, celui-ci ayant pris des engagements sur les marchés dépassant la limite de 125 millions d'euros;

OB : C’est à dire que la banque non seulement ne sanctionne pas le non-respect des règles 3 ans avant l’affaire, mais qu’en plus elle ne place pas Kerviel sous surveillance renforcée… Sacrée banque…

qu'en suite Monsieur K. produit un mail émanant de Madame A. en date du 16 avril 2007, adressé à 5 interlocuteurs différents de la banque et intitulé « IMPORTANT : écarts sur futurs et fwd du 2A (C1), ce mail pour vous informer que nous avons 88 Mios d'écart FO/CO sur trois futurs dax juin. Ces futurs/fiwd sont des opérations fictives » ; que la Société Générale ne peut donc prétendre n'avoir pas été au courant des opérations fictives de Monsieur K. avant le 18 janvier 2008;

OB : c’est une plaisanterie ? Le contrôle trouve des opérations fictives (c’est pénal, hein…) un an avant, et rien ne se passe ???

qu'en réponse à ce mail, Monsieur Lombard indique par mail” du 17 avril 2007 : « Je considère comme acquis que c'est à cette date que les constatations de franchissement de barrière commencent » que par ailleurs la Société Générale produit le Procès-Verbal intitulé : «Courriers électroniques de notification de dépassements de limites envoyés par le département des risques à Monsieur K. au cours des années 2006-2007 » ; que ce procès-verbal recense des courriels en date des 20/08/2007, 21/08/2007, 22/08/2007, 30/08/2007, 20/09/2007, 24/10/2007;

OB : 6 mails de dépassement des plafonds autorisés à Kerviel produits par la banque ??? Ah oui, c’est une très grosse blague tout ça…

J’imagine que le fait que ça se passe fin d”été 2007 / automne 2007, soit au moment ou Kerviel accumule les centaines de millions de positions gagnantes est du hasard…

ob_377ec1_resultats2007

que là encore la Société Générale, ayant elle-même alertée Monsieur K. de ses dépassements, ne peut valablement prétendre n'avoir pas été informée avant le 18 janvier 2008;

OB : et les médias nous présentent depuis 8 ans la banque comme victime, donc…

que par ailleurs par courrier du 7 novembre 2007 adressé au déontologue de la banque, la Société Générale a été alertée par le marché à terme allemand EUREX pour des prises de positions importantes réalisées par Monsieur K. sur le titre ALLIANZ :

qu'il n'est également pas contesté que la Société Générale a payé mensuellement tout au long de l'année 2007, des frais de financements et des frais de commissions très volumineux, en rapport avec les volumes traités par Monsieur K. ; qu'en conséquence l'employeur ne peut donc prétendre de n'avoir pas été au courant de longue date des dépassements d'autorisation pratiqués par Monsieur K. générant des encours très nettement supérieurs à ses pouvoirs de souscription, et en tout état de cause dans un délai de plus de deux mois par rapport à la date du 18 janvier 2008;

que dans ces conditions l'employeur ne peut en aucun cas se prévaloir d'une faute dès lors qu'il a antérieurement toléré rigoureusement les mêmes faits et agissements en maintenant la poursuite des relations contractuelles sans y puiser, à l'époque, un motif de sanction.

Attendu cependant que la Société Générale produit deux exemplaires de la Charte de Déontologie du personnel ; qu'il n'est pas contesté que le premier est uniquement paraphé et le second paraphé et signé par Monsieur K. en date du 20 juillet 2000; qu'aucun de ces deux documents ne fait référence à une quelconque limite de prise de risques; que la Société Générale produit également le Cahier de Procédures Trading; que ce document n'est ni paraphé, ni signé par Monsieur K. de sorte que la Société Générale ne rapporte pas la preuve de son acceptation formelle par ce dernier; que ce document stipule en son paragraphe sur les "Risque de Marché / Risque Opérationnel / Risque de Crédit : «Chaque Trader doit avoir connaissance des limites de risques de marché qui lui sont octroyées par son Risk manager et être capable d'exhiber un document reprenant les limites de risque de l'activité à laquelle il appartient»; que ce Cahier des Procédures ne fait nullement mention d'une quelconque limite affectée à Monsieur K. ; que par ailleurs la Société Générale ne produit pas le document de limite de Monsieur K..

C’est balot…

Attendu cependant que la Société Générale expose que la limite de 125 Millions d'euros était connue de tous les traders de la table de marché à laquelle était affecté Monsieur K. ; que cette limite s'appliquait journellement à l'ensemble des traders ; que dans ces conditions Monsieur K. ne pouvait ignorer cette limite;

Belle gestion des risques, du lourd…

que la Société Générale a confirmé à la barre que cette limite s'appliquait collectivement sans pour autant expliquer comment les dépassements pris par un seul des traders de la table de marché n'ont jamais provoqué de blocage des passages d'ordres des autres traders logiquement privés de capacités de souscriptions; sans non plus rapporter aucun élément de nature à justifier que seul Monsieur K. dépassait cette limite, et que jamais aucun autre trader n'avait outrepassé ces limites sauf à admettre que les dépassements de Monsieur K. étaient connus de tous et donc tolérés.

Attendu également que les objectifs fixés à Monsieur K. étaient revus chaque année en fonction de ses résultats de l'année précédente, passant ainsi de 3 à 5 millions d'euros entre 2005 et 2006, de 5 à 12 millions d'euros entre 2006 et 2007 ; qu'il n'est pas contesté que ces résultats étaient «hors normes» par rapport aux autres traders de la même table de marché, que la Société Générale ne rapporte aucun élément de nature à justifier que de tels objectifs pouvaient être atteints dans le strict cadre du respect des limites d'opérations.

OB : objectifs x 4, dans une activités ou le gain unitaire est faible, où est le problème ?

Attendu également que la Société Générale produit le rapport établi par l'Inspection Générale de la Banque" en date du 20 mai 2008, intitulé « Rapport Green » ; que ce rapport, s'il décrit les manoeuvres utilisées par Monsieur K., n'en définit pas moins les dysfonctionnements et responsabilités :

«S'agissant du Front Office, la supervision de M. K. est avérée défaillante, surtout depuis 2007, en dépit de plusieurs alertes fournissant motif à vigilance et investigations». De 09/2004 à 01/2007 : «le management de la table n'a identifié ni les premières transactions frauduleuses ni leur dissimulation tandis qu'il tolérait, tout en les surveillant, des prises de positions directionnelles intraday de M. K. sans lien avec son mandat». A partir d'avril 2007 : «la supervision de M. K. par son nouveau manager direct se révèle défaillante tandis que la chaîne hiérarchique ne réagit pas de manière appropriée à plusieurs signaux d'alerte; en matière de surveillance des risques et de suivi de l'activité au quotidien, l'encadrement direct de la table DLP s'est avéré lacunaire»;

que ce rapport stipule également que le mandat de Monsieur K. n'a pas été formalisé; que par ailleurs aucun des agents du Front Office ne disposait d'un mandat formalisé détaillant les missions à assurer, les objectifs à atteindre, les produits et opérations autorisées et les limites attribuées; qu'il n'est pas contesté également que le contrat de travail de Monsieur K. ne comportait aucune définition précise du poste occupé, pas plus qu'il ne fixait la limite de ses possibilités d'engagements;

OB : Chapeau les artistes…

que dans ces conditions le présent Conseil est bien fondé à juger que la Société Générale avait connaissance des dépassements de limites de prises de positions par Monsieur K. bien avant le 18 janvier 2008.

Attendu qu'il n'est pas contesté que la commission bancaire a infligé le 3 juillet 2008 à la Société générale un blâme et une amende de 4 millions d'euros pour des «carences graves du système de contrôle interne»; qu'elle remarque que «les défaillances relevées, en particulier les carences des contrôles hiérarchiques, se sont poursuivies pendant une longue période, à savoir l'année 2007, sans que le système de contrôle interne n'ait permis de les déceler et de les corriger»;

que la Société Générale reconnaît dans la lettre de licenciement en écrivant « Vous avez pris principalement en 2007 et début 2008….», que les agissements de Monsieur K. ont couru tout autant avant et pendant l'année 2007 que début 2008 ; qu'il n'est pas contesté qu'en 2007, ces mêmes agissements ont permis à la banque de dégager un profit de quelque 1,5 milliard d'euros ; qu'en sanctionnant en 2008 Monsieur K. pour les pertes générées par ses prises de positions, la Société Générale n'a pas sanctionné les agissements de Monsieur K. mais les conséquences de ceux-ci; qu'il n'est pas contesté que Monsieur K. a engagé des fonds de la banque dans le cadre de ses fonctions mais sans avoir soustrait aucune somme d'argent à son profit; que les profits ou les pertes générés par ces dépassements qui ont commencé à intervenir dès 2005-2006, ont été acquis à la banque; que la Société Générale n'a pas justifié de la volonté délibérée de Monsieur K. de lui nuire, ne contestant pas que Monsieur K. n'en a jamais tiré aucun enrichissement à titre personnel; qu'elle n'a pas non plus rapporté la preuve que les agissements qualifiés de frauduleux ont été utilisés dans la seule intention de produire des pertes et non pas dans l'objectif développé les années précédentes et en particulier tout au long de l'année 2007 de dégager des profits.

Attendu, au vu des éléments développés par les parties, des justificatifs apportés par chacun au succès de ses prétentions, que le présent Conseil est bien fondé à juger que le licenciement de Monsieur K., quelle que soit qualification des faits y compris la qualification pénale de ceux-ci, est intervenu pour des faits prescrits en application des dispositions de l'article L.1332-4 du code du Travail déjà cité; que cette violation des dispositions légales prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Attendu, en conséquence que le présent Conseil est bien fondé à condamner la Société Générale au paiement de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents et de l'indemnité conventionnelle de licenciement dont les montants n'ont pas été contestés par la Société Générale.

Attendu, en ce qui concerne l'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, que Monsieur K. ayant une ancienneté supérieure à deux ans au sein de l'entreprise, et celle-ci disposant d'un effectif supérieur à 10 salariés, les dispositions de l'article L 1235-3 du code du Travail s'appliquent ; que Monsieur K. peut prétendre à une indemnité minimum équivalente au salaire des six derniers mois ; que cependant, eu égard à son ancienneté dans l'entreprise le présent Conseil est bien fondé à octroyer à Monsieur K. à la charge de son employeur une somme de 100.000,00 euros équivalente à 11 mois de salaires.

2. Sur les dommages et intérêts pour conditions vexatoires du licenciement

Attendu qu'il n'est pas contesté que le licenciement de Monsieur K. a été particulièrement médiatisé; que le présent Conseil a jugé que ce licenciement ne répondait pas aux exigences du Code du Travail, le privant ainsi de cause réelle et sérieuse ; que l'existence du préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond ; que dans ces conditions le présent Conseil est bien fondé à condamner la Société Générale à payer à Monsieur K. la somme de 20.000,00 Euros à titre de dommages et intérêts pour conditions vexatoires du licenciement.

3. Sur le bonus de l'année 2007

Attendu que Monsieur K. revendique le paiement d'un bonus pour l'année 2007 à hauteur de 300.000 Euros ; qu'en application des dispositions des articles 6 et 9 du code de Procédure Civile déjà cités, la charge de la preuve lui revient; que pour ce faire, Monsieur K. fait état de discussions intervenues avec sa hiérarchie fin 2007 et basées sur ses résultats avoisinant 1,5 milliard d'euros ; qu'à l'appui de ses prétentions il produit le témoignage" de Monsieur R. , son n+2 qui précise :
« L'appréciation de la performance et du travail de M. K. en 2007 lors de son entretien d'évaluation (novembre 2007) était très positive avec un bonus autour de 300.000 Euros. Monsieur K. allait recevoir une rémunération élevée au regard de son expérience et de son historique de performance » ; que pour sa part la Société Générale rappelle que le contrat de travail de Monsieur K. ne prévoit ni bonus contractuel, ni pourcentage sur les résultats; que le bonus n'est que discrétionnaire; que les manoeuvres de Monsieur K. découvertes en janvier 2008 l'ont logiquement amenée à ne pas lui payer de bonus pour l'année 2007 et qu'elle lui en conteste de ce fait tout droit; que cependant la Société Générale n'a pas contesté les résultats 2007 particulièrement élevés de Monsieur K. ; qu'elle a confirmé à la barre que ceux-ci se situaient aux alentours de 1,4/ 1,5 Milliard d'euros; que la Société Générale, bien qu'ayant été parfaitement au courant des opérations fictives de Monsieur K. et de ses manoeuvres frauduleuses pour aboutir à un tel résultat n'en a pas moins enregistré ce 1,4 milliard d'euros dans ses comptes; que le bonus proposé pour 2007 ayant pour objet de sanctionner les résultats de l'année 2007, dans ces conditions le présent Conseil est bien fondé à condamner la Société Générale à payer à Monsieur K. la somme de 300.000,00 Euros, au titre du bonus 2007.

4. Sur les dommages et intérêts pour absence de bonne foi par l'employeur dans l'exécution du contrat de travail

Attendu que Monsieur K. revendique le paiement d'une somme de 4.915.610.154,00 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de bonne foi dans l'exécution par l'employeur du contrat de travail ; qu'en fonction des dispositions des articles 6 et 9 du code de Procédure Civile déjà cité, la charge de la preuve lui revient ; qu'à la barre, Monsieur K. a affirmé que cette demande était formulée dans le seul but de répondre, sur les mêmes bases, à la demande de la Société Générale mais qu'il ne disposait pas du moindre justificatif; que par ailleurs aucune analyse réalisée par un expert indépendant n'a fourni au présent Conseil d'éléments objectifs; que dans ces conditions le présent Conseil est bien fondé à débouter Monsieur K. de sa demande sur ce point.

Attendu enfin que Monsieur K. n'ayant produit rigoureusement aucun justificatif les frais irrépétibles qu'il a été amené à engager dans le cadre de la présente procédure, le présent Conseil sera bien fondé à limiter la condamnation de la Société Générale au paiement d'une somme de 2.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de Procédure Civile ; que la Société Générale succombant sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Le Conseil, après en avoir délibéré, statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort :

Condamne la Société Générale à payer à Monsieur K. la somme de :

— 18.083,32 Euros (Dix-huit mille quatre-vingt-trois euros et trente-deux centimes) à titre d'indemnité
compensatrice de préavis.

— 1.808,33 Euros (mille huit cent huit euros et trente trois centimes) à titre de congés payés afférents.

— 13.609,23 Euros (treize mille six cent neuf euros et vingt-trois centimes) à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement.

— 300.000,00 Euros (trois cents mille euros) à titre de bonus 2007.

Avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation, soit le 18 février 2013 et jusqu'au jour du paiement.

Rappelle qu'en vertu de l'article R. 1454-28 du Code du Travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire.

Fixe la moyenne à 9.041,66 Euros (neuf mille quarante-et-un Euros et soixante-six centimes).

Ordonne la remise des documents sociaux conformes à la présente décision :

— 100.000 Euros (cent mille euros) à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

— 20.000,00 Euros (vingt mille euros) à titre de dommages et intérêts pour conditions vexatoires du licenciement.

— 2.000 Euros (deux mille euros) au titre de l'article 700 du code de Procédure Civile.

Ordonne en application des dispositions de l'article L 1235-4 du code du Travail remboursement par la Société Générale à Pôle Emploi des indemnités chômage versées à Monsieur K. dans la limite de 5.000,00 Euros (cinq mille euros).

Ordonne en application des dispositions de l'article 515 du code de Procédure Civile on provisoire sur la totalité des sommes non versées au titre des dispositions de l'article R 1454-28 du Code du travail précité.

Dit qu'en application des dispositions de l'article 517 du code de Procédure Civile, ces sommes complémentaires devront être consignées par la Société Générale auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations
Déboute Monsieur K. du surplus de ses demandes.

Reçoit la Société Générale en sa demande au titre de l'article 700 du code de Procédure Civile mais l'en déboute.

Condamne la Société Générale aux dépens.

Cons. prud'h. Paris, sect. encadrement ch. 5, 7 juin 2016, n° 15/08164

Cet autre procès débutera le 15 juin.

Les réaction de Maitre Eolas (souvent bien mieux inspiré… mais il a eu tendance à soutenir la SocGen dès le début) ont été éloquentes :

eolas-1

Le billet n’est hélas jamais venu… En revanche, la seconde victoire provisoire de Kerviel (en appel), oui :

eolas-2

Les médias nous auraient-il menti ?

P.S. voir aussi une analyse des pertes ici. Intéressant, il semble que le résultat de Kerviel était après le débouclage de -6,2 Md€, mais que les traders de la banque, durant ces quelques jours, sur un marché en pleine baisse, ont gagné +2,2 Md€ (je ne sais pas si le solde de +1,5 MD€ de Kerviel est dedans ou pas, mais je ne pense pas). Quelqu’un a-t-il enquêté pour savoir s’il n’y avait pas eu délit d’initié de la part des traders de la banque, dont certains savaient qu’ils allaient déboucler d’énormes opérations et perdre de l’argent, donc faire baisser le marché ?

kerviel-5

Aucun commentaire: