lundi 11 juillet 2016

Hillary Clinton, un faucon ? Par Michael Brenner

Hillary Clinton, un faucon ? Par Michael Brenner

Source : Consortiumnews.com, le 17/06/2016

Le 17 juin 2016

Les faucons du département d’État et les néoconservateurs en poste à Washington ont très envie qu’Hillary soit présidente. Ils espèrent ainsi pouvoir déployer plus librement les forces américaines autour du monde, mais, selon Michael Brenner, l’avenir n’est peut-être pas si simple.

Par Michael Brenner

Hillary est-elle une va-t-en-guerre ? Eh bien, ses antécédents nous montrent que c’est certainement un faucon, quelqu’un qui croit fortement à l’utilité des forces armées et qui est prête à les utiliser.

De nombreux éléments pourraient donc nous faire pencher pour une réponse affirmative. Son action en tant que secrétaire d’État tout comme ses discours et ses déclarations de candidate donnent l’image d’une présidente présomptive qui voit dans le monde une menace inquiétante, qui est persuadée que, sur le globe tout entier, on s’en prend aux intérêts américains fondamentaux, qui préconise, avec conviction, l’intervention préventive comme en Syrie et en Libye aussi bien que l’intervention préemptive et défensive, qui tient énormément à garder des rivaux présumés comme la Chine ou la Russie dans une position de subordonné.

La candidate démocrate à la présidence, Hillary Clinton.

La candidate démocrate à la présidence, Hillary Clinton.

Toutes ces attitudes la distinguent très nettement de Barack Obama. Et en effet, au début de sa campagne, elle s’obstinait à critiquer la Maison-Blanche pour sa politique ouvertement modérée vis à vis de Bachar el-Assad, Vladimir Poutine et Xi Jinping. Et elle n’a changé de discours que lorsqu’en face des succès inattendus de Sanders, il est devenu évident qu’elle devait avaliser le bilan du président.

Les critiques spécifiques qu’adressent à Hillary Rodham Clinton (HRC) ceux qui la trouvent trop va-t-en-guerre sont bien connues. Ainsi elle a voté en faveur de la guerre en Irak, elle a soutenu avec enthousiasme la Guerre mondiale contre le Terrorisme sous toutes ses facettes, elle a collaboré avec le groupe mené par Robert Gates pour pousser le président à intensifier l’escalade en Afghanistan, elle a préconisé une action directe en Libye pour renverser Mouammar Kadhafi et en Syrie pour détrôner Assad, elle s’est montrée acharnée dans sa volonté de confiner l’Iran, même après l’accord nucléaire, elle a traité Poutine de « Hitler » après la prise de la Crimée par la Russie.

Dans son important discours sur la politique étrangère prononcé devant le Conseil des relations étrangères, elle donne encore l’impression d’être une jusqu’au-boutiste radicale surtout en ce qui concerne l’équilibre des forces. En outre, son soutien sans nuances au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou ne laisse aucune place aux réalistes, qui eux s’inquiètent de voir les États-Unis s’infliger un préjudice inutile en appuyant sans réserve tout ce que fait Israël.

Louée par les néoconservateurs

Ce n’est pas un hasard si Robert Kagan et d’autres sommités néoconservatrices la couvrent de louanges, eux qui la voient comme une présidente acquise à leur conception audacieuse et virile de la politique étrangère américaine. Un certain nombre de personnes qui ont travaillé avec Hillary Clinton au secrétariat d’État et/ou sont maintenant ses principaux conseillers font partie de ce regroupement de néoconservateurs et d’interventionnistes libéraux très zélés, qui ont très fortement incité à l’intervention en Libye, comme Samantha Power, Ann-Marie Slaughter et Susan Rice, et qui maintenant poussent à aider les Saoudiens et le Conseil de coopération du Golfe au Yémen et à attaquer la Syrie.

L'intellectuel conservateur Robert Kagan. (Photo credit: Mariusz Kubik, http://www.mariuszkubik.pl)

L’intellectuel conservateur Robert Kagan. (Photo credit: Mariusz Kubik, http://www.mariuszkubik.pl)

L’exemple le plus frappant, c’est Victoria Nuland, la porte-parole d’Hillary Clinton au secrétariat d’État, maintenant secrétaire adjointe d’État pour l’Europe, qui a mené avec beaucoup d’enthousiasme la croisade anti russe. Elle avait été auparavant la vice-conseillère en politique étrangère du vice-président Dick Cheney.

Victoria Nuland a été introduite dans l’administration Obama par Strobe Talbot qui l’avait sous ses ordres à l’Institut Brookings et dont elle était la protégée. Talbot lui-même, qui avait été vice-secrétaire d’État pendant le second mandat de Bill Clinton, avait, peu à peu, rejoint la ligne la plus belliqueuse de l’establishment de la politique étrangère. L’affiliation à Brookings d’un important néoconservateur comme Robert Kagan, le mari de Victoria Nuland, peut avoir aidé à ratifier l’accord.

Certains des défenseurs d’Hillary Clinton soutiennent qu’il faut considérer ses vues va-t-en-guerre dans un contexte politique. Ses ambitions présidentielles, expliquent-ils, l’ont forcée à trouver une façon de surmonter ses handicaps au sujet de la sécurité nationale en tant que présumée libérale. En effet, d’abord elle est censée faire partie de la dynastie Clinton qui encourageait à bâtir des ponts de coopération en politique étrangère, c’est, du moins, la façon dont cela était perçu par ses critiques républicains, et ensuite c’est une femme.

Ella a été obligée d’agir ainsi après le 11-Septembre. Ainsi l’a-t-on vue se démener en choisissant son camp lors des votes ou en prononçant des discours pour avoir l’air d’un faucon. C’est là aussi la raison de son amitié très médiatisée avec John McCain, qui s’est affichée lors des voyages tous frais payés des sénateurs dans des endroits exotiques aux noms étranges où, comme le rapportent les journalistes, elle s’est montrée l’égale de son mâle collègue en sifflant de nombreuses vodkas.

On doit garder à l’esprit que la politique étrangère n’a jamais beaucoup intéressé Hillary Clinton. Et très certainement pas la sécurité nationale. Ce qui l’intéressait, c’étaient les problèmes intérieurs qu’elle connaissait bien. Elle ne s’est penchée sur les questions de politique étrangère qu’en 2008 lorsqu’elle a décidé de se présenter à la primaire démocrate.

Conviction ou pragmatisme ?

On peut raisonnablement inférer que ce qui a commencé comme un exercice de pragmatisme politique s’est transformé en vraie conviction. Aucun élément ne vient attester qu’HRC ait élaboré une stratégie exhaustive sur le rôle des États-Unis dans le monde, encore moins une théorie sur ce que doivent être les affaires internationales.

La secrétaire d'État adjointe pour les affaires européennes et eurasiennes, Victoria Nuland, pendant une conférence de presse à l'ambassade de Kiev en Ukraine, le 7 février 2014. (U.S. State Department photo)

La secrétaire d’État adjointe pour les affaires européennes et eurasiennes, Victoria Nuland, pendant une conférence de presse à l’ambassade de Kiev en Ukraine, le 7 février 2014. (U.S. State Department photo)

En même temps, cependant, il y a de fortes raisons de croire que la dureté de ses discours et de ses propositions politiques expriment, effectivement, ses opinions, aussi nébuleuses soient elles. Ses quelques propositions concrètes sont mal conçues et irréalistes, comme, par exemple, l’idée de mettre en œuvre « une zone de sécurité » dans le nord de la Syrie. Tout ce à quoi cette mesure aboutirait serait de créer une base protégée pour al-Qaïda et al-Nosra et leurs associés salafistes, tout en comportant le risque élevé d’un clash avec les forces russes qui opèrent dans cette zone.

Est-ce que cela signifie qu’après son élection, Hillary Clinton aurait l’intention de déployer des troupes en Syrie ? Qu’on intensifierait les efforts contre l’EI ? Qu’on enverrait en Libye des forces conduites par les Américains ? Qu’on provoquerait toujours plus la Russie en Europe de l’est, en invitant, par exemple, l’Ukraine à rejoindre l’OTAN comme le lui avait déjà proposé George W. Bush ?

Il est un peu tôt pour répondre à ces questions par l’affirmative. Les discours chauvinistes, ce n’est pas difficile de les tenir quand on n’est pas au pouvoir. Quand on est celui qui doit prendre les décisions à propos des déploiements de l’armée et s’attendre à en gérer les conséquences imprévisibles, alors là on agit toujours avec une certaine prudence.

Il est plus probable qu’Hillary Clinton ait à faire face à une guerre qu’elle n’avait pas prévue plutôt qu’elle ne se mette à en engager une de façon calculée, et ce pour un certain nombre de raisons. D’abord, il n’y a pas d’endroits où intervenir massivement avec des troupes au sol, pas d’Irak bien tentant, comme en 2003. L’Iran est en haut de la liste des priorités des néoconservateurs, mais avec l’accord nucléaire, il n’y a plus de justification. L’Irak, de nouveau, et la Syrie sont aussi des candidats théoriques. Qui, cependant, est l’ennemi et quel serait la cible d’une telle intervention ?

L’EI, évidemment, mais maintenant il est confiné et perd de plus en plus d’influence. Des troupes américaines au sol amèneraient simplement une guérilla dont on ne verrait pas la fin. Quant à al-Qaïda et al-Nosra en Syrie, on ne les considère pas comme des ennemis, mais bien plutôt comme des alliés tacites à l’intérieur du camp « modéré ».

Il y a Assad. Avec des troupes russes au sol, cependant, et sans consensus occidental ou sans perspective de permettre la mise en œuvre d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, une invasion pour remplacer le parti Baas par des salafistes de l’EI ou/et al-Qaïda n’aurait pas de sens, même avec l’agitation des Kagan et de Samantha Power. En outre, c’est une tâche dont, contrairement à la CIA, ne veulent pas les pontes du Pentagone. Après tout, beaucoup de sang a été versé et beaucoup d’argent a été dépensé pour immuniser l’Afghanistan contre une présence terroriste beaucoup moins importante que celle qui règne maintenant en Syrie — et pour rien du tout !

La Libye est le seul endroit où l’on pourrait envoyer des troupes en nombre important. L’argumentation pour agir ainsi nous ramènerait à un Afghanistan bis. Pourtant, en l’absence d’un événement comme le 11-Septembre, il serait difficile de faire accepter une telle décision au peuple américain.

Les risques de guerre par erreur de calcul sont plus élevés. Barack Obama lègue à son successeur un pays bloqué dans un champ de mines au Moyen-Orient, sans ami ni GPS diplomatiques. Hillary, bien sûr, porte une grande part de responsabilité dans la création de cette topographie incertaine et pour la prédominance d’habitudes hyperactives dans la politique américaine, une combinaison qui peut s’avérer fatale.

D’abord, maintenir un état de tension élevée avec l’Iran peut favoriser des incidents dans le Golfe persique. En outre, les troupes américaines et iraniennes se mêlent en Irak comme l’eau et l’huile. Il n’est donc pas tout à fait exclu qu’on voie des incidents relativement mineurs dégénérer en des combats sérieux, attisés par les fanatiques des deux côtés.

Jouer avec les allumettes en Ukraine

C’est en Ukraine que se situe l’autre foyer de conflit. Là, la belle histoire de la Russie méchant agresseur qui veut à tout prix récupérer son empire d’Europe de l’est a conduit, de la part de Washington, via l’OTAN, à une série de décisions militaires provocatrices, qui sont en train de susciter une nouvelle Guerre froide. La force des ultra-nationalistes de Kiev, encouragés par leurs soutiens dans l’administration Obama et la farouche rhétorique des commandants militaires américains, ont empêché une résolution du conflit en Ukraine de l’est grâce à l’accord Minsk II.

Le président russe Vladimir Poutine s'adresse à la foule le 9 mai 2014, lors de la célébration du 69ème anniversaire de la victoire sur l'Allemagne nazie et le 70ème anniversaire de la libération du port criméen de Sébastopol tenu par les nazis. (Photo du gouvernement russe)

Le président russe Vladimir Poutine s’adresse à la foule le 9 mai 2014, lors de la célébration du 69ème anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie et le 70ème anniversaire de la libération du port criméen de Sébastopol tenu par les nazis. (Photo du gouvernement russe)

La paranoïa déferle sur les États baltes et la Pologne, de nouveau avec la connivence active du « parti de la guerre » de Washington dont Hillary Clinton est un membre fondateur. Même si l’on peut être certain qu’elle n’a pas réfléchi aux implications de cette décision et, en passant, qu’on peut être rassuré par la retenue de Poutine, le manque de prudence qui se manifeste là rend cette situation infiniment dangereuse.

Puis, il y a le facteur Bill. C’est le joker du jeu de cartes. On sait qu’Hillary a l’habitude de le consulter sur toutes les questions d’importance. Il est son confident polyvalent. Il va de soi qu’il sera une sorte d’éminence grise à la Maison-Blanche. Alors la question principale est de savoir quel rôle il va jouer et quels conseils il va donner. Il y a de bonnes raisons pour croire qu’il va tempérer les tendances va-t-en-guerre de sa femme.

Après tout, ce dont Bill Clinton a plus envie que tout à ce moment de sa vie, c’est de retourner à la Maison-Blanche où il pourra déambuler à loisir et murmurer à l’oreille de sa femme. Il savoure cette position unique dans l’histoire, il savoure le fait d’être l’objet de l’attention. C’est le statut qui compte, pas ce que l’on fait.

En tout cas, il a quelques convictions au sujet des problèmes de politique étrangère les plus importants. Ainsi son instinct lui dira d’éviter les coups de téléphone à 3 heures du matin, les crises graves et les risques qu’elles comportent. Les actes aventureux qui exigent du courage et de la force d’âme n’ont jamais été son point fort. Comme Barack Obama, ce n’est pas un héros.

Nous devrions en être reconnaissants.

Source : Consortiumnews.com, le 17/06/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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