vendredi 16 septembre 2016

Le mouvement islamique du Turkestan oriental, par Giancarlo Elia Valori

Le mouvement islamique du Turkestan oriental, par Giancarlo Elia Valori

Source : Modern Diplomacy, le 30/05/2016

Publié le 30 mai 2016 par Giancarlo Elia Valori

Le Mouvement islamique du Turkestan oriental

Le Mouvement islamique du Turkestan oriental

Selon certaines sources syriennes officielles très récentes, en avril dernier plus de 5000 djihadistes ont traversé la frontière turque en direction d’Idlib et d’Alep. Parmi ceux-ci se trouvaient un nombre inconnu – quoique considérable – d’ouïghours en provenance du Xinjiang chinois (Turkestan oriental). Le soutien technique et opérationnel à ce nouveau djihad aurait été fourni par les services turcs et des unités spéciales des forces armées turques, à savoir les “Bérets bruns”.

Certaines sources parlent de 1500 djihadistes du Xinjiang, tandis que d’autres d’au moins 1000 militants djihadistes en provenance de cette région chinoise.

Le soutien pour l’organisation et la formation pour cette opération a été soi-disant fourni non seulement par les forces turques, mais aussi par les guérillas turkmènes elles-mêmes, qui avaient déjà contribué à abattre l’appareil Sukhoi Su-24M et à supprimer son équipage au sol en novembre 2015.

Il convient de rappeler que l’appareil soviétique avait été abattu par la force aérienne turque en raison d’une prétendue violation de son espace aérien.

Il convient également de rappeler qu’à l’heure actuelle tous les partis de gouvernement et d’opposition turcs soutiennent les efforts djihadistes turkmènes dans le territoire syrien.

Avant le début de la guerre en Syrie, les djihadistes turkmènes avaient toujours vécu dans les zones rurales à l’est d’Alep et dans le massif côtier près de Lattaquié du nom de djebel Turkmène.

Actuellement à Alep la brigade spécifiquement “Turkmène” connue sous le nom de Liwa al Mu’tasem Billah opère, même si elle y a été présente depuis le début des affrontements. Néanmoins, jusqu’à présent, la population turque a été représentée par « l’Assemblée des Turcs syriens », fondée en 2013 par le gouvernement turc, précisément par le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Davutoglu

C’est la véritable « porte pivotante » du passage de l’aide de la Turquie au djihad ouïghour et turkmène, à la fois à la frontière avec la Turquie et à l’intérieur de la Syrie.

Depuis le début des hostilités, le soutien à cette minorité, y compris l’assistance militaire évidemment secrète, est organisé par l’ONG turque IHH, déjà bien connue de l’opinion publique mondiale pour ses opérations de soutien aux actions militaires du Hamas à Gaza le 31 mai 2010, avec sa Flottille de la liberté.

Le 10 Janvier 2016, des avions russes ont frappé les entrepôts IHH dans le djebel Turkmène.

Après tout, les racines anciennes de l’AKP lui-même le relient à une partie « cachée » des Frères musulmans turcs qui, après que la Cour constitutionnelle l’ait empêché de se présenter aux élections avec son parti traditionnel de référence, à savoir le Milli Görüs de Ecmeddin Elbatan, en 1996, remodela rapidement la scène islamiste turque.

Les liens entre le régime du président Erdogan et l’Ikhwan, comme avec l’ensemble des Frères musulmans, sont toujours très étroits.

Les sources officielles égyptiennes du plus ancien groupe islamiste parlent d’un AKP défini comme « non-islamiste », mais certainement « musulman », alors que, du moins officiellement, le président turc Erdogan se réfère souvent à un islam turc lié à la tradition soufie de Shams ed Din Tabrizi et Djalal ad-Din Roumi.

Selon toute vraisemblance, cependant, ceci est une opération médiatique ad usum Delphini, à savoir pour les capitales occidentales non averties.

Et dire que la Loge italienne du Grand Orient opérant à Alexandrie et en Salonique voulait juste fournir une couverture aux soufis des réseaux militaires turcs et ottomans et pousser la « révolution des Jeunes-Turcs » [en 1908, NdT].

Un officier supérieur des services de renseignement turcs, Irshad Hoza, a été arrêté en Égypte immédiatement après la prise du pouvoir par Al Sisi.

De plus, encore après le récent coup d’État égyptien, un Conseil révolutionnaire égyptien a été créé à Istanbul, composé de 81 fugitifs éminents appartenant tous aux Frères.

Nous pouvons donc en déduire que c’est le canal Ikhwan [Frères musulmans, NdT] qui est utilisé par les forces politiques et militaires turques pour soutenir les guérillas djihadistes turkmènes – et donc ouïghours – près d’Alep et dans toute la Syrie.

C’est certainement – mais pas seulement – pour éviter de « saper » le point le plus important de l’appareil de renseignement et militaire reliant l’État turc et le djihad syrien.

Cependant, il y a une autre organisation « humanitaire » turque – plus pro-djihadiste que l’IHH, mais à dessein moins connue – appelé Imkander, qui a été fondée en 2009 pour aider les veuves et les orphelins des Turkmènes et des combattants djihadistes dans le nord du Caucase, vivant maintenant en Turquie.

À ce jour, elle a fourni jusqu’à 300 millions de livres turques (près de 100 millions de dollars) au djebel Turkmène (et donc aux ouïghours combattant souvent avec eux), en plus de quatre convois d’aide “humanitaire” (et militaire) entre décembre et janvier dernier.

En février 2014, le dirigeant d’Imkander, Murat Ozer, a assisté aux funérailles du chef du djihad tchétchène, Seifullah Al-Shishani (ie Ruslan Machalikashvili) qui, après la fin de la guerre islamique dans le Caucase russe, avait prêté allégeance au Front al-Nosra en Syrie.

Parmi d’autres ONG turques, il soutient le front turkmène-ouïghour connu sous le nom de « Front islamique du Grand Orient » (IBDA-C), une structure déjà répertoriée comme organisation terroriste par le Département d’État des États-Unis en 1992.

Avant d’opérer en Syrie et de soutenir les ouïghours « turkmènes », il avait mené des attaques terroristes contre quelques associations alaouites qui avaient toujours été présentes sur le territoire turc et en particulier en Anatolie.

Les partisans du djihad pro-turc et ouïghour comprennent également les désormais célèbres « Loups gris » (également connus sous le nom « Ulku Ocaklari », les Foyers idéalistes) qui a envoyé une série de 35 convois d’aide aux djihadistes turkmènes-ouïghours – une colonne de camions qui, il y a deux mois, se dirigeait vers le nord de la Syrie.

Le chef des « Loups gris », Selami Aynur, a même été tué à Alep par les forces de Bachar el-Assad, au cours d’une opération avec son bataillon turkmène-ouïghour en mars 2014.

C’est un turc « nationaliste », Alparslan Celik, combattant également avec le djihad turkmène, qui a tué le pilote russe de l’avion Sukhoi 24M et les pilotes d’hélicoptère intervenus pour « l’exfiltrer ».

En tout cas, le financement étranger du djihad turkmène-ouïghour possède toujours un bastion en Allemagne.

En outre, il y a deux mois, le président Erdogan a annoncé que « la Turquie protégerait tous les musulmans dans les Balkans. »

C’est une référence claire au rôle que le dirigeant turc assigne à la communauté turque et turkmène en Allemagne, appelée à servir comme base à la collecte de fonds, au soutien, à la couverture et au recrutement pour le lien stratégique entre le djihad des Balkans, clairement sur le point d’éclater, et la guerre en Syrie, axe véritable du développement panturc, sunnite et nationaliste de la Turquie de l’Anatolie aux frontières chinoises.

Dans l’esprit du président Erdogan, les Balkans seront un bastion imprenable, avec une Allemagne turque-ouïghoure agissant comme un axe principal, tandis que les opérations de percée turque en Syrie, visant à unir les mondes sunnites et turkmènes-ouïghours, seront les « centres de gravité » de cette nouvelle guerre en cours de préparation.

L’Allemagne abrite plus de 3 millions de Turcs, dont 2,5 millions ont la nationalité allemande : plus de 75% de cette population a des dispositions nationalistes islamistes.

80% des turcs en Allemagne vivent des prestations sociales et seulement 20% ont un emploi régulier.

Personne ne sait combien d’ouïghours vivent en Allemagne, à l’instar de leur chef historique, Dolkun Isa, qui est maintenant citoyen allemand. Ils sont probablement maintenant plus de 25 000, et politiquement actifs.

Dans le nord de la Syrie, les ouïghours s’installent dans les villages laissés par ceux que nous, en Occident, appellerions « migrants », en particulier dans Jisr Al-Shughour et Zanbaq, deux petites villes autour d’Alep.

Il en résulte que la démographie est modifiée du fait que vous ne pouvez faire autrement militairement.

Ce que font les ouïghours autour d’Alep est avant tout le « sale boulot » de tuer les « espions russes ».

Pour revenir à l’UE et sa politique étrangère vaine et pratiquement inexistante, la Turquie croit encore à l’utilité des turcs en Allemagne, en vue de reconstruire le mythe et le rêve de l’Empire Ottoman qui, dans ses deux connotations islamiste et nationaliste, unit et radicalise à la fois les islamistes soi-disant « laïques » turcs, quel que soit leur attachement aux Frères ou à sa plus récente progéniture djihadiste.

Nous sommes confrontés encore une fois au vieux mythe historique de l’empereur Guillaume qui, avec son diplomate et agent secret Max von Oppenheim, l’alter ego et l’ennemi de Lawrence d’Arabie, a planifié et organisé le djihad mondial dans le but de déstabiliser l’ensemble de l’Empire britannique et d’encercler l’Europe, de manière à utiliser plus tard l’alliance entre l’Allemagne et l’islam « radical » comme un nouvel axe allemand pour s’étendre à l’ensemble de l’Asie orientale, jusqu’à la Chine.

C’est ce qu’on appelle le Péril Jaune – dans l’ancien sens impérial allemand.

Aujourd’hui, il y a encore le cas d’un garçon turc, âgé de 13 ans, né à Munich, pris à la mi-avril à la frontière turco-syrienne, alors qu’il tentait de rejoindre l’EI.

Couramment, dans le passé, les ouïghours du Xinjiang avaient déjà combattu avec une « brigade » autonome pour soutenir les talibans en Afghanistan, et avec al-Qaïda, en particulier dans les « zones tribales » du Pakistan.

Frapper un ami de la Chine, à savoir le Pakistan, atteint indirectement ceux que les ouïghours, avec leur mentalité ethniciste, rejettent comme les « usurpateurs Han ».

Quoi qu’il en soit, selon les données disponibles de « sources ouvertes », actuellement les combattants ouïghours en Syrie – également répartis entre les « turkmènes » et le Front al-Nosra lié au Parti islamique du Turkestan – sont d’environ 7000 et en augmentation, tandis que les autres éléments du front syrien sont inexorablement fermés à l’arrivée des djihadistes de l’Ouest et du Sud-Est.

Du point de vue géographique et stratégique, c’est une conséquence évidente du redéploiement différent des forces impliquées dans la guerre par procuration en Syrie.

D’autres sources « ouvertes » parlent de « centaines » voire « plusieurs milliers » d’ouïghours en provenance du Xinjiang en Syrie, mais ces chiffres doivent encore être confirmés.

En outre, il est de plus en plus prouvé que les ouïghours utilisent les missions diplomatiques turques en Asie du sud-est comme passage vers le djihad syrien afin d’éviter celui plus facilement traçable du Pakistan en Afghanistan, puis en Syrie.

Il y a aussi évidemment une importante et souvent riche diaspora ouïgoure à Istanbul, comptant au moins 20 000 éléments actifs partagés entre le nationalisme des Loups gris et l’AKP.

Une série d’associations ouïgoures recueille des fonds et soutiennent matériellement les djihadistes chinois opérant en Syrie, aussi bien ceux du Front al-Nosra que d’autres opérant directement dans le djihad turkmène autour d’Idlib et d’Alep.

Alors qu’il était maire d’Istanbul, Erdogan a consacré un monument et un parc à Isa Yusuf Alptekin, l’ancien chef de l’insurrection islamiste dans le Xinjiang au milieu des années 1930.

C’est probablement la raison pour laquelle la Chine a promulgué une loi autorisant les opérations militaires de l’Armée de libération du peuple à l’étranger, et déploie une base militaire autonome à Djibouti, en sus des exercices récents de ses forces armées « dans les zones désertiques » et « zones inconnues ».

Les ouïghours arrivent en Syrie jusqu’à la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan, souvent avec leurs familles.

Le coût du voyage vers le djihad est très élevé, approximativement supérieur à 35 000 dollars américains pour chaque famille « envoyée » – somme financée par les réseaux d’ONG turques, avec leurs propres fonds, recueillis par les Turcs allemands au moyen de quêtes dans les mosquées, ou envoyés par les différents groupes islamistes turcs à leurs émissaires en Afghanistan, au Pakistan et particulièrement en Tchétchénie.

Il est évidemment difficile de faire des calculs précis, mais, exceptée la faible part des chinois djihadistes « riches », ces fonds atteindraient 4,5 millions de dollars US par an.

En tout cas, le point de référence pour le djihad ouïghour arrivant en Syrie reste essentiellement le Front al-Nosra, qui, dans cette phase de la guerre syrienne, opère surtout dans la région d’Idlib.

Les Turkmènes sont pris en charge directement par la Turquie et les Ouïghours joignant les rangs de cette forme de djihad se fondent dans le déploiement opérationnel de ce groupe.

Certes – comme cela arrive souvent – ça n’empêche pas l’échange de djihadistes d’un groupe à l’autre, surtout quand il y a des pertes importantes.

Néanmoins, cette situation, en franchissant le seuil tolérable, pourrait inciter la Chine – « si Assad le veut » (comme déclaré en septembre 2015) – à impliquer directement ses troupes dans la vaste guerre mondiale par procuration qui se déroule actuellement en Syrie.

D’un côté, la Chine romprait dangereusement son utile isolement, mais de l’autre, cela lui permettrait de sécuriser l’espace vital chinois du Turkestan oriental qui s’étend du Xinjiang jusqu’aux zones stratégiques vitales du nord de la Chine, décisives pour ses missiles nucléaires de défense, son renseignement électronique et sa puissance cybernétique.

Source : Modern Diplomacy, le 30/05/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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