mardi 16 février 2016

Après l’accord de Munich la guerre continue en Syrie

Après l'accord de Munich la guerre continue en Syrie

L'accord annoncé le 12 février par le secrétaire d'État américain John Kerry et le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov sur un « arrêt des hostilités » et une aide humanitaire intensifiée en Syrie n'a pas amené un arrêt immédiat du conflit qui dure depuis cinq ans, a coûté la vie à plus d'un quart de millions de personnes et en a fait fuir onze millions de leurs foyers.

Ni les États-Unis ni l'armée russe n'ont indiqué d'une façon quelconque qu'ils arrêtaient leurs raids aériens dont tous deux affirment qu'ils les effectuent pour lutter contre des « terroristes » comme l'État islamique d'Irak et la Syrie (EI).

Centcom, le commandement régional du Pentagone qui supervise les opérations militaires du Moyen-Orient et d'Asie centrale, a publié le même jour un bulletin détaillant au moins 20 raids effectués par des avions américains durant les 24 heures précédentes. Les avions militaires russes auraient quant à eux lancé des frappes contre la ville de Tell Rifaat, au nord d'Alep et contre des cibles dans le nord de Homs.

Depuis, ni le gouvernement syrien du président Bachar al-Assad ni les « rebelles » soutenus par l'Occident n'ont officiellement signé l'« arrêt des hostilités » sur lequel les 17 membres du Groupe international de soutien à la Syrie se sont mis d'accord à Munich après cinq heures de délibération. Ce groupe n'a pas pu qualifier l'accord de « cessez-le-feu » puisque qu'aucune des parties belligérantes syriennes, gouvernement ou milices islamistes le combattant, n'était présente aux négociations et avait moins encore consenti à l'accord.

Riyad Hijab, chef du prétendu Conseil supérieur concocté par l'Arabie saoudite pour représenter les « rebelles » dans des pourparlers avec Damas facilités par l'ONU, a rejeté l'accord conclu à Munich. « Aucun accord n'est possible [tant que] le président Assad reste en fonction et que les Pasdaran iraniens [Gardiens de la révolution – IRGC] restent en Syrie, » a déclaré Hijab, un ancien premier ministre syrien ayant fait défection en 2012 en échange d'un gros don en espèces fournie par le renseignement français.

Le président Assad a quant à lui déclaré à l'AFP le 12 février que l'objectif de son gouvernement était de rétablir son contrôle sur toute la Syrie. « Si nous négocions, cela ne signifie pas que nous cessons de lutter contre le terrorisme. Les deux voies sont inévitables en Syrie, » a-t-il dit.

Kerry et Lavrov ont eux aussi exprimé des vues opposées sur l'accord. Derrière la façade d'une lutte contre le terrorisme, Washington poursuit une guerre de changement de régime, utilisant des milices islamistes comme forces par procuration, alors que Moscou cherche à soutenir le gouvernement Assad, son principal allié au Moyen-Orient.

C'est le changement dans le rapport de forces en Syrie même qui a motivé les pourparlers. Les forces du gouvernement syrien, soutenues par les frappes aériennes russes et aidées par des combattants libanais du Hezbollah et par d'autres milices, ont repris à l'opposition armée des zones clés de la province de Lattaquié dans le nord-est, de la ville de Homs et d'ailleurs.

Ces derniers jours, l'armée syrienne a en grande partie entouré Alep, ville la plus peuplée de Syrie avant la guerre et dont la moitié était tombée sous le contrôle des milices anti-Assad. Plus important encore, l'armée syrienne a coupé la principale route approvisionnant les milices islamistes en armes et autres formes de soutien, et elle est sur le point de couper une route secondaire.

Les puissances occidentales et leurs alliés régionaux Turquie, Arabie saoudite et Qatar surtout, espèrent pouvoir utiliser l'accord de Munich pour affaiblir l'avance du gouvernement syrien et sauver leurs forces par procuration sur le terrain en Syrie.

Dans une conférence de presse annonçant l'accord de Munich, Lavrov a rejeté la description par Kerry de l'offensive du gouvernement syrien à Alep comme « agressive. »

« Eh bien, si la libération de la ville qui a été prise par des groupes armés illégaux peut être qualifiée d'agression, alors, eh bien, oui, sans doute, » a-t-il dit. « Mais attaquer ceux qui ont pris votre pays est nécessaire. »

Il a accusé le Front al-Nusra, filiale syrienne d'Al-Qaïda, ainsi que deux milices sectaires islamistes alliées, Jaysh al-Islam et Ahrar al-Sham d'avoir saisi Alep et sa banlieue ouest. Défendant la coupure de la route d'approvisionnement en provenance de Turquie, Lavrov a noté que la résolution adoptée par le Conseil de sécurité de l'ONU interdit d'approvisionner des groupes jugés terroristes.

Dans le cadre de l'accord de Munich, deux groupes de travail doivent être formés: l'un pour superviser l'aide humanitaire et l'autre, présidé conjointement par les États-Unis et la Russie, soi-disant pour rechercher l'arrêt des hostilités. Selon certaines sources, cet organe aura des compétences comme celle de résoudre des conflits sur ce qu'est une cible légitime des campagnes aériennes américaines et russes.

Le point d'achoppement dans l'accord tourne cependant autour du sort du Front al-Nusra et de milices similaires associées à Al-Qaïda.

Depuis que la Russie a commencé ses frappes aériennes fin septembre dernier, les États-Unis et d'autres responsables occidentaux ont condamné Moscou pour avoir ciblé des forces d'opposition autres que l'EI. Ils se sont toujours montrés réticents à nommer ceux au ciblage desquels ils s'opposaient car dans la plupart des cas il s'agit de combattants affiliés à Al-Qaïda.

Si l'accord échoue, ce sera fort probablement dû à ce que Washington tente de protéger Al-Qaïda, le groupe même qu'il a décrit durant plus de quinze ans au peuple américain comme la principale menace pour sa sécurité et qui a servi de prétexte à des guerres sans fin.

Kerry n'a laissé aucun doute que l'accord de Munich pourrait s'avérer le prélude à une guerre plus vaste et plus sanglante encore. « Si le régime d'Assad ne prend pas ses responsabilités et si les Iraniens et les Russes ne forcent pas Assad à respecter les promesses qu'ils ont faites… alors la communauté internationale ne va évidemment pas rester là comme une idiote, à regarder faire. Il y aura augmentation de l'activité pour mettre davantage de pression sur eux, » a déclaré Kerry à l'Orient TV de Dubaï, le 12 février.

Il a ajouté : « La possibilité existe qu'il y aura des troupes supplémentaires au sol. »

Kerry faisait allusion aux déclarations de l'Arabie saoudite disant qu'elle était prête à envoyer des troupes pour combattre en Syrie, soi-disant dans le cadre de la campagne anti-EI. Mais il ne fait aucun doute que l'objectif primordial de la monarchie saoudienne, une des principales bases de soutien des milices islamistes en Syrie, est une chute rapide du gouvernement Assad et l'installation d'un régime fantoche occidental.

Le secrétaire américain à la Défense Ashton Carter a dit le 12 février être « confiant » que l'Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis (EAU), autre monarchie sunnite soutenant les milices islamistes, enverrait des unités de force spéciales dans le pays. Rencontrant les responsables de l'Arabie Saoudite et des Émirats arabes unis en marge de la réunion des ministres de la Défense de l'OTAN à Bruxelles, Carter a suggéré que les unités saoudiennes et arabes unies seraient utilisés pour aider des forces sunnites syriennes à reprendre à l'EI la ville de Raqqa.

Le gouvernement syrien a clairement fait savoir qu'il considérerait toute entrée des forces de l'Arabie Saoudite ou des autres émirats pétroliers du Golfe comme une invasion hostile.

Une fois en Syrie, les forces saoudiennes et alliées ne s'abstiendraient pas de soutenir les milices d'Al-Qaïda dans la création desquelles Riyad a joué un rôle si important. Une attaque des unités saoudiennes ou de celles des EAU par le gouvernement syrien ou la Russie comporterait à son tour le risque d'une contre-attaque américaine, fournissant ainsi l'étincelle d'une confrontation militaire directe entre les deux principales puissances nucléaires du monde.

Le premier ministre russe Dmitri Medvedev, mettant en garde contre un déploiement de forces terrestres saoudiennes en Syrie, a déclaré au quotidien allemand Handelsblatt, « une opération terrestre impliquerait tous les participants dans une guerre. Par conséquent, les Américains et nos partenaires arabes doivent bien considérer s'ils veulent une guerre permanente. »

Le résultat, a averti Medvedev, pouvait être « une nouvelle guerre mondiale. »

Le 12 février, le réseau d'information RT financé par l'Etat russe a affirmé que le premier ministre russe avait été mal traduit. Il avait utilisé une expression russe signifiant « une autre guerre sur terre » plutôt qu'« une nouvelle guerre mondiale. » Handelsblatt, s'est cependant opposé aux assertions de Moscou, insistant pour dire que Medvedev avait été précisément cité, ajoutant que les responsables russes avaient approuvé une transcription en allemand de l'entrevue qui incluait le terme « einen neuen Weltkrieg » c'est-à-dire « une nouvelle guerre mondiale. »

Bill Van Auken

Article paru d'abord en anglais, WSWS, le 13 février 2016




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