lundi 13 juin 2016

Le Brexit, un sacrifice pour sauver l’Europe, par Jean Quatremer

Le Brexit, un sacrifice pour sauver l'Europe, par Jean Quatremer

Du lourd…

Source : Libération, Jean Quatremer, 31-05-2016

Les Britanniques voteront pour ou contre la sortie de l'UE le 23 juin. Photo Emmanuel Dunand. AFP

Les Britanniques voteront pour ou contre la sortie de l’UE le 23 juin. Photo Emmanuel Dunand. AFP

Edito Amis Anglais, puisque c'est vous seuls qui êtes tentés par le «Brexit», ne vous laissez pas convaincre par les arguments des partisans du remain et votez pour le leave le 23 juin ! Je vais être honnête : ce n'est vraiment pas dans votre intérêt de quitter l'Union européenne. Il est évident que les partisans du Brexit vous mentent en vous faisant croire que, seuls, vous vous en sortirez mieux dans un monde qui est déjà dominé par les Etats-Unis, l'Asie et, demain, l'Afrique, d'autant que l'Europe que vous honnissez est largement à votre main idéologique, au point qu'elle gouverne vingt-huit nations dans votre langue.

Mais qu'importe ! Ici, je défends le point de vue de l'Union, et c'est dans son intérêt qu'il faut que vous la quittiez. Si vous restez, vous allez nous pourrir la vie comme jamais auparavant : David Cameron sera le seul leader européen ayant été capable de remporter un référendum sur l'Europe et retrouvera donc un rôle central dans le jeu communautaire. Lui et ses successeurs négocieront alors concession sur concession pour enterrer totalement le rêve fédéraliste des pères de l'Europe et achever la transformation du Vieux Continent en une zone de libre-échange de plus en plus molle. Tout espoir d'un rebond européen sera alors définitivement enterré : déjà, l'Union se meurt, faute de volonté des gouvernements européens d'aller plus loin, la scène nationale étant désormais partout dominée par les souverainistes qui ont confisqué le débat et parfois le pouvoir, comme en Europe de l'Est. Les valeurs européennes ont volé en éclats, comme le montre l'abandon du droit d'asile, et les partis de gouvernement pensent qu'une élection ne peut se gagner que par l'aile eurosceptique, quand bien même l'élection présidentielle autrichienne a démontré l'exact contraire…

L'aiguillon de la peur d'un effondrement immédiat de l'Union, politiquement et économiquement coûteux, ayant disparu avec le remain, pourquoi prendre des risques électoraux en concédant de nouveaux partages de souveraineté, comme cela s'est passé pendant la crise de la zone euro ? D'autant que ces partages de souveraineté ne produiront des effets que des années plus tard. Autant continuer à vivoter sur les acquis européens, même s'ils sont chaque jour de plus en plus attaqués. Autant dire, amis Anglais, que votre maintien dans l'Union évitera une crise immédiate, mais plombera durablement le projet européen jusqu'au délitement final. L'Europe, qui voulait peser dans un monde où l'Occident deviendra inexorablement quantité négligeable, ne sera plus qu'un failed project qui fera sourire les dirigeants chinois, indiens ou même américains. Seul votre départ en fanfare pourrait lui permettre de rebondir. Je ne suis pas un adepte de la «crise salutaire», mais l'Europe est déjà en catalepsie, et seul un choc de grande ampleur pourrait la réveiller et obliger les dirigeants les plus visionnaires (s'il en reste) à réagir pour éviter un émiettement mortel.

Votre sacrifice pour le bien commun européen aurait de la grandeur, un sacrifice qui, je le reconnais, pourrait aboutir à la disparition du Royaume-Uni de Grande-Bretagne, l'Ecosse, voire l'Irlande du Nord pouvant être tentées par l'indépendance. Mais, au fond, ce ne serait que la quatrième fois que vous viendriez au secours des tribus européennes divisées, après la lutte contre l'Empire français puis les deux Reich allemands, et ce, au prix de lourds sacrifices. Alors, amis Anglais, un peu de courage ! Laissez-vous convaincre par les brillants leaders que sont Nigel Farage ou Boris Johnson, qui au fond, ne veulent que le bien des Européens. Et promis, dans vingt ans, on vous laissera revenir. A nos conditions, bien sûr, la corde au cou et en robe de bure : un faible prix à payer pour sauver le rêve européen.

Source : Libération, Jean Quatremer, 31-05-2016

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