dimanche 3 février 2013

Au Portugal 87 % de la population dit se sentir “déçue par la démocratie”


Portugal : « Nous sommes tous des ‘entroïkés’ ! »


de Fortune 

Dans un pays où le chômage ne cesse de progresser et où l’austérité est la règle, les Portugais se sentent victimes de la troïka. La démocratie a un goût amer pour les “entroïkés”, le mot de l’année au Portugal.



A Lisbonne, dans les magasins du quartier multiculturel de Graça, qui domine la ville du haut d’une colline, le crédit est de retour. Deux poulets entiers sont vendus 5 euros ; le kilo de tomates, presque deux ; le paquet de riz, un peu plus de 70 centimes. De quoi faire tenir une famille pendant trois jours. Mais de plus en plus de Portugais ont des fins de mois très difficiles. Résultat, il est devenu habituel que les bouchers ou les marchands de fruits fassent crédit à leurs clients par esprit de solidarité face à la crise.

Jugez plutôt : en 2013, le salaire moyen au Portugal, étranglé par les mesures du gouvernement de Passos Coelho [droite], notamment la réduction des tranches de l’impôt sur le revenu, ne dépassera guère 700 euros. Ce sont les 1,8 million de retraités qui auront le plus de mal à joindre les deux bouts, avec une pension qui en règle générale ne dépassera pas 400 euros, et avec laquelle ils devront faire face à la hausse de 15 % des prix des transports ou à l’augmentation de la facture d’électricité (13 % l’année dernière).

Le chômage est l’un des aspects les plus sombres de la crise : il touchera 15 % de la population active. Sans la moindre amélioration en vue pour l’année à venir, l’émigration – qui provoque un vide démographique dans l’arrière-pays – restera la planche de salut pour les jeunes. Luanda, Rio de Janeiro, São Paulo ou Macao, les pôles émergents de la lusophonie, qui depuis plusieurs années attirent les diplômés portugais, vont redevenir des destinations prisées pour une génération très instruite qui ne trouve pas de débouchés dans son pays natal. Déjà, l’année dernière, le Premier ministre incitait ses concitoyens à chercher fortune en dehors du Portugal, et il va désormais mettre lourdement à contribution ceux qui restent.

Déçus par la démocratie

Malgré un taux à 23 %, la TVA rapporte moins à l’État, et la nouvelle offensive de Passos Coelho, dont la cote de popularité est au plus bas, touchera les travailleurs indépendants qui ne peuvent pas faire face à leurs versements à la Sécurité sociale. Désormais, ceux qui auront plus de 3 500 euros de dettes auprès de cette institution seront passibles de peines de prison, contre 7 000 euros auparavant. Certains vont jusqu’à dire qu’en 2013 il vaudra mieux être en prison dans un État où beaucoup se sentent méprisés, quand ils ne sont pas persécutés par la classe politique.


L’automne dernier, à la lumière d’une enquête publiée par les principaux médias portugais, 87 % de la population disait se sentir “déçue par la démocratie”, et le nombre de mécontents pourrait avoir encore augmenté au cours des derniers mois. Entre-temps, lors d’un vote organisé par Porto Editora, l’une des principales maisons d’édition du pays, les Portugais ont choisi l’adjectif entroikado ["entroïké", victime de la troïka] comme mot de l’année 2012.

Selon le communiqué publié par Porto Editora, ce néologisme s’applique à toute personne “obligée de vivre dans les conditions imposées par la troïka [FMI, Banque centrale européenne et Commission européenne]“, et par extension à tous ceux qui sont “dans une situation difficile” – autrement dit, “dans la merde”. En 2013, dans les rues de Graça, où les notes du fado se confondent avec les voix des Indiens qui jouent au cricket, il faudra continuer à vendre à crédit la viande et les légumes aux entroikados. Reste à savoir jusqu’à quand.

Contexte : Trois ans de récession

Le Portugal connaît sa troisième année de récession avec un recul estimé à 1% du PIB. Le parlement a adopté pour 2013 des coupes budgétaires à hauteur de 5.3 milliards d’euros, une hausse des impôts et une diminution des retraites et des salaires des fonctionnaires. Les choix du gouvernement ont provoqué de vives critiques de la part de l’opposition de gauche et suscité des tensions au sein de la coalition de droite au pouvoir. Plusieurs grèves ont également émaillé le pays ces dernières semaines, la dernière en date bloquant une grande partie des transports publics le 1er janvier dernier.

C’est dans ce contexte que le président de la république portugaise a saisi la cour constitutionnelle pour qu’elle examine la conformité du budget 2013. Dans un rapport truffé d’erreurs comme le rapporte le Diário de Notícias, le FMI vient pour sa part de recommander au pays de réaliser 4 milliards d’euros d’économies supplémentaires notamment en diminuant le nombre des fonctionnaires et en réduisant leurs salaires et leurs retraites.

Courrier International

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