mardi 16 février 2016

On a détecté des ondes gravitationnelles ! par Yaroslav Pigenet

On a détecté des ondes gravitationnelles ! par Yaroslav Pigenet

Source : CNRS, Yaroslav Pigenet, 11-02-2016

Vue d'artiste de deux trous noirs qui, en fusionnant, émettent des ondes gravitationnelles.

Aujourd'hui, à 16h30, les collaborations Ligo et Virgo ont annoncé avoir détecté des ondes gravitationnelles, un siècle après leur description par Einstein. C'est un double coup de maître : en détectant pour la première fois ces ondes, les chercheurs ont également observé la première collision entre deux trous noirs. Une nouvelle fenêtre s'ouvre sur l'Univers.

Dévoilées par Einstein en 1915, les équations de la relativité générale induisaient l'existence théorique de deux phénomènes inconnus et inobservables à l'époque : les ondes gravitationnelles et les trous noirs. Après une quête de près d'un demi-siècle, les physiciens, et plus particulièrement, depuis 2007, ceux de la collaboration associant les observatoires Ligo (États-Unis) et Virgo (Europe), tiennent enfin leur Graal : la première observation directe d'une onde gravitationnelle causée par la collision de deux trous noirs. Cette découverte annoncée le 11 février ne constitue pas seulement une validation supplémentaire de la théorie d'Einstein, elle fait aussi entrer l'astronomie dans une nouvelle ère en lui procurant un messager de plus pour observer les phénomènes les plus violents de l'Univers.

Il y a très longtemps, dans une galaxie très très lointaine, deux trous noirs qui tournaient l'un autour de l'autre et pesaient chacun environ 30 soleils ont fini par se rencontrer à 200 000 kilomètres/seconde (les deux tiers de la vitesse de la lumière !) et fusionner. Un phénomène appelé coalescence. Cet événement cataclysmique, baptisé GW150914, a, en une fraction de seconde, converti en ondes gravi­tationnelles une énergie équivalant à trois fois la masse du Soleil.

Deux observations simultanées

Ce sont ces ondes, générées à plus d'un milliard d'années-lumière de la Terre, que les deux interféromètres laser géants de Ligo – l'un situé en Louisiane, l'autre à 3 000 kilomètres, dans l'État de Washington – ont observé simultanément le 14 septembre 2015 à 11 h 51. « Cette double détection et la force du signal enregistré assurent qu'il ne s'agit pas d'une fausse alarme, précise Benoît Mours, chercheur au Laboratoire d'Annecy-le-Vieux de physique des particules (Lapp)1 et responsable scientifique du projet Virgo en France. Selon nos vérifications, un bruit aléatoire mimant GW150914 est si peu probable qu'il ne pourrait se produire qu'au plus une fois tous les 200 000 ans ! »

Cette double
détection et
la force du signal
enregistré assurent
qu'il ne s'agit
pas d'une fausse
alarme.

Cette observation directe est d'abord une confirmation éclatante de la validité de la théorie de la relativité générale et de l'une de ses prédictions les plus révolutionnaires. C'est aussi une prouesse technique sachant qu'Einstein lui-même pensait que les déformations de l'espace-temps dues aux ondes gravitationnelles étaient si ténues qu'elles ne pourraient jamais être détectées directement.

« Pour l'astrophysique, cette découverte est un peu ce qu'a été celle du boson de Higgs pour la physique des particules, explique Tania Regimbau, astrophysicienne dans le groupe Virgo-Artemis2. Et ce tant par la manière – une colla­boration internationale de plusieurs années rassemblant des centaines de chercheurs –, que par le résultat – la validation expérimentale d'une théorie centenaire ouvrant la voie à une nouvelle astronomie. »

Bras ouest de 3 km dans lequel circule l'un des deux faisceaux laser de l'interféromètre Virgo. Ce détecteur mesure les déformations de l'espace générées par le passage des ondes gravitationnelles.  C. FRESILLON/VIRGO/CNRS PHOTOTHEQUE

Remonter l'histoire de l'Univers

En effet, après les ondes électromagnétiques (lumière, ondes radio, rayons X…), qui ont permis aux astronomes d'observer des phénomènes et des objets cosmiques de plus en plus éloignés, les ondes gravitationnelles vont désormais permettre d'étudier des événements extrêmes et de remonter encore plus loin dans l'histoire de l'Univers. Le ­redémarrage en 2016 du détecteur Advanced Virgo en Italie, dont les données seront combinées avec celles de Ligo, fournira aux chercheurs un observatoire gravitationnel capable d'identifier et de localiser encore plus précisément les sources de ces précieuses ondes. Kagra au Japon devrait com­pléter ce réseau vers 2018. Ces instruments seront ensuite rejoints, vers 2030, par eLISA, un ensemble de trois satellites qui constitueront un interféromètre avec l'ambition de détecter directement les ondes gravitationnelles issues du Big Bang. L'ère de l'astronomie gravitationnelle est née.

Source : CNRS, Yaroslav Pigenet, 11-02-2016

 

Ondes gravitationnelles : la plus vibrante des prédictions d’Einstein confirmée

Source : Le Point, Olivia Recasens, 09-02-2016

Pour la première fois, les “vibrations de l’espace-temps” prédites par Einstein ont été détectées. Une découverte plus importante que celle du boson de Higgs.

Au départ, ce n’était qu’une folle rumeur. Un message posté le 11 janvier sur Twitterpar le cosmologiste Lawrence Krauss, de l’université d’Arizona State : « Mes dernières informations au sujet du Ligo ont été confirmées par des sources indépendantes. Restez branchés ! On a peut-être découvert des ondes gravitationnelles  !! Excitant. » Retweeté plus de 1 900 fois, le tweet du cosmologiste a fait le tour de la planète science, s’attirant une volée de réactions sceptiques tant la nouvelle était à peine croyable.

Mais, désormais, la découverte est officielle : des physiciens sont parvenus à détecter des ondes gravitationnelles, selon une étude publiée dans Physical Review Letters. « C’est l’une des plus importantes découvertes scientifiques de notre temps. À mon avis, plus importante encore que celle du boson de Higgs ! explique au Point Catherine Bréchignac, secrétaire perpétuelle de l’Académie des sciences (1). La preuve que nous disposons maintenant d’un appareil capable de mieux comprendre l’infiniment grand. Nous n’allons plus nous contenter de regarder les étoiles, mais voir à l’intérieur d’elles, car ces ondes pénètrent la matière au seuil de laquelle la lumière s’arrête. »

L’histoire des ondes gravitationnelles commence il y a cent ans avec Albert Einsteinqui se met en tête de comprendre comment se propage le champ gravitationnel dans la toute nouvelle théorie de la gravitation qu’il vient de construire, la théorie de la relativité générale. Mais l’article que le physicien écrit en 1916 contient une importante erreur, et ce n’est qu’en 1918, dans un deuxième papier, qu’il en donne la bonne description. Les ondes gravitationnelles, « OG » de leur petit nom, forment l’un des éléments-clés de la théorie de la relativité générale : la propagation par ondes, à la vitesse de la lumière de la gravitation. La relativité générale prédit en effet que tout corps qui se déplace génère une déformation de la structure de l’espace-temps, autrement dit, modifie les distances et le temps, et cette déformation se propage par ondes successives dans le cosmos à la manière d’une vague à la surface de l’eau. Seuls des événements extrêmement violents génèrent des OG, des cataclysmes cosmiques, tels que la formation d’une étoile dans un trou noir, l’explosion d’une supernova ou encore la collision de deux étoiles à neutrons. Mais, pour autant, personne n’avait encore réussi à détecter ces déformations de l’espace-temps, qui se propagent dans l’Univers à 300 000 km/s, la vitesse de la lumière.

« Courage »

Cela fait trente ans pourtant que les scientifiques les traquent activement. D’un côté, Virgo, une antenne de détection construite à Pise sous l’égide du CNRS et de l’Institut national de physique nucléaire italien (INFN), qui mobilise six équipes françaises (APC, LAL, LAPP, LMA, LKB, OCA). De l’autre, Ligo de la National Science Foundation avec ses deux interféromètres situés aux États-Unis. En 2014, vu l’ampleur du défi, Virgo et Ligo ont signé un accord pour mettre en commun leurs données. En septembre 2015, ce sont les deux interféromètres américains qui ont enfin capté des signaux, éphémères – ils n’ont duré qu’une petite fraction de seconde –, provenant du mouvement orbital, puis de la fusion de deux trous noirs géants, chacun d’une masse équivalant à 30 soleils, situés à environ un milliard d’années-lumière de la Terre. C’est cette observation qui vient donc d’être confirmée après vérification des données.

Pendant longtemps, on a douté de l’existence de ces ondes. « La première preuve mathématique n’a été apportée qu’en 1952 par Yvonne Choquet-Bruhat, spécialiste de la relativité. Puis, à la fin des années 50, un autre pionnier, Joseph Weber, a eu le courage de penser qu’il fallait construire des détecteurs assez sensibles pour détecter les OG », raconte Thibault Damour (1), professeur à l’Institut des hautes études scientifiques, qui a notamment fourni au réseau Ligo/Virgo une méthode inédite pour décrire le signal émis par la fusion de deux trous noirs et faciliter ainsi sa détection.

« Courage », le mot n’est pas trop fort si l’on interroge les chercheurs qui ont consacré tout ou partie de leur carrière à la quête des ondes gravitationnelles. « Dès le début de construction de Virgo, il y a eu plusieurs voix conservatrices qui se sont levées : c’est trop risqué, trop cher, mieux vaudrait investir sur d’autres domaines. Heureusement, le CNRS a tenu bon ; c’est cela, l’avantage principal des organismes nationaux de recherche, leur persévérance sur des cibles scientifiques de longue durée », se souvient Stavros Katsanevas, directeur adjoint scientifique de l’Institut de physique nucléaire et physique des particules (IN2P3) du CNRS et président de l’Observatoire européen des ondes gravitationnelles (EGO/ VIRGO) de 2002 à 2012. « Cela dit, la construction de Virgo a commencé trois ans plus tard que celle de Ligo. Les collègues de Virgo ont fait des efforts remarquables, et le retard s’est réduit à quelques mois seulement. Les deux collaborations travaillent main dans la main et des contributions cruciales dans l’analyse de ces événements ont été apportées par les équipes européennes, telles que le laboratoire Astroparticule et Cosmologie de l’IN2P3/Paris-Diderot/CeA/Obs de Paris. »

Vertigineux

Depuis l’annonce de la détection, c’est comme si le monde de la physique avait subi une onde gravitationnelle, et ceux qui n’avaient pas brillé par leur enthousiasme jouent désormais des coudes pour être sur la photo. Il est vrai que l’exploit de Virgo/Ligo donne ni plus ni moins naissance à une nouvelle astronomie. Quatre cents ans après l’astronomie optique lancée par Galilée lorsqu’il a braqué sa lunette vers le ciel. « Les premiers radiotélescopes ont ensuite ouvert la voie à l’astronomie radio, les satellites ont lancé l’astronomie des rayons X, puis celle des rayons gamma, etc. Des astronomies toutes basées sur les ondes électromagnétiques jusqu’à ce que les premiers détecteurs de neutrinos cosmiques inaugurent l’astronomie neutronique. La détection des ondes gravitationnelles, d’un autre type de signal donc, nous donne de nouvelles lunettes pour voir des choses nouvelles dans l’Univers », précise Thibault Damour.

De fait, les perspectives sont vertigineuses : pouvoir sonder l’énergie noire, cette force étrange qui expliquerait l’expansion de notre Univers, mieux explorer le cosmos et, pourquoi pas, remonter dans le temps jusqu’à 14 milliards d’années. En effet, non seulement les physiciens ont capturé le signal émis par des ondes gravitationnelles, mais ils ont aussi observé, pour la première fois, la fusion de deux trous noirs. La preuve de l’existence de ces ogres dévoreurs de lumière, qui détiennent peut-être le secret de la naissance de notre Univers. Au début des années 2000, Jean-Pierre Luminet, astrophysicien à l’Observatoire de Paris-Meudon et directeur de recherche au CNRS, écrivait : « Les frontières de la science sont toujours un mélange bizarre de vérité nouvelle, d’hypothèse raisonnable et de conjecture extravagante. » La prouesse que viennent d’accomplir les physiciens américains, français et italiens ouvre une fenêtre sur l’Univers en apparence extravagant inventé par Einstein il y a un siècle.

(1) Retrouvez l’avis de l’Académie ainsi qu’un dossier complet sur la lumière.

(2) Le prochain cours de Thibault Damour à l’IHES, les 18 et 25 février, porte sur « Ondes gravitationnelles et systèmes binaires ». Sur le site, figurent aussi les contribution de l’IHES aux ondes gravitationnelles.

Source : Le Point, Olivia Recasens, 09-02-2016

Aucun commentaire: