dimanche 27 mai 2018

Churchill Mes discours secrets

MES DISCOURS
SECRETS
Winston Churchill
Traduit de l 'anglais par Lucien See
Les Belles Lettres
2018INTRODUCTION
Pendant la guerre, M. Winston Churchill a prononcé
cinq discours importants devant la Chambre des
Communes siégeant en séances secrètes. Suivant la cou-
tume parlementaire aucun de ces discours n'a été conservé.
Heureusement, l'importance de ces déclarations
était telle quel' auteur dut les préparer minutieusement
à l'avance. Le texte en fut sévèrement contrôlé, d'une
part pour éviter toute erreur, si légère fût-elle, qui aurait
pu s'y glisser et d'autre part, pour assurer toute sécurité.
M. Churchill possédait encore ces notes quand il
abandonna son poste de Premier ministre. Quand le
nouveau gouvernement leva le rideau sur ce qui s'était
passé lors des séances secrètes, l'ancien Premier autorisa
leur publication.
Il n'est pas possible d'affirmer que les discours qui
suivent cette introduction sont la reproduction fidèle et
complète des textes lus par M. Churchill. Il est probable
qu'il eut à modifier certains mots ou phrases afin de
rendre le texte plus conforme aux traditions oratoires
de l'assemblée anglaise ; en tout cas il ne peut s'agir que
de très légers changements, sans importance quant au
sens du texte. Ils constituent une contribution fort utile
à l'histoire de la guerre et expliquent bien des événements
dont le sens et la portée ont pu échapper, à l'époque, à
certaines personnes.
Charles EAD EPREMIER DISCOURS
L'ANGLETERRE
SEULE DANS LA GUERRE
(Discours du 20 juin 1940)LA CHUTE DE LA FRANCE
Le 19 juin 1940, le Premier ministre fit, devant la
Chambre des Communes, un exposé de la situation que
créait l'effondrement imminent de la résistance française. Il
concluait sur ces mots : « Conduisons-nous de telle manière
que si l'Empire britannique et le Commonwealth vivent
encore dans mille ans, on pourra dire : « Ce fut notre plus
belle heure».
Après avoir pris note de quelques communications,
la Chambre se déclara en séance secrète. Les débats se
poursuivirent toute la journée et même le lendemain,
20 juin, jour où le gouvernement français ayant à sa
tête le maréchal Pétain étudiait les termes d'un armistice
avec l'Allemagne et l1talie. L'exposé du Premier ayant
porté sur une motion d'ajournement, ce dernier avait le
droit, selon la coutume anglaise, d'intervenir dans le débat
général. Quand il se leva le soir du 20 juin pour préparer
le débat en séance secrète, il tenait à la main un document
de neuf pages dactylographiées sur lesquelles il avait noté
des modifications et des additions pendant la discussion
qui avait précédé.
Le texte complet de ce discours n'existe pas, mais l'intérêt
de ces pages ne saurait échapper à personne. M Churchill a
voulu montrer à l'Assemblée anglaise qu'une séance secrète
n'est en rien contraire à la procédure et qu'elle n'est pas
forcément liée à une crise.Il avertit ses auditeurs que ce serait folie de sous-estimer
la gravité et l'imminence de l'attaque allemande mais qu'il
«sentait» que le peuple de Grande-Bretagne saurait bien
s'accoutumer aux raids aériens. L'ennemi, ajoutait-il,
réussissait mal ses bombardements par la voie des airs et
l'aviation anglaise obtenait des résultats autrement efficaces.
Il traita ensuite des erreurs tactiques des alliés et des
fautes qui avaient été commises sur le continent. Il parla
aussi de la position du gouvernement français. Il exprima
sa confiance dans la résistance du peuple anglais et ajouta
que si Hitler ne parvenait ni à envahir son pays, ni à
l'anéantir, il aurait perdu la guerre. «Si nous pouvons
tenir pendant les trois mois qui vont suivre, écrivait-il
dans ses notes, nous tiendrons aussi les années suivantes. »
Parlant de l'attitude américaine, il insista sur le fait
que ce pays suivait de près les événements d'Angleterre. Il
ajouta : « La lutte héroïque de notre pays constitue pour
nous la meilleure chance de voir les États-Unis entrer
dans la guerre. »
M Churchill conclut en parlant de la formation du
gouvernement dont il prenait la tête, en ajoutant qu'il
comptait sur la loyauté de ses collaborateurs dans la lutte
contre l'unique ennemi.ORIGINAUX ET TRADUCTIONS
DES NOTES DU DISCOURS(20 juin 40) (disons 4 000 mots)
Séance secrète. Chambre des Communes.
Ma confiance en elle en tant qu'instrument pour faire
la guerre.
Un rôle plus actif et plus direct de la part de ses membres
L.D.V
Tout ceci est en harmonie avec !'Histoire.
Cette S. S. 1 est un modèle de discrétion.
Mon opinion toujours : le Gouvernement renforcé par
les S.S.
(Biffé dans le texte: Heureux d'en tenir d'autres.)
Accepte idée que les S.S. font partie normalement de notre
procédure, pas associées à l'idée de crise.
Soulagement de pouvoir parler sans oreilles ennemies.
Tout prêt à tenir d'autres S.S. particulièrement sur des
. prec1s.
' .
sujets
Mais j'espère ne pas trop pousser les ministres engagés
dans la conduite de la guerre. (Cette semaine!)
Humeur de la Chambre (Rassérénée) .
Froide et robuste.
Discours très informatifs.
Difficile de trahir aucun des secrets révélés aujourd'hui
(confiance).
1. Séance Secrète.Moore-Brab (Wallesey)
Louer.
Il regrette que j'aie dit que les experts aient conseillé de
continuer à se battre.
Hommes politiques et généraux.
Pendant la dernière guerre et celle-ci.
Ne pas trop donner à faire aux hommes politiques même
eux peuvent se tromper.
(Noel Baker-Derby)
Goering: Comment le classer?
Un aviateur devenu homme politique.
Je préfère l'aviateur.
De toutes façons je ne l'aime pas beaucoup.
Moore-Brab nous dit qu'il a une intelligence remarquable
(et explique) son vaste pouvoir de dictateur, ses plans
(grandioses).
Malgré ça il n'a pas créé les meilleurs pilotes, ni les meilleures
machines, ni comme nous le verrons peut-être bientôt,
les moyens scientifiques les plus avancés.
M.B. dit que 250 nuits par an il n'y a pas de défense contre
les raids de nuit.
(Biffé dans le texte) J'espère que ce n'est pas vrai.
C'est là une de ces choses qu'on apprend par l'expérience.Nous avons eu deux nuits de bombardements pires que
ça évidemment.
C'est une folie de sous-estimer la qualité des attaques qui
'
se preparent.
Mais s'ils utilisent de 100 à 150 bombardiers j'ai le droit
de faire cette remarque :
Ils ne s'en servent pas très intelligemment.
Le jeu n'en vaut pas la chandelle.
Il faut apprendre à s'y habituer.
Les anguilles s'habituent à être écorchées.
Les bombardements constants qui atteindront probablement
une grande intensité par moments, doivent être une
des conditions de notre vie.
Il est de toute importance de soutenir le moral de la
population, surtout de celle qui travaille de nuit et
dans les usines .
C'est à qui tiendra bon d'eux ou de nous.
Nos bombardements ont incomparablement plus d'effet.
Ils sont plus précis et donnent de meilleurs résultats.
Comparaison avec les bombardements avec ou sans objectifs
précis.
L'ennemi a le nombre pour lui, de beaucoup, mais son
industrie est beaucoup plus concentrée.Nul ne peut prévoir les résultats.
Ce combat suprême dépend du courage de la femme et
de l'homme moyens.
Quoiqu'il advienne ne pas broncher.
Le devoir des membres du Parlement est d'inspirer la
confiance et de hâter la production.
Discours de Bellenger.
Faillite de la conception de guerre française.
La ligne Maginot, la théorie de la défense.
Succès militaires brillants de Hitler.
Triomphe de l'esprit offensif.
Triomphe de l'armement anticipé.
Échec de la stratégie initiale
avance en Belgique
sans s'assurer des avant-postes de la ligne
Maginot.
et sans avoir de réserves pour fermer les brèches
Les armées du Nord perdues dès que les divisions blindées
allemandes s'enroulent autour de leurs communications.
Abbeville, Boulogne, Calais.
Pas assez de vivres pour 2 jours.
munitions que pour une bataille.La question de la formation de la ligne Torres-Vedras
Hors de question avec les bombardements aériens des ports.
Un bateau de transport sur trois coulé.
(toutes ces expériences montrent le danger d'isoler les
transports).
La situation paraissait désespérée.
particulièrement quand la Belgique a abandonné.
Louer les trois armes.
L'armée a protégé sa retraite.
La marine a démontré la puissance de ses réserves;
L'aviation a rendu possible les opérations de la marine.
B.E.F. une bonne armée. Seulement 10 divisions.
Privée de divisions blindées adéquates
bien équipée,
mais dans une position stratégique intenable .
Nous pouvons remercier Dieu de beaucoup de choses.
Tris te situation du Gouvernement français.
Il faut accepter cette situation .
Pas de critiques, pas de récriminations.
Nous ne pouvons pas nous le permettre, en public.
Pétain. Reynaud. Darlan.
5 journées précieuses presque entièrement perdues.Surprise si l'Allemagne montre de la clémence.
La flotte française : l'Empire français, notre politique.
Les encourager à continuer
mais tout dépend de la bataille d'Angleterre.
J'ai pleinement confiance.
Quelques remarques sur la défense de !'Intérieur.
Belisha a dit : « Des hommes aux défenses et résister à
l'ennemi. »
Ce sera vrai en partie ;
mais l'âme de la défense de la Grande-Bretagne est
d'attaquer l'envahisseur dès qu'il atterrit,
lui sauter à la gorge
et le serrer jusqu'à ce qu'il n'ait plus de vie.
Nous avons une armée puissante
qui devient plus forte et mieux équipée tous les jours.
Beaucoup d'excellentes divisions.
Brigades mobiles.
Garde-côtière vigilante. Fortes défenses des ports et des rades.
Garde-mobile agissant à l'intérieur.
Bonnes chances de remporter une victoire.Si Hitler ne peut ni envahir,
ni détruire la Grande-Bretagne,
il aura perdu la guerre.
Je ne considère pas seulement les rigueurs de l'hiver en
Europe.
Je compte sur la supériorité future de nos forces aériennes.
Renforts transatlantiques.
Si nous pouvons tenir trois mois
nous tiendrons, pendant trois ans.
Il se peut très bien que nos belles armées
n'aient pas dit adieu au Continent européen.
Si la côte ennemies' étend de l'Arctique
à la Méditerranée
si nous gardons la maîtrise des mers
et si nos forces aériennes continuent à croître,
il est évident que Hitler, maître d'une Europe affamée,
torturée et révoltée,
aura à faire face à des dangers aussi bien que nous.Mais tout dépend de notre victoire ici, en Grande-Bretagne,
maintenant cet été.
Si nous gagnons, l'avenir nous ouvrira un plus large horizon
et nous pourrons voir l'avenir avec confiance
et préparer nos plans pour 1941 et 1942
etc' est ce que nous faisons.
L'attitude des États-Unis.
Rien ne les émeuvra plus qu'une guerre en Angleterre.
Inutile de leur dire que nous sommes à bout de souffle.
Le combat héroïque de la Grande-Bretagne est le meilleur
moyen d'obtenir leur collaboration.
En attendant, il nous ont promis de nous aider autant
qu'ils le pourront en matériel, munitions.
Tribut à Roosevelt.
(Knox et Stimson.)
Tout dépend de notre résolution et de notre capacité à
tenir bon jusqu'à ce que la question des élections y
soit réglée.
Si nous y parvenons, il est hors de doute que les pays de
langue anglaise feront front à l'ennemi.
Et avec la maîtrise des océans et de l'air, aide de tous les
continents excepté l'Europe (la Russie).Je ne vois pas pourquoi nous ne gagnerions pas cette fois-ci
comme la première fois.
La question de l'Irlande.
est grandement influencée par la forte armée que nous
créons ici.
Les Allemands se battraient en Irlande
dans des conditions adverses.
Préférable que ce soient eux qui violent la neutralité irlandaise.
En dernier lieu, dire un mot sur nous-mêmes.
Comment le dernier gouvernement a été formé.
Expliquer les actes de Chamberlain.
Il est impératif que des hommes qui se sont unis agissent
avec loyauté et bonne entente.
Autrement, il n'est pas possible de soutenir le choc et les
tribulations à venir.
]'ai le droit de compter sur la .fidélité du gouvernement
Nous n'avons qu'un ennemi: le lâche adversaire
qui menace notre liberté et notre vie et barre aux
hommes le chemin du progrès.DEUXIÈME DISCOURS
LE PARLEMENT
DÉLIBÈRE SOUS LES BOMBES
(Discours prononcé à la chambre des communes
le l 7 septembre 1940)L'ANGLETERRE DANS LA BATAILLE
Alors que les avions allemands bombardaient Londres
sans arrêt, pendant la nuit du l 7 septembre 1940, la
Chambre des Communes se réunit de nouveau en séance
secrète pour écouter M r. Churchill. Ce dernier devait expo-
ser les mesures à prendre pendant la bataille d'Angleterre
et en particulier les précautions rendues nécessaires par les
raids auxquels tous s'attendaient pour les prochains mois. Les
notes utilisées à cette occasion sont complètes et absolument
conformes au discours prononcé par le Premier ministre.
Après avoir expliqué pourquoi la date des réunions serait
tenue secrète et pourquoi les heures en seraient modifiées,
Winston Churchill avertit la Chambre du danger toujours
croissant d'une attaque ennemie. Il révéla que plus de
1 700 (mille sept cents) embarcations automotrices et plus
de 200 vaisseaux étaient déjà réunis dans les ports occupés
par l'ennemi. Il se refusa à croire qu'il ne s'agissait là que
d'un simulacre et annonça que plusieurs de ces bateaux,
bombardés par la R.A.F., avaient sauté avec de fortes
explosions et que, par conséquent, ils étaient chargés de
munitions et d'explosifs, destinés aux troupes d'invasion.
En dépit de ces menaces et de ces périls, le Premier
britannique conclut en assurant à son auditoire qu'il restait
persuadé « que le soleil se lèverait un jour à l'horizon et
que ce jour marquerait la victoire de l'Angleterre».NE croyez pas, Messieurs, que je vous aie demandé
de vous réunir en séance secrète pour vous communi-
quer une nouvelle d'une importance particulière ou
d'un caractère absolument confidentiel. Mais il est des
choses dont nous devons discuter entre nous pour éviter
que l'ennemi ne puisse en tirer profit. Je voudrais vous
parler des séances de l'assemblée et de la façon dont
nous devons nous acquitter de nos fonctions.
J ai reçu il y a quelques jours une note de fÉtat-Major.
Les chefs de notre armée estiment que la date et l'heure
de cette réunion ont été indiquées avec trop de clarté et
qu'il serait prudent de la remettre à une date ultérieure,
date qui ne serait pas annoncée publiquement.
Je sais pourtant que certains d'entre vous jugeraient
d'un œil mécontent toutes décisions tendant à faire croire
que nous sacrifions nos obligations à des considérations
de sécurité personnelle. Nous devons montrer l'exemple
et tenir nos engagements, comme nous demandons aux
ouvriers de travailler d'arrache-pied. Le règlement de la
Chambre nous aurait permis de remettre cette réunion
à lundi matin par exemple. Mais cela aurait eu bien des
inconvénients dans les conditions où nous travaillons
actuellement.
C'est pourquoi je prends sur moi de ne pas tenir
compte de cet avertissement qui nous a été envoyé
par ceux qui sont chargés de défendre notre territoire.Il ne faudrait pourtant pas exagérer dans l'autre sens.
Toute bravade ferait le jeu de l'ennemi.
Nous ne sommes pas indispensables mais n'oublions
pas non plus que si certains d'entre nous venaient à
être tués au cours d'un bombardement, il faudrait les
remplacer et il serait difficile d'organiser des élections
dans les circonstances actuelles.
Je suppose que si Hitler parvenait à raser les bâti-
ments du Parlement, la nouvelle, annoncée comme un
nouveau triomphe par les Nazis, causerait en Allemagne
une grande satisfaction.
Il nous faudra faire preuve de prudence et d 'astuce
pour déjouer l'ennemi. C'est pourquoi il ne faut pas
proclamer longtemps à l'avance l'heure et la date de
, .
nos reun1ons.
Au cours des raids aériens, les risques peuvent être de
deux ordres, général ou particulier. Le risque général est
négligeable mais, rester dans un bâtiment que l'ennemi
considère comme un objectif stratégique, c' est une
autre histoire. Ici nous sommes au centre de la cible.
Ce groupe de bâtiments, bien connu, situé près de trois
grandes gares est grâce à la rivière qui constitue, la nuit,
un excellent point de repère, une cible facile. Je serais
très étonné si ces vénérables bâtiments n'exigeaient
pas certaines réparations d 'ici peu de temps. L'attaque
de jour de Buckingham Palace a montré le peu de
scrupule del' ennemi. Il n 'y a qu'à aller jusqu'au Smith
Square ou jusqu'à !'Hôpital Saint-Thomas pour se
rendre compte des destructions qu'un seul avion peut
effectuer. Dans cette affaire il ne faut pas penser qu'à
nous, nous ne sommes pas seuls. Le bâtiment lui-même
n'est pas construit assez solidement pour résister à un
bombardement aérien. Il y a beaucoup de vitres etles couloirs qui mènent aux abris contre les éclats de
verre sont très longs. Il n'existe pas de moyens de défense
suffisamment efficaces contre de telles attaques qui, de
plus, pourraient avoir lieu sans avertissement. Notre
vigie, là-haut, donnerait le signal quand les bombes
commenceraient à tomber. Nous ne pouvons nous fier
au bruit de la D.C.A. qui tire trop souvent pour que
nous puissions nous mettre à l'abri chaque fois que nous
entendons un canon tirer. Nous devons nous adapter
aux conditions nées du conflit. Je vais donc proposer
à la Chambre trois mesures qui, j'en suis persuadé, ne
porteront pas atteinte à la dignité de ses membres, et
que je vais exposer dans leurs grandes lignes.
Premièrement : les heures et dates de nos séances ne
seront pas rendues publiques et seront soumises à confir-
mation. Cette mesure gênera l'ennemi en l'empêchant
de connaître à l'avance l'horaire des séances. Si le lieu
de nos réunions n'est pas connu, Westminster sera
moins exposé aux raids aériens et nous pourrons, de
cette façon, peut-être utiliser le palais plus longtemps.
Je propose donc l'ajournement de cette séance à une
date qui sera tenue secrète. Cette réunion aura lieu
demain car il n'est pas possible aux différents membres
du Parlement de venir des quatre coins du pays pour
assister à une seule séance.
Deuxièmement: j'estime que nous devrions modi-
fier l'horaire des séances. Une attaque aérienne peut
se produire à tout moment après la tombée de la nuit.
Vous savez tous ce que cela signifie: tir de la D.C.A.,
éclats d'obus ... il est donc préférable que les membres
puissent se mettre à l'abri avant le commencement
d 'une telle attaque. Nous pourrions nous réunir à onze
heures du matin et terminer nos travaux à quatre heuresde l'après-midi en réservant une demi-heure pour le
débat sur l'ajournement. Ceci me conduit à ma troi-
. '
. .
s1eme propos1uon.
En nous réunissant le matin, nous imposerons un
lourd fardeau aux ministres et aux divers services. Les
conseils de cabinet et bien d'autres groupements se
réunissent dans la matinée et l'effet des décisions qui en
sortent se fait sentir l'après-midi. Si plusieurs ministres
doivent assister à une séance tout le programme des
administrations se verra retardé ou même entravé. Prenez
par exemple le cas du ministre de la Santé Publique,
qui, ce matin même, doit assister au débat sur l'hygiène
de la nation. Ce problème est des plus sérieux. Notre
ministre a fort à faire devant la situation créée par les
bombardements. Il faut veiller au fonctionnement des
égoûts, il faut rendre un logis à ceux qui sont sans abri,
et à ceux quel' on a évacués pour des raisons diverses.
Il faut empêcher les épidémies qui pourraient se déclarer
du fait de la présence dans les abris d'un trop grand
nombre de personnes. Si des mesures préventives éner-
giques ne sont pas prises, nous pourrions voir surgir des
épidémies de diphtérie, de fièvre typhoïde, et de grippe.
En un mot le ministre doit préserver notre santé à tous.
Je suis avant tout un parlementaire et un membre
de la Chambre des Communes. Si j'ai mon mot à dire
dans cette affaire, je le dois à la Chambre ; c'est pour-
quoi je place mes devoirs de parlementaire avant tout et
m'en remets à cette dernière. Mon honorable collègue
appliquera le programme tel qu'il a été établi si tel est
le désir de la Chambre. ] e fais appel à cette dernière
pour qu'elle apporte son appui total aux ministres et au
gouvernement dans lesquels elle a placé sa confiance.
Nous faisons tout notre possible. Il y a certes des fauteset des échecs. Tout n'est pas parfait. Certaines choses
qui devraient être faites ne l'ont pas encore été. D'autres
choses ont été faites alors qu'il eût été préférable de ne pas
les faire . Mais si l'on considère l'ensemble du problème,
avec impartialité, on peut dire que le gouvernement et
la population sont à la hauteur de la tâche qui leur est
imposée et quis' avère encore plus difficile avec le temps.
Il faut bien reconnaître que c'est là un beau résultat
qui fait l'admiration de tous nos amis dans le monde.
Je demande à la Chambre de se montrer indulgente
et de nous accorder son appui sans demander de trop
nombreuses réunions au cours des jours qui vont suivre.
Je proposerai l'ajournement au mardi 15 octobre. Nous
nous réunirons avant cette date naturellement mais nous
demanderons à la Chambre de laisser la date en suspens
en nous laissant la faculté de prévenir les intéressés. Il va
sans dire que si, d'ici là, venait à se produire un événement
ou s'il surgissait un problème exigeant une solution rapide
après avis préalable de la Chambre, nous en aviserions
immédiatement le Parlement, même si le cas se produisait
peu de temps après une séance et nous nous ferions un
devoir de rester en contact avec tous les partis et tous
les groupements non seulement par ce que l'on appelle
« la voie hiérarchique », mais encore par tous les autres
moyens à notre disposition. Quelques ignorants croient
peut-être que les membres du Parlement se contentent
de faire leur devoir lorsqu'ils sont assis à leurs bancs, en
faisant ou en écoutant des discours. En vérité, et plus
qu'à tout autre moment, les membres du Parlement qui
n'ont pas d'autre occupation peuvent rendre d'immenses
services dans leurs propres circonscriptions.
Ceci s'applique particulièrement aux circonscriptions
déjà éprouvées par la guerre et dont les populationsdésirent voir leurs représentants près d'elles pour partager
leurs craintes, résoudre leurs difficultés et même, si besoin
est, remonter leur moral. Nous devons nous attendre
à des jours graves. J'ai annoncé, au cours de la séance
secrète, le déploiement des forces d'invasion ennemies
et j'ai dit qu'on pouvait s'attendre à tout instant à une
attaque de grande envergure contre notre pays.
Je peux maintenant vous dire que 1 700 embarcations
automotrices et plus de 200 vaisseaux, certains de grande
taille, sont actuellement concentrés dans les ports occupés
par les Allemands. S'il s'agit là d'un simulacre ou d'un
stratagème destiné à nous faire peur, on peut s'étonner que
de telles mesures aient été prises sur une si grande échelle
et que les préparatifs soient poussés si à fond. Quelques-
uns de ces bateaux, attaqués et bombardés avec succès
par nos avions, ont sauté avec une violente explosion ce
qui prouvait qu'ils étaient chargés de munitions.
L'armada réunie par les Allemands est capable de
transporter en un seul voyage près d'un demi-million
d'hommes. Nous sommes en droit d'espérer pouvoir en
noyer un grand nombre et détruire un gros pourcentage
de vaisseaux. Mais quand on réfléchit à la multitude
des points d'où pourraient partir les convois, quand
on pense que la région la plus vulnérable, c'est-à-dire
celle où l'ennemi pourrait concentrer le plus grand
nombre d'avions de toutes catégories, s'étend de Wash
jusqu'à l'île de Wight, et est aussi longue que le front
français des Alpes jusqu'à la mer, quand on songe aux
dangers du brouillard naturel ou artificiel, on ne peut
nier l'éventualité d'un débarquement ou tout au moins
une tentative de débarquement ennemi.
Si l'ennemi parvenait à prendre pied sur notre
territoire, d'autres obstacles se présenteraient à lui.Nous le priverions de ses communications avec la côte
française occupée en interceptant ses convois et d'autres
dangers surgiraient pour lui. Je suis certain que nous
réussirions à le battre et à anéantir ce gigantesque assaut
qui nous menace de toutes façons . Quoiqu'il arrive,
nous nous battrons jusqu'au dernier. Demain le soleil
se lèvera sur notre victoire, j'en suis sûr.
Mais je demande à la Chambre de nous aider à
résoudre ces problèmes, les pires qui aient jamais menacé
une communauté civilisée, en s'associant aux vœux du
gouvernement et en allégeant le fardeau qui pèse sur
.
.
ceux qui sont au pouvou.
En conséquence, des résolutions seront soumises
cet après-midi à l'approbation de la Chambre siégeant
tOUJOurs en seance secrete.

I
\TROISIÈME DISCOURS
LA BATAILLE DE L'ATLANTIQUE
(Discours du 2 5 juin 1941)LE PROBLÈME DU TONNAGE
Le mercredi 25 juin 1941, jour où s'affrontèrent les
armées allemande et russe dans la première grande bataille
du front de l'Est, la Chambre des Communes se réunit en
séance secrète pour entendre l'un des plus sombres exposés
de Mr. Churchill, exposé exact et sincère sur la situation
du tonnage et sur la guerre anti-sous-marine.
Avant de prononcer cet important discours, qui traitait
d'un problème dont dépendait la survivance même du
peuple britannique, le Premier ministre consigna par
écrit tout ce qu'il avait l'intention de dire. Le document
fut contrôlé pour vérifier les chiffres qu'il contenait et pour
supprimer éventuellement tout ce qui aurait pu être utile
à l'ennemi. Il est certain que Monsieur Churchill suivit de
près le texte qui suit cette introduction. Pendant le discours,
il donna lecture des directives qu 'il avait préparées en
qualité de ministre de la Défense en vue de poursuivre avec
vigueur la « Bataille de l'Atlantique ». Il révéla après, qu'au
cours de la première année de guerre, les pertes des flottes
alliées s ëlevaient à 4 600 000 tonnes. Ce discours, rempli
de détails sombres et désagréables, montrait comment les
difficultés rencontrées par le gouvernement dans la poursuite
de la guerre avaient été résolues. Les conclusions rassurantes
qu'il contenait contribuèrent à adoucir les critiques souvent
âpres dont le gouvernement britannique faisait l'objet de
la part de certains membres du Parlement.LE total des pertes subies par les flottes marchandes
britannique, alliée et neutre entre le 1er septembre 1939
et le 31 décembre 1940, s'élève à environ 5 000 000 de
tonnes. En tenant compte des bateaux nouvellement
construits, capturés, achetés et loués à des pays étran-
gers, le total des bateaux à notre service en 1940 n'était
inférieur que d'environ 1 500 000 tonnes au nombre des
bateaux en service avant la guerre. Le tonnage total dont
nous disposions quand la guerre a éclaté, varie - d'après
les diverses estimations - entre 26 et 22 000 000 de
tonnes, suivant les catégories de vaisseaux considérées.
Tout ce tonnage, il est vrai, n 'est pas disponible pour
l'importation. Sur ce nombre 4 000 000 de tonnes
environ sont utilisées pour les besoins de l'armée et
de la marine. Quelques bateaux sont réservés au trafic,
d'importance vitale, avec l'Empire. Certains sont de trop
petite dimension pour pouvoir traverser l'Atlantique.
D 'autres ont subi des avaries et sont inutilisables.
Les pétroliers, dont le tonnage se monte à quelque
4 500 000 tonnes, constituent une catégorie spéciale
dont l'usage est réservé à notre ravitaillement en car-
burants. Nous espérons maintenir nos importations de
carburant à un niveau proche de celui d'avant-guerre
et, dans les chiffres que je vous apporte concernant les
importations, je ne tiendrai pas compte des carburants.
Si l'on compare les pertes que je viens de citer avecle tonnage total, elles représentent environ 5 o/o. Ce
chiffre comparé au nombre des bateaux considérés n 'a
rien d'inquiétant surtout après 16 mois de lutte acharnée
contre les U-Boot allemands.
Deux faits importants sont venus aggraver la situation.
D'une part il ne fallait pas compter sur la chance
pour éviter que les pertes subies en 1941 conservent le
rythme qu'elles avaient en 1940.
D'autre part, les mesures de protection prises par
l' Amirauté, convois, procédés de diversion, dragage des
mines, fermeture de la Méditerranée, toutes mesures
qui augmentaient le temps et la distance des traversées,
auxquelles il faut ajouter les retards occasionnés par la
retenue des bateaux dans les ports par suite de l'action
ennemie et du blackout, ont réduit l'activité de nos
bâtiments dans une mesure plus importante que les
pertes elles-mêmes. L'Amirauté songe en premier lieu
à ramener les bateaux sains et saufs dans les ports et
à réduire le plus possible les pertes. La vie même du
pays et l'effort de guerre dépendent du volume des
importations arrivant intactes.
Aux cours des meilleures années du temps de paix,
nos importations s'élevaient à environ 60 000 000 de
tonnes. Après la chute de la France, nous ne pouvions
espérer que la moitié de ce chiffre pour l'année 1941.
Depuis ma visite à !'Amirauté au début de la guerre,
j'ai institué un service de statistique à la tête duquel j'ai
placé le professeur Lindmann. Je reçois chaque semaine
un certain nombre de diagrammes et de graphiques
englobant l'effort de guerre dans sa totalité et indiquant
les diverses tendances, favorables ou non.
Le déficit croissant entre les pertes nettes en tonnage,
relativement faibles en vérité, et l'énorme baisse du chiffredes importations devint de plus en plus évident au cours
de l'hiver 1940.
De nombreuses mesures furent prises notamment
par le ministère du Ravitaillement, le ministère des
Fournitures de Guerre et le ministère du Commerce.
Depuis quelque temps, les importations étaient sévè-
rement contrôlées et tout le superflu en avait été exclu.
Les programmes établis par ces trois ministères étaient
conçus de manière à accorder la priorité aux denrées les
moins encombrantes. Notre commerce d'exportation
portait surtout sur des articles possédant une grande
valeur d'échange. Le nombre des bateaux affectés au
trafic dans l'Atlantique croissait sans cesse. On prit des
mesures draconiennes pour augmenter la production
à l'intérieur du pays. Je ne parlerai pas des questions
de denrées alimentaires, ce problème exigera un débat
spécial.
Nous avons réalisé de grosses économies sur les
importations de bois de construction qui se chiffraient à
plus de 10 000 000 de tonnes au début de la guerre, et
à 4 500 000 tonnes en 1940. Cette année, ce chiffre a
encore été réduit à un peu plus d'un million de tonnes.
Nous sommes parvenus à ce résultat en nous imposant
d'une part, une diminution de la consommation, et
en accroissant considérablement l'abattage dans notre
propre pays, d'autre part.
Nos stocks de carburant ont beaucoup baissé par
rapport au niveau d'avant-guerre, mais nos stocks de
matières premières essentielles ont été maintenus, et
les réserves de vivres sont plus importantes qu'elles ne
l'étaient il y a un an.
À la fin de septembre, quand la moisson sera
terminée, les stocks de blé seront supérieurs à ceux del'année dernière. Il me faut malheureusement insister
sur les difficultés stratégiques qui résultent du contrôle
allemand sur la côte européenne. Ces difficultés sont plus
graves que celles auxquelles nous eûmes à faire face au
cours de la dernière guerre. Si, au début del' année 1940,
nous avions su quel' ennemi contrôlerait effectivement
tous les ports de l'Atlantique, de Narvik à Bayonne, la
plupart des experts de la marine et de l'aviation eussent
déclaré que le ravitaillement de notre pays aurait été
impossible, le problème étant pratiquement insoluble.
Au cours de la dernière guerre une enquête fut
entreprise pour savoir s'il serait possible d' assurer la
subsistance du peuple anglais au cas où le port de
Londres aurait été bloqué. Le rapport publié à l'issue de
cette enquête fut plutôt pessimiste dans ses conclusions.
Le trafic de ce port a été réduit dans la proportion d'un
quart. Celui des ports situés sur la côte orientale est
également réduit dans de fortes proportions. Le trafic
maritime effectué sur la côte sud est proche du niveau
normal. Le Pas-de-Calais est, comme la Mer du Nord,
soumis aux attaques incessantes del' aviation ennemie.
Nous devons de plus en plus diriger nos bateaux vers
les ports de la côte ouest. D'autre part, nous trou-
vant dans l'impossibilité d 'utiliser le nord de l'Irlande
comme base pour nos flotilles de protection et nos
escadrilles d'aviation, la plupart des convois passent
entre l'Écosse et l'Irlande et entrent par la Clyde et
la Mersey. Un petit nombre de bateaux seulement se
dirige vers les ports du Bristol Channel. Tous ces ports
font l'objet d'attaques aériennes fréquentes et souvent
de longue durée et, même sans tenir compte des dégâts,
le trafic des marchandises est considérablement gêné
par les retards et le black-out.Pendant l'hiver, les sous-marins ennemis utilisèrent
une nouvelle méthode d'attaque nocturne. Les pertes
subirent une augmentation importante et la nouvelle
année s'ouvrit sur des perspectives sombres. En plus de
ces attaques, nous eûmes à déplorer l'activité accrue de
l'aviation allemande qui utilisa à cet effet des appareils
F ocke-W ulf à long rayon d'action.
Ces appareils qui, heureusement, étaient peu
nombreux au début, et dont le nombre pouvait
augmenter d'un moment à l'autre, pouvaient décoller
d'aérodromes situés à Bordeaux ou à Brest, faire le
tour des îles Britanniques, se ravitailler en carburant
en Norvège, et reprendre leur voyage le lendemain. En
chemin ils voyaient les longs convois de cinquante à
soixante bateaux auxquels nous avions été obligés d'avoir
recours par manque de vaisseaux de guerre qui auraient
pu servir d' escorte. L'ennemi pouvait sans peine attaquer
ces navires avec ses avions ou envoyer par télégraphie sans
fil des signaux à ses sous-marins qui, mis au courant de
la direction que les convois suivaient, les interceptaient.
Les sous-marins pouvaient évoluer plus rapidement
en surface que les bateaux dont étaient composés les
convois. En réduisant le poids de la charge d'explosifs et
en augmentant la quantité d'air comprimé qui activait
le moteur des torpilles, les Allemands étaient à même
d 'envoyer de véritables volées parmi les convois et de
cette façon coulaient trois ou quatre vaisseaux à la fois.
J'ai observé de près la guerre sous-marine pendant la
dernière guerre. J'ai étudié avec soin tous les facteurs
qui étaient en jeu et j'y ai réfléchi longuement depuis.
Eh bien, rien de ce qui est arrivé alors, rien de ce qui
est arrivé depuis n'est comparable aux difficultés et
aux dangers qui nous assaillent aujourd'hui. Je répètedonc que les plus hautes autorités en la matière, si on
leur avait demandé il y a un an comment nous nous
en tirerions, n'auraient pas pu nous donner de réponse
favorable.
Je ne doute pas un moment que les experts très
avertis qui renseignent Hitler ne lui aient annoncé que
notre perte etalt certaine.
On ne parle pas beaucoup de mines en ce moment.
Pourtant, tous les soirs, de trente à quarante avions
ennemis en lâchent dans nos eaux, partout où nos
navires peuvent passer.
Si nous n'en entendons pas parler, c'est parce que,
grâce à la science et à l'organisation des services britan-
niques, nous sommes venus à bout de ce péril. Parce que
tous les matins 1 000 bateaux et 20 000 hommes armés
de dispositifs compliqués travaillent avec acharnement
à débarrasser nos eaux des torpilles qui y ont été jetées
dans la nuit. Nous n'entendons pas parler souvent de
ces travaux ni des hommes qui les font ou les dirigent.
Nous acceptons naturellement le travail héroïque du
Salvage Service (Service de Récupération) qui nous a
rendu depuis la guerre plus d'un million de tonnes de
bateaux qui autrement auraient été perdus.
Les articles et les discours qui critiquent la conduite
de la guerre et « démontrent » combien sont incapables
ceux qui la conduisent reçoivent tous les jours une
publicité à grand tapage.
Mais les services désintéressés de nos marins et leur
dévouement qui nous apportent tous les jours la preuve
de l'intégrité de notre vie nationale, de la puissance
d'adaptation et de l'ingéniosité jamais surpassées de
l'esprit britannique, de la ténacité indomptable et de
l'esprit de persévérance du citoyen anglais, grâce auxquels
I

•nous avons vécu et vivrons et grâce auxquels nous pour-
rons sauver le monde et nous-mêmes, ces qualités que
nos ennemis connaissent bien, sont parfois sous-estimées
par certaines personnes de chez nous.
Je suis obligé de revenir en arrière jusqu'au commence-
ment du conflit. En janvier, Hitler fit un discours dans
lequel il nous menaçait de la ruine en insistant sur la
puissance de ses forces navales et aériennes combinées
qui, espère-t-il encore, nous forceront à capituler devant
la menace de la famine.
Au printemps, nos sous-marins entreront en action
et « ils » verront que nous ne nous sommes pas endormis
(cris et acclamations). L'aviation aura sa part et nos
forces armées tout entières obtiendront une décision
"
"
coute
que coute.
Dès le mois de janvier, la Chambre s'en souvient,
nous instituâmes la « Direction des Importations »
groupant les principaux organismes importateurs sous la
présidence du ministère des Fournitures et la« Direction
de la Production » placée sous l'autorité du ministère
du Travail.L'objet principal du premier de ces services
est des' occuper de toutes les questions d'importation,
d'améliorer les différentes formes de transport et de
résoudre les nombreux et délicats problèmes que soulève
l'organisation du travail dans les ports. Cet organisme
se charge également de répartir les différentes catégories
de produits importés parmi ces services.
Au début de mars, devant le triste bilan des bateaux
coulés, j'ai cru bon d'annoncer le commencement de
la« Bataille de l'Atlantique». Je l'ai fait pour attirer
l'attention de tous sur cette lutte pour la vie et pour
insister sur la gravité sans cesse croissante des attaques
dont nous menace Hitler.Puisque nous siégeons en séance secrète, je vais lire
les instructions que j'ai préparées et qui furent remises,
après accord du cabinet, à tous ceux que la question
intéresse directement.
*
BAT AILLE DEL' A TLANTIQ!!E
Instructions du ministre de la Défense
Divers rapports sur l'Allemagne nous portent à
croire que la Bataille de l'Atlantique est commencée.
Il nous appartiendra au cours des prochains mois
de faire échouer l'effort tenté par l'ennemi _pour nous
couper les vivres et pour nous séparer des Etats-Unis.
À cet effet:
1° Nous devons lutter contre les sous-marins et les
avions Focke-Wulf partout et chaque fois que la chose
sera possible. Il faut faire la chasse aux sous-marins, il
faut les bombarder dans leurs chantiers de construction
et dans les ports. Il faut attaquer les Focke-Wulf et
autres bombardiers dans les airs et sur les aérodromes;
2° Accorder une priorité absolue aux travaux des
catapultes et autres appareils de lancement d'avions
sur les bateaux. Notre aviation de chasse doit pouvoir
protéger les convois contre les attaques de l'aviation
allemande. D'ici quelques jours des projets seront
presentes a ce sujet ;
3° Toutes les mesures déjà approuvées et entrées en
vigueur pour la concentration des forces du « Coastal-
Command »(Défense des côtes) sur les côtes Nord-Ouest
et leur entrée en action sur la côte Est, - il s'agit en
l'espèce des Fighter et Bomber Command (avions de
combat et bombardiers) - devront être appliquées avec
un rythme accru. On est en droit d'espérer que, les jours
augmentant, et nos bateaux adoptant des nouveaux
/
I
'
•itinéraires, la menace sous-marine sera réduite sensi-
blement.L'essentiel est de lutter d'une manière efficace
contre les Focke-Wulf et, si le cas s'en présente, les
JU-98;
4° Devant les besoins croissants de destroyers
d' escorte, il importe de décider si oui ou non les
destroyers américains actuellement en service devront
être envoyés dans les chantiers pour y subir les modifica-
tions nécessaires avant que cette période ne soit dépassée ;
5° L'Amirauté devra étudier à nouveau, en collabo-
ration avec le ministère des Transports, la question de
l'élimination des convois des bâtiments filant entre 13
et 12 nœuds. Elle devra également envisager l'adoption
de cette mesure à titre d'essai provisoire ;
6° L'Amirauté disposera, par priorité, des pièces
anti-aériennes à courte portée et autres armes de
D.C.A. destinées à être montées sur le pont des bateaux
marchands utilisés dans les zones dangereuses. D'ores et
déjà, 200 canons Bofors et pièces du même genre ont été
commandés aux usines et seront mis à la disposition de
!'Amirauté ainsi que les équipages spécialisés. Il faudra
établir un programme de trois mois;
7° Nous devons nous attendre à voir effectuer des
attaques aériennes concentrées sur les ports que nous
utilisons de préférence (ports situés sur la Mersey, la
Clyde et sur le Bristol-Channel). Il faut prévoir la
mise en œuvre de tous les moyens de défense dispo-
nibles. Un rapport sur cette question sera prêt d'ici
une semaine ;
8° Tous les services devront coordonner leurs efforts
pour mener à bien l'énorme tâche que constitue la
remise en état des bateaux endommagés. D'ici la fin
du mois de juin, le tonnage des bateaux à réparer devra
être inférieur d'au moins 400 000 tonnes à celui des
bâtiments se trouvant actuellement sur les chantiers. Il
est d'ailleurs trop tôt pour tirer des conclusions à ce sujet.Le personnel employé à la construction de nouveaux
bateaux qui ne pourraient être achevés avant septembre,
devra être transféré sur les chantiers de réparations.
L'Amirauté a décidé de prévoir un contingent de cinq
mille ouvriers pour les programmes de construction de
navires de guerre ou de réparations ; cinq mille autres
ouvriers seraient affectés aux constructions de bateaux
marchands;
9° Nous ne devrons reculer devant rien pour
simplifier et accélérer les travaux de réparations, même
si une telle méthode comporte certains risques, pour
accélérer la remise en état des bateaux se trouvant dans
les ports britanniques. Quinze jours d'avance signifie-
raient un supplément d'importation de 5 000 000 de
tonnes et un gain d'un million deux cent cinquante
mille tonnes. L'Amirauté a déjà donné des instructions
à tous les officiers dans tous les ports pour obtenir ce
résultat.
D'autres ordres seront donnés de temps en temps et
les officiers commandant les ports devront faire parvenir
aux services compétents des rapports sur ce qui a été
fait ou sur ce qui devrait être fait. Il serait désirable de
réunir une conférence groupant ces différents officiers.
Il leur serait ainsi possible d 'échanger leurs idées.
10° Le ministère a signé avec les patrons et les
ouvriers un accord prévoyant le transfert des équipes de
réparations d'un port à un autre. Cet accord permettra
de disposer d'effectifs de travailleurs supplémentaires.
De toutes façons, il faudra prévoir, le plus tôt possible,
40 000 ouvriers pour les réparations, les constructions
et les travaux dans les docks. Il faudra faire usage d'une
large propagande dans les ports et dans les chantiers afin
que tous comprennent l'importance vitale de leur tâche.
De la même façon, il est désirable que la presse et la
radio soient utilisées à bon escient pour mettre en échec
les manœuvres de la propagande ennemie ;11 ° Le ministre des Transports devra veiller à ce
qu'il ne se produise pas d'engorgements dans les ports
et à ce que les marchandises débarquées soient enlevées
immédiatement. À cet effet, le ministre s'assurera l'aide
et la collaboration de la Direction des Importations. Il
devra envoyer un rapport hebdomadaire à ce dernier
organisme dans lequel il indiquera l'état des travaux,
du matériel, etc ... Ce rapport devra contenir aussi des
instructions précises concernant l'aménagement des
ports et l'utilisation des divers appareils de levage pour
le chargement et le déchargement des cargaisons;
12° Une commission composée de représentants de
!'Amirauté, (Service des Transports) du ministère des
Transports Maritimes, et du ministère des Transports;
se réunira tous les jours et dressera un compte-rendu des
difficultés rencontrées par la Direction des Importations
dans l'accomplissement de sa tâche. Cet organisme sera
chargé de la coordination de ces différentes mesures, et
devra m'adresser un rapport quotidien afin de me per-
mettre d'en référer au Cabinet si le besoin s'en fait sentir ;
13° Les mêmes efforts devront être faits dans les ports
étrangers. À cet effet, des instructions seront envoyées à
tous ceux que la question intéresse. Ces derniers devront
nous adresser des rapports sur la façon dont les mesures
prévues sont exécutées et sur les difficultés qu'ils auront
,
rencontrees.
*
Afin d 'accorder toute mon attention à cette affaire,
afin de pouvoir communiquer toutes instructions néces-
saires pour surmonter les difficultés qui peuvent se
présenter, j'ai organisé des réunions qui ont lieu chaque
semaine et auxquelles assistent tous les ministres ainsi
que les hautes personnalités civiles et militaires. Chacunede ces séances a duré deux heures et demie (il y en a
eu 12) et a été consacrée à un examen complet de la
situation ; aucun détail n'a été négligé. De cette façon,
rien ne fut retardé par manque de décision.
Monsieur Harriman, chargé par le Président
Roosevelt de s'occuper des fournitures envoyées par
les États-Unis à notre pays, se joignit rapidement à nous
et nous accorda sa précieuse collaboration.
Ces réunions appuyèrent les travaux de la Direction
des Importations et, maintenant que les choses ont pris
un cours plus normal, j'espère que nous pourrons nous
contenter d'une réunion tous les quinze jours.
Je fus aidé dans mes travaux non seulement par les
Services des Statistiques du Professeur Lindmann mais
aussi par les membres du secrétariat du Cabinet. Ces
deux organismes étudiaient les rapports hebdomadaires
envoyés par les divers services et attiraient mon attention
sur les points faibles et les erreurs. Si je donne tous ces
détails c'est parce que j'estime que l'heure n'est pas
aux critiques et aux réclamations, parfois pleinement
justifiées, qui sont faites par des membres du Parlement
mal informés sur des mesures souvent prises avant qu'ils
n'aient connaissance des motifs qui les ont provoquées.
Il serait imprudent et inutile de discuter en public
de toutes ces questions car l'ennemi pourrait en tirer
profit.J'exposerai bientôt à l'assemblée les résultats de
nos efforts jusqu'à ce jour.
En attendant, une autre question doit retenir notre
attention ; notre politique de guerre, l'entretien de nos
troupes stationnées à l'extérieur, l'envoi vers l'est de 30
ou 40 000 hommes par mois aussi bien que les condi-
tions de vie qui sont imposées à notre peuple, toutes
ces questions dépendent directement de l'importationet des bateaux disponibles à cet effet. Il nous faut en
effet dresser le bilan de nos importations pour 1941
comme le Chancelier de !'Échiquier dresse son budget
pour l'année.
En ma qualité de ministre de la Défense, j'ai soumis
au Cabinet les propositions concernant l'importance et
les caractéristiques des trois subdivisions de nos forces
armées et la nature des importations dont nous avons
besoin.
Je vais lire devant vous le mémorandum qui contient
les projets dont nous nous sommes fixé la réalisation
pour cette année en ce qui concerne les importations.
Là encore, je crois utile de lire mon mémorandum
du 26 mars car je désire amener l'Assemblée à accor-
der toute sa confiance au Gouvernement. Je dois faire
remarquer que les chiffres qu'il contient ne devront
être communiqués au public sous aucun prétexte.
Je répondrai aux critiques qui sont élevées ici et à l' exté-
rieur, suivant lesquelles nous manquons de prévoyance
et nous n'agissons pas suivant un plan conçu à l'avance.
Quelqu'un supposerait-il que nous passons notre
temps à nous congratuler et à nous admirer les uns
les autres ?
Je ne le pense pas, et sur ce point je prends mes
collègues à témoin, qu'aucune des phrases méprisantes
utilisées par ceux qui me critiquent ne se trouve dans le
langage dont je me sers habituellement, et cela, ni dans
les paroles que je prononce, ni dans mes écrits. En fait,
je m'étonne que la plupart de mes collègues m'adressent
encore la parole. Ils ne le feraient certainement plus si je
m'étais plu à tout critiquer à tort et à travers. Liés comme
nous le sommes par un but commun, les hommes qui
se sont donné la main pour travailler ensemble se sontassigné une énorme tâche et j'espère qu'ils n'hésiteront
pas à la poursuivre. C'est le devoir du Premier ministre
d'user des pouvoirs qu'il a reçus du Parlement et du
Pays pour diriger les autres et, dans une guerre comme
celle que nous traversons actuellement, ces pouvoirs
doivent être utilisés sans considération aucune quant
aux sentiments de chacun. Si nous la gagnons personne
n'y trouvera sujet à critique. Si nous la perdons, il n'y
aura plus personne pour critiquer.
Voici maintenant mon mémorandum du 26 mars :
*
Nous devrions admettre pour 1941 un volume
d'importations s'élevant à 31 millions de tonnes au
moins. Sur cette base, on ne peut pas attribuer plus de
15 millions de tonnes au ministère du Ravitaillement
et 1 million de tonnes au ministère du Commerce.
Il reste donc 15 millions de tonnes pour le ministère des
Fournitures contre les 19 millions de tonnes prévues dans
le programme dit« des 35 millions ». Le ministère des
Fournitures devra cependant appliquer une diminution
de 4 millions de tonnes pour laquelle il sera nécessaire
d'établir un programme. Cette réduction devra porter
sur les métaux ferreux, le bois de construction et la pulpe.
Étant donné qu'il nous est maintenant possible d'acheter
de l'acier aux États-Unis, le maintien en vigueur de la
réglementation relative aux industries sidérurgiques
n'est plus un facteur indispensable à la conduite de la
guerre. Nous devons importer sous un petit volume et
choisir les itinéraires les plus courts possibles. Ce principe
s'applique également à nos importations de denrées
alimentaires.
Si le chiffre total de nos importations tombait au-
dessous de 31 millions de tonnes, le déficit exigeraitl'intervention du ministère du Ravitaillement et celle du
ministère des Fournitures. Il faudrait envisager la base
suivante: réduction d'une tonne de vivres pour deux
tonnes de fournitures. Si les importations dépassaient
31 millions de tonnes, le surplus serait réparti suivant
les mêmes proportions. Cette question sera étudiée en
automne après la moisson.
Les ministères de l' Agriculture et du Ravitaillement
devraient élaborer un programme de dix-huit mois sur
la base des 15 millions de tonnes enregistrées en 1941,
en utilisant si besoin les réserves de viande pour couvrir
la consommation des six prochains mois, mais aussi en
s'efforçant, grâce à des produits importés sous forme
concentrée, d'assurer à la population une nourriture aussi
variée que possible. En choisissant une période de dix-
huit mois, il doit être possible d'éviter des changements
brusques dans notre politique, de se servir des conserves
pour boucher les trous et pour faire le meilleur usage
possible du tonnage dont nous disposons.
*
Ce programme exige une répartition de nos forces
armées. L'aviation devra être développée au maximum,
dans les limites fixées par le tonnage d'importation et
en tenant compte des priorités et des engagements.
Le programme de constructions navales de l' Amirauté
a été modifié de manière à assurer une marge disponible
cette année au détriment des projets à longue échéance
qui, quelle qu'en soit l'importance, devront perdre leurs
droits de priorité tant que la crise actuelle n'aura pas
été dépassée. Je me suis vu obligé de donner des ordres
sévères au ministère de la Guerre, d 'abord pour que ses
demandes de main-d' œuvre soient réduites, et ensuite
pour obtenir la formation d'un plus grand nombre dedivisions blindées et de corps de spécialistes, en raison
de l'importance croissante des armes modernes.
L'importance et les effectifs de nos armées n'ont
pas été révélés et ce n'est pas moi qui vous donnerai
de chiffre exact.
Je voudrais pourtant, puisque nous sommes en
séance secrète, corriger quelques exagérations. Certains
parlent de 4 ou 5 millions d'hommes. Si les Allemands
le croient, tant mieux, ne les rassurons pas. Néanmoins
le chiffre réel de nos effectifs représente à peu près
la moitié de celui dont j'ai parlé. Il faut ajouter à ce
chiffre la « Home Guard » (1 million d'hommes) et
les troupes des Dominions, des Indes et des Colonies
(1750000 hommes).
Afin d'adapter les besoins en hommes du ministère de
la Guerre à ceux de !'Aviation et de la Marine et à leurs
capacités matérielles, j'ai dû demander à mon distingué
collègue, le secrétaire d'État à la Guerre, d'accepter une
réduction d'environ 500 000 hommes. C'est chose faite
et toutes les mesures nécessaires ont été prises en vue
de faire face aux besoins.]' ai averti l'Assemblée que je
m'opposerai à toute nouvelle modification, tendant à
amoindrir ou désorganiser l'armée. On pourra faire
appel aux soldats en cas de force majeure, mais il ne
faut pas les ôter à leur entraînement.
Dans quelques mois, ou moins, nous pourrons avoir
à supporter la plus affreuse invasion que le monde
aura jamais vue. L'ennemi, pour nous anéantir à tout
jamais, n 'hésiterait pas à sacrifier un million de soldats.
Et s'il débarque, à nous de faire en sorte qu'il y perde
ce nombre d'hommes voire plus. Dans ce but il faut
que nous entraînions le plus grand nombre possible
de soldats. Il faut qu'ils soient actifs, bien disciplinés,qu'ils sachent se servir habilement de leurs armes, et
qu'ils soient au courant de toutes les manœuvres que
notre expérience peut nous suggérer. Mais il est hors
de question d'ôter les soldats à leurs effectifs ou d'en
détruire l'ordre et la symétrie.
] e viens à parler du problème du charbon. Nous
faisons de gros efforts pour le résoudre. Si nos efforts
restent sans succès nous grelotterons cet hiver. Mais il
vaudra mieux souffrir du froid que priver de charbon nos
fabriques de munitions ou rappeler les 50 000 mineurs
qui sont sous les armes. Ces mineurs sont des soldats
magnifiques et je regrette de ne pouvoir permettre à un
plus grand nombre d'entre eux d'échanger leurs pics
pour des fusils, comme ils seraient fiers de pouvoir le
faire. Je crois pouvoir affirmer que le meilleur usage
de nos forces a été fait jusqu'à présent mais naturelle-
ment, d'ici la fin de l'année, des changements sont à
prévoir.J'espère que la puissance croissante de nos forces
aériennes et l'amélioration constante de nos méthodes
de défense contre les attaques de nuit nous permettront
de donner des renforts à l'armée pour combler ces
pertes. Nous pourrons accomplir ceci en recherchant
des recrues parmi l'A.D.G.B. (Défense de la Grande-
Bretagne contre les attaques aériennes) qui compte
aujourd'hui 500 000 hommes. Nous avons besoins de
170 000 femmes. Si nous les trouvons, elles pourront
libérer un nombre correspondant d'hommes qui sont
pour le moment attachés aux batteries de D.C.A. et
aux services des projecteurs. Il y a des tâches de toute
première importance que les femmes peuvent accomplir
aux côtés des soldats de l'A.D.G.B.
Laissez-moi revenir maintenant au problème des
bateaux et du tonnage. Voyons quels résultats ont suivimes directives du 6 mars aussi bien que les incessants
efforts de mes collègues dans ce domaine. Le seizième
rapport du comité sur la Dépense Nationale (Select
Comittee on National Expenditure), qui fut publié
la semaine dernière, témoigne qu'un progrès consi-
dérable dans l'aménagement des ports ad' ores et déjà
été obtenu.
Il reste beaucoup à faire et beaucoup doit être fait si
nous voulons résoudre cette partie du problème. Il ne
pourrait y avoir de meilleur sujet pour un débat public
que le contenu de ce rapport pénétrant et équilibré.
Mais je ne veux pas que ce débat prenne place avant
que l'Assemblée n'ait eu connaissance de notre plan et
de nos projets et ne puisse juger chaque chose par elle-
même. Un débat sur ce qui est appelé la production
pourrait très bien être axé sur ce rapport. Il pourrait
bien entendu être étendu aux conditions régnant dans
les usines et les mines.
Prenons d'abord le côté opérations navales. 300
Bofors (canons de D.C.A.) et 100 canons, type H.S.
ont été installés sur les navires marchands et les équi-
pages recrutés par le War Office pour les utiliser.
Des centaines d'autres mitrailleuses et d'autres armes
de nouveau modèle ont également été montées sur
les navires. Un vaste plan fut préparé pour améliorer
les équipages de la marine marchande dans l'utilisation
de ces armes. Des autobus spécialement aménagés sont
utilisés pour l'entraînement pratique et l'instruction.
Ce qui commence dès maintenant à donner des résul-
tats. Les renforts considérables d 'avions à long rayon
d 'action, - les Hudson et les Whidey- qui furent
envoyés en mars et avril à l'ouest sont maintenant en
actlvlte.


INous avons reçu des États-Unis un grand nombre
d'avions du type « Catalina » que nous avons convertis
en appareils de combat. Ce sont de superbes hydra-
vions à long rayon d'action, qui viennent en aide à nos
« Sunderland ».
C'est un « Catalina » qui a repéré, le premier, le
« Bismarck». Un certain nombre de vaisseaux du type
spécial portent des avions « Hurricanes » et les lancent
par catapultes. Ces vaisseaux patrouillent les mers ; un
nombre toujours plus grand de bateaux marchands
sont agencés pour porter chacun un « Hurricane ».
Les premiers commencent à revenir d'Amérique avec
les convois. Chaque convoi dans le Nord de l'Atlantique
aura bientôt un vaisseau portant à bord un avion qui peut
être catapulté et s'attaquer avec d'excellentes chances
aux Focke-Wulf maraudant dans ces parages.
De nouveaux champs d'atterrissage dans le nord
de l'Irlande, dans les îles Hébrides et en Islande, sont
en voie de construction rapide. L'Islande est un point
stratégique de toute première importance et j'espère
pouvoir vous en parler prochainement. Jusqu'à pré-
sent, ces mesures n'ont pas encore eu tout leur effet.
Mais voyez comme les pertes causées par les attaques
aériennes ont déjà diminué. Voici les chiffres à mille
' :
tonnes pres
Février
Mars
Avril
Mai
Juin (à ce jour)
86
69
59
21
18
000
000
000
000
000
tonnes
tonnes
tonnes
tonnes
tonnesDonc ces attaques aériennes auxquelles Hitler
attachait tant d'importance et qui nous paraissaient
si menaçantes n'ont pas empiré. Au contraire, elles
semblent aujourd'hui avoir considérablement diminué.
Je ferai remarquer aux membres de la Chambre des
Communes que nos avions ne servent pas qu'à défendre
les convois. Ils servent aussi à chasser les avions enne-
mis et les empêchent de repérer leurs sous-marins pour
leur indiquer nos convois. En même temps, nos avions
guident nos destroyers et nos corvettes et leur permettent
d'attaquer les sous-marins allemands. Repoussées par ces
mesures, les forces ennemies en sont réduites à s'éloigner
de nos côtes et sont obligées de s'en tenir à la moitié
Ouest et au Sud de l'Atlantique. Ainsi, nous les renvoyons
dans la zone que les vaisseaux américains occupent plus
efficacement chaque jour. Et, en même temps, nous
détruisons cette liaison, pour nous très dangereuse, entre
les avions et les sous-marins ennemis dans laquelle Hitler
mettait son espoir, encouragé par ses conseillers.
Il va sans dire que j'espère recevoir beaucoup plus
d'aide des États-Unis, mais cela viendra en son temps,
et avec l'aide de Dieu, j'en suis certain.
Pour l'instant nous faisons face à de grandes diffi-
cultés. Les vaisseaux d' escorte américains ne sont pas
encore assez nombreux dans les zones que le Président
leur a assignées et le danger des sous-marins est si grand
que nous devons escorter nos bateaux pendant tout la
traversée de l'Atlantique.
Ceci veut dire qu'avec le petit nombre de vaisseaux
anti-sous-marins que nous avons à notre disposition,
nous ne pouvons leur donner que la moitié des navires
d' escorte dont ils ont besoin. Mais nous espérons
prochainement une amélioration. Le nombre desvaisseaux coulés l'hiver dernier a porté beaucoup de
gens à croire que le système des convois n'est pas effi-
cace. Jusqu'au mois de mars dernier les bateaux filant
15 nœuds ou plus voyageaient seuls, se fiant à leur
vitesse. L'Amirauté, qui avait été forcée d'accepter le
système des convois pendant la première guerre, est
aujourd'hui la première à le défendre. Néanmoins il
nous a paru raisonnable d'essayer d'envoyer seuls des
vaisseaux filant 13 nœuds ou plus, puis des vaisseaux
filant 12 nœuds ou plus.
L'expérience semble avoir démontré que le système
des convois est le meilleur, à moins que les vaisseaux
ne soient très rapides. Malgré les grands convois et
l'insuffisance de navires d' escorte due à notre pauvreté,
nous avons décidé d'en revenir à 15 nœuds. Les navires
de moindre vitesse ne prendront plus la mer sans être
,
accompagnes.
Je veux vous assurer que toute la question des convois
a été non seulement étudiée mais mise à l'épreuve et
que !'Amirauté aussi bien que le ministère de la Marine
Marchande - aujourd'hui ministère des Transports
de Guerre - acceptent tous deux cette vitesse limite
de 15 nœuds.
Je reviendrai tout à l'heure aux opérations navales,
mais pour l'instant je voudrais discuter la question des
ports. Au début de mars, il y avait deux millions six
cent mille tonnes de vaisseaux endommagés dans nos
ports dont 930 000 tonnes représentaient des bateaux
qui étaient en réparation pendant qu'on les chargeait ou
déchargeait. Mais 1 700 000 tonnes de bateaux étaient
complètement immobilisées.
Ce sont ces bateaux immobilisés qui nous causent
les plus grandes difficultés. Ainsi que l'indiquent mesdirectives du 6 mars que je viens de vous lire, mon but
était de réduire ce tonnage de 400 000 tonnes avant le
1er juillet. Mais plus tard nous avons décidé d'augmenter
ce chiffre et de le porter à 750 000 tonnes avant cette
date. Nous avons été durement frappés par les attaques
aériennes faites contre la « Mersey » et la « Clyde » au
début du mois de mai. Ces attaques ajoutèrent des
milliers de tonnes à nos pertes en mer. Un certain
nombre de vaisseaux qu'on avait jugé perdus ont été
récupérés et mis en chantier par le « Salvage Service ».
Néanmoins, malgré ces vaisseaux retrouvés en bon ou
mauvais état, le nombre en tonnes de vaisseaux immo-
bilisés dans les chantiers ne se monte au 12 juin qu'à
un million de tonnes. Ceci représente un gain qui n'est
pas tout à fait de 750 000 tonnes espérées mais s'en
approche beaucoup. Le chiffre est de 700 000 tonnes.
Rappelons-nous, avant de chanter victoire, qu'il
y a toujours pendant l'été, une diminution des pertes
navales, en dehors de l'action même de l'ennemi.
Néanmoins, les chiffres que j'ai cités font naître non
seulement le soulagement mais aussi la satisfaction.
Jetons un coup d' œil sur quelques-unes des mesures
qui ont permis d'arriver à ce résultat. La première de
toutes est, évidemment, l'effort prolongé que nous
faisons pour accroître la capacité de travail quant aux
réparations des navires marchands. Il y a maintenant,
dans les chantiers navals privés travaillant aux coques de
vaisseaux, 11 000 ouvriers de plus qu'à la fin de janvier.
Il y a eu également un transfert défini d'unités de la
marine de guerre à la marine marchande. Le ministère
du Travail a fait dans ce sens un effort considérable.
Une autre économie dans le travail en cale sèche a
été obtenue par une simplification de la démagnétisationdes coques. Les fidèles et courageux serviteurs de l'État
qui maîtrisèrent les mines magnétiques aspiraient natu-
rellement à tendre vers la perfection dans le système
de démagnétisation. Nous devons évaluer les risques
avant de remettre trop rapidement les navires à flot.
Il est maintenant très rare qu'un bâtiment soit retardé
du fait de réparations ou d'aménagements concernant
cette démagnétisation ; ils sont même effectués pendant
le chargement et le déchargement du navire. Ou bien
encore nous acceptons tout simplement de prendre
des risques.
Avec l'aide de Mr. Harriman, des installations de plus
en plus complètes et permanentes sont faites dans les
ports américains. Grâce à ce seul procédé nous pouvons
facilement gagner deux ou trois jours pour des répara-
tions en cale sèche. D'autres gains ont été obtenus par
une action concertée plus efficace entre les autorités
navales militaires et civiles des ports, et bien qu'il me
soit impossible de donner des chiffres exacts, les résultats
sont certainement substantiels et seront encore accrus
dans un proche avenir. N'oubliez jamais que gagner
une seule journée sur la réparation d'un navire équivaut
à un quart de million de tonnes de nos importations
effectives d'une année.
Je n'ai jamais admis l'excuse de la congestion de
nos ports, car, en dépit de toutes nos difficultés, nous
n'avons en fait à envisager qu'un trafic inférieur de moitié
à celui d'avant-guerre. Toutefois nous faisons un très
gros effort. Les gares de triage de l'intérieur du pays,
qui permettent d'évacuer rapidement les marchandises
des quais soumis aux bombardements aériens ennemis,
ont donné des résultats dignes d'éloge. Six d'entre elles
sont en construction pour dégager nos ports de la côteouest. La première entrera en service partiel au cours
du mois de septembre. Pour tirer le maximum de nos
ports des « South Wales » nous sommes en train de
quadrupler la ligne de chemin de fer entre Newport et
le tunnel de Seyern; une partie de ces lignes est déjà en
activité. Il y a parfois des embouteillages de transport
aux nœuds ferroviaires dans la partie ouest de l'île. Ces
nœuds doivent en effet fournir un effort beaucoup plus
grand que celui pour lequel ils avaient été construits.
Ceci est en voie d'aménagement.
Des perfectionnements ont été apportés dans le
déchargement des bateaux à l'ancre. Ils' agit d'un allège-
ment d'ordre général, plus particulièrement en cas d'une
très forte attaque. Nous mettons sur pied un programme
en vue de l'accroissement de nos grues de déchargement,
à la fois pour équiper nos nouveaux ports de secours
et pour rendre plus souples les déchargements pendant
une attaque. Au cours du seul mois de mai, 108 grues
mobiles ont été fournies par les usines britanniques et
américaines, alors que dans les quatre derniers mois la
moyenne était de 50. ]'outrepasserais mes droits si je
donnais à la Chambre plus de détails sur cette lutte.
Je suis maintenant à même de donner une conclusion.
Nos pertes et celles de nos alliés, en navires, ont été très
lourdes ces derniers temps.
Au cours des douze derniers mois elles s'élèvent à
4 600 000 tonnes. L'ennemi varie sans cesse sa façon
d'attaquer pour éviter nos représailles. Nous lui donnons,
en particulier, du fil à retordre dans le Nord-Ouest.
Il fait des apparitions près des bancs de Terre-Neuve
et même plus près encore de la côte américaine. Nous
déployons plus largement nos navires d' escorte et nos
porte-avions, les États-Unis seront bientôt à m êmed'entrer dans le conflit, et l'ennemi développe des
attaques importantes et efficaces de sous-marins près
de Dakar et dans la région des îles du Cap-Vert. Chaque
mouvement, chaque nouvelle invention d'un côté est
suivie d'une contre-attaque sur un autre.
C'est parce qu'il est vital que l'ennemi ne sache
pas quel succès couronne ces mouvements que nous
nous proposons, dans un proche avenir, de cesser la
publication mensuelle des pertes navales. Nous avons
publié les chiffres extrêmement lourds du mois de mai,
et aussi les arriérés, qui nous étaient parvenus plus
tard, des pertes d'avril et de mars. Les chiffres d'avril
et de mais' enflaient des pertes subies au cours des durs
combats en Méditerranée. Il semble que les chiffres de
juin apporteront une amélioration, à moins qu'une
flottille de sous-marins, surprenant un de nos convois, ne
vienne bouleverser nos prévisions. Aujourd'hui, 25 juin,
cinq jours avant la fin du mois, nous pouvons espérer
ne pas dépasser 300 000 tonnes. Mais de nouveau il
peut y avoir de l'arriéré. La situation au mois de juin
sera toutefois certainement meilleure qu'en février et
mars, mois où Hitler se vantait de nous abattre par la
furie de ses attaques.
Après le mois de juin nous ne publierons plus aucun
chiffre. C'est donner trop d'aide à l'ennemi que lui faire
connaître chaque mois le succès ou l'insuccès de ses
attaques différentes et répétées. Il sait que nos chiffres
sont exacts, ils sont pour lui de la plus grande valeur.
Je ne doute pas que !'Amirauté allemande ne payerait
pas 1 OO 000 livres par mois pour cette information que
nous donnons et établissons si méticuleusement. Nous
n'avons rien en échange. L'ennemi ne nous donne que
ces mensonges extraordinaires, ces exagérations, auxquelsplus personne ne croit depuis longtemps. Notre tâche,
notre effort pour survivre, sont déjà suffisamment diffi-
ciles sans que nous ne devenions une branche active du
Service de Renseignements allemand. Cette mesure fera
pousser des hurlements, non seulement aux Allemands,
mais aussi à quelques patriotes bien intentionnés de cette
île. Laissons-les hurler. Nous devons penser d'abord
à nos marins, de la marine de guerre et de la marine
marchande, à la vie de nos paysans, à la vie de tous
nos compatriotes, effrayés du péril qui nous menace.
Ce serait une grande faute de gonfler démesurément nos
malheurs. Je ne partage pas la façon de voir de certaines
personnes. Elles croient rendre service au pays en se
vautrant dans ce que notre situation comporte de plus
sombre et de plus inquiétant. L'autre jour, notre grand
ami le Président Roosevelt cita quelques chiffres concer-
nant nos pertes par rapport aux nouvelles constructions
anglaises et américaines. Son discours était des plus
effrayant et des plus alarmant. Il n'y avait rien de très
neuf dans ces faits et dans ces chiffres, et nous avions
donné par avance notre assentiment au Président. Son
discours eut certainement un très mauvais effet dans
les pays attentistes, en Espagne, à Vichy, en Turquie
et au Japon.
L'ambassadeur japonais, en prenant congé l'autre
jour, me questionna anxieusement au sujet de ce rapport
de Monsieur Roosevelt. Il pensait qu'il pourrait être un
facteur important concernant une décision défavorable
du Japon.
La Chambre des Communes ne doit pas sous-estimer
le danger de notre situation. Nous ne pouvons pas nous
permettre d'avantager l'ennemi par nos informations
navales pas plus que de peindre notre état des couleursles plus sombres aux yeux des neutres, décourager nos
amis, et encourager nos ennemis.
Je terminerai en disant que le volume de nos impor-
tations pour 1941 devrait s'élever à 35 millions de
tonnes. Ce chiffre doit être absolument tenu secret. Si
nous pouvons arriver à l'atteindre, nous suffirons à notre
existence en Angleterre aussi bien qu'à notre effort de
guerre dans l'Est, sans d'autres restrictions sérieuses.
Si nous n'y arrivons pas, nous serons définitivement
affaiblis dans notre lutte pour la vie, nous perdrons
notre droit de respirer un air libre. Mais je crois que
nous y arriverons et même qu'il y aura quelque progrès.
Cela deviendra certain si nous obtenons une aide plus
directe de la flotte et des porte-avions des États-Unis
et encore bien davantage si les États-Unis entrent dans
la guerre au bon moment.
Si nous pouvons repousser ou éviter une invasion
cet automne, nous serons à même, d'après l'aide que
doivent nous apporter les États-Unis, de terminer sans
difficultés l'année 1941. En 1942, nous espérons avoir
définitivement la suprématie aérienne et être capables,
non seulement de bombarder efficacement l'Allemagne
mais aussi de redresser, dans une certaine mesure, les
effroyables désavantages stratégiques dont nous souffrons
en raison de l'actuel contrôle allemand sur les ports
aériens de l'Atlantique. Si nous pouvons empêcher
l'ennemi d'utiliser entièrement ou partiellement les
ports et les aérodromes de l'Atlantique, il n'y a aucune
raison pour quel' année 1942, au cours de laquelle nous
pourrons utiliser les nouvelles et énormes constructions
américaines, ne se présente avec moins d'épreuves inquié-
tantes que celles que nous endurons à l'heure actuelle.
Encore un mot.N'oublions pas quel' ennemi connaît aussi des diffi-
cultés ; que quelques-unes d'entre elles sont évidentes ;
qu'il peut y en avoir d'autres qui sont plus apparentes
pour lui que pour nous ; et que toutes les grandes luttes
de l'histoire ont été gagnées par une volonté supérieure,
qu'elles furent un triomphe sur la malchance et que
bien souvent il s'en fallut de très peu.QUATRIÈME DISCOURS
LA CHUTE DE SINGAPOUR
(Discours du 23avril1942)LA GUERRE EN ORIENT
Ce discours fut prononcé par Mr. Winston Churchill
lors d'une séance secrète à la Chambre des Communes le
mercredi 23 avril 1942. Prononcé pendant les jours sombres
qui suivirent Pearl Harbour, il traite successivement de la
chute de Singapour, des pertes de la Marine britannique,
de la guerre sous-marine. Il s'accorde bien, tant dans la
forme que dans le fond, avec le fameux discours au cours
duquel l'ancien Premier britannique prononça la phrase
tragique : «je n'ai à vous offrir que du sang et des larmes. »
Lors des séances secrètes de la Chambre des Communes
qui eurent lieu pendant la guerre, toutes les issues étaient
gardées par la police et seuls étaient p résents les membres
qui, avant d 'être admis, devaient avoir prêté « serment ».
Mr. Churchill tenait l'unique exemplaire du discours
écrit. Pendant toute la durée de la guerre jamais mot n'en
transpira ni en Europe, ni en Amérique.que le Japon s'est déclaré notre ennemi et
quoique les États-Unis soient devenus nos alliés depuis
le 7 décembre, le poids de la guerre s'est fait sentir
plus lourdement. Nous avons subi depuis une série de
déboires en Extrême-Orient.
Si l'on excepte la défense acharnée de la péninsule
de Bataan par les Américains, presque tout le poids
del' offensive japonaise est retombé sur nous et sur les
Hollandais. La flotte américaine n'a pas encore rega-
gné le contrôle du Pacifique qu'elle avait perdu après
Pearl Harbour et, tant que nous sommes en guerre
avec l'Allemagne et l'Italie, nous n'avons pas de forces
navales suffisantes pour défendre l'océan Indien contre
des forces japonaises d'importance.
Avant l'entrée en guerre des Japonais, nos effectifs
militaires, aériens et navals, étaient déjà entièrement
développés sur les théâtres d'opérations de la mer du
Nord, de l'Atlantique et de la Méditerranée. Nous avons
concentré toutes nos forces disponibles pour faire face
à un nouvel et formidable adversaire.
Mais malgré tout ce que nous avons pu faire et malgré
les risques que nous avons pris et que nous continuons à
prendre, les forces japonaises de terre, de mer et del' air
nous ont dominé et continuent à nous dominer sur le
théâtre d'Extrême-Orient. Il faut accepter ces faits si l'on
veut comprendre ce quis' est passé et ce qui va se passer.
DEPUISDès le début de notre lutte contre Hitler, j'ai
espéré l'entrée en guerre des États-Unis. L'idéal eût
été que les États-Unis entrent en guerre et que le Japon
s'en abstienne. Mais je n'ai jamais cru que les pertes
que pouvait nous infliger le Japon sur notre front
d'Extrême-Orient, mal défendu, seraient un prix trop
élevé en échange des immenses ressources et de la
puissance que nous apporterait une Amérique indis-
solublement liée à nous et à notre cause.
C'est encore aujourd'hui mon opinion. Mais j'admets
franchement que la violence, la furie, l'habileté et la
puissance du Japon ont dépassé toutes mes prévisions.
Les exploits militaires du Japon en Chine n'avaient pas
paru extraordinaires. La Chine avait toujours été un
pays faible, divisé et, par tradition, peu guerrier. Nous
savions qu'elle était mal armée, mal équipée, surtout
en armes modernes. Et pourtant, malgré quatre ans et
demi de guerre au cours desquels les Japonais mirent en
campagne jusqu'à un million d'hommes à la fois, ils ne
purent arriver à soumettre les Chinois. Ceci aurait pu
sembler indiquer la conduite à suivre. Les événements
vinrent contredire les faits.
Nous ne nous attendions pas non plus à l'éclipse et
à la paralysie de la puissance navale américaine dans le
Pacifique après le désastre de Pearl Harbour ...
Il faut que la Chambre des Communes accepte
franchement la situation. Non seulement nous n'avons
pu enrayer l'avance des Japonais, mais nous avons été
obligés d'atténuer l'offensive que nous conduisions
contre l'Allemagne.En tout et pour tout, depuis l'entrée en guerre des
Japonais et jusqu'à la perte de Singapour, nous avons
débarqué en Malaisie ou transporté de l'Inde en Birmanie
70 000 hommes, 300 pièces d'artillerie, un certain
nombre de tanks et 350 avions, ces effectifs prélevés,
comme je l'ai déjà dit, sur des troupes engagées autre
part. En même temps, nous ôtions au front Levant-
mer Caspienne l'armée australienne pour l'envoyer
au secours des Hollandais aux Indes néerlandaises, ou
encore, en partie, pour défendre le continent australien.
La résistance courageuse de la Russie a seule, jusqu'à
aujourd'hui, rendu possibles ces diversions d'effectifs
dangereuses ...
Pendant ces journées hasardeuses, une série de
malheurs accabla la marine royale. Le 27 septembre,
le Nelson eut l'avant enfoncé par une torpille et dut être
mis six mois en chantier. Le 13 novembre, l'Ark-Royal
(porte-avions de 22 000 t.) fut coulé par une seule
torpille, fait inquiétant pour nos ingénieurs navals. Le
25 novembre, le Barham (cuirassé de 31 000 tonnes)
se perdit au large des côtes de Libye, à la suite d'un
torpillage où 800 hommes périrent. Ici encore, la chance
fut contre nous. Le Prince de Galles et le Repu/se arri-
vaient à Singapour le 2 décembre. Le Prince de Galles,
cuirassé de 35 000 tonnes, était nouvellement construit.
Le Repu/se jaugeait 32 000 tonnes. Le moment semblait
opportun. On espérait que leur présence dans ces eaux
découragerait les Japonais et on avait l'intention de les
retirer aussitôt. J'ai déjà expliqué que ces deux vais-
seaux entreprirent une opération contre des convois
japonais dans le golfe de Siam au cours de laquelle ils
furent coulés. Le soir du 9 décembre j'avais proposé,
pour parer aux lourdes pertes subies par les Américainsà Pearl Harbour, d'envoyer le Prince de Galles et le
Repulse rejoindre la partie de la flotte américaine qui
n'avait pas été endommagée pour la soutenir dans le
Pacifique. Le lendemain matin, on nous annonçait la
perte de ces deux navires. Dès ce moment, nous n'eûmes
plus aucun bâtiment moderne de première ligne dans
l'océan Indien. Ce qui restait de la flotte américaine à
Pearl Harbour fut envoyé aux bases navales de Californie,
à 3 000 kilomètres de là. Depuis ce moment, il n'y a pas
eu entre San Francisco et Aden, ou Capetown, distantes
de l'ordre de 22 000 kilomètres, de flotte capable de
soutenir une bataille avec la marine japonaise.
Ces événements ont des rapports avec le départ
précipité du Scharnhorst et du Gneisenau du port de Brest.
]'ai été frappé par l'impression que le passage de
ces deux navires dans la Manche a faite sur le peuple
anglais. Quant à moi, muni de renseignements précis,
je n'ai vu qu'un incident désagréable mais de beaucoup
moins d'importance que les événements que je viens
de vous raconter. Le nombre des avions lance-torpilles
que nous gardions en Angleterre a été réduit pour
subvenir aux besoins de l'Égypte. Quant à la marine,
nous n'envoyons pas, pour des raisons évidentes, de
vaisseaux de première ligne dans les mers étroites. On a
pourtant attiré l'attention sur le fait que nous n 'avions
que six destroyers disponibles pour attaquer les croiseurs
allemands. Où étaient nos autres effectifs ? Ils étaient et
sont encore dans l'Atlantique pour protéger les convois
de vivres et de munitions qui arrivent des États-Unis et
sans lesquels nous ne pouvons pas vivre. Si l'invasion
devenait à nouveau imminente, nous pourrions
rapidement multiplier nos flottilles dans la Manche.
Les photographies des ports, bassins et embouchuresde rivières ennemis, prises chaque fois que le temps
le permet, nous feraient connaître aussitôt si, comme
pendant l'été ou l'automne de 1940, des rassemblements
de péniches s'y forment à nouveau. En plus, il ne faut pas
oublier qu'en 1940, 150 000 hommes aguerris auraient
pu semer la panique en Angleterre. Aujourd'hui, notre
armée territoriale et notre Home Guard ont pris une
telle ampleur qu'il serait à peu près inutile de tenter
une invasion avec moins de 700 000 hommes, six ou
sept divisions blindées et des milliers de véhicules. Les
énormes mouvements qui seraient le prélude de ce
débarquement seraient inévitablement découverts. Par
conséquent, nous jugeons que nous avons le droit de
nous servir de nos flottilles pour ravitailler l'île, pour
escorter les troupes et protéger les convois russes, et nous
avons également jugé que nous pouvions envoyer en
Afrique une grande partie de nos avions lance-torpilles,
après les pertes que nous avons subies en Méditerranée.
Nous nous portons garants que nous veillerons au danger
d'invasion et que nous saurons y parer. Je ne crois pas
que vous aurez à nouveau à faire face aux dangers réels
qui nous menaçaient en 1940.
Je vais me permettre une digression pour parler du
passage du Scharnhorst et du Gneisenau dans la Manche.
Beaucoup ont vu dans cet incident un événement
extraordinaire et une cause d'alarme. Ces deux vais-
seaux auraient pu, disait-on, s'échapper vers le Sud et
aller en Méditerranée. Ils auraient pu prendre le large et
s'attaquer aux navires de commerce de l'Atlantique. Ils
auraient encore pu se diriger vers le Nord et rejoindre
leurs ports en passant par les eaux norvégiennes. Mais
il ne semblait pas possible qu'ils pussent remonter la
Manche et passer le détroit.Je vais vous lire une lettre de !'Amirauté écrite le
2 février, dix jours avant la fuite des deux vaisseaux:
*
À première vue, ce passage paraît hasardeux aux
Allemands. Il est probable pourtant que, leurs gros
navires n' étant pas efficaces, ils préféreraient faire le
passage sous escorte de leurs destroyers et de leurs avions,
sachant très bien que nous n'avons pas de gros navires à
leur opposer dans la Manche. Il se pourrait donc bien
que nous voyions un jour les deux croiseurs, escortés
d'un croiseur léger, de cinq grands et de cinq petits
destroyers, accompagnés de vingt chasseurs, remonter la
Manche. Tout bien considéré, il semble que les navires
allemands pourraient procéder avec moins de risques
en suivant la côte Est de la Manche, que s'ils essayaient
de passer en Norvège par l'Atlantique.
*
]'ai lu ce document parce que je veux que la Chambre
se rende compte que les affaires publiques ne sont
pas entre les mains d'incapables comme les journaux
comiques voudraient le faire croire, et qu'en particulier,
!'Amirauté qui est un instrument incomparable dans la
sauvegarde de la Grande-Bretagne, malgré les malheurs
et les accidents qui nous sont arrivés, mérite notre
confiance et notre gratitude. La prévoyance et les soins
infinis qu'elle a pris nous ont jusqu'ici préservés du pire
et elle mérite notre respect.
La Chambre verra qu'en novembre et en décembre
del' an dernier, nous avions perdu, ou avions pour long-
temps hors d 'action, sept gros bâtiments, c'est-à-direplus d'un tiers de nos cuirassés et de nos gros croiseurs
et que ceci est arrivé au moment où nos forces s'étaient
étendues pleinement ; au moment où nous devions faire
face à un ennemi qui entrait en lice fort et fraîchement
armé pendant que notre grand allié était temporairement
paralysé en mer. C'est sur cet arrière-plan que je veux
brosser un tableau rapide de la tragédie de Singapour.
Le 7 décembre 1941, il y avait à Singapour et en
Malaisie environ 60 000 soldats britanniques, austra-
liens et indiens, et immédiatement après la déclaration
de guerre nous envoyâmes en Malaisie comme je l'ai
déjà dit, de 40 à 50 000 hommes parmi lesquels se
trouvaient de nombreux services techniques. Après
une longue bataille d'arrière-garde, dans la péninsule
malaise, il y avait, selon le chiffre du ministère de la
Guerre, environ 1 OO 000 hommes assemblés dans l'île
de Singapour. C'était le matin du 3 février. Dans la
nuit du 8 février, 5 000 Japonais environ s'établirent
à l'extrémité nord-ouest de l'île. Ils furent bientôt ren-
forcés par 25 000 hommes. Après cinq ou six jours de
combat confus, l'armée et la forteresse se rendirent.
Les Japonais n'ont pas indiqué le nombre de prison-
niers qu'ils ont pris, mais il ne semble pas qu'il y ait
eu beaucoup de pertes. Cet épisode et les événements
qui y conduisent ne semblent pas en harmonie avec les
autres événements de cette guerre. On a donné plusieurs
explications : l'absence d 'avions due à l'occupation des
terrains d'atterrissage par l'ennemi ; les effets découra-
geants d'une longue retraite ; l'influence énervante du
climat sur les Européens ; le fait aussi que les troupes de
renfort avaient longtemps séjourné à bord des bateaux
et, principalement, les difficultés de la défense causée
par le mélange des troupes avec une population de plusd'un million d'hommes de toutes les races et de toutes les
conditions. Je ne m'étonne pas qu'on ait demandé que
la Commission royale fasse une enquête, non seulement
de ce qui conduisit directement à l'agonie de Singapour,
mais aussi des plans qui avaient été faits auparavant.
Je suis convaincu que cette enquête ne vaudrait rien
pour le pays et qu'elle ralentirait nos progrès ...
Nous aussi, nous avons à faire face à tant de difficultés
qu'il ne serait pas possible d'ajouter ce fardeau à celui
que nous portons déjà. Je demande donc à la Chambre
de soutenir le Gouvernement. Ce n'est pas mon désir
de protéger ni des individus ni l'administration. C 'est
dans l'intérêt de l'État et pour la bonne conduite de
la guerre.
La chute prématurée de Singapour détermina les
échecs de la résistance à Java et à Sumatra.
Mais cela devait arriver de toute manière, compte
tenu de la décisive supériorité japonaise en nombre et
en organisation. Qu'est-il arrivé en Birmanie ? Près de
deux divisions de troupes indiennes et birmanes, avec
quelques rares bataillons britanniques ont, pendant
plus de deux mois, réussi à retarder la puissante avance
japonaise vers le nord. À l'ouest du B.euve Sittang, ces
troupes ont été renforcées par une brigade de tanks
enlevée au commandement du général Auchinleck
(commandant en chef des Armées de Lybie) et par
d'autres renforts britanniques.
Les restes de cette armée - qui, ensemble, équi-
valaient à peu près à trois divisions - furent rejetés
sur Rangoon et y furent encerclés. À ce moment, le
général Alexander arriva de Londres par avion et infusa
une nouvelle vigueur aux troupes lasses et soumises à
la supériorité numérique de l'ennemi.Ayant très soigneusement détruit les aménagements
de la ville et du port, le général Alexander se tailla un
chemin vers le Nord, avec toutes ses forces, et tous ses
transports, ceci après de durs combats.
Pendant ce temps, un certain nombre de divisions
chinoises qui se dirigeaient lentement vers le Sud vinrent
graduellement se mettre en ligne sur notre flanc oriental.
Ces divisions chinoises sont seulement de la force d 'une
brigade anglaise (en France, à peu près 4 à 5 bataillons
d'infanterie et 2 à 3 groupes d'artillerie) mais elles
semblent très capables de combattre les Japonais avec
constance et courage.
Un long front, ténu, fut établi en diagonale face au
Sud et ce front se déplace lentement vers le Nord, vers
Mandalay et Lashio. Les Japonais sont grandement aidés
par les Birmans déloyaux et des contingents mixtes,
siamois et birmans, qui combattent à leurs côtés.
Les forces impériales britanniques sont à cheval
entre Irrawaddy et la grande route de Birmanie qui
part de Rangoon.
Ces forces sont en infériorité numérique par rapport
aux Japonais qui reçoivent régulièrement des renforts
par Rangoon.
Le général Wawell a reçu aux Indes tous les avions
que nous pouvions transporter et faire piloter, ceci au
détriment temporaire des opérations de Lybie conduites
par le général Auchinleck. Les États-Unis de leur côté
envoient de puissants renforts aériens, à la fois en
Chine et aux Indes. Mais tout cela prend du temps ;
les aérodromes dont nous dispositions en Birmanie
étaient insuffisants et insuffisamment protégés. Aussi
l'aviation britannique n'a pu s'y maintenir et des renforts
successifs ont été balayés p ar l'ennemi. Certains mêmel'ont été sur le terrain, alors qu'ils venaient d'arriver.
Le général W awell a aussi à prendre en considération
la défense de la partie Nord-Est de l'Inde, qui peut
être gravement menacée à tout instant. Il n'est donc
pas, pour le moment, en mesure de se dégarnir et ne
doit pas éparpiller ses ressources afin de maintenir
les lignes d'approvisionnement et de renfort en face
de la supériorité japonaise. Sinon, à quoi bon jeter
des boules de neige dans un four pour en diminuer la
température. Des efforts ont été faits pour rééquiper le
corps des volontaires américains combattant avec les
Chinois sous les ordres du général américain Stillwell.
Cet officier supérieur s'est montré un excellent soldat
en même temps qu'un bon camarade et il a établi des
relations des plus étroites avec le général Alexander.
À l'heure actuelle il n'existe qu'un faible appui aérien
pour nos troupes et pour les Chinois. Et le généra-
lissime Tchiang Kai Chek s'en est plaint auprès de
moi. Le soutien aérien qui lui avait été promis ne s'est
pas manifesté lorsqu'il a ordonné à ses divisions de se
mettre en route vers le Sud pour se rendre en Birmanie.
Mandalay et d'autres villes ont été l'objet de raids aériens
très sévères avec de lourdes pertes. Un énorme afflux de
réfugiés se dirige, au Nord vers la Chine, ou à l'Ouest
dans l'espoir d'atteindre les Indes par des routes extrê-
mement primitives et à demi construites. Le typhus et
le choléra ont fait leur apparition derrière notre front,
constamment harcelé par la trahison et l'infiltration
de l'ennemi. Un destin tragique menace la masse des
réfugiés rassemblée au nord de Mandalay. Au milieu
de ces scènes indescriptibles de misère et de ruines, le
gouverneur général de la Birmanie, que nous avons
tous si bien connu à cette chambre, comme ministrede l' Agriculture, il y a deux ans et sa femme si dévouée
ont été une source de courage et d 'exemples.
L'avance de l'ennemi a été grandement ralentie
par les mesures prises par le général Alexander et son
collègue américain ainsi que par la très brave conduite
des troupes britanniques, indiennes et chinoises encore
sur le front. Cependant nos troupes impériales sont
réduites à de très faibles proportions. Il est impossible
de leur envoyer des renforts par la mer. Les Japonais
tiennent en mains tout le golfe du Bengale et seules,
quelques poignées d'hommes et un peu de matériel
peuvent les atteindre par les routes de montagne et
les pistes qui partent d'Assam. Le général Wawell a le
devoir de distribuer ses ressources au mieux et nous lui
envoyons tout ce que nous pouvons, compte tenu de
nos autres responsabilités, qui sont nombreuses.
Je ne peux encourager la Chambre à attendre de
bonnes nouvelles du théâtre d'opérations de Birmanie.
Le mieux qu'on puisse espérer est que la retraite sera
aussi lente que possible pour donner du temps à d'autres
facteurs de faire sentir leur poids.
Maintenant nous pouvons considérer ce que doit
être vraisemblablement la stratégie des Japonais. Autant
que nous sachions, les Japonais ont 72 divisions, sur le
pied de guerre, plus quelques brigades supplémentaires
et une masse de soldats entraînés qui n'est certainement
pas inférieure à deux millions d 'hommes, à ajouter aux
unités précitées. De ces 72 divisions, 27 se trouvent
dans la région AB DA, Birmanie comprise ; 15 sont
en Chine; 20 sont face à la Russie en Mandchourie et
il n'en reste que 10 au Japon. L'armée japonaise, dans
la région AB DA, menace simultanément l'Australie,
l'Inde et, par la Birmanie, la Chine. Les Japonais ontacquis toute la Malaisie, les Philippines et les Indes
néerlandaises. Ils ont détruit ou capturé les divisions
suivantes : Britanniques et Indiennes 6, Hollandaises
3, Américaines 2, Philippines 3 ou 4. Total 14 ou
15. Ils peuvent avoir perdu 1 OO 000 morts et blessés
mais pas une de leurs formations divisionnaires n 'a
été détruite et je ne doute pas qu'ils puissent aisé-
ment remplacer toutes leurs pertes. Ils ne font preuve
d'aucune infériorité lorsqu'ils sont à pied-d'œuvre. Les
armées, la marine et l'aviation japonaises travaillent en
étroite et harmonieuse coopération, étant absolument
au point après leurs nombreuses années de prépara-
tion. Pour eux, le culte de la guerre est un art et un
devoir suprême. Leurs plans sont à jour grâce à une
information complète et une étude approfondie des
victoires allemandes en Europe. Ces forces japonaises
se sont installées en un peu plus de quatre mois dans
la totalité de ces vastes régions, qu'ils appellent leur
sphère de coprospérité asiatique, de Luzon à Rangoon
et des confins septentrionaux del' Australie aux limites
méridionales de la Chine. Dans cette vaste étendue, ils
ont des forces largement supérieures à toutes celles que
nous pourrons amener d'ici longtemps. Sans aucun
doute ils se sont étirés et se sont étendus sur une
grande échelle mais ils ont consolidé leurs positions
en employant à fond leurs ressources économisées par
leurs conquêtes.
Où se dirigeront-ils ? Où frapperont-ils leur prochain
coup ? L'Australie craint naturellement une invasion
immédiate et les États-Unis, qui ont accepté la respon-
sabilité de défendre tout ce qui se trouve à l'Est d'une
ligne tirée à l'Ouest de l'Australie, ont envoyé et envoient
continuellement de gros renforts.Nous avons ramené en Australie une grande partie
des Forces impériales australiennes en provenance du
Proche-Orient. Nous ne voyons pas ici quels grands
avantages auraient les Japonais à envahir l'Australie par
la force. En le faisant ils s'exposeraient à une campagne
formidable, à une grande distance de chez eux, avec une
puissance navale américaine qui reprend sa force, opérant
sur leurs lignes de communications. Il n'y a pas de doute
que les ] aponais feront tout pour menacer et alarmer
l'Australie, pour établir des bases et des points d'appui
dans la partie septentrionale de l'Australie afin de fixer
le plus possible de forces alliées sur ce continent. Nous
avons fait et nous continuerons de faire tout ce qui est
en notre pouvoir pour soutenir nos cousins d'Australie.
]'ai pu aussi obtenir du Président Roosevelt un
renforcement des troupes américaines pour la Nouvelle-
Zélande, dont l'attitude et le moral ont été admirables.
Mais ni la Grande-Bretagne ni les États-Unis ne doivent
être contraints d'immobiliser en Australie un nombre
indu de troupes qu'ils peuvent avoir à transporter par
mer d'ici un temps donné.
D'autre part, les Nippons peuvent envahir l'Inde.
La chose n'est pas douteuse, et s'ils choisissent de
concentrer leurs efforts, ils peuvent envahir et submerger
une grande partie de l'Inde, prendre Calcutta et Madras,
et faire certainement des raids aériens très cruels sur
les villes sans défense. Les Japonais ne nous ont pas
fait part de leurs projets, aussi ne puis-je faire que des
hypothèses, que je fais sous toutes réserves, connaissant
bien la faillibilité des prévisions humaines dans le
brouillard de la guerre. Cependant, en regardant les
choses de leur point de vue, leur meilleur plan seraitde pousser tout droit vers le Nord, de la Birmanie à la
Chine, et essayer d'en finir avec la résistance chinoise
et le Grand Chef chinois Tchang Kai Check. Nous
n'avons remarqué dernièrement aucun mouvement
japonais qui soit contraire à cette idée mais il en est
plusieurs qui semblent la confirmer. Il est certain qu'en
mettant la Chine hors de combat et en installant peut-
être un autre gouvernement fantoche (qui serait son
allié), le Japon servirait grandement ses propres intérêts.
La Chine est la seule région où le Japon puisse obtenir
une grande décision en 1942. De plus, permettez-
moi de souligner que cette manœuvre, si elle réussit,
serait pour le Japon un mouvement de contraction
et non pas une nouvelle expansion qui pourrait être
excessive. Cette manœuvre coïnciderait avec une
attaque japonaise sur la Russie, attaque pour laquelle
de nombreux préparatifs ont été faits. Naturellement,
cette appréciation peut être fausse, mais c'est celle qui
semble le plus dans l'intérêt del' ennemi et on a donc
tout lieu de la craindre.
Avant de quitter les opérations d'Extrême-Orient,
avec leur sombre panorama de ruines actuelles et à venir,
je vais traiter de la situation aérienne et navale en ce
qu'elle affecte les opérations navales de l'océan Indien
et du golfe du Bengale.
La surprise de Pearl Harbour mit la flotte américaine
du Pacifique - de laquelle tout dépendait - hors de
service pour un temps et quoique les pertes aient été
largement compensées, la flotte américaine resta séparée
de l'ennemi par les vastes distances du Pacifique. Elle
s'occupait principalement de maintenir les communi-
cations avec les côtes de l'Australie le long desquelles
passent des forces considérables.La flotte japonaise est au centre de la scène et, comme
l'Armée japonaise, elle peut frapper dans toutes les
directions. Notre flotte orientale, dans l'océan Indien,
ne peut dire avec certitude quelle sera la taille ou la force
des navires japonais qui sortiront del' archipel malais, soit
par le détroit de Malacca, soit par le détroit de la Sonde.
Nous ne pouvons dire si les Japonais sont préoccupés
par la flotte américaine et si cela les contraint à garder le
gros de leurs forces navales dans leurs eaux territoriales
ou dans le Pacifique oriental. Nous ne savons pas si les
Japonais recherchent le combat avec n'importe quelle
force navale américaine opérant dans les îles océaniennes.
Évidemment si le gros de la Marine japonaise sort dans
l'océan Indien, nous serons incapables de combattre
l'action de cette flotte, avec toutes les autres tâches que
nous avons à accomplir.
D'autre part, au fur et à mesure que les Nippons seront
contraints de faire face, dans le Pacifique, à la renaissance
de la flotte américaine, notre contrôle de l'océan Indien
s'améliorera. Évidemment il ne faut pas que nous soyons,
dans l'intervalle, amenés au combat et battus.
Il est certain qu'actuellement les Japonais ont une
liberté de mouvement dans les deux océans avec une force
largement supérieure à la nôtre. Ceci oblige !'Amirauté
et le Commandant en chef de notre flotte d'Orient à
faire face aux problèmes les plus difficiles, problèmes
qu'il ne sera possible de résoudre avec succès que d'ici
plusieurs mois.
Après l'annihilation virtuelle des forces légères
britanniques, hollandaises et américaines dans les eaux
de Java et la perte de Singapour, Java, et Sumatra, nous
avons naturellement considéré Ceylan comme une
position-clé qu'il fallait tenir.Cela ne pouvait se faire sans une aviation basée dans
l'île et une grande artillerie anti-aérienne. Nos ressources
étaient limitées et, comme je l'ai dit, il y avait beaucoup
de parties prenantes. Cependant, négligeant un grand
nombre d'autres besoins, nous nous arrangeâmes pour
donner une protection considérable à Colombo et à
Trincomalé. Nous plaçâmes à Ceylan des troupes suf-
fisantes pour faire face à une armée d'invasion, même
considérable. Pendant tout le mois de mars nous fûmes
anxieux au sujet de Ceylan à cause de la faiblesse de notre
position là-bas. Mais fin mars nous commençâmes à nous
sentir rassures et ce sennment persiste JUsqu a present.
Dans les derniers jours de mars, l'amiral Somerville,
qui commande notre flotte d'Orient et qui, comme je
l'ai dit, sort de deux années de combats presque conti-
nuels en Méditerranée et qui y a conduit au moins
vingt opérations extrêmement délicates et hasardeuses,
l'amiral Somerville donc, qui est peut-être avec l'amiral
Cunningham, l'homme le plus familiarisé avec l'attaque
aérienne moderne des navires de guerre, eut l'impression,
d'après les bribes d'informations qu'il avait pu recueillir,
qu'une incursion japonaise dans le golfe du Bengale était
probable. Opération soutenue par un certain nombre
de porte-avions, appuyés de trois croiseurs lourds du
type Kongo. Ce sont là des vieux croiseurs de bataille
modernisés comme tous les autres bâtiments de la marine
japonaise (nous autres, bien sûr, nous n'avions modernisé
que quelques-uns des nôtres) et qui portent des canons
de 14 pouces (340 millimètres).
Je ne vais naturellement pas vous dire quelle est,
quelle fut ou quelle sera notre force navale dans ces eaux,
mais j'irai jusqu'à dire que nous aurions été heureux de
combattre une escadre de cette taille. En conséquence

I



) '
/l'amiral Somerville prit position au Sud-Est de Ceylan où
il espérait rencontrer l'ennemi et nos appareils Catalina
firent des reconnaissances à longue distance. Mais l'en-
nemi ne se montra pas et il devint nécessaire que la
flotte fasse son plein de combustible.
L'amiral conclut que le renseignement qui l'avait
conduit à attendre une avance de la flotte japonaise
dans l'océan Indien était inexact.
Notre flotte reprit ses missions ordinaires. L'un de
ses deux croiseurs aux canons de 200, le Cornwall, était
nécessaire pour escorter un convoi australien et l'autre
avait besoin de subir certaines réparations. L'amiral les
envoya tous deux à Colombo. L' Hermes, un de nos plus
vieux porte-avions, avait aussi une mission à accomplir :
aller chercher du matériel à T rincomalé.
Dès que l'amiral eut dispersé son escadre, ce qu'il
n'attendait plus se produisit. Il reçut l'annonce qu'une
grande flotte japonaise faisait route cap au Nord-Ouest,
vers Ceylan.
L'avion « Catalina» de reconnaissance, qui donna
l'alerte, fut abattu avant même qu'il eût pu décrire la
composition de la flotte ennemie. Immédiatement,
l'amiral Somerville ordonna à ses navires de se rassem-
bler. Il s'attendait à rencontrer les trois croiseurs nippons
et peut-être deux porte-avions accompagnés de petits
bâtiments et quoiqu'il se rendît compte qu'il ne pouvait
les intercepter avant qu'ils attaquent Colombo, il eut
l'espoir de les forcer au combat soit qu'ils viennent à
s'attarder en route, soit que l'un d'entre eux soit avarié
par la contre-attaque de nos bombardiers basés dans l'île.
De ce fait, l'amiral fixa un rendez-vous à ses navires,
ordonna au Dorsetshire et au Cornwall de sortir du
port de Colombo et de le rejoindre. Quant à l' Hermes,il devait sortir de T rincomalé, prendre le large et rester
en dehors du trajet des Japonais.
L'Amirauté n'intervint aucunement dans ces dispo-
sitions. Lorsqu'elle met un de ses meilleurs amiraux à
la tête d'une flotte et lui donne la responsabilité d'un
théâtre d'opérations navales, elle n'est pas sur son dos
avec une verge. Et ce n'est que très rarement, lorsque
Londres possède des renseignements exceptionnels, que
!'Amirauté dicte au chef qui est sur place. Si !'Amirauté
le faisait trop souvent, l'initiative et la responsabilité des
amiraux en mer seraient détruites.
Une telle habitude, acquise seulement depuis l'usage
de la T.S.F., serait entièrement contraire aux traditions
de la Marine Royale. Mais, naturellement, si la Chambre
le pense, elle peut me blâmer pour tout ce qui ne va pas.
À l'aube du 5 avril, donc, l'aviation japonaise attaqua
Colombo. Tout était prêt pour la recevoir. Le port était
largement dégarni de navires. Le Cornwall et le Dorsetshire
étaient comme l'amiral l'avait pensé, en sûreté, en haute
mer. Les précautions en cas de raid furent bien appliquées,
nos chasseurs avaient pris l'air et l'ennemi fut battu avec
une perte probable des deux tiers des appareils attaquants.
Par contre nos « Blenheims » destinés à couler les porte-
avions ennemis revinrent sans les avoir trouvés. Mais
tard dans la journée un avion de reconnaissance japonais
aperçut le Cornwall et le Dorsetshire qui faisaient route
vers le gros de la flotte de Somerville. Ces deux navires
furent coulés en un quart d'heure par 40 ou 60 avions
ne portant qu'une grosse bombe chacun. Les trois quarts
des équipages furent cependant sauvés.
C'est là un autre exemple de la formidable qualité
de l'aviation navale japonaise. Nos croiseurs ont, en
de nombreuses occasions, été exposés à des attaquesprolongées des aviations allemande et italienne. Bien
qu'ils fussent souvent endommagés ils ont rarement
été coulés.
Le fait que les Japonais malgré leurs lourdes pertes
du matin, aient pu utiliser un si grand nombre d'avions
pour attaquer les croiseurs rend évident qu'ils avaient
utilisé plus de porte-avions qu'on ne le croyait. En fait
on constata qu'ils n'en avaient pas moins de cinq. Dans
ces circonstances, il aurait été dangereux d'engager une
action navale et l'amiral Somerville, avec l'entière appro-
bation de l' Amirauté, se retira dans les vastes espaces
del' océan Indien. Le chemin était maintenant ouvert
pour une invasion aéroportée japonaise de Ceylan.
Cependant, elle ne se produisit pas. Au lieu de cela, les
Japonais lancèrent un raid sur T rincomalé où ils furent,
là encore, sévèrement repoussés. Ils surprirent l' Hermés,
qui avait reçu l'ordre d'évacuer le port, et infligèrent
de très lourdes pertes (près de 1 OO 000 tonnes) à notre
marine marchande du golfe du Bengale.
Il semble maintenant que l'ennemi se soit retiré,
pour redorer ses porte-avions, après ses lourdes pertes,
et que cette incursion dans le golfe du Bengale était
un sondage et une démonstration avec l'idée de pro-
voquer à Colombo une surprise analogue à celle de
Pearl Harbour.
Je ne puis dire à la Chambre ce que nous faisons
pour faire face à cette situation dangereuse. Je peux
parler du passé mais même en séance secrète je ne peux
parler du présent et de l'avenir. Mais on ne doit pas
affirmer que nous ne faisons rien. Au contraire nous
espérons devenir plus forts dans l'océan Indien que nous
ne l'avons été jusqu'ici. Un fait déplaisant demeure:
l'ennemi commande effectivement le golfe du Bengale,Ceylan est son objectif, mais c'est là que nous sommes
le mieux préparés.
Je vais maintenant abandonner le sujet de la« guerre
mineure», car c'est ainsi que je veux nommer le conflit
qui nous oppose au Japon, pour aborder le sujet de la
« guerre majeure »,la lutte contre l'Allemagne et l'Italie.
Et je vais en premier lieu aborder la question la
plus sérieuse, celle des pertes énormes qui nous ont
été infligées par les sous-marins sur la côte occidentale
américaine. En 60 jours, nos pertes dans ces parages
ont été plus élevées que celles que nous avons subies
dans le monde entier pendant les cinq derniers mois de
la bataille de l'Atlantique, c'est-à-dire avant l'entrée en
guerre de l'Amérique. Les pertes des bateaux-citernes
ont été particulièrement lourdes, si lourdes que nous
avons été obligés de retirer nos bateaux. Nos réserves
de pétrole sont amples mais il nous faut renforcer une
econom1e rigoureuse.
Nous avons tout fait pour aider les Américains à
établir un système de convois qui fonctionnera inces-
samment. Sur leur demande, nous avons envoyé aux
États-Unis des officiers habitués à la guerre anti-sous-
marine. Nous avons aussi envoyé plus de 30 corvettes
et autres bateaux anti-sous-marins. Les chiffres des
pertes sur la côte américaine pour les deux derniers mois
ajoutés à ceux de nos pertes dans l'océan Indien forment
un total effrayant, comparable aux pires moments de
la dernière guerre, aussi bien que de celle-ci. D ' un
autre côté, il ne faut pas oublier que les États-Unis
ont contribué pour plus de 9 000 000 de tonnes à la
flotte de commerce alliée, de sorte que le tonnage à la
disposition des alliés est beaucoup plus important que
l'an dernier à la même époque. En même temps, l'effort
I

•qu'on demande de faire à nos flottes est plus grand. De
plus, je suis convaincu que les contre-mesures qui ont
été prises auront plein succès et que les pertes seront
bientôt considérablement réduites.
Je tiens à répéter pourtant que nos pertes et la
multiplication des sous-marins allemands m'inquiètent
au plus haut degré. Ce ne sera que quand les États-
U nis auront pu fournir un excédent de tonnage que
toute la force dont cette grande république est capable
pourra se faire sentir pleinement. Seules, les flottes
marchandes prêteront aux États-Unis, aussi bien qu'à
nous, un pouvoir efficace sur les théâtres de l'Ouest ou
de !'Extrême-Orient.
Beaucoup de gens parlent légèrement de transporter
des armées de-ci de-là. Ils ne se rendent pas compte de
la difficulté rencontrée quand il s'agit de trouver des
bateaux suffisamment rapides pour transporter des
troupes, ni des limites que le temps et le nombre nous
imposent. Néanmoins, depuis le début de la guerre,
nous avons envoyé, d'ici ou du Moyen-Orient, plus de
300 000 hommes contre le Japon et il y en a 1 OO 000
autres en mer à l'heure actuelle. Ces grands convois ont
bravé mines et sous-marins sans pertes appréciables.
C'est là un prodige d'habileté et d'organisation de
la part de ceux qui en ont pris l'initiative.
Si vous ajoutez aux forces aériennes qui s'opposent
à nous dans la Méditerranée, celles de la Manche et de
la mer du Nord, ainsi que celles qui restent en territoire
allemand pour le défendre contre nos bombardiers, nous
tenons occupés deux tiers des chasseurs allemands et
plus d'un tiers de leurs bombardiers. Nous forçons en
même temps plus de 1 000 gros avions italiens à rester
en Méditerranée. Il est évident que nous apportons par làune aide importante à la Russie. Dans la Manche, aussi
bien que dans les combats de l'île de Malte, l'ennemi a
subi des pertes plus lourdes que nous. Il est dans notre
intérêt d'attaquer l'ennemi partout où nous pouvons
le trouver, de le faire saigner et dépenser ses forces sur des
fronts aussi étendus que possible et il est à notre avantage
de perdre appareil pour appareil. Mais nous avons fait
bien mieux que ça. Chaque jour la bataille de l'île de
Malte, si dure soit-elle pour ses habitants et défenseurs,
aide notre effort de guerre et aide nos alliés russes. Il est
possible que les forces allemandes qui attaquent l'île de
Malte soient obligées d'aller joindre l'offensive contre la
Russie méridionale. Si tel est le cas, nous aurons dépassé
la crête. En attendant, la bataille de l'île de Malte reste
très dure. Il est trop tôt pour savoir comment elle finira.
Mais nous suivons avec admiration cette lutte héroïque.
On ne peut m'accuser d'enjoliver les faits.J'ai cru, en
effet, que les membres de la Chambre des Communes
voudraient que je leur montre les côtés sombres de la
situation. Mais je n'aurais pas osé le faire sil' espoir que
nous sortirons victorieux n'était chez moi, à l'heure
actuelle, plus fort que jamais. Je vais vous indiquer les
raisons qui me donnent cette confiance.
Si nous sommes anxieux quant aux questions
maritimes, nos ennemis le sont bien davantage en ce
qui concerne l'aviation. Le gigantesque programme
américain de constructions navales, si on y ajoute notre
contribution comparativement modeste de 1 200 000
tonnes par an, fera en 1943 pencher la balance du bon
côté, même en comptant un demi-million de tonnes
de pertes par mois. Nous serons très serrés cette année.L'année prochaine, la situation sera nettement
meilleure. D'un autre côté, la puissance aérienne de
1:4.xe, sur laquelle l'ennemi a si largement compté et qui
lui a valu un si grand nombre de ses succès, succombera
certainement dans cette course. Les récentes estimations
de la production aérienne américaine, qui paraissaient
exorbitantes, ont été non seulement atteintes mais
dépassées. Il a été calculé qu'en juillet 1942 la produc-
tion anglaise, américaine et russe sera près de trois fois
supérieure à celle de l'Allemagne, de l'i talie et du Japon.
Naturellement, il faudra plusieurs mois pour que les
répercussions d'une pareille impulsion se fassent sentir
sur les différents fronts. Car c'est alors qu'apparaissent
les difficultés de transport. Il faudra de six à neuf mois
pour que se manifeste une prépondérance marquée de
notre puissance aérienne. À l'heure actuelle, nous avons
plus de pilotes que d'appareils ; pourtant, nous n'avons
en aucune façon l'intention de ralentir l'entraînement des
hommes. Bien au contraire, nous l'accentuons, car bien-
tôt - en fait, nous espérons en automne - le nombre
des avions sera suffisant pour employer les nombreux
pilotes qui se trouvent en ce moment à l'entraînement ...
Les îles et les bases que les Japonais ont facilement
conquises finiront par leur peser lourdement. Tout ceci a
été soigneusement pesé et calculé et de nombreuses entre-
prises sont sur pied. Les porte-avions que l'on construit
ou transforme ne se comptent pas par douzaines mais
par vingtaines. Il est fort possible que d'ici la fin de cet
été les villes japonaises apprennent ce que c'est qu'une
attaque aérienne ; celle du dimanche matin, raid effectué
par les pilotes de Doolittle, n'est qu'un prélude. Que
personne ne prononce, ne serait-ce qu'un seul mot de
critique à l'égard de l'effort de guerre des États-Unis.
Car nos vies dépendent de son application pratique.C'est en Europe que se produira le premier choc
important. Tout tend à prouver, en effet, que peut-être
même avant la fin du mois de mai, Hitler lancera une
nouvelle offensive contre la Russie ; cette poussée se
fera vraisemblablement en direction du Caucase et de
la mer Caspienne. Nous ignorons l'ampleur des réserves
dont disposent les Russes. On a toujours sous-estimé
leur puissance. Ils gardent bien leurs secrets, aussi bien
à l'égard de leurs ennemis qu'à l'égard de leurs amis.
Ce nouvel assaut allemand commencera cette année,
peut-être un peu plus tôt et certainement plus à l'Est que
l'année dernière. Cette fois-ci les Russes ne seront pas
pris au dépourvu. Pendant l'hiver, les Russes ont infligé
de terribles coups, non seulement à la puissance militaire
allemande, mais aussi à l'existence même du régime nazi.
C'est une Allemagne farouche, armée de toute sa
puissance et de toute son organisation que Hitler lance
dans cette nouvelle campagne féroce et sanguinaire
contre la Russie. Derrière elle, se cache une Europe que
tordent la haine et la soif de révolte. Que pouvons-nous
faire pour aider la Russie ? Nous ferons tout pour cela.
Si le sacrifice de milliers de vies britanniques devait
faire pencher la balance, nos concitoyens n'hésiteraient
pas un seul instant. Actuellement nous pouvons faire
deux choses, d 'abord fournir des munitions dans toute
la mesure où notre flotte le permet. Jusqu'à présent,
nous avons rempli tous les importants engagements
que nous avions pris vis-à-vis de Staline. Il n'est pas
question pour nous de nous départir de ce dont nous
avons besoin, mais de nous exécuter avec ponctualité
,
. ,
et en toute secunte.
Nos convois destinés à la Russie ont une tâche
pleine de difficultés et de hasards. Pendant les quelquessemaines qui vont venir les glaces dériveront de plus en
plus vers le Sud et le passage entre les icebergs et le Cap
Nord se rétrécira. Et nous avons à convoyer, non seule-
ment nos propres envois, mais aussi ceux des États-Unis
lesquels pour une large part sont prélevés sur ceux qui
nous étaient destinés. Nos navires et leurs escortes, les
plus puissantes que nous ayions jamais employées, ont
donc à lutter contre les glaces dérivantes, les U-Boot
qui infestent la côte norvégienne et également contre
. .
.
.
une aviation puissante qui attaque sans treve.
De plus, le Tirpitz, le Scheer et le Ripper se trouvent
dans le fjord de Trondheim. Chaque convoi anglo-amé-
ricain est susceptible d'être attaqué par ces navires
allemands, rapides, puissants et modernes. Une escorte
de croiseurs doit être fournie à chaque convoi. L'ennemi
a de grandes occasions d'infliger à notre flotte des pertes
capitales, en attaquant nos convois et en établissant
des pièges de sous-marins. Nos grands navires, si peu
nombreux et si précieux (il n'y en a qu'un là où il y en
avait huit à l'autre guerre) courent de sérieux risques
chaque fois qu'une mission doit être accomplie dans le
Nord. À tout moment, !'Amirauté ou même le ministre
de la Défense Nationale (Churchill) peut avoir à vous
rendre compte de pertes de navires dont la construction
a demandé cinq années de travail. Je ne puis en dire
plus sur nos dispositions navales mais j'ajouterai que
les États-Unis sont avec nous dans cette entreprise.
L'effort à fournir est gigantesque, les périls incessants
mais s'il est au pouvoir des hommes de mener à bien
cette mission, nous la mènerons à bien. Et tous nos
tanks, nos avions, nos fournitures essentielles viendront
s'ajouter à ceux de notre héroïque alliée pour soutenir
sa lutte sublime.
/\Notre aide immédiate peut se manifester d'une
autre façon. Tandis que les armées allemandes subi-
ront des pertes sanglantes à l'Est sur un front de 3 200
kilomètres, nous les poursuivrons sur le sol même de
leur pays. L'offensive des bombardiers britanniques sur
territoire allemand a commencé. Six villes allemandes
ont déjà reçu autant de bombes que Coventry. Trente
autres villes, ou davantage, sont déjà sur la liste. Nous
avons perfectionné les méthodes de repérage de nuit des
objectifs et des régions habitées. On compte maintenant
deux fois moins de bombes ayant manqué leur but ...
Des opérations effectuées de jour au cœur même de
l'Allemagne et qui permettent de frapper avec une pré-
cision redoutable les points névralgiques de l'industrie,
comme cet immortel fait d'armes de vendredi dernier,
il s'agit du raid sur Augsburg en Bavière, le plus long
raid de jour jusqu'à cette époque, (23-4-42), seront
lancées contre l'ennemi. Dans un délai très court, de
grandes formations américaines vont être installées ici,
en Angleterre, elles travailleront à nos côtés.
Cet été, l'automne prochain et même l'hiver pro-
chain, l'Allemagne apprendra ce que peuvent être les
bombardements d'une précision scientifique, menés sur
une échelle et à un rythme qu'aucune nation maltraitée
par elle n'a encore connus.
Quand je suis allé aux États-Unis en décembre
dernier, je proposai au Président la préparation d'une
invasion anglo-américaine de l'Europe occupée pour
libérer les peuples soumis à l'esclavage et pour détruire
le nazisme.
Nous ne gagnerons pas la guerre en refoulant les
Japonais à l'intérieur de leurs frontières et en battant
leurs forces d' outre-mer. Elle ne se terminera que parla défaite des armées allemandes en Europe ou par
les convulsions causées en Allemagne même par la
tournure des événements, les difficultés économiques
ou l'offensive aérienne alliée. À mesure que la force
des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la Russie
réunis se développe et commence à se faire sentir, un
effondrement intérieur est toujours possible, mais nous
ne devons pas y compter.
Nous ne devons pas perdre de vue que la résistance
del' armée allemande et del' aviation allemande se pour-
suivra au rythme actuel et que la guerre sous-marine
continuera avec des flottilles toujours plus nombreuses
de submersibles.
C 'est pourquoi nous devons nous préparer à libérer
les pays captifs de l'Europe occidentale et méridionale
en débarquant, aux lieux propices, successivement ou
simultanément, des armées britanniques et américaines
assez fortes pour permettre aux populations conquises
de se révolter. Ces dernières ne seront pas en mesure
de le faire seules à cause de la répression impitoyable
qui en résulterait, mais, si des forces suffisantes et bien
équipées étaient débarquées dans plusieurs des pays sui-
vants, à savoir : la Norvège, le Danemark, la Hollande,
la Belgique, les côtes françaises du Pas-de-Calais et les
côtes françaises de l'Atlantique, ainsi que l'Italie et peut-
être les Balkans, les garnisons allemandes se révéleraient
incapables de faire face à la fois à la puissance des forces
libératrices et à la furie des peuples révoltés.Il est impossible aux Allemands, tant que nous main-
tenons sur mer des forces suffisantes pour choisir le ou les
points d'attaque, de disposer dans chaque pays d'assez de
troupes pour opposer une résistance efficace. En particu-
lier, ils ne peuvent pas déplacer leurs divisions blindées
du Nord au Sud, ou de l'Est à l'Ouest. Il leur faut bien
les répartir entre les divers pays occupés et les éparpiller
dangereusement, ou bien les concentrer en Allemagne, ce
qui n'arrivera que lorsque nos forces venant del' autre côté
des mers seront déjà largement établies sur le continent.
Nous avions pensé qu'aux États-Unis la guerre contre
le Japon retenait toute l'attention et nous nous pré-
parions à faire remarquer que la défaite du Japon ne
signifierait pas la défaite de Hitler, mais que, une fois
la défaite de Hitler réalisée, l'achèvement du Japon ne
serait plus qu'une question de temps. Nous avons eu la
satisfaction de constater que ces conceptions stratégiques
simples et classiques étaient partagées spontanément et
en toute sincérité par le Gouvernement et la majorité
des Américains malgré l'opposition véhémente des
éléments isolationnistes.
Le général Marshall et Mr. Hopkins sont venus
pour s'entendre avec nous sur tous les détails, petits et
grands, de l'offensive.
Tout le monde saura bientôt que notre plan d'en-
semble prévoit une invasion par un nombre égal de
soldats anglais et américains. L'époque, l'ampleur, la
méthode et la direction de cette entreprise suprême
seront et resteront secrètes jusqu'à ce que l'heure sonne
et jusqu'à ce que le grand coup soit frappé. C est là tout
ce que je peux vous dire ; j'ajoute que j'ai reçu, tôt dans
la matinée, un message du Président dont je vais vous
lire l'essentiel puisque nous sommes en séance secrète :*
Je me réjouis de l'accord intervenu entre vous-même
et vos experts militaires d'une part et le général Marshall
et M. Hopkins, d'autre part. Ils m'ont fait part de la
parfaite identité de vues qui s'est manifestée à l'égard
de la proposition qu'ils avaient apportée et je vous suis
très reconnaissant de m'avoir envoyé un message à ce
sujet. Je crois que ce coup découragera Hitler et qu'il
pourrait bien être la cause de sa chute. Ce projet me
réconforte; soyez assuré que notre armée accueillera
cette nouvelle avec enthousiasme.
Devant la multiplicité des difficultés qui s'offrent à
nous, je vous dirai que j'ai meilleur espoir en ce moment
qu'à aucun autre moment au cours de ces deux der-
. ' annees.
,
nieres
*
Nous avons devant nous beaucoup de peine et beau-
coup d'ennuis. Nous devons faire notre devoir avec
tout ce que nous avons de forces. Tandis que la guerre
approche impitoyablement de son point culminan,
la Chambre des Communes, qui représente le peuple
britannique dans sa lutte pour la vie, cette Chambre
des Communes qui a ses propres responsabilités aura
une fois de plus l'occasion de prouver au monde que
cette fermeté d'esprit, ce sens de la mesure, cette volonté
inflexible d'arriver au but qui ont fait sa renommée
jadis, conduiront à nouveau les peuples, unis pour une
grande cause, vers la délivrance et la victoire.CINQUIÈME DISCOURS
LE RÔLE DE L'AMIRAL DARLAN
(Discours du 10 décembre 1942)LE DÉBARQUEMENT
EN AFRIQUE DU NORD
Ce discours a été prononcé par Mr. Churchill en séance
secrète, le 10 décembre 1942, c'est-à-dire un mois après
les premières opérations en Afrique du Nord
Lorsque Mr. Churchill monte à la tribune le
10 décembre, il doit faire face à une véritable tornade
de l'opposition.
Tous les Anglais sont stupéfaits de voir les Alliés placer
au pouvoir, en Afrique du Nord, cet amiral Darlan qui,
à Vichy, s'est révélé d'une anglophobie extrême et prompt
aux gestes de collaboration avec Hitler. Ils sont blessés dans
leur conscience de voir que le général de Gaulle et la France
combattante, auxquels le gouvernement anglais s'est lié par
des accords, sont écartés au profit des hommes de Vichy.
Mr. Churchill a hésité avant d'autoriser la publication
de ce discours secret- dans la crainte peut-être de raviver
des drames qui ont agité un pays ami .JE veux vous entretenir aujourd'hui de certains
aspects de cette entreprise considérable que fut pour
les États-Unis et pour nous-mêmes le débarquement
en Afrique du Nord française que j'ai appelé pour plus
de commodité « Torch » (T orch, dans le code secret,
signifiait: opérations en Afrique du Nord).
Le 26 août, lors de mon retour de Moscou, j'envoyai
au président Roosevelt un télégramme conçu en ces
termes : « À mon sens, cette opération est avant tout une
affaire politique. Notre première victoire sera d'éviter
une bataille. La seconde, si nous sommes obligés de
nous battre, sera de gagner cette bataille. En vue de
nous assurer les meilleures chances de succès pour cette
première victoire, nous devons :
1° Donner, dès le début des opérations, l'apparence
d'une puissance irrésistible ;
2° Attaquer sur le plus grand nombre de points
possibles.
Cette opération sera d'un caractère absolument
différent de celle de Dieppe. Là, en effet, nous eûmes
à faire face à la force allemande puisque nous nous
heurtions aux ouvrages fortifiés de la côte. Dans le cas
de "Torch", au contraire, l'opposition sera faible et
variable et nous aurons à notre disposition un très grand
nombre de points de débarquement. Tout délai apporté
à l'exécution de nos plans doublera nos risques et nosdifficultés et rendra nos forces tout à fait insuffisantes.
Si nous nous perdons dans les détails, si nous faisons
passer la sécurité avant toutes choses, si nous élaborons
un plan minutieux prévoyant toute éventualité, bref,
un plan théoriquement parfait, notre entreprise sera
vouée à un échec.
Afin de soulager nos chefs militaires du fardeau de
leurs responsabilités, j'estime que nous devrions, tous
deux, jouer cartes sur table et prendre nos propres
responsabilités. À mon sens, nous devons admettre :
1 ° Que "Torch" ne provoquera pas l'entrée en
guerre de l'Espagne contre les États-Unis et contre
nous-memes ;
2° Qu'un délai d'au moins deux mois s'écoulera
avant que les Allemands puissent traverser l'Espagne
par force ou obtenir de cette dernière des avantages
quelconques ;
3° Que la résistance française en Afrique du Nord
sera susceptible d'être surmontée par la soudaineté et
l'ampleur del' attaque et qu'ensuite, les Français pour-
ront nous apporter une aide active sous la direction de
leurs chefs ;
4° Que Vichy ne déclarera pas la guerre aux États-
U nis ni à nous-mêmes;
5° Qu'Hitler exercera une forte pression sur Vichy
mais qu'en octobre il n 'aura pas à sa disposition de forces
suffisantes pour envahir la zone française non occupée
tandis que nous continuerons à le tenir en respect sur
le Pas-de-Calais, etc. »
La dernière de ces suppositions était erronée parce
que les Français n'opposèrent aucune résistance à l' occu-
pation totale de leur pays par l'ennemi, mais les autres se
sont vues confirmées par les événements. Je les ai citées
/\pour bien montrer la part que nous fimes au problème
politique dans nos plans et quelle importance nous y
avons attachée pour réduire les effusions de sang et pour
nous assurer le maximum de succès en utilisant l'aide
des Français alors au service de Vichy. Or ces derniers
réagirent d'une façon tout à fait inattendue comme le
montre l'attitude del' amiral Darlan.
Que cette affaire ait été la cause de bien des inquié-
tudes dans mon pays, ceci ne m'étonne pas et je suis
heureux d'en donner ici les raisons.
La question que nous devons nous poser n'est pas
celle de savoir si ce qui se passe nous convient ou non,
mais bien de savoir comment y parer. En temps de
guerre, il n'est pas toujours possible de faire ce que
l'on veut. Quand plusieurs alliés poursuivent une cause
commune, il arrive que des avis différents se fassent
entendre. Depuis 1776, il ne nous a pas été possible de
déterminer la politique américaine. Cette opération est
une affaire américaine dans laquelle les forces terrestres
de ce pays seront peut-être trois fois supérieures aux
nôtres, de même que les forces aériennes.
Sur mer, nos forces seront très supérieures. Nous
avons joué un grand rôle dans la mise sur pied de
cette opération et l'aide fournie par nous dans tous les
domaines est considérable. Néanmoins, les États-Unis
estiment qu'il s'agit d'une expédition américaine et ils
considèrent l'Afrique du Nord comme une zone de
guerre et comme telle y attachent la même importance
que nous, Anglais, vis-à-vis de la Méditerranée dont
nous sommes responsables. Nous avons accepté cette
situation et nous agissons en conséquence. Cela ne
signifie pas que notre position soit affaiblie, je suis et
reste en étroit contact avec le Président et notre contrôlecontinue à s'exercer militairement et politiquement.
C'est parce que tout débat public sur la politique ou
sur les relations anglo-américaines serait préjudiciable
que le gouvernement de Sa Majesté a réuni la Chambre
des Communes en séance secrète. C'est seulement de
cette façon que ces questions peuvent être discutées sans
risquer d'offenser notre grand allié et sans risquer de
troubler les sentiments des Français qui, maintenant,
se battent contre les Allemands.
Je n'ai pas l'intention ici d'excuser Darlan. Comme
moi-même, il est l'objet de la rancune de Herr Hitler et
de Monsieur Laval. Nous n'avons pourtant aucun point
commun. Il est nécessaire que la Chambre comprenne
bien ceci : le Gouvernement et une grande partie du
peuple américain ne jugent pas Darlan comme nous le
faisons. En effet ; Darlan ne les a pas trahis.
Il n'a violé aucun traité signé avec eux, il ne leur a
causé aucun préjudice. Aucun citoyen américain n'a
jamais été maltraité sur son ordre. Le peuple américain
ne fait pas grand cas de lui mais il ne le hait pas et ne le
méprise pas comme le fait le peuple anglais. Certains,
et ils sont nombreux, s'intéressent davantage à la vie
de leurs soldats, qu'aux exploits des hommes politiques
français. Qui plus est, les Américains ont maintenu avec
Vichy des relations diplomatiques, jusqu'au dernier
moment, relations d'ailleurs cordiales et qui, à mon
avis, ont été avantageuses pour nous. En tout cas, ces
relations nous ont mis dans une position qui, autrement,
n'aurait jamais existée. Il n'y a pas si longtemps, l'amiral
Leahy était encore ambassadeur à Vichy. Il était en
excellents termes avec le maréchal Pétain et n'a jamais
cessé d'user de son influence pour empêcher Vichy
de devenir l'alliée de l'Allemagne ou de nous déclarerla guerre lorsque nous fûmes obligés de tirer sur les
troupes de Vichy à Oran (Mers-El-Kébir), à Dakar,
en Syrie ou à Madagascar.
En toutes ces occasions j'ai toujours eu la conviction
que la France ne déclarerait pas la guerre. Je savais
l'influence considérable exercée sur les Français par
les États-Unis, influence qui ne fit que croître avec
leur entrée en guerre. L'amiral Leahy, ami intime du
président Roosevelt, a été nommé récemment chef
d'État-Major.
Il faut donc tenir compte de cet « arrière-plan »
lorsqu'on considère l'attitude des États-Unis vis-à-vis
de Vichy.
Depuis notre rupture avec Vichy en 1940, nous
n'avons gardé, à part quelques missions secrètes, aucun
contact avec l'Afrique du Nord française. Les Américains,
au contraire, ont pu parcourir le Maroc, l'Algérie et
la Tunisie sans la moindre difficulté, offrant argent et
accords commerciaux. Ils ont travaillé avant et après
leur entrée en guerre à créer un terrain favorable dans
ce pays ; ils ont observé, ils ont pris contact avec tous
et en particulier avec les hauts fonctionnaires civils et
militaires. Lorsque nous commençâmes la mise sur pied
de cette opération, ils redoublèrent leurs efforts, non
seulement pour se renseigner et créer une ambiance
favorable, mais aussi pour ouvrir un complot parmi
les officiers supérieurs français afin de les pousser à
se mettre à notre disposition avec leurs troupes si un
débarquement américain venait à se produire. Certains
milieux américains croient que l'Angleterre est devenue
très impopulaire en France. Je ne crois pas que cela
soit exact. Il est un fait certain, c'est que nos troupes
reçurent un accueil chaleureux en débarquant sur le solafricain. Cela est incontestable, même lorsque nous
étions obligés de tirer sur les Français.
Tou tel' opérations' est déroulée sous commandement
américain et tout était prévu pour que les Américains
fussent bien en vue à la période critique du débarquement.
Si l'on ne considère que le but principal, c'est-à-dire
la destruction de Hitler et du nazisme, il est déplacé
d'ergoter sur les détails ou de parler d'orgueil national.
Ne parlons pas de prestige. Ne soyons pas inquiets quant
à la place qu'occupera notre pays dans l'histoire de la
guerre ni en ce qui concerne la part que nous avons prise
dans cette grande entreprise appelée« Torch ».
]'en viens maintenant à l'examen d'une forme
particulière de la mentalité française, je devrais dire
plutôt de la mentalité d'un grand nombre de Français,
après la terrible défaite qui s'est abattue sur leur pays.
Ce serait une folie de ne pas essayer de comprendre
ce qui se passe dans l'âme des autres peuples et quels
sont les mobiles secrets auxquels ils obéissent. Le Tout-
Puissant avec sa sagesse infinie n'a pas cru bon de créer les
Français à l'image des Anglais. Dans un pays qui, comme
la France, a subi des bouleversements, Monarchie,
Convention, Directoire, Consulat, Empire, et, enfin,
République, est né un principe basé sur le droit admi-
nistratif (en français dans le texte) qui sert de guide aux
personnalités françaises en période de révolution. C'est
là une tendance naturelle née d'un instinct de conserva-
tion nationale et de patriotisme en face d'une menace
d'anarchie. Par exemple, tout officier qui exécute un
ordre venant de son supérieur ou de celui qu'il estime
être son supérieur n'est passible d'aucune sanction.
Les Français attachent une plus grande importance au
principe de l'autorité qu'aux considérations morales,nationales ou internationales. À cet égard, nombreux
sont les Français qui, tout en admirant le général de
Gaulle et en enviant son rôle, le considèrent comme
un homme qui s'est révolté contre l'autorité de l'État
français qui, dans leur esprit, est personnifié par le vieux
défaitiste : l'illustre et vénérable maréchal Pétain, héros
de Verdun et seul espoir de la France.
Tout ceci peut nous paraître absurde. Un point
est important : suivant les ordres donnés ou soi-disant
donnés par le maréchal Pétain, les forces françaises
d'Afrique du Nord ont dirigé leurs armes contre les
Allemands et les Italiens au lieu de continuer à tirer sur
les Britanniques et les Américains. Je regrette d'avoir à
citer ce fait, mais un soldat sait distinguer celui qui fait
feu sur lui et celui qui tire sur son ennemi. J'ajouterai
que même l'épouse ou le père de ce soldat pourrait
bien avoir son opinion à ce sujet. C'était aussi le senti-
ment de ces officiers qui, prêts à passer de notre côté,
croyaient que toute participation de troupes gaulliste
au début aurait eu pour effet d'anéantir tout espoir de
débarquement pacifique.
Bien que nous fussions décidés à briser toute oppo-
sition, et en fait nous dûmes faire face à une résistance
considérable, c'est mon devoir de dire que ni nous-
mêmes ni les Américains ne cherchions à compliquer la
situation, celle-cil' étant déjà suffisamment à l'époque.
Les Américains qui, comme je l'ai déjà dit, comman-
daient dès le début, s'opposèrent à toute intervention
gaulliste. Nous avions placé de grands espoirs dans le
général Giraud qui, fait prisonnier avant la capitulation
française de 1940 tandis qu'il combattait héroïquement
dans un char, accomplit il y a quelques mois sa seconde
et dramatique évasion des camps ennemis. Le généralGiraud est, sans conteste, un héros de l'Armée française.
Le général Juin, qui commandait l'importante garnison
d'Alger, était prêt à devenir son lieutenant ; pour notre
part, nous n'avions rien à reprocher au général Giraud.
Cependant, à la requête du général Eisenhower, nous
envoyâmes un sous-marin britannique battant pavillon
américain au large de la côte de la Riviera française. Dans
la nuit du 6 novembre, soit deux jours avant l'heure H,
nous enlevâmes le général et le conduisîmes à Gibraltar
où il arriva dans l'après-midi du 7. Nous pensions tous
que le général était l'homme qu'il nous fallait et que
son arrivée produirait une impression profonde. Il était
entièrement d'accord et demanda avec insistance que les
pleins pouvoirs lui soient donnés comme commandant
en chef de toutes les forces se trouvant déjà ou devant
être amenées en Afrique du Nord. Il fallut plusieurs
heures pour le persuader de modérer ses exigences.
Sous l'influence du général Juin, Alger se rendit dans
la soirée du 8 novembre. Dans l'après-midi du lende-
main, le général Clark installait dans cette même ville
son quartier général avancé. C'est là que fut retrouvé
l'amiral Darlan qui était entre nos mains, bien que
traité avec la plus grande considération, depuis la veille.
Il était revenu après son voyage officiel pour se rendre
au chevet de son fils que l'on disait mourant.
Le débarquement à Casablanca eut lieu lentement en
raison d'une opposition obstinée. Un grand nombre de
bateaux chargés de troupes croisaient, hors de portée des
canons des forts et des sous-marins allemands. Quatre
jours sur cinq, le brisant est à Casablanca beaucoup trop
fort pour permettre le débarquement sur les plages. Les
Américains jusqu'alors avaient été favorisés par le temps
d 'une étonnante façon, mais cela pouvait cesser d 'unmoment à l'autre et, si cela se produisait, la plus grande
partie de !'Armada de Casablanca devrait se grouper
dans la baie de Gibraltar ou croiser en pleine mer au
milieu des sous-marins. Malgré la capitulation d'Oran
(le 10), les conditions de débarquement n'auraient été
qu'insuffisantes et celui-ci n'aurait pu s'effectuer que
très lentement avec des forces pourtant deux fois supé-
rieures. Tout retard, ou toute manœuvre, qui n'aurait
pas été décisive, aurait pu provoquer en Espagne des
réactions diverses, craintes ou revendications, car dans
ce pays l'attention se concentrait sur cette opération.
C'est pourquoi il était si important de mettre fin aux
combats de Casablanca aussitôt que possible. Certes,
lorsqu'on considère rétrospectivement ces événements
qui, en fait, ont tourné à notre avantage, ils paraissent
aujourd'hui moins risqués aux chefs d'état-major
américains et au général Eisenhower. Les États-Unis
auraient pu perdre de 10 000 à 20 000 hommes noyés
par le tir des sous-marins allemands, sans parler des
combats sur les plages ni du feu des batteries côtières.
La nécessité d'agir rapidement n'échappait à
personne. Le Maroc et l'Algérie n'étaient, somme toute,
que des Étapes vers le but réel : la Tunisie, position clé
de la Méditerranée centrale. Une progression rapide vers
l'Est n'était possible qu'à deux conditions, d'une part un
« cessez le feu » total de la part des Français, et, d 'autre
part, l'absence de sabotage sur les routes et sur les che-
mins de fer. On avait aussi besoin del' aide des Français
pour le déchargement des bateaux. Tout ralentissement
de la marche vers l'Est aurait donné aux Allemands le
temps d'amener sur les lieux une puissante armée, et
chaque jour perdu signifiait une semaine de combats
sanglants avec d'énormes pertes supplémentaires. Telleétait la situation à laquelle devaient faire face le général
Clark à Alger et le général Eisenhower, son supérieur,
à Gibraltar.
Toutes les hautes personnalités françaises de Tunis,
d'Alger et du Maroc avaient été invitées à Alger et la
plupart d'entre elles avaient accepté cette invitation.
Darlan, Juin, Noguès, Chatel, étaient réunis.
L'amiral Esteva, en qui nous avions placé de grands
espoirs, était retenu à Bizerte par l'ennemi. Ces Français
étaient en proie à de violentes discussions. Sous la pres-
sion du général Clark qui attendait une décision, Giraud
et toutes les autres personnalités françaises tombèrent
d'accord pour reconnaître en Darlan le chef et le gardien
del' autorité mystique du maréchal Pétain, honneur de
la France. Darlan, bien que virtuellement prisonnier,
refusa d'abord, puis, tard dans l'après-midi, accepta la
proposition de Clark et donna les ordres nécessaires
pour que les Français cessent toute résistance contre
les Forces alliées.
Tous les combats cessèrent à Casablanca, sans qu'on
sache si c'était en conséquence des ordres en question,
et les Américains purent commencer à débarquer le
matériel lourd. L'accord provisoire conclu par le général
Clark et l'amiral Darlan fut approuvé, pour ce qu'il
valait, par le général Eisenhower. Ce fut le début de
nos relations avec Darlan.
Le jour suivant, un grand événement se produisit.
Hitler envahit la zone française non occupée, malgré les
protestations du vénérable et illustre Maréchal.
Cet acte était une rupture del' armistice. Les officiers
français se considéraient comme relevés des conditionsde celui-ci. Tou tes les prévisions s'écroulaient. Il fallait
faire face à une nouvelle situation. On pouvait dire
désormais que l'illustre et vénérable Maréchal n'était
plus libre. Darlan était maintenant la seule autorité
émanant manifestement du maréchal Pétain. Le général
Giraud ne pouvait pas réclamer cette autorité. Il avait
quitté la France sans la permission du Maréchal et
même, comme on l'a suggéré, en rompant sa promesse
écrite. Le plus remarquable était que le général Giraud
lui-même était impressionné par les arguments des
autres Français. Ils le convainquaient qu'il n'avait aucun
espoir d'influencer la décision et, même, il paraissait se
sentir en état d'infériorité vis-à-vis des autres Français
qui pouvaient prouver avoir obéi à des ordres émanant
légalement du Chef de l'État.
Le 13, pour la première fois, le général Eisenhower
arriva à Alger, venant de Gibraltar en compagnie de
l'amiral Cunningham (commandant en chef des Forces
navales alliées d'invasion). Il eut des entretiens plus
sérieux avec le général Clark, l'amiral Darlan et d'autres
officiers supérieurs français. Son but n'était pas seulement
de faire cesser la résistance, mais encore de transférer de
notre côté toute la machine administrative et militaire
française.
Le 14, il télégraphia aux chefs d'état-major de
Washington, sous les ordres desquels il sert, qu'il était
arrivé à un accord avec les Français. Ceux-ci, en effet,
accepteraient uniquement Darlan comme chef et ce
dernier coopérerait avec l'armée alliée. Le point principal
résidait en ceci : le général Eisenhower reconnaissait
l'amiral Darlan comme l'autorité suprême française
en Afrique du Nord. Ce n'était pas un traité, mais un
arrangement du commandant en chef américain avecles autorités locales, pour faciliter le débarquement de
ses troupes et le déplacement de son armée vers l'Est.
Non seulement les généraux américains, mais aussi
l'amiral Cunningham, qui connaissait la Méditerranée
d'un bout à l'autre et qui était dans l'entreprise Torch
depuis plusieurs mois, et les représentants des Affaires
étrangères et du Département d'État qui était présents,
pressaient fortement leurs gouvernements d'accepter
l'accord écrit dont je viens de parler. Toutes les forces
aussi bien que les autorités françaises se joignirent à nous.
Ainsi les Américains étaient relevés des anxiétés et des
difficultés qui leur auraient été imposées (aussi bien qu'à
nous) s'ils avaient dû s'imposer de force à l'administra-
tion qui dirigeait ces vastes régions et du danger toujours
plus imminent de sabotage qui en aurait découlé. Giraud
fut nommé commandant en chef par Darlan. Le général
se hâta de rallier les troupes françaises à leur nouvelle
soumission. La garnison française de Tunis, qui n'avait
opposé aucune résistance aux débarquements allemands,
qui avaient déjà commencé à cet endroit, sortit de la
ville vers l'Ouest et prit position face à l'Est, contre les
Allemands. La fraternisation entre les soldats français,
américains et anglais suivit ... La population, dont les
sympathies n'avaient jamais été mises en doute, mais
qui dans certains endroits sombrait dans l'hébétement
et l'égarement, devint enthousiaste et l'entreprise tout
entière se développa vigoureusement. Gain énorme
comparé à ce qui était arrivé au début. Dans toutes ces
discussions le gouvernement de sa Majesté ne fut jamais
consulté et nous ignorions tous les détails des graves
événements qui se déroulaient. Le Président devait
prendre une décision : ou bien approuver la ligne de
conduite de son général, ou la désavouer. Ill' approuva.Devions-nous répudier le général Eisenhower au risque
de provoquer un grave incident?
La vie de nos soldats et la réalisation de notre but
commun nous auraient tenu bien peu à cœur si nous
avions pris une décision aussi fâcheuse. Le 17 novembre,
j'envoyai au Président un télégramme ainsi conçu :
*
Je crois être de mon devoir de vous faire savoir
quel' arrangement avec Darlan provoque des courants
d'opinion très profonds. Plus je réfléchis à cette affaire,
plus j'ai la conviction que cet accord ne peut être qu'un
accord provisoire que seules justifient les nécessités de
la guerre. Ne sous-estimons pas le coup que porterait à
notre usage, non seulement en France mais dans l'Europe
entière, l'idée que nous serions disposés à nous entendre
avec les Quisling locaux. Un accord permanent avec
Darlan ou avec ses collaborateurs en Afrique du Nord
ne serait pas compris par la majorité de la population
dont la loyauté fait notre force.
Pour ma part, j'estime que nous devrions poursuivre
les combats sans trop tenir compte des conversations.
Nous sommes tous heureux d'apprendre que le général
Eisenhower espère être en mesure de donner l'ordre aux
éléments principaux de notre 1 re Armée d'attaquer les
Allemands à Tunis et à Bizerte au cours des jours qui
vont suivre.
*
Quelques heures plus tard, le Président fit à ce sujet
la déclaration qui fut publiée et qui plut à tous. Il me fit
télégraphier le 17 à minuit le texte de cette déclaration
que VOICI:*
]'ai donné mon approbation aux accords politiques
du général Eisenhower concernant l'Afrique du Nord
et l'A.O.F. Je comprends parfaitement et j'approuve
le sentiment qui règne aux États-Unis, en Grande-
Bretagne et dans toutes les Nations Unies et suivant
lequel, en raison de ce qui s'est passé au cours de ces
deux dernières années, il est impossible de conclure un
accord permanent avec l'amiral Darlan. De même les
peuples des Nations Unies ne comprendraient jamais
la reconnaissance d'un gouvernement de Vichy recons-
titué soit en France, soit dans un territoire français
quelconque. Nous sommes contre tous les Français
qui soutiennent. Hitler ou l'Axe. Personne, dans notre
armée, n'a le pouvoir de discuter du futur gouverne-
ment ni de l'Empire français. Le futur gouvernement
de la France sera choisi, non pas par un seul individu,
sur le territoire métropolitain ou dans les colonies,
mais par le peuple français lui-même lorsqu'il aura
été libéré par la victoire des Nations Unies. L'accord
provisoire actuel ne peut être qu'un expédient que
seules justifient les nécessités stratégiques. Cet accord
consacre la réalisation de deux objectifs militaires.
Le premier de ces objectifs était, d'une part, de sauver
des vies américaines et anglaises, et, d'autre part, des vies
françaises. L'autre objectif n'était autre que le temps,
facteur d'une importance vitale.
Cet accord a permis d'éviter une période de
« nettoyage» à Alger et au Maroc qui aurait demandé
un mois ou deux et qui aurait retardé la concentration
des forces nécessaires pour l'attaque de Tunis par l'Ouest.
Chaque jour de retard aurait permis aux Allemands
et aux Italiens de mettre sur pied une forte défense, de
creuser des tranchées, etc., ce qui nous aurait obligés à
effectuer une opération de grande envergure.Ici encore, notre offensive rapide actuelle sauvera de
nombreuses vies. Il faut noter également que des forces
françaises placées sous le commandement du général
Giraud ont déjà combattu l'ennemi en Tunisie pour la
libération de leur pays, côte à côte avec les soldats amé-
ricains et anglais. La proclamation de l'amiral Darlan a
contribué à rendre cette opération de nettoyage inutile.
Les accords provisoires conclus avec l'amiral Darlan
concernent tous les problèmes locaux sans exception.
J'ai demandé que fussent libérées toutes les personnes
qui avaient été mises en prison en Afrique du Nord pour
s'être opposées aux efforts des Nazis pour dominer le
monde, et j'ai conseillé l'abrogation de toutes les lois et
décrets inspirés par les Nazis. Des rapports indiquent
que les Français d'Afrique du Nord subordonnent
toutes les questions politiques à la formation d'un front
commun contre l'ennemi commun.
*
Il m'a semblé que ces déclarations du Président
sauvegardaient ce que j'appellerai la politique « à long
terme » à laquelle nous pouvons nous fier. Pourtant
je dois dire que, personnellement, j'estime que dans
les circonstances actuelles le général Eisenhower a eu
raison et que, même dans le cas contraire, j'aurais eu
mauvaise grâce à gêner ou à empêcher son action alors
que tant de questions importantes étaient en cause.
Je n 'ai nullement l'intention de m'abriter ni derrière
les Américains ni derrière personne d 'autre.
Jusqu'à quel point nous sommes-nous engagés vis-
à-vis de l'amiral Darlan ? Il ne fait pas de doute que si
vous demandez de l'aide à quelqu'un qui vous l'accorde
et vous rend ainsi de bien grands services, si (et tel est le
cas ici) son aide vous épargne de grands dangers, vouscontractez une certaine dette vis-à-vis de cette personne.
Je ne veux pas que la Chambre se fasse d'illusion à ce
sujet. Nos deux gouvernements avaient, sans conteste,
le droit de rejeter l'accord Eisenhower-Darlan, mais,
à la lumière des faits qui ont suivi, il apparaît claire-
ment que certaines obligations ont été contractées à
l'égard de l' Amiral. Nous avons grandement bénéficié
de l'aide qu'il nous a accordée. Le général Eisenhower
a précisé qu'il ne se considérait aucunement lié d'une
façon permanente à l'amiral Darlan. Il ne s'agit pas ici
d'interprétations juridiques. C'est une question d'équité.
Le général Eisenhower est à même d'en décider. Darlan
et les autres chefs français sont à sa merci.J'espère qu'il
interprétera ses obligations d'une façon honorable et
raisonnable, même envers un homme comme Darlan.
Depuis, les événements se sont succédés rapidement. Les
armées américaines et britanniques, fortes de plusieurs
centaines de milliers d'hommes, ont été débarquées avec
leur lourd matériel et contrôlent maintenant la plus
grande partie de l'Afrique du Nord française, soit une
région de plus de 1 400 km d'Est en Ouest, à l' excep-
tion de 30 ou 40 km sur la pointe tunisienne que les
Allemands et les Italiens ont transformée en forteresse
et défendent désespérément. Les Alliés se sont assuré le
concours bienveillant de toutes les forces françaises ainsi
que celui de l'administration locale dont les chefs ne
peuvent plus faire machine arrière. Nous avons besoin
de leur assistance, mais ils sont en notre pouvoir; les
troupes françaises se sont bien battues à deux reprises dif-
férentes. Une première fois, 600 soldats repoussèrent une
attaque allemande sans céder un pouce de terrain tout
en subissant des pertes atteignant 25 °/o. Une seconde
fois, ces mêmes troupes anéantirent plusieurs effectifsallemands à Faïd avec l'aide de l'artillerie américaine
et de quelques parachutistes, et enlevèrent la position
en capturant 1 OO prisonniers, allemands pour la plu-
part. Elles gardent une ligne de 64 km environ depuis
la côte sud de la Méditerranée jusqu'à la frontière de
la Tripolitaine et tiennent en respect les patrouilles
allemandes et italiennes tout en poussant vers Sfax et
Gabès dans la mesure où leur force le permet. Quand
nos troupes seront à pied d' œuvre, nous irons grossir
leurs rangs. Pendant ce temps, Darlan a réussi à réunir
à nos côtés toute l'A.O.F., y compris Dakar.
]'ai demandé au Président si je pouvais citer certains
télégrammes confidentiels et je viens de recevoir la
,
reponse que voici :
*
Si vous le désirez, vous direz de ma part que le général
Eisenhower a reçu des instructions précises lui enjoignant
de n'accepter aucun accord ni aucun arrangement bila-
téral avec l'amiral Darlan, toutes les décisions prises par
Eisenhower devront être considérées comme unilatérales
de notre part, et comme avis émanant du commandant
en chef. De plus, j'espère que vous attirerez l'attention
sur le fait que Dakar n'est plus une menace pour nous,
mais est au contraire utilisé par les avions et navires
alliés pour la poursuite de la guerre.
*
Notre libre accès à Dakar nous a épargné une opé-
ration certainement coûteuse et peut-être sanglante.
Nous disposerons de toutes les facilités qu'offre le port
avec les États-Unis, sur la demande faite par !'Amirauté.Le puissant et moderne cuirassé Richelieu pourra
être envoyé aux États-Unis pour compléter son arme-
ment. D'autres vaisseaux français vont être groupés en
une escadre placée sous les ordres de l'amiral Darlan.
Ce dernier essaye en ce moment, par l'intermédiaire
de ses émissaires, de persuader l'amiral Godfroy, qui
commande l'escadre française internée dans le port
d'Alexandrie et qui est subventionné par nous, de se
joindre aux Alliés. Darlan n'a, jusqu'à présent, pas réussi,
mais nous ne nous décourageons pas. Il semble qu'il
s'agisse surtout d'une question d'honneur assez compli-
quée. (L'escadre de l'amiral Godfroy, qui comprenait
un cuirassé et quatre croiseurs, fut internée dans le port
d'Alexandrie et désarmée au moment de la chute de la
France. En juin 1943, Godfroy permit à ces bateaux
de se joindre aux forces navales alliées.)
Tout ceci se fait au nom sacré du Maréchal et lors-
qu'il donne au téléphone des ordres contraires, qu'il
prive Darlan de sa nationalité, on ne sait pas très bien
s'il agit sous la pression de l'envahisseur, ou bien si lui
Darlan ne fait que réaliser ses projets. En fait, si Darlan
avait à abattre le maréchal Pétain, il le ferait sans aucun
doute ... au nom du Maréchal. L'Amiral s'est ému des
différentes déclarations du président Roosevelt. Il peut
être intéressant de citer une lettre que Darlan écrivit
au général Clark.
On ne nous demande pas de décider pour ou contre,
mais seulement de la comprendre.
*Monsieur le Général,
Des informations émanant de diverses sources
tendent à faire croire que « je ne suis qu'un citron que
les Américains laisseront de côté après en avoir exprimé
le jus » .
Dans la ligne de conduite que j'ai adoptée par pur
patriotisme, en dépit des inconvénients sérieux qu'elle
entraînerait pour moi alors qu'il était aisé pour moi de
laisser faire les événements, ma position personnelle
n'entre pas en ligne de compte.
J'ai agi de la sorte seulement parce que le gouvernement
américain a pris l'engagement de rétablir l'autorité fran-
çaise telle qu'elle existait en 1939, et parce que l'armistice
entre l'Axe et la France fut violé par l'occupation totale
de la France métropolitaine, occupation contre laquelle
le Maréchal a élevé une protestation solennelle.
Je n'ai pas agi par orgueil, ni par ambition, ni pour
effectuer une manœuvre, mais seulement parce que la
position que j'occupais dans mon pays me commandait
d'agir ainsi.
Lorsque la restauration de l'autorité française sera
un fait accompli, et j'espère que cela se fera le plus tôt
possible, j'ai la ferme intention de retourner dans la vie
privée et de finir dans la solitude une vie au cours de
laquelle j'ai servi ma patrie avec ardeur.
*
Au cours de l'été dernier, j'ai établi d'étroites et
amicales relations avec le général Eisenhower. Je ne crois
pas pouvoir donner un meilleur aperçu de la situation
que le dernier message que j'ai reçu de lui. Il fut envoyé
le 5 décembre :
*Sur le terrain politique il est évident que nos
communications de guerre ne nous ont pas bien servis
en essayant de vous tenir convenablement informés. Cela
s'est aggravé par le fait qu'ici les difficultés de censure ont
permis la propagation de certaines rumeurs qui n'avaient
aucun fondement de vérité. Selon certains contes, les
autorités militaires américaines traiteraient avec Darlan
de questions qui n'ont rien à voir avec la situation
militaire locale et accepteraient ses réclamations comme
provenant d'une autorité permanente et non comme
celles du chef provisoire du gouvernement local. Rien
n'est plus éloigné de la vérité. L'amiral Cunningham,
Mr. Mark, le général Whiteley et les autres officiers
britanniques sont soigneusement informés de toutes nos
transactions locales avec Darlan et elles sont au courant
des difficultés que nous avons éprouvées à débrouiller
la situation confuse à Dakar. Je lui répète qu'il est à la
tête de l'organisation locale de facto grâce à laquelle
nous pouvons nous assurer la coopération des civils et
des militaires, indispensable pour mener à bien cette
campagne. Il sait que je n'ai aucun pouvoir pour aller
plus loin. Je puis vous assurer de nouveau que nous
n'entendons pas mener une cabale pour placer Darlan
à la tête de quoi que ce soit, excepté une organisation
locale. Ici, il nous est absolument nécessaire, car lui seul
est à l'origine de toute l'aide matérielle que nous avons
reçue. Si vous voulez bien examiner la situation existant
le long de nos lignes de communication, quis' étendent
sur 800 kilomètres d'ici à la Tunisie, en passant par
les régions montagneuses, vous comprendrez que les
Français de l'endroit pourraient, sans craindre d'être
découverts, nous causer de tels dommages que nous
serions obligés de nous replier en hâte vers les ports qui
nous permettraient de nous ravitailler par mer. Giraud
cessa rapidement de nous aider. C'est seulement grâce
à l'aide que Darlan nous a apportée que nous pouvons
maintenant combattre les Boches en Tunisie au lieu delivrer bataille quelque part du côté de Bône ou même
encore plus à l'Ouest. (Le jour où fut reçu ce message,
les Alliés arrivèrent à moins de 40 km de Tunis où
l'attaque devint étale. En février, les Allemands lancèrent
une contre-offensive qui fut arrêtée au col de Kasserie.
Les Alliés ne s'emparèrent pas de Tunis avant mai).
On peut donc dire que Boisson (gouverneur général
de Vichy en A.O.F.) et Darlan s'engagent tous deux
irrévocablement à aider à la victoire alliée ...
Nos succès militaires dépendent, entre autres
facteurs, de notre capacité à protéger notre infanterie
par des chasseurs. Ce qui, en retour, dépend de notre
ravitaillement, del' établissement de terrains d'atterrissage
avancés et des rapides mouvements de notre aviation
de chasse jusqu'à ce que la victoire soit acquise. Cela
dépend également des conditions atmosphériques,
tant que nous ne pourrons pas obtenir des grillages
d'acier pour recouvrir les terrains boueux. Ensuite, nous
devrons faire venir tous les renforts dont nous disposons
encore pour remplacer les troupes actuellement en
ligne et qui ont besoin d'un court repos . De plus,
nos lignes de communications doivent fonctionner
assez bien pour que toutes nos forces de terre et de
l'air soient assurées de recevoir des réserves nécessaires
quand commenceront à nouveau des combats plus
intenses. Un autre facteur important est d'intercepter
les renforts ennemis. Les terrains d'atterrissage pour
les bombardiers sont maintenant si loin des objectifs
quel' ampleur de nos bombardements n'est pas ce que
nous voudrions qu'elle soit, mais nous faisons de notre
mieux. Finalement, nous devons prévoir une protection
efficace de nos lignes de communications maritimes et
terrestres, particulièrement de nos ports. Tous ces travaux
mobilisent nos ressources et demandent à chacun de
travailler à la vitesse maxima, mais nous y arriverons.
Tout cela vous montre combien nous dépendonsde la coopération passive ou active des Français. C'est
pourquoi nous n'avons aucune raison de montrer de
la répugnance quant à l'aide que nous apporte Darlan.
*
Il est absolument nécessaire que nos deux gouverne-
ments et, si je peux m'exprimer ainsi, le Président et
moi-même, restent en relations étroites comme nous
le sommes actuellement. Que demandons-nous? Nous
demandons que les Français s'unissent dans un effort
maximum contre l'ennemi commun. Ce résultat ne
peut être obtenu que graduellement et il sera meilleur
s'il est accompli par les Français eux-mêmes. Si
l'amiral Darlan nous rend d'importants services, il
aura incontestablement droit à notre considération, en
dépit du passé. Mais cette considération ne lui donne
aucun droit de réclamer quoi que ce soit concernant
l'avenir des possessions françaises qui se sont ralliées à
lui, encore moins, à l'avenir de la France elle-même. Les
Allemands, par leur tyrannie, créeront bientôt, à notre
avantage, l' unité de la France métropolitaine. Cette
unité ne peut plus prendre maintenant qu'une forme
antiallemande. Dans de pareilles circonstances l'esprit
de la France Combattante doit être continuellement
en progrès. Leur récompense viendra avec la victoire.
Nous devons arriver, aussi rapidement que possible, à
une entente efficace et, en fin de compte, à une conso-
lidation de l'unité des Français qui se trouvent hors de
l'emprise allemande. Le caractère et la constitution du
gouvernement de l'amiral Darlan doivent être continuel-
lement modifiés par l'introduction d'éléments nouveaux
et sains. Nous avons le droit et, je pense, le pouvoir,de procéder à ces remaniements indispensables aussi
longtemps que les États-Unis et la Grande-Bretagne
agiront harmonieusement ensemble. Mais entre temps,
et avant tout, la guerre commande.
Il faudrait être bien pessimiste et avoir peu de loyauté
pour ne s'intéresser dans cette extraordinaire épopée
africaine qu'aux accords faits par le général Eisenhower
et l'amiral Darlan. La lutte pour la pointe tunisienne
atteint maintenant son maximum d'intensité et la bataille
principale est imminente. Une autre épreuve de force
est très proche sur les frontières de la Cyrénaïque.
Ces deux batailles seront livrées presque unique-
ment par des soldats de notre île. La première et la
huitième Armées seront engagées au maximum. Je ne
peux distraire mes pensées de ces soldats et de leur sort,
et j'espère que tel est le sentiment de la Chambre des
Communes. La Chambre sentira, je pense, qu'elle est
loyalement servie par le gouvernement de Sa Majesté.
Je vous demande de nous aider en refusant de défaire
quoi que ce soit qui puisse ajouter aux difficultés et aux
pertes de nos troupes.Je vous demande d'accorder toute
votre confiance au gouvernement et de ne poursuivre
inflexiblement qu'un seul but. Je vous demande de traiter
avec la réprobation qui s'impose cette petite, active et
venimeuse faction qui propage de vils soupçons sans
fondement, et ainsi de resserrer votre unité autour de
nous dans les difficultés à travers lesquelles nous devons
faire notre chemin inlassablement et victorieusement.Pendant la guerre, M. Winston Churchill a prononcé
cinq discours importants devant la Chambre des
Communes siégeant en séances secrètes. Suivant
la coutume parlementaire aucun de ces discours n'a été
conservé.
Heureusement, l'importance de ces déclarations était
telle que l'auteur dut les préparer minutieusement
à l'avance. Le texte en fut sévèrement contrôlé, d'une part
pour éviter toute erreur, si légère fût-elle, qui aurait pu
s'y glisser et d'autre part, pour assurer toute sécurité.
M. Churchill possédait encore ces notes quand
il abandonna son poste de Premier ministre. Quand
le nouveau gouvernement leva le rideau sur ce qui s'était
passé lors des séances secrètes, l'ancien Premier autorisa
leur publication.
Il n'est pas possible d'affirmer que ces discours sont
la reproduction fidèle et complète des textes lus par
M. Churchill. Il est probable qu'il eut à modifier certains
mots ou phrases afin de rendre le texte plus conforme
aux traditions oratoires de l'assemblée anglaise; en tout
cas il ne peut s'agir que de très légers changements, sans
importance quant au sens du texte. Ils constituent une
contribution utile à l'histoire de la guerre et expliquent
bien des événements dont le sens et la portée ont pu
échapper à certaines personnes.
- Charles Eade
15 EUROS

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