mardi 29 mars 2016

Marre de suer sang et eau pour engraisser Cooperl ! Ils ont décidé de parler...

Marre de suer sang et eau pour engraisser Cooperl ! Ils ont décidé de parler...

N'oubliez pas que nos dirigeants ont décidé de faire disparaître la médecine du travail, encore une bonne raison de se mobiliser le 31 mars 2016...

Cooperl

Cooperl est le plus gros producteur de porcs français. Un empire industriel pesant 2 milliards d'euros, présent sur toute la filière depuis l'élevage jusqu'à la distribution en passant par la recherche génétique. Cette réussite masque des zones d'ombre, entre casseroles judiciaires et conditions de travail inhumaines. Les salariés ont osé brisé le silence. Et ont, pendant deux semaines, mené une grève historique. Reportage.

La vidéo a été publiée sur YouTube début mars, en plein conflit social. C'est un réquisitoire méthodique, une tirade de 5 minutes 13 secondes prononcée d'une voix sourde où gronde la colère. La voix est celle d'une gréviste de l'abattoir de Lamballe, dans les Côtes-d'Armor. Dénonçant les baisses de rémunération imposées par la direction, elle interpelle directement Emmanuel Commault, directeur général de Cooperl : « Arrêtez de fuir, M. Commault, tonne la voix, alors que défilent des images du conflit. Vous essayez d'instaurer un climat de terreur parmi les salariés, en menaçant les grévistes, en les prenant en photo, en prenant leur nom par huissier de justice. La grève est un droit… »

S'ensuit une description dantesque des conditions de travail pratiquées dans l'abattoir, entre cadences infernales et accidents à répétition. La voix de la vidéo n'a ni nom ni visage. Pour éviter d'attirer sur elle les foudres de la direction, les salariés de l'abattoir cachent soigneusement son identité. « Nos dirigeants ont toujours été un peu paranos, mais depuis le conflit, c'est encore pire, souffle Marie-Jeanne Meunier, déléguée CFDT. Ils nous attendent au tournant. »

Crainte de représailles

L'entrée dans l'usine n'est pas une mince affaire. Pour accéder au local CFDT, il faut d'abord réclamer son code « visiteur » à l'accueil, taper les cinq chiffres qui déverrouillent le tourniquet de l'entrée, se faufiler entre deux bâtiments austères et grimper au deuxième étage de l'abattoir. Dans un minuscule bureau à peine plus grand qu'un placard à balais, une dizaine de salariés se serrent les uns contre les autres. « On veut bien vous parler, disent-ils en chœur, mais hors de question que nos noms apparaissent. Ici, tout le monde craint les représailles : dans ce domaine, nos patrons sont des champions ! »

Ils racontent que, durant les deux semaines du conflit, trois huissiers de justice dépêchés par la direction se sont relayés devant l'usine, pour photographier les grévistes. Que sont devenues les photos ? Mystère. Mais cette surveillance tatillonne a mis les salariés sur les nerfs. Tout comme les menaces formulées par la direction, qui ont agacé jusqu'au préfet des Côtes-d'Armor, Pierre Lambert. « En pleine grève, le directeur général de Cooperl nous a contactés, explique-t-on au cabinet du préfet. Il nous a prévenus qu'il comptait faire appel aux éleveurs de la coopérative pour venir débloquer le site. Le préfet s'y est fermement opposé. » Sage décision : une confrontation musclée entre éleveurs et salariés aurait fait des étincelles…

Soutenu par la CFDT, la CGT et FO, le conflit a démarré fin février à Lamballe, avant de s'étendre aux sites de Montfort-sur-Meu (Ille-et-Vilaine) et Saint-Maixent-l'École (Deux-Sèvres). C'est la direction qui a mis le feu aux poudres, en décrétant la réduction du 13e mois et de la prime d'ancienneté. Un manque à gagner chiffré par les intéressés à 500 euros par an, voire 800 pour certains. La somme n'est pas négligeable, surtout au regard des salaires faméliques pratiqués par le groupe. Malgré 20 ans d'ancienneté, certains ne gagnent pas plus de 1 400 euros par mois, primes comprises. « C'est le ras-le-bol qui nous a poussés à faire grève », résume une salariée, qui travaille à la découpe de la viande. « On en a eu assez de subir, lance une autre, qui s'occupe de la salaison. Depuis 15 ans que je bosse ici, je n'avais jamais vu un mouvement aussi long… Tout le monde nous a rejoints, y compris les travailleurs roumains et polonais qui parlent à peine français. Ça fait chaud au cœur. »

Harassés et sous-payés

Tous évoquent la faiblesse des salaires, ainsi que les horaires de travail harassants, qui réduisent comme peau de chagrin toute vie de famille. Les équipes se relayent sur les chaînes selon un rythme immuable : 5 heures-13 heures pour les équipes du matin ; 13 heures-21 heures pour celles du soir. « Ma femme travaille en journée, moi la nuit, explique Sébastien, un trentenaire costaud et volontiers blagueur. Résultat des courses, on se croise le soir en coup de vent, le temps de discuter rapidement de nos deux filles, âgées de 3 ans et demi et 6 mois. » Ancien gamin fasciné par l'uniforme, Sébastien a commencé sa carrière dans l'armée. Il démissionne quand son régiment déménage, puis atterrit à Cooperl un peu par hasard. Affecté à la maintenance, il répare les machines dans les ateliers. « Vu le niveau de nos salaires, les vacances se font rares, ricane-t-il. La dernière fois que je suis parti, c'était aux sports d'hiver, il y a 3 ans. »

À Lamballe, les conditions de travail des salariés de l'abattoir sont connues de tout le monde. Il suffit de mentionner le nom de Cooperl, plus gros employeur de la ville avec ses 2 000 salariés, pour que les langues se délient. « Là-bas, on n'en voit pas beaucoup aller jusqu'à la retraite, assure Michèle, qui tient une brasserie chaleureuse à deux pas de la gare. Ils s'arrêtent avant, parce qu'ils ne peuvent plus tenir la cadence. »

Certaines anecdotes sont plus inquiétantes encore. Annie travaille pour l'une des trois compagnies de taxi de la ville. Selon elle, les accidents du travail sont monnaie courante chez Cooperl : « Parfois, on nous appelle deux fois dans la même journée pour aller chercher les salariés accidentés à l'usine et les conduire à l'hôpital. Les ouvriers travaillent tellement près les uns des autres qu'ils ont vite fait de donner un coup de couteau au voisin, sans faire exprès. »

Chronométrés

Commentaire désabusé de Marie-Jeanne Meunier : « En cas d'accident, la direction préfère appeler un taxi. S'ils préviennent les pompiers, la gendarmerie ouvrira nécessairement une enquête sur l'origine de l'accident. » La direction refuse de communiquer les statistiques concernant accidents du travail et maladies professionnelles. Mais les salariés de Lamballe montrent du doigt leur corps amoché. « Épaules, coudes, poignets, on a tous les TMS (troubles musculo-squelettiques) imaginables, soupire une ouvrière. C'est à force de répéter les mêmes gestes, debout à la chaîne, pendant 20 ans… » Et de soulever des carcasses de porcs pesant plus de 110 kg.

Les médecins du travail de Cooperl confirment l'étendue des dégâts. L'« HD » a parcouru un rapport alarmant dressé par deux d'entre eux, daté du 4 juin 2013. Le document revient sur les TMS dans l'entreprise, pointant la « gravité des lésions anatomiques et fonctionnelles », aggravée par des « postures pénibles (debout prolongées avec piétinement, position en torsion du corps), travail de nuit, travail répétitif avec cadence contrainte, bruit et froid ».

À Lamballe, plus de 50 000 porcs sont abattus chaque semaine. Les cadences ont augmenté en un an, passant de 650 à 700 bêtes par heure. Mais visiblement, la direction aimerait bien pousser encore un peu plus les feux. En septembre, les salariés ont vu débouler dans l'usine une brochette de cadres employés par une grosse entreprise de conseil canadienne, Pro Action. Armés de chronomètres, les Canadiens sillonnent les ateliers, afin de mesurer en temps réel la productivité des salariés. « Ça fait tout drôle de travailler avec un de ces types dans son dos, raconte une ouvrière. Ils calculent le nombre de barquettes qu'on fait à la minute… Je crois que le but est de réduire le plus possible nos déplacements. » Voilà qui ne va pas apaiser le climat social dans l'entreprise…

À Lamballe, les deux semaines de grève ont laissé des traces. Une odeur de poudre flotte toujours dans l'air, comme si les salariés avaient encore envie d'en découdre : « Le mouvement a forcé la direction à revenir à la table des négociations, précise Marie-Jeanne Meunier. Mais nous restons vigilants. À la moindre entourloupe, on débraye ! »

 

Source(s) : L'Humanité.fr via Odilion

Informations complémentaires :

Source : Humanite.fr

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