mercredi 4 novembre 2020

Train hydrogène : de qui se moque la SNCF ?

Par Michel Gay. Le projet de train à hydrogène de la SNCF pour 2022 «�quoi qu’il en coûte Â» semble principalement destiné à aspirer l’argent des contribuables pour se donner une image verte. Ce greenwashing permet de se gaver de généreuses subventions distribuées par la France et l’Europe. Ce n’est pas grave, nous sommes tous si riches !… Surtout ces derniers temps. Une lettre « pousse-au-crime Â» Mais, à sa décharge, la lettre de mission d’Édouard Philippe, alors Premier ministre, adressée au député Benoit Simian en 2018 pour une étude sur les trains à hydrogène est un pousse-au-crime visant à montrer que l’hydrogène est l’avenir de l’humanité. Cependant, cette lettre indique explicitement : « Vous tiendrez compte dans vos réflexions des objectifs du gouvernement en matière de maîtrise de la dépense publique. » Mais le député Benoît Simian vante les mérites du train à hydrogène dans son rapport de 2018 sans tenir compte de cette recommandation puisqu’il a omis de chiffrer le coût du développement des trains à hydrogène : « Le profil des lignes (trafic suffisant, profil de ligne adapté et enjeu de zéro émission) doit maintenant faire l’objet de chiffrages Â». En revanche, sans savoir combien ce projet hydrogène coûtera, ce rapport s’attache longuement à mobiliser des subventions pour alimenter cette pompe à fric ! À la lecture de ce rapport (extrait en annexe), il semble plutôt que l’hydrogène soit une opportunité pour profiter honteusement de subventions publiques ! Et ça tombe bien, le Plan de relance français de 30 milliards d’euros prévoit 2 milliards d’euros pour l’hydrogène ! Nicolas Hulot était un petit joueur avec ses 100 millions d’euros en juin 2018… Des émissions insignifiantes « Le transport ferroviaire a peu d’impact sur la pollution Â» selon le député Simian. C’est un mode de transport « Ã  faible empreinte environnementale Â» déjà beaucoup plus propre que les autres modes, notamment routier, même s’il existe aussi une part de la pollution locale de tous les trains (y compris hydrogène) due aux frottements rails/roues et des freins. La consommation « Ã©nergie Â» du transport ferroviaire est d’environ 0,85 million de tonnes équivalent pétrole (Mtep) : 0,15 Mtep pour le gazole et 0,7 Mtep (7,5 TWh) pour l’électricité. En France, le transport ferroviaire représente seulement 0,4 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports. Selon le rapport Simian, en 2015, le secteur des transports a émis 132 millions de tonnes équivalent CO2 (126 pour les modes routiers et 6 pour tous les autres modes confondus), dont seulement 0,5 pour le ferroviaire (0,4 %). Au vu de ces chiffres, est-il vraiment utile de dépenser des millions, voire des milliards d’euros pour si peu ? Il s’agit encore de tondre un chauve avec une tondeuse hors de prix. Les émissions de CO2 des trains régionaux (TER) non électrifiés, et donc roulant actuellement au diesel représentent en moyenne 153 gCO2/km-passager. Elles peuvent grandement varier (selon les lignes et leurs fréquentations en passagers) de 100 à plus de 1300 gCO2/km-passager. Par comparaison, celles des TER électriques (avec des lignes électrifiées) sont en moyenne de 40 gCO2/km-passager. Environ 450 trains devront être renouvelés à partir de 2028/2030 et le reste sera renouvelé 10 à 15 ans plus tard. Aujourd’hui près de 1000 trains TER (bimodes ou seulement Diesel) circulent en France sur près de 30 000 km de réseau ferré français. Environ 80 % des circulations (mesurées en trains/km) sont réalisées par des matériels à traction électrique sur plus de 15 000 km de voies sous caténaires. Les 20 % restants correspondent à un quart des matériels roulants au diesel sur la moitié des lignes qui ne sont pas électrifiées, soit environ encore 15 000 km. Un TER diesel de la SNCF effectue entre 600 et 1000 km par jour et consomme environ 180 litres de gasoil par 100 km (avec 10 km comme valeur moyenne entre les arrêts). À vitesse constante, la rame (2 motrices) consomme environ 1 litre de diesel par km (ou 3 kWh/km appliqués « aux roues »), et 8 litres par arrêt/redémarrage (24 kWh « aux roues »). La France consomme chaque année 73 millions de tonnes de produits pétroliers dont 33 de gazole. Électrifier avec quoi ? L’installation de caténaires pour électrifier des petites lignes est coûteuse : environ 1 million d’euros par kilomètre de voie simple, et 2 millions pour une ligne à double voie. Les lignes dont l’électrification est socialement ou économiquement intéressante, surtout avec de l’hydrogène décarboné, sont désormais peu nombreuse même en récupérant une partie de l’électricité pendant les ralentissements ! En effet, la production d’hydrogène par électrolyse reste aujourd’hui une aberration économique, environnementale et sociale. Le mieux serait de laisser les motrices diesels sur les petites lignes. Mais s’il fallait vraiment absolument éviter cette consommation dérisoire de 0,15 Mtep de gazole pour le transport ferroviaire, alors la solution certes encore coûteuse serait d’électrifier la totalité des lignes restantes pour environ 20 milliards d’euros… une seule fois. La SNCF et Alstom ont racheté une compagnie allemande (ou est-ce l’inverse ?) qui essaie d’imposer en France et en Allemagne le train Coradia iLint hydrogène qu’ils ont développé. L’alimentation électrique s’effectue avec deux piles à combustible (PAC) de 200 kW chacune, et une batterie tampon de 110 kWh (600 kg). Les 190 kg d’hydrogène compressés à 350 bars et la PAC (stockés sur le toit) permettraient de parcourir 800 km. La source hydrogène Pour alimenter une dizaine de TER sur une ligne, chaque station hydrogène (de 5 MW consommant 120 MWh par jour) devrait fournir quotidiennement 2 tonnes d’hydrogène à environ… 10 euros/kg au lieu de 2 euros/kg par vaporeformage avec du méthane. L’électrolyse de l’eau nécessite 60 kWh d’électricité par kilo d’hydrogène compressé à 350 bars. Bien que l’utilisation des énergies renouvelables soit avancée dans le projet de la SNCF, la voie reformage du méthane (gaz naturel importé de Russie et d‘ailleurs) semble privilégiée car elle est 5 fois moins chère. Mais cette technique émet 10 kg de CO2 par kilo d’hydrogène produit. « Concernant le ravitaillement en hydrogène, on pourra recourir à de l’hydrogène issu du vaporeformage à titre transitoire ou à de l’hydrogène fatal (sans méconnaître l’actuelle inconnue des coûts de purification de cet hydrogène très dépendant de la source) ou encore à de l’hydrogène obtenu par électrolyse Â». Le transitoire va certainement durer longtemps… L’Allemagne a choisi d’utiliser de manière transitoire de l’hydrogène obtenu par vaporeformage. L’étape suivante (quand ?) devrait être celle de la production d’hydrogène par électrolyse à partir d’électricité décarbonée. Mais l’astuce consiste à appeler « transitoire Â» ce qui restera permanent ! Ce train vert à l’hydrogène est une mascarade ! L’argent facile dégouline du ministère de l’Écologie et du Plan de relance. Il suffit de le ramasser à la pelle avec des études bidons et des projets idiots, surtout s’ils sont coûteux, pour absorber les lignes de crédits votés. Un investissement global de 3,4 milliards d’euros est prévu pour le financement de l’hydrogène vert d’ici 2023, et jusqu’à 7,2 milliards d’ici à 2030. Deux milliards sont inscrits dans le plan de relance. Des trains hydrogène en 2022 ? À l’issue des auditions, il est apparu au député Benoît Simian qu’une première circulation de trains à hydrogène vers 2022 était opportune, parallèlement à la circulation de trains avec batteries ou de trains hybrides (batteries-gazole). L’hydrogène serait une alternative prometteuse pour la sortie du diesel pour le député Benoit Simian car « elle serait à maturité technologique, comme le prouve la circulation en Allemagne de deux trains Coradia iLint d’Alstom depuis le 17 septembre 2018 » (construites par Alstom en Allemagne) et que « des avancées importantes sont apparues au plan économique, par exemple sur les coûts des électrolyseurs alcalins en 2017 Â». Mais, malgré ces « avancées importantes Â», le député ajoute « un effort de la puissance publique (comprendre « des subventions Â») est nécessaire si l’on veut que l’option générale de l’hydrogène dans l’économie française se transforme en succès Â». Ou pas… Cependant, le député reconnaît tout de même par ailleurs que « aujourd’hui, l’hydrogène obtenu par électrolyse reste encore trop cher Â», et que ce projet « doit maintenant faire l’objet de chiffrages Â». Avec un peu de bon sens, il aurait peut-être fallu commencer par là ? Ce député et ses conseillers conduisent l’industrie française dans le mur au motif que « la capacité à susciter et soutenir un premier déploiement d’une flotte significative de trains à hydrogène peut permettre, en particulier sur les parties à l’amont de cette filière (construction de matériel ferroviaire, électrolyseurs, pile à combustible et dispositifs de stockage), de cristalliser en France et en Europe les centres de compétences et les centres industriels. » Subventionner le Sapeur Camembert pour faire des trous afin de reboucher les trous précédents permettrait peut-être aussi de « cristalliser en France et en Europe les centres de compétences et les centres industriels Â» de pelles et de pioches. Même la ministre chargée des transports d’alors (Élisabeth Borne) a déclaré lors de la présentation du plan Hydrogène le 1er juin 2018 : « L’hydrogène apportera sans aucun doute une part importante des réponses pour décarboner et dépolluer nos solutions de mobilité. » Est-ce dangereux ? Oui, c’est dangereux ! Au nom de la planète, le principe de précaution est remisé, mais à tort. « Des évolutions réglementaires seront nécessaires… Â» écrit laconiquement Benoit Simian. Et c’est un euphémisme car l’hydrogène est un gaz effusif (il traverse l’acier et les plastiques), explosif, très dangereux à manipuler et à stocker, notamment en espace clos. Ce qui n’empêche pas ce député d’écrire dans son rapport que : « en espaces clos comme tunnels et gare, l’hydrogène peut être une alternative pertinente Â»â€¦ De nombreuses réglementations, notamment européennes, sont susceptibles d’être impactées (près de 20 textes de niveau européen) pour les installations fixes d’hydrogène. Toutefois, selon ce rapport, la directrice générale de l’Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF), bien qu’ayant noté l’absence de base législative et réglementaire pour ce qui concerne le transport d’hydrogène pour la propulsion des trains, ne voit pas d’obstacle important à une autorisation d’un matériel roulant à l’hydrogène en France avant 2022… Une réglementation existe pour le transport ferroviaire d’hydrogène (cependant, il exclut les matières utilisées aux fins de propulsion du train), ou pour les véhicules routiers. Mais aucun texte, tant au niveau national que communautaire ou international, n’a pu être identifié comme pouvant être directement utilisé. Malgré tout, Alstom pense qu’à long terme seul l’hydrogène répondra à l’objectif du zéro émission. C’est pourquoi cette société a développé la technologie de l’hydrogène pour les trains régionaux allemands (Coradia iLint), et se propose de l’adapter à des trains régionaux français. Il suffit d’affirmer ! Benoît Simian poursuit : « Les actuels surcoûts de la filière de l’hydrogène conduisent à choisir ce vecteur d’énergie pour des transports permettant :   * l’utilisation intensive du matériel, qui est plus cher mais qui peut être ravitaillé rapidement. » Or, c’est justement sur les lignes non électrifiées et peu utilisées (donc peu intensives) que le train hydrogène est censé être utilisé !…   * « le zéro émission, et même la diminution des nuisances sonores. » Avec des caténaires, cet objectif est aussi atteint en France essentiellement grâce au nucléaire.   * « des consommations régulières d’hydrogène dans la journée. » Mais la régularité dans la journée n’est généralement pas le cas sur les lignes non électrifiées….   * « des possibilités suffisantes d’emport à bord. » C’est bien le cas des trains, mais est-ce une raison suffisante ?   « Sous cette grille d’analyse Â», le député en conclut que « le secteur ferroviaire apparaît clairement comme un mode intéressant Â». Ah bon ? Un autre aurait sûrement conclut le contraire !   Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat au ministère de la transition écologique et solidaire, déclare lors de son audition du 24 juillet 2018 : « Dans un premier temps, la possibilité de faire appel à l’électricité sur le réseau qui s’inscrit dans le contexte du mix énergétique français particulièrement peu carboné peut être une solution transitoire, mais il restera nécessaire de démontrer la pérennité à terme d’une solution faisant appel à des modes de production totalement décarbonés de l’hydrogène. » Il pense certainement à l’électricité totalement décarbonée issue du nucléaire… alors que son ministère travaille à la fermeture de 14 réacteurs nucléaires. Et le Dr. Jörg Nikutta déclare à l’inauguration du train à hydrogène en Allemagne le 16 septembre 2018 : « Notre train à hydrogène remplacera les trains Diesel de manière bien plus économique. » Déduction faite des monstrueuses subventions publiques ? Seule la (mauvaise) foi sauve ! Pierre Izard, le directeur général pour l’innovation à la SNCF, annonce le 23 octobre 2018 : « 2022 est notre objectif pour faire circuler un train à hydrogène accueillant des voyageurs. » Pierre Izard croit certainement à cette vaste fumisterie partir du moment où il y aura des gogos et des politiciens cyniques pour lancer cette utopie et faire payer par tous cette folie verte. Un coup de menton pour la communication politique permettra de dire « Voyez, la SNCF fait circuler des trains à hydrogène ! C’est bon pour la planète ! », comme pour le train fantôme frigorifique Perpignan-Rungis abandonné. Avec cette lubie hydrogène coûteuse pour le contribuable et l’économie française, déjà dénoncées en 2014 par France Stratégie, de qui se moque le gouvernement, les élus et la SNCF ? Annexe : Extraits du rapport d’octobre 2018 du député Benoit Simian sur « Le verdissement des matériels roulants du transport ferroviaire en France », et visant à « mobiliser » des subventions : « Concernant le financement, il faut très tôt mobiliser les établissements financiers, les organismes français (Caisse des dépôts et consignations, ADEME, fonds du Plan national Hydrogène, etc.), la Commission européenne, la Banque européenne d’investissement (BEI), l’ADEME, la Banque des Territoires, et enfin, dans le cadre du plan gouvernemental H2 annoncé le 1er juin 2018, la participation de l’ADEME au portage du financement apporté par l’État pour le premier Train Hydrogène est une des pistes naturelles à analyser en priorité. Il importe […] aussi que le premier fonds de 70 millions d’euros constitué à l’occasion du plan national Hydrogène annoncé le 1er juin 2018 par le ministre de la transition écologique et solidaire (Nicolas Hulot), soit réservé aux premières expérimentations de trains à hydrogène.  Enfin, les crédits européens devront être mobilisés. La mission a relevé que : 1) des opportunités de financement existent dans les contrats de plan État-Région (CPER) pour soutenir le déploiement d’une flotte suffisante… 2) des possibilités de financements européens dans le cadre des financements opérés par l’Innovation and Networks Executive Agency INEA (dispositif Connecting Europe Facility CEF, doté de 22,4 milliards d’euros dans le domaine des transports) existent, mais sont encore peu utilisées, 3) l’intérêt de principe de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et de la Banque européenne d’investissement (BEI) pour l’hydrogène permet de compléter les financements des CPER, 4) la possibilité de mobiliser des moyens du Plan national Hydrogène du Gouvernement est une opportunité pour, en amont, soutenir les projets industriels qui pourraient émerger dans le domaine des nouvelles activités de production de matériel et de composants ainsi que les premiers déploiements. Ainsi, si l’hydrogène est une opportunité pour le transport ferroviaire en France, il est aussi une opportunité industrielle à prendre en considération Â».   À la lecture de ce rapport, il semble plutôt que l’hydrogène soit une opportunité pour se gaver de subventions publiques ardemment recherchées et « mobilisées Â» ! « Selon le CEA, le coût actuel de l’hydrogène obtenu par électrolyse pourrait diminuer à condition que : * l’électrolyseur soit assez grand ; * sa durée d’utilisation régulière soit longue ; * le prix de l’électricité soit suffisamment bas ; * de nouvelles technologies (électrolyse à haute température, etc.) contribuent à faire baisser les coûts Â».   Avec de telles conditions, il se pourrait aussi que l’hydrogène vert à bas coût obtenu par électrolyse ne voit jamais le jour. La principale source d’énergie dans le monde en 2045 sera probablement le pétrole (27 %), suivi de près par le gaz (25 %), grand gagnant de la transition énergétique, et le charbon (20 %). 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