La tentation monarchique d'Emmanuel Macron, par Frédéric Says (France Culture)
Source : France Culture, Frédéric Says, 23.03.2017
Le candidat d’En Marche assume sa “verticalité”.
“Quel président voulez-vous être ?” La première question des débats télévisés est si générale, si large qu'elle semble avoir été conçue uniquement pour permettre aux candidats de s’échauffer la voix (et aux techniciens de régler leurs micros).
Mais au-delà des réponses stéréotypées, façonnées pour tenir en une minute trente, il convient de se concentrer sur des petits faits de campagne clairsemés. Pris bout à bout, ils permettent bien davantage d’éclairer cette interrogation.
Quel président voulez-vous être ? Chez Emmanuel Macron, cette série de faits clairsemés illustre une vision volontiers centralisatrice, voire une inclination quelque peu monarchique.
Passons vite sur la démarche d'avoir fait broder son parti de ses initiales, EM, passons sur les phénomènes de cour, logiques devant une ascension si spectaculaire, et concentrons-nous sur ses propositions.
Hier, devant l’Association des maires de France, le favori de la présidentielle a réitéré l'une de ses propositions-phares : la suppression de la taxe d'habitation pour 80 % des ménages. Emmanuel Macron prive ainsi les collectivités locales de la maîtrise d’une partie de leur budget. Il s'est bien sûr engagé à ce que l'État compense le manque à gagner, mais cette reprise en main budgétaire face aux communes revient à une forme de re-centralisation. Car le gouvernement pourra toujours refuser, sous prétexte d’économies, de rembourser les collectivités à 100% (ce ne serait pas la première fois).
Une logique similaire prévaut pour une autre proposition d’Emmanuel Macron : la renationalisation de l'Assurance-chômage. Fini la gestion des partenaires sociaux, c'est l'État qui dirige.
Ajoutons à cela une mesure symbolique, certes, mais signifiante. Emmanuel Macron veut recréer les chasses présidentielles, cette lointaine tradition royale qui renvoie à François 1er. Selon le candidat d'En Marche, ces chasses présidentielles, supprimées en 2010, “fascinent partout” dans le monde et participent de “l'attractivité” de la France.
L'histoire ne dit pas si l'on verra le gouvernement En Marche, à cheval, débusquer le gibier dans la brume du domaine de Chambord. (Arrivés à ce stade du billet politique, vous comprenez enfin le choix de l’illustration)…
Pour caractériser cette éventuelle présidence Macron, il faut aussi observer la manière dont il conduit sa campagne…
Là encore, cela en dit plus long qu'un débat télévisé. L’organigramme est saisissant : contrairement aux autres prétendants, le candidat de En marche n'a pas de directeur de campagne. Le directeur de campagne, c'est lui. Par ailleurs, qui pourrait aujourd'hui citer le nom de l'un de ses porte-paroles ? Au-delà du cénacle journalistique, pas grand-monde… Candidat, directeur de campagne et porte-parole, Emmanuel Macron fait tout. Par son organisation, il nous dit : « la campagne, en l'état, c'est moi ».
Pas de jurys citoyens, nulle démocratie participative dans la bouche du favori de l'élection. « J'assume la verticalité », confesse-t-il d'ailleurs à propos de son mouvement. Ainsi, récemment, En Marche a annoncé que ses candidats aux législatives seraient désignés après la présidentielle. Autrement dit, encore davantage que dans les autres partis, ces candidats n'auront pas le temps de faire leur propre campagne et procéderont entièrement de la figure d'Emmanuel Macron.
Exemples isolés ou stratégie théorisée, Frédéric ?
Il ne faut pas y voir, me semble-t-il, des annonces de circonstances ou de coups de communication improvisés. Tout cela s'inscrit au contraire dans une réflexion historique et politique très construite. Emmanuel Macron en avait tracé les lignes dans un entretien fort intéressant accordé à l'hebdomadaire “Le 1”, en juillet 2015. Que dit-il ? A la question de savoir si “la démocratie est forcément déceptive”, Emmanuel Macron répond ceci :
“Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n’est plus là ! On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d’y placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l’espace. On le voit bien avec l’interrogation permanente sur la figure présidentielle, qui vaut depuis le départ du général de Gaulle. Après lui, la normalisation de la figure présidentielle a réinstallé un siège vide au coeur de la vie politique. Pourtant, ce qu’on attend du président de la République, c’est qu’il occupe cette fonction. Tout s’est construit sur ce malentendu.”
Le discours du candidat En Marche est limpide. Il vise à concilier, sous l'habit du président, les “deux corps du Roi”, théorisés par Kantorowicz.
Derrière le discours d’Emmanuel Macron, peut-être faut-il déceler aussi un raisonnement plus stratégique. Depuis quinze ans, sur fond de lassitude démocratique, chaque président est élu par contraste avec son prédécesseur : la fin de mandat de Jacques Chirac fut jugée ronronnante, alors Nicolas Sarkozy se présenta en “candidat de la réforme et de la rupture”. Le mandat de Nicolas Sarkozy fut jugé vibrionnant et bling bling, alors François Hollande se présenta en “candidat normal”. Le mandat de François Hollande est marqué par le manque d'incarnation, alors Emmanuel Macron se fait fort de la restaurer.
Source : France Culture, Frédéric Says, 23.03.2017
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