mardi 29 mars 2016

ENTRETIEN – « Tuer pour exister, et mourir » avec David Thomson

ENTRETIEN – « Tuer pour exister, et mourir » avec David Thomson

Très important article, d’un des spécialistes français des jihadistes. A lire en entier sur Non fiction

Source : Non Fiction, David Thomson, 23-03-2016

5f08bf8dada63010715fdfca926f9000-0David Thomson est journaliste à RFI. En mars 2014, il publiait Les Français jihadistes (Les Arènes), une vaste enquête basée sur une vingtaine d'entretiens avec des jeunes Français ayant décidé de partir combattre le régime syrien auprès des troupes islamistes. A ce jour, c'est encore la seule enquête de terrain disponible sur le sujet. Dans cet entretien, il revient sur les profils, les motivations et les itinéraires de ces jeunes jihadistes dont la voix révèle des pans considérables du mystère de la « radicalisation » à qui prend le temps de les écouter.

Nonfiction.fr – Votre livre demande Qui sont ces citoyens en rupture avec la République ? Au-delà de la rupture avec la République, observez-vous des régularités dans les profils sociaux des jihadistes que vous avez interrogés ?

David Thomson – Ce qu'il faut prendre en compte avant tout, c'est qu'il n'existe pas de statistiques sur ce sujet, et que la sociologie n'est pas tout-à-fait la même pour les hommes et pour les femmes. Pour les hommes, on a clairement une majorité de personnes qui ont grandi dans les quartiers populaires français, ce qui ne veut pas dire qu'on ait une majorité de personnes désocialisées. Au contraire, un grand nombre étaient bien installés dans la vie active, avec une famille et des salaires corrects voire supérieurs à la moyenne nationale, avant de tout quitter pour partir en raison de leurs convictions religieuses ou politiques. D'autres jeunes hommes ou jeunes femmes viennent par ailleurs des classes moyennes, ou du monde rural : c'est par exemple le cas de celle que j'appelle « Clémence », qui s'est convertie après avoir trouvé un exemplaire du Coran à la Fnac et qui y a trouvé les réponses aux questions religieuses qu'elle se posait en tant que catholique pratiquante. Ce qui l'a conduite à adopter l'Islam, c'est qu'elle y a trouvé le monothéisme pur qui résolvait à ses yeux les complexités de la Trinité.

Incontestablement, la majorité appartient à une même génération, ou plutôt à une même fourchette d'âge, qui s'étend en gros de 16 à 30 ans. Mais dans l'ensemble, les profils sociaux sont donc extrêmement variés, comme c'était d'ailleurs déjà le cas dans les années 1990 et 2000, lorsque des Français partaient rejoindre les troupes islamistes de Bosnie ou d'Afghanistan : dans le « gang de Roubaix », Christophe Caze et Lionel Dumont étaient tous les deux blancs, ancien étudiant en médecine pour l'un et ancien militaire pour l'autre. La seule nouveauté à cet égard aujourd'hui, c'est l'ampleur inédite du phénomène.

S'il existe un dénominateur commun entre tous les « Français jihadistes », au-delà des générations et des époques, c'est qu'ils se reconnaissent tous une djahilia, c'est-à-dire une période d'« ignorance » pré-islamique. Certains étaient dans la musique, beaucoup étaient dans le rap, d'autres étaient militaires, fonctionnaires, intérimaires ou employés, certains étaient dans la délinquance mais d'autres menaient une existence familiale tout-à-fait rangée. Mais tous évoquent une vie en-dehors de la piété avant de se convertir, ou de retourner à un Islam religieux et non seulement culturel.

On est néanmoins frappé de constater dans le livre que quelque soit leur origine, tous vos interviewés (en tout cas ceux qui s'expriment sur la question) disent avoir reçu une éducation religieuse, mais une éducation religieuse assez souple, peu pratiquante. Confirmez-vous cette impression ? 

Oui, effectivement. C'est bien sûr le cas pour les musulmans de culture qui découvrent la foi et se mettent à pratiquer, mais les convertis non-musulmans viennent aussi souvent de familles catholiques ou protestantes plus ou moins pratiquantes. Il existe aussi de rares personnes issues d'autres horizons religieux ou politiques : l'un de ceux que j'ai interrogé était passé par le bouddhisme avant de faire le choix de l'Islam, et j'ai même rencontré des jihadistes issus de familles juives ou encore d’autres qui militaient dans les rangs de l’extrême-droite. En fait on trouve un peu de tout, et toutes sortes de cas qui ne sont absolument pas représentatifs. Mais dans l'ensemble, il est assez clair que la conversion s'inscrit dans une quête spirituelle, une démarche rédemptrice, ou en tout cas, qu'elle apporte une réponse à une question latente. Ce mélange de découverte et de retour au religieux est quelque-chose qui vaut pour tous les jihadistes, de « Clémence » à Abou Moussab Al-Zarqaoui .

Dans ce sens, tous sont des « convertis » et se regardent comme tels. Et cette bascule est structurante : un jihadiste issu de la grande délinquance, qui avait déjà du sang sur les mains avant de se convertir, me disait même que son passé criminel le renforçait dans sa vérité, dans la mesure où ce passé le rapprochait des compagnons du Prophète Mohamed, passés de la violence séculière à la violence religieuse. Cette personne a intégré la police islamique, et il m'a un jour confié qu'il prenait du plaisir à tuer des gens. Dans son cas, le jihadisme lui a permis de légitimer sa violence, il lui a offert une raison d'assouvir totalement ses pulsions meurtrières. Ce n'est bien sûr pas le schéma majoritaire – il n'y en a pas – mais chacun à sa manière, tous font nettement la différence entre un avant et un après.

Le débat sur l'interprétation du phénomène jihadiste invoque parfois la relégation sociale des personnes qui se radicalisent, leur mise à l'écart de la société par le système scolaire lui-même. On peut aussi avoir l'impression d'avoir affaire à des personnes mal armées intellectuellement pour faire face aux discours complotistes et obscurantistes des islamistes. Observez-vous quelque chose comme le produit d'un échec de l'école républicaine ? 

En l'absence de chiffres, il est difficile de dire quoi que ce soit de précis concernant le niveau de formation des Français jihadistes. Si je m'en tiens aux personnes dont je parle dans mon livre, quelques uns ont fait des études universitaires – en lettres, en sciences, en droit… – mais la plupart se sont arrêtés après le bac, voire après un BEP. C'est d'ailleurs un motif de blagues entre eux, qui prouve qu'il existe une conscience collective assez forte de ce niveau général d'instruction (universitaire et religieux) assez bas.

Plus généralement, ce qui revient en permanence, c'est un sentiment de frustration très largement partagé qui touche tous les milieux pour des raisons différentes. Le jihadisme propose à des égos froissés d’accéder au statut valorisant de héros de l’islam sunnite. Il y a un volet individualiste dans ce projet. Chez certains, elle vient du fait d'être issus d'une minorité, ce qui fait naître le sentiment de vivre en situation d'infériorité du fait de son origine. L'une des personnes dont je dresse le portrait dans mon livre menait une vie active et familiale en apparence très satisfaisante, mais il me disait : « Là, en tant que fils d'immigré, j'ai atteint le maximum de ce que je pouvais espérer. » Et il ajoutait que pour lui comme pour la plupart de ses frères d'armes, l'Islam leur avait rendu la « dignité » après que la France les a « humiliés ». De fait, parmi les convertis, on trouve aussi beaucoup de personnes issues des territoires d'outre-mer et de Français issus d'autres immigrations – subsaharienne, portugaise, mais aussi coréenne, vietnamienne… – pour lesquels la donnée identitaire doit être prise en compte.

La frustration peut aussi être religieuse, notamment chez un certain nombre de personnes qui se sont d'abord tournées vers un salafisme quiétiste, et qui ont eu le sentiment de ne pas pouvoir exercer leur religion en France en raison de la place de la laïcité. Ces personnes perçoivent la législation française comme un instrument tourné contre l'Islam. Là, on a un motif de frustration qui ne se limite en rien aux milieux populaires.

D’autres racontent aussi avoir vécu un traumatisme d’ordre privé ou un choc qui a débouché sur un processus de réflexion et une quasi-révélation: un jeune raconte ainsi s’être converti après avoir échappé miraculeusement à un accident de voiture, un autre est revenu vers l’islam après avoir survécu à un coup de couteau dans une bagarre parce qu’il « avait récité en continu la shahada » disait-il. Certains ont vécu des violences sexuelles, d’autres ont été confrontés à la mort brutale, la maladie, la toxicomanie voire la prostitution, l’absence ou l’abandon d’un de leurs parents. Des dysfonctionnements, parfois imperceptibles de prime abord au sein des cellules familiales, sont souvent aussi à prendre en compte. Les acteurs concernés vivent ainsi le jihadisme comme une purification qui les laverait de ce qu’ils perçoivent comme étant des souffrances ou des péchés qu'eux ou leurs proches auraient commis. En ce sens, cette idéologie les soulage, les apaise et leur redonne foi en un avenir promis comme paradisiaque dans l’au-delà, avec un code de conduite qui régit tous les aspects de la vie terrestre et qui leur redonne un sentiment de fierté, de supériorité sur les non-croyants, l’impression d’une renaissance en appartenant à la communauté des élus. Bien sûr, l’addition de ces cas particuliers ne suffit pas non plus pour dresser des tendances lourdes tout simplement parce que beaucoup de jihadistes n’ont jamais vécu le moindre traumatisme et affichent un parcours scolaire et familial qui frappe uniquement par sa grande banalité.

Et puis il y a aussi le vide « idéologique » contemporain, l'absence de « transcendance » dont le sentiment offre un terrain très favorable à l'accueil de la propagande jihadiste. Finalement, un certain nombre de jeunes vivent mal de se retrouver dans un monde sécularisé. Dans ces cas-là, le jihadisme vient s'installer dans le désœuvrement spirituel ou matériel. L'un de mes interviewés raconte par exemple que pour lui, tout a commencé à un moment de sa vie où il se retrouvait chez lui sans avoir rien à faire. Par ennui, il s'est mis à poster sur Facebook des vidéos jihadistes qui lui ont valu de plus en plus de « likes », et qui lui ont donc donné un sentiment d'importance dont il était totalement privé jusque-là. Le même jeune homme me racontait d'ailleurs qu'une fois arrivé en Syrie, il postait des photos de lui avec sa « kalach » qui lui valaient une dizaine de demandes en mariage par jour, alors qu'en France il n'avait jamais pu avoir de relation sexuelle. Pour beaucoup finalement, le jihadisme, c'est une manière d'exister, de trouver un sens.

Au-delà des critères socio-économiques, ethniques ou culturels, le vécu semble donc prépondérant face aux échecs réels ou supposés de la machine d'intégration.

Le terrain économique, les difficultés sociales ne sont pas toujours un facteur de compréhension. Tout simplement parce que les classes moyennes, voire, dans de rares cas, supérieures de la société, sont également concernées. Et cela vaut pour la France comme pour la Tunisie où j’ai commencé à étudier cette question en 2011 et qui est actuellement le pays le plus touché au monde par ce phénomène. Mais pour tous ceux qui n'étaient « rien » en France, pour tous les jihadistes issus de milieux pauvres ou de l'assistance publique, il est évident que le jihad permet de se réaliser spirituellement mais aussi socialement. Mais quand on regarde la situation d'autres personnes bien installées avant de se radicaliser, on voit bien que c'est le sentiment qui prime, plus que la réalité matérielle. Pour bien comprendre ces motivations, il est en réalité assez utile de déplacer le regard et de s'extraire des spécificités du contexte français. Quand j'ai commencé mon enquête, j'étais en Tunisie, dans une société musulmane où le parti islamiste Ennahdha était au pouvoir : ce n'est donc clairement pas la prégnance des sentiments islamophobes qui a conduit près de 6000 jeunes Tunisiens à partir rejoindre l’EI en Syrie, en Irak ou en Libye. En revanche, en l'espace d'un an, ce sont les mêmes Tunisiens qui cherchaient initialement à rejoindre l'Europe via Lampedusa en 2011 qui, par la suite, en 2012, ont commencé à partir en masse vers la Syrie. Leurs espoirs se sont déplacés, et ils sont en quelque-sorte passés de l'idéal d'un pays de Cocagne matériel à celui d'un paradis céleste. Et parmi eux, il y avait toutes sortes de personnes : de jeunes médecins, des chanteurs ou des sportifs, et pas seulement des chômeurs de Sidi Bouzid. Il se trouve qu'Al-Qaïda (qui se cachait derrière le groupe « rebelle » Jabhat Al-Nosra) et surtout l’EI aujourd'hui ont réussi à offrir un débouché à leurs espoirs, en promouvant une nouvelle forme d'universalisme.

Le nombre de jeunes femmes qui partent pour la Syrie est impressionnant, ahurissant même aux yeux de nombre d'Occidentaux qui perçoivent l'islamisme comme un régime d'oppression des femmes. À leur sujet, peut-on aussi penser les choses en termes de frustrations et d'espoirs ?

Le cliché est effectivement que les femmes jihadistes sont des femmes soumises qui obéissent et suivent leur mari. Mais c'est plutôt l'inverse que j'ai observé depuis que je travaille sur ce sujet : l'engagement féminin est souvent plus déterminé que celui des hommes. Dans certains couples, c'est la femme qui est le moteur de la radicalisation, et certaines sont plus favorables aux attentats terroristes que leurs époux. Cela peut paraître incompréhensible, mais toutes celles avec qui je discute après leur retour me disent qu'elles ont vécu le port du sitar – qui dissimule jusqu'aux yeux et aux mains – comme une « libération ». Elles rejettent violemment et elles combattent (par les armes si elles le pouvaient) à la fois le modèle de société que leur impose la République française mais aussi les obligations perçues comme étant celles de la femme moderne: l’injonction sociétale de réussir sa vie professionnelle, sociale et familiale dans un contexte concurrentiel entre les individus. Dans cette idéologie, sans pour autant avoir toujours grandi dans des quartiers populaires, elles disent trouver la satisfaction de ne plus être jugées sur le physique ou sur la marque de leurs vêtements, de se retrouver dans une situation d'« égalité », entre elles mais pas seulement. Même si en Syrie, là aussi, elles sont encore jugées sur le physique, lorsqu’elles doivent passer par le mariage.

À côté de l'enjeu spirituel et de la quête de reconnaissance, quelle place ont les considérations politiques ?

La grande majorité des jihadistes que j'ai interviewés est aussi motivée par des questions politiques. Ils combattent la démocratie et le modèle de société français perçus comme « ennemis de l’islam » et ils partent en ayant la conviction de participer à un moment historique en réalisant l’utopie d’une cité idéale pour les musulmans. Et pour construire « cet État » régi par leur lecture littéraliste de la religion, ils estiment que la seule solution est de passer par la violence, la guerre perçue comme obligation religieuse et moyen politique. Même lorsqu’ils tuent, ils sont convaincus de faire le bien. En ce sens, ce sont des acteurs rationnels et pas uniquement de simples fous au sens psychiatrique. Même si des cas cliniques existent aussi dans ce milieu. Mais beaucoup basculent dans cette croyance après être passés par des théories complotistes (qu’ils rejettent en bloc par ailleurs) qui témoignent d'une perte de confiance absolue vis-à-vis des médias traditionnels et des institutions. Au départ, on a souvent une démarche de recherche individuelle de la vérité, qui explique notamment l'importance de l'usage d'internet dans l'adhésion à la cause jihadiste – car il n'y a plus que sur internet qu'on trouve aujourd'hui la propagande, l'actualité et la production idéologique jihadistes.

Mais l'engagement dans le jihad a lui-même un contenu politico-religieux assez clair. Deux ans avant la proclamation du « Califat », des jeunes qui avaient une vision totalement eschatologique de l'histoire me disaient voir des signes précis de la fin des temps, et pensaient se trouver au moment de l'histoire qui allait voir le dernier rassemblement des fidèles et la dernière grande bataille apocalyptique avant le retour de l'Antéchrist. De fait la propagande fait correspondre étroitement les prophéties coraniques avec les événements ou les lieux de l'histoire récente. Deux ans avant la proclamation de l' « État islamique », l'un deux m'a dit : « tu verras, nous allons créer un Califat ». Et il me disait également : « selon un hadith, à ce moment-là, une grande coalition internationale se mettra en branle contre nous, dans laquelle il y aura 80 étendards, et sous chaque étendard, 12 000 combattants ». Cet argument est utilisé pour motiver les troupes depuis l'Afghanistan… Mais de fait, la mise en relation des prophéties et des événements par la propagande fournit aux yeux de nombreux jihadistes la preuve de la vérité coranique dont ils pensent détenir le monopole.

L'EI (Etat Islamique) est très habile à établir ces correspondances, dont la force est telle que rien ne peut les combattre. Les jeunes qui découvrent les hadiths sur internet sont complètement sourds à tous ceux qui, à la mosquée, peuvent essayer d'expliquer que le sens des prophéties s'inscrit dans un contexte : pour eux, qui sont venus aux textes sacrés seuls ou avec la propagande jihadiste, l'interprétation historique ou figurée est une « innovation », c'est-à-dire la pire des choses puisqu'elle dénature et biaise le sens qu'ils pensent être original.

Cette conception politico-religieuse est en réalité assez « rationnelle », ou en tout cas cohérente : les jihadistes combattent la démocratie parce que la souveraineté populaire usurpe le droit à produire la Loi, qui n'appartient qu'à Dieu, et parce que ce faisant, elle met l'homme à la place de Dieu.

À partir de ces convictions, le passage à l'acte est-il le résultat d'un long processus de radicalisation dont on pourrait dessiner un itinéraire standard ?

Non il n'existe pas de schéma type. Certains sont dans une quête spirituelle et basculent dans la violence idéologique, mais d'autres partent sans aucune conviction, pour rejoindre un copain du quartier ou un frère, et s'initient seulement ensuite à l'Islam et à l'islamisme. La logique mimétique du « groupe de potes » n'est pas universelle, mais elle est aussi un facteur important. C'est celle qui a prévalu dans la ville de Lunel, d'où on a compté une vingtaine de départs parmi un groupe de copains : après eux, le mouvement s'est tari. L'un deux me racontait d'ailleurs qu'un de ses frères, qui dealait et faisait du rap, avait été envoyé en Syrie pour qu'un autre de ses frères lui remette les idées en place. Il est mort à Deir Ezzor en Syrie quelques mois après son arrivée.

Du côté des filles aussi, certaines sont absolument indifférentes aux raisons religieuses ou autres, et partent seulement parce qu'elles sont tombées amoureuses de jeunes hommes dont elles ont vu les photos en armes. Là on a affaire à des jeunes femmes qui pensent que les Occidentaux ne sont plus des hommes, et qui ont l'idéal de cette virilité d'hommes pieux et en armes. Ces idéaux sont souvent aux antipodes des convictions familiales. Bref on trouve toujours des cas qui font mentir les grandes tendances, et un grand nombre de facteurs secondaires qui rendent les parcours très divers et parfois incomparables.

[…]

Les jihadistes reprochent donc aux quiétistes leur compromission avec les régimes se revendiquant de la souveraineté populaire : quel est, globalement, le rapport de ceux qui choisissent la guerre de religion vis-à-vis des musulmans de France ?

À ce sujet, on entend souvent un discours très erroné qui voudrait que le jihadisme, en France, soit le fruit du communautarisme. C'est exactement l'inverse : l'un des points communs à presque tous ces jeunes est justement qu'ils n'étaient pas insérés dans une communauté. Et c'est peut-être plutôt l'absence de communauté qui leur a donné l'envie d'en retrouver une, de recréer une grande fratrie universelle – même si cette « communauté » est en réalité déchirée sur place par les rivalités internes. Dans ce sens, leur idéologie se construit contre l'Islam de France qu'ils déclarent « apostat » : en tant que tel, il est lui aussi à combattre et à éliminer.

 

[…]

La différence aujourd'hui est donc que tous – Al-Qaïda comme l'EI – sont d'accord pour considérer comme étant de leur devoir de revenir combattre en France. Il existe encore des débats sur les cibles et sur l'opportunité de tuer des civils, mais la plupart des jihadistes considèrent que cela ne pose aucun problème puisqu'au fond, il n'y a pas de civils. En septembre, je discutais avec un Français de l’EI directement lié aux attentats 13 novembre qui affirmait que dans un État où les gens participent au financement de leur armée par l'impôt, tout le monde était l'ennemi. Il refusait ainsi le statut de civils et donc d’innocents. La majorité des Français soutenaient les frappes de la coalition, donc la majorité des Français étaient des « cibles légitimes » pour reprendre son expression. Cette idée est par ailleurs renforcée par leur prétention à appliquer la loi du talion : puisque les bombardements tuent des civils, il leur semble légitime de frapper des civils en France.

Depuis 2014, observez-vous d'autres évolutions du « jihadisme français », dans le recrutement ou sous d'autres aspects ?

 

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1 commentaire:

Eric Ténérife a dit…

Cette analyse est totalement à contresens !! Dire qu'ils nous tuent parce que nous les tuons....alors que Daesh est une création des services occidentaux !!!

Ce sont les alliés de nos gouvernements. S'ils se retournent contre nous c'est que les autres Etats derrière Daesh (Turquie, Israël, Arabie S....) veulent nous punir de notre tiédeur anti-Assad, et d'un soutien moins engagé qu'avant...