Treize ans après avoir envahi l'Irak, les États-Unis font toujours les mêmes erreurs, par Trevor Timm
Source : The Guardian, le 21/03/2016 Les préparatifs de la guerre de 2003 ont été accompagnés de beaucoup de désinformation. Mais aujourd’hui, il n’y a même plus un semblant de débat sur l’intervention militaire Il y aura treize ans dimanche que nous avons envahi l’Irak, mais les nouvelles à la télé ne vous en parleront presque pas. Peut-être y a-t-il trop d’anniversaires de guerres ces temps-ci pour en garder la trace, ou peut-être est-ce que notre pays n’a quasiment rien retenu de la pire débâcle de politique étrangère qu’ait connue notre génération. Le gouvernement étatsunien a célébré l’anniversaire de la guerre en Irak en annonçant qu’il allait envoyer plus d’hommes sur le terrain. Vous vous souvenez sûrement que cette guerre était censée être “finie” il y a plus de trois ans. Pourtant des milliers d’hommes y ont été renvoyés depuis fin 2014 pour combattre l’ÉI (l’État Islamique), un groupe dont la création est directement liée à la première guerre en Irak – à moins qu’on l’appelle seconde, suivant la façon de compter. Au total, les États-Unis ont bombardé l’Irak pendant 25 ans, sous les quatre derniers présidents (vous pouvez visionner un montage vidéo montrant chacun des quatre annonçant respectivement sa campagne de bombardement, ici). Et si vous écoutez les candidats qui sont en tête pour l’investiture de chacun des partis, vous pouvez parier que cette série arrivera à cinq dès le jour de leur intronisation à la Maison-Blanche. Donald Trump et Hillary Clinton ont tous deux appelé à une expansion de l’action militaire au Moyen-Orient, en réponse à l’ÉI. Trump a évoqué plusieurs fois “un bombardement qui ferait un enfer” de leurs champs pétroliers, bien qu’il n’ait pas eu peur de qualifier de “désastre” la guerre en Irak. Il est difficile de savoir si Clinton a tiré quelque leçon que ce soit de la guerre en Irak. Elle a décrit son vote en faveur de la guerre, à titre de sénatrice, comme une erreur ; mais cela ne l’a pas empêchée de partir à la charge contre la Libye en 2011, pour renverser un autre dictateur, pour n’aboutir qu’à faire tomber le pays entre les mains de terroristes. Elle a poussé à une stratégie identique pour traiter le cas Bachar el-Assad. Hillary Clinton, lors d’un événement public en novembre 2015, a fait cette franche remarque peu mentionnée dans les reportages : selon elle, les États-Unis auraient l’obligation d’envoyer des troupes au sol en réponse à l’ÉI. Mais combien d’Américains savent qu’en fait nous avons déjà des troupes au sol qui combattent en Irak et en Syrie, malgré la promesse, réitérée 16 fois au moins par Obama, qu’il n’y aurait “pas de troupes au sol” dans cette bataille ? C’est la leçon que l’exécutif semble avoir, plus que toute autre, tirée de l’Irak : pas de débat public sur l’entrée en guerre. En dehors des milliers de “conseillers” militaires qui sont en Irak en ce moment, du financement occulte de rebelles en Syrie, et des frappes de drones à travers le Moyen-Orient, le département de la Défense a une “force spéciale de ciblage expéditionnaire”, déployée tant en Irak qu’en Syrie en missions actives de combat. Combien d’hommes participent réellement aux combats ? Eh bien, ils ne prennent pas la peine de nous en dire plus. Après la mort d’un marine tué ce week-end en Irak, les États-Unis ont tranquillement annoncé que plus de soldats seraient envoyés en “consultation” avec le gouvernement irakien. Mais, comme le rapportait NBC News : “Le nombre de marines n’a pas été révélé.” Le Congrès semble avoir appris la leçon de la même façon que l’exécutif. Des centaines de congressistes ont beau avoir à jamais sali leur nom en votant pour la guerre en Irak, ils ne semblent pas avoir appris à refuser des conflits militaires dont on ne voit pas la fin. Au lieu de cela, comme pour la guerre contre l’État Islamique, ils prennent la tangente : leur échappatoire consiste à ne pas se mouiller dans le moindre vote, et à laisser l’exécutif prendre toujours plus de pouvoir en matière de guerre, tout en évitant absolument de leur côté d’en endosser la moindre responsabilité. Et les médias, alors ? Judy Miller a perdu son boulot au New York Times, mais bien d’autres de ces reporters qui ont poussé à la guerre en Irak, en se fondant sur des sources mensongères et sur des renseignements fallacieux, ont au contraire vu croître leur influence. Alors qu’on peut certainement supposer que le New York Times est maintenant plus prudent (l’est-il ?) dans ses reportages sur la guerre, l’alarmisme dans les infos télé quant au terrorisme est probablement pire qu’en 2003 – quand Dick Cheney jubilait à “Meet the Press”, sa tribune préférée, pour asséner à l’opinion sa propagande belliciste. Pendant les quinze jours de 2014 qui ont précédé les premières frappes de la guerre à l’État Islamique, l’observatoire progressiste des médias “Fair” a étudié les émissions d’information télévisée (TV par câble et réseaux hertziens). Il a constaté que parmi les 205 invités reçus, seuls 3% étaient opposés au lancement d’une guerre contre l’ÉI. Au cours des talk-shows du dimanche, qui constituent le degré zéro des idées reçues admises à Washington, un seul et unique intervenant parmi 89 invités pouvait être caractérisé comme “anti-guerre” quand le sujet a été abordé. Treize ans après l’invasion de l’Irak, une chose est sûre : si vous allumez la télévision un dimanche matin et que vous y voyez un partisan de la guerre en Irak – un homme politique, un expert ou un journaliste – en train d’expliquer avec ferveur que nous devrions nous jeter dans notre prochaine guerre, pas un sourcil ne se lèvera. Source : The Guardian, le 21/03/2016 Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source. |
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