jeudi 9 juin 2016

Le réchauffement mondial s’accélère, par Nicholas C. Arguimbau

Le réchauffement mondial s'accélère, par Nicholas C. Arguimbau

Source : Consortiumnews.com, le 18/05/2016

Le 18 mai 2016

Les nouvelles données climatiques montrent que le réchauffement mondial empire, s’accélérant à un rythme plus rapide que ce qui était prévu à la conférence de Paris sur le changement climatique, écrit Nicolas C. Arguimbau.

Par Nicholas C. Arguimbau

Les participants à la conférence de Paris sur le changement climatique ont conclu « un accord qualifié d’historique, de durable et d’ambitieux » et présenté comme « le plus grand succès diplomatique du monde, » selon le Guardian du 15 décembre 2015.

Le président du Conseil de la défense des ressources naturelles a déclaré : « Le vent a tourné. Le monde a fini par s’unir contre le défi écologique qui se trouve au cœur de notre temps. »

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L’image de la Terre qui se lève sur la surface de la lune. Photographie prise par les premiers astronautes étatsuniens placés en orbite autour de la Lune.

Ils se réjouissaient encore de leur succès, quand est arrivée la nouvelle d’une hausse soudaine et excessive de la température mondiale, décrite par les climatologues comme « stupéfiante », « ahurissante », « une vraie bombe » , « un élément qui, à une vitesse effrayante, se heurte à la limitation de 2 degrés centigrades par rapport à l’ère pré-industrielle » , « une sorte d’urgence climatique », un événement qui ne nous laisse plus de marge de manœuvre ».

Le Guardian britannique : « Le mois de février bat les records de température mondiaux d’une façon plus que préoccupante. » Un événement, en bref, qui rend obsolète tout ce qui a été accompli à la Conférence de Paris.

L’aspect le plus significatif de ce qui s’est produit en février est probablement la vitesse avec laquelle cela s’est passé. Il y a des pics de la température mondiale lors des épisodes El Niño, même si, d’habitude, cela n’a pas lieu dans les régions arctiques ou l’hémisphère Sud, et ce pic a été le plus important qui ait jamais eu lieu. Il fait paraître dérisoire la pointe du dernier épisode El Niño de 1998.

Voici à quoi ressemble l’histoire récente de la température mondiale mensuelle moyenne de la surface de la mer et de la terre.

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Comme vous le voyez, la température mondiale moyenne a augmenté dans les deux derniers mois d’à peu près autant qu’elle l’avait fait dans les 35 ans précédents. Certes, El Niño a des effets bizarres, mais il est bien difficile de trouver un El Niño qui ait de telles conséquences.

Comme vous le voyez, l’anomalie de température de février a atteint 1,35 degré, de loin la plus importante de l’histoire alors que, quelques semaines plus tôt, la Conférence de Paris avait exprimé un attachement de pure forme à la limitation d’une hausse en dessous de 1,5 degré. Et il est manifestement déjà impossible d’atteindre cet objectif avec une température qui monte anormalement de 0,8 degré. Cela n’était pas censé se produire jusqu’à ce que nous dépassions les 2 degrés, mais nous voici à 1,35 deux ans seulement après avoir atteint la barre de 0,8 degré.

On a l’impression qu’on aurait dû tracer la limite de sécurité relative à 0,8 degré ou au-dessous au lieu de 2, mais on dispose de BEAUCOUP trop peu d’informations parce que les chiffres sont trop « criants ».

Lecture des données

Que ce passe-y-il réellement ? Nous savons qu’El Niño produit des pics de température mais pas comme le montre ce graphique de la glace sur l’eau en février.

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La glace fond dans l’Arctique, nous le savons tous, ce qui inquiète puisque la ville de Miami pourrait être engloutie dans la mer si une certaine quantité de glace fond. On se rend compte cependant que l’engloutissement des villes n’est pas tout. Voici une photo de la couverture de la glace arctique en septembre depuis 1979. Comme on peut le voir, la couverture de glace a diminué d’une façon très spectaculaire dans la dernière décennie, et elle s’est particulièrement affinée ces neuf dernières années.

Il y a une étonnante vidéo de la fonte de la glace de l’Arctique si on préfère les documents visuels. On fait beaucoup plus attention à la glace de l’Océan arctique qu’à celle de la neige à l’intérieur des terres, peut-être parce que la couverture de glace recouvre de grands champs pétrolifères et comme l’a demandé Peter Seeger : « Allons-nous apprendre un jour ? » Mais le même phénomène se produit sur une échelle beaucoup plus grande pour la couverture de neige du printemps dans l’hémisphère Nord.

Voici un graphique de l’anomalie de la couche de neige en juin. Dans la même période durant laquelle l’Océan arctique a perdu 3 millions de kilomètres carrés de glace, l’hémisphère Nord, dans son ensemble, a perdu, et c’est incroyable, 7 millions de kilomètres carrés de couche de neige. Voir la figure 4 ci-dessous.

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Miami a de quoi s’inquiéter et nous aussi. On appelle la fraction de lumière réfléchie par un objet « son albédo ». Les albédos de la glace et de la neige sont proches de 1 tandis que les albédos de la terre et de l’océan sont proches de 0. Ainsi si la neige et la glace fondent, la terre absorbera plus de lumière et sa température augmentera. C’est l’effet albédo.

Le réchauffement provoque la fonte de la glace et de la neige et cette fonte provoque le réchauffement, un cercle vicieux qui pourrait s’accélérer jusqu’à ce qu’il ne reste plus de glace ni de neige.

Contentez-vous de vous souvenir de cette formule. Si la neige ou la glace fondent, l’augmentation de l’énergie de la chaleur entrante absorbée par la terre est égale à l’albédo de la neige ou de la glace moins l’albédo de ce qu’elle découvre, multiplié par l’intensité par surface unitaire de l’énergie radiante entrante, multiplié par la surface impliquée. C’est un réchauffement qui est indépendant de celui provoqué par le CO2 qui entre dans l’atmosphère et auquel il s’ajoute.

Ainsi, si la neige fond mais ne découvre que de la neige, rien ne change, et, dans le cas contraire, le changement est proportionnel à la surface d’eau ou de terre dévoilée.

Évaluation de l’effet albédo

Ce n’est que récemment que les scientifiques ont découvert la puissance de l’effet albédo. On a élaboré des modèles dans les années 60 pour évaluer ce problème, desquels on concluait que la couverture nuageuse de l’Arctique pourrait l’empêcher de devenir un problème sérieux. On n’a pas cependant mesuré effectivement ce phénomène jusqu’à il y a deux ans en utilisant des données satellitaires. Pourquoi cela a-t-il pris tant de temps ? C’est un mystère. Voulions-« nous » vraiment savoir ?

Quoi qu’il en soit, les scientifiques ont montré que, sur la période de 1979 à 2014, le réchauffement attribuable à l’effet albédo dans le seul Océan arctique a atteint 25 pour cent du réchauffement directement attribuable au CO2. Pistone, Eisenman et Ramanathan, de l’Académie Nationale des Sciences; “Détermination observationnelle de la réduction de l’albédo causée par la disparition de la glace de mer arctique.” Ces gens devraient recevoir un prix Nobel.

Ce n’est pas un petit effet. Cela signifie que si nous évaluons le réchauffement global en mesurant les gaz à effet de serre dans l’atmosphère, nous manquons 20 pour cent du réchauffement rien que pour une petite partie de la couverture de neige et de glace de l’hémisphère Nord. C’est beaucoup, et ça indique au moins une raison pour laquelle le réchauffement est encore plus rapide que tout ce qu’on attendait, et, en fait, de plus en plus rapide.

De plus en plus rapide parce que c’est ce que fait une “boucle de rétroaction positive”. L’aspect vraiment problématique de la boucle de rétroaction positive est qu’elle opère dès lors que la température est au-dessus d’un niveau critique, et que réduire les émissions de gaz à effet de serre peut ralentir le réchauffement mais pas l’inverser.

L’effet albédo était complètement ignoré à Paris. En conséquence, les nations ont systématiquement sous-estimé le degré de réchauffement auquel nous avons à faire face, surestimé le temps que nous avons pour cela, et se sont par erreur données un large “budget” d’augmentation permise des émissions. Elles doivent se rencontrer dans cinq ans pour un rapport d’état, et au train où vont les choses, nous aurons passé les deux degrés d’ici là.

Une situation déplorable et qui empire

C’est déjà mauvais mais il y a pire. Nous devons être prudents dans la manière dont nous comprenons ce nombre, 25 pour cent, parce qu’il concerne le réchauffement accumulé depuis 1979 sur presque quatre décennies, pas le réchauffement ici et maintenant. Comme vous pouvez le voir sur le graphique ci-dessus, la fonte des glaces s’est énormément accélérée dans la dernière décennie, et en conséquence l’effet albédo de l’Océan arctique.

Si on utilisait la dernière décennie comme période de comparaison entre le réchauffement global lié à l’albédo dans l’Arctique et le réchauffement global lié aux gaz à effet de serre sur la dernière décennie, les chiffres pourraient être plus proches de 100 pour cent. Et ça empirera encore, parce que jusqu’ici l’Océan arctique conserve encore au moins un quart de sa couverture de glace en été, mais celle-ci tombera à zéro à une date encore indéterminée, réduisant l’albédo moyen substantiellement.

“Quand l’Arctique sera-t-il libre de glace en été ? Peut-être dans quatre ans. Ou dans 40,” dit le Washington Post. Ainsi, si l’effet albédo n’est pas encore aussi fort que l’effet des gaz à effet de serre, il le sera bientôt.

Tout ceci est une TRÈS mauvaise nouvelle. Les gens sont allés à Paris et ont parlé de réduction des émissions de CO2. Le but pendant des années a été de prendre des mesures de façon à limiter le réchauffement global dans la limite de 2 degrés Celsius avec une probabilité de 2/3. L’industrie pétrolière se plaint de ce que ça lui coûterait 30 milliards de dollars. En pratique, en cédant aux doléances de l’industrie, les documents de Paris ont “budgété” 30 milliards de dollars de pétrole supplémentaires à brûler, réduisant ainsi la probabilité de rester sous les 2 degrés de moitié.

Une fois démarré, l’effet albédo devient sa propre cause, et l’arrêt total des émissions de CO2 n’arrêtera plus le réchauffement. En décembre, il semblait que nous avions une toute petite marge de sécurité que nous pouvions dépenser afin que le public puisse acheter et que l’industrie des combustibles fossiles puisse vendre encore 30 milliards de dollars de carbone. [Voir “Les ‘recettes’ de l’Agence Internationale de l’Énergie pour Paris: une ‘dernière chance’ qui ne fait que prolonger 40 ans d’échecs” par N. Arguimbau]

Mais ceci ne semble plus possible. Nous pouvons contrôler les émissions mondiales de CO2, au moins en théorie, et nous ferions sacrément bien, MAINTENANT (l’effet albédo signifie que les milliers de gigatonnes d’émissions supplémentaires de CO2 que les nations se sont autorisées comme “budget” et ont donné gratuitement à l’industrie n’existent plus), mais le réchauffement pour cause de fonte des glaces arctiques continuera, quoi que nous fassions pour ralentir les émissions de CO2.

De même pour le réchauffement dû à la fonte de la neige de Sibérie et d’Amérique du Nord, qui est apparemment deux fois celle de la glace arctique et qui, la neige occupant une surface plusieurs fois plus étendue que l’Océan arctique, aura finalement un effet albédo plusieurs fois plus grand.

La disparition de la neige

La couverture de neige de l’hémisphère Nord doit réchauffer la terre à peu près deux fois aussi vite que la fonte de la glace de l’Arctique. Puis, bien sûr, il y a la glace fondue qui flotte sur la mer qui entoure l’Antarctique et qui vient d’une surface comparable à celle où la glace de l’Arctique a fondu mais qui n’a pas encore atteint le même stade.

Enfin, le réchauffement provoqué par la fonte de la couverture de neige et de glace du Groenland — et de l’Antarctique mais le réchauffement actuel n’est sans doute pas encore suffisant pour affirmer cela —, ne se produit pas encore. En effet, jusqu’à maintenant la neige et la glace sont trop épaisses pour que la terre soit à découvert au moment où elles fondent, mais ce réchauffement aura un début à moins que, pour quelque raison non encore découverte, un rafraîchissement n’ait lieu ailleurs.

Et puis il y a le méthane. Aïe ! Et ne l’oublions pas, ce sont les effets qu’on peut attendre à cause des effets de l’albédo même si l’on arrête aujourd’hui toutes les émissions de gaz à effet de serre.

En tout cas, c’est ce qui semble à l’auteur de ces lignes, qui s’excuse de ne pas être un scientifique, mais qui ne s’excuse pas tant que cela parce que les scientifiques auraient dû se pencher là-dessus depuis des décennies.

Il n’y a rien manifestement qui puisse empêcher un réchauffement comme celui que provoquerait l’effet albédo après la disparition de toute la glace et de la neige de l’hémisphère Nord PLUS le réchauffement dû aux émissions de gaz à effet de serre que nous pourrons peut-être ou peut-être pas contrôler.

L’auteur de ces lignes a une hypothèse fondée : on en arrivera à 3,5 degrés aussi bien à cause de l’effet albédo que des émissions de gaz à effet de serre, mais il n’entrera pas dans les détails pour rester bref et peut-être pourra-t-on persuader les climatologues de sortir de la clandestinité.

Un réchauffement considérable outre celui provoqué directement par les émissions de CO2 est maintenant inévitable si on ne commence pas très vite à inverser le réchauffement EXISTANT et/ou la contamination atmosphérique EXISTANTE par le CO2.

Tout au plus la rapidité du réchauffement par l’effet albédo et peut-être par l’entrée dans la danse de la terre de l’Antarctique peut être affectée par la masse de CO2 que nous continuons à déverser dans l’atmosphère. Et souvenez-vous, le « budget » de plusieurs milliers de gigatonnes que nous nous sommes donné n’existe plus.

Les scientifiques et les pays ont besoin de se réunir de nouveau et de recommencer de zéro. Qu’ils aient les tripes pour le faire, ça, c’est autre chose.

Il n’y a absolument rien de nouveau au sujet de ce que l’auteur de ces lignes affirme, sauf que l’inévitable est en train de se produire et que c’est indéniable. Les choses n’étaient pas censées échapper à notre contrôle jusqu’à ce que nous ayons atteint les 2 degrés, un chiffre fixé par presque tous les gouvernements et tous les grands groupes écologistes.

Mais il n’y a pas et il n’y a jamais eu de justification scientifique pour le choix de 2 degrés comme barrière de sécurité. Deux degrés a été un compromis politique du style : « Nous sommes d’accord. Nous n’allons couper que la moitié de la tête du bébé. » Nous voulions acheter les énergies fossiles et l’industrie voulait les vendre, pour des milliers de milliards par an aussi longtemps qu’ils le pourraient. Et c’est ainsi que nous avons conclu ce compromis irrémédiable.

La prophétie ignorée

Les scientifiques de la NASA ont évoqué ce sujet il y a une dizaine d’années. James Hansen de la NASA disait à l’époque que « pour éviter le point de non-retour », nous devions « commencer à réduire non seulement les émissions de carbone, mais encore sa présence totale dans l’atmosphère » et il suggérait un objectif de 300-350 ppm de CO2 dans l’atmosphère, 300 ppm étant équivalent à 1 degré de réchauffement. D’autres affirmaient que nous avions déjà atteint le point où la glace arctique était condamnée.

Ce qu’ils disaient et que leurs pays ignoraient est maintenant prouvé.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Cela a été notre choix. Les compromis politiques. C’est juste la façon dont l’humanité prend ses décisions et l’a toujours fait. Et nos propres grands groupes d’écologistes ont acquiescé.

Le compromis politique est quelque chose qui fonctionne quand il s’agit d’une petite communauté, n quand les décisions n’impliquent pas l’avenir de la Terre. Les décisions sur le climat impactent l’avenir de la Terre et nous ne sommes pas une petite communauté.

Et personne ne sait comment prendre des décisions au sujet de la société sans compromis politique. Nous aimons blâmer les hommes politiques corrompus, mais c’est nous qui les avons élus. Nous aimons blâmer ces voleurs de capitalistes, mais nous sommes ravis de les employer pour des milliers de millions de dollars. Nous aimons en appeler à la révolution, mais combien de temps cela prendra-t-il ?

Si nous nous tirons de cette situation impossible, qu’on aurait pu éviter en réduisant de moitié le plafond de la température du réchauffement mondial, et peut-être un peu plus, nous devrons nous rappeler quelque chose. Si nous survivons, nous aurons besoin de nous réorganiser en populations et communautés assez petites et inoffensives pour que les compromis politiques ne puissent pas nous rapprocher de la destruction de la Terre. Nous avons appris que si nous pouvons le faire, nous le ferons, tôt ou tard.

Nicholas C. Aguimbau est un avocat en retraite, titulaire d’une licence de physique de Harvard et d’une licence de droit de l’UCLA. Il vit avec un chat, un chien et 40 arbres fruitiers dans l’ouest du Massachusetts.

Source : Consortiumnews.com, le 18/05/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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