Droit international : Bombarder un hôpital est-il un crime de guerre ? Par Corinne Roussel
Hôpital de Maarat Al-Numan, Syrie. Avant-après.
Dans une réaction officielle au bombardement délibéré de l’hôpital de MSF de Ma’arrat al-Numan, le 15 février dernier en Syrie, le nouveau ministre des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault condamnait “avec la plus grande fermeté” les attaques “délibérées” contre les structures de santé de Syrie “par le régime ou ses soutiens” et les qualifiait de “constitutives de crimes de guerre”. Même si le pays d’origine du bombardier responsable de l’attaque reste encore à établir, au regard des Conventions de Genève, la déclaration d’Ayrault est parfaitement factuelle : les bombardements intentionnels d’hôpitaux sont en effet interdits par les lois humanitaires internationales et ce, quelle que soit l’identité des belligérants. Il n’y a pas d’exceptions – du moins en théorie. En pratique, tout dépend. Au Yémen, l'hôpital de MSF Shiara attaquéLe 10 janvier 2016, une structure de soins soutenue par MSF à Razeh, l’hôpital Shiara, était frappée par un projectile, avec un bilan de cinq morts et dix blessés. Selon MSF, qui a déclaré ignorer l’origine de l’attaque – une de plus dans une série de structures de santé de MSF prises pour cibles au Yémen – les coordonnées GPS de l’hôpital avaient pourtant été transmises à toutes les forces en présence. De plus, l’ONG maintenait un dialogue constant avec les belligérants pour s’assurer de leur compréhension de la sévérité de la situation humanitaire sur le terrain et de l’obligation légale de respect des lieux de soins. Selon les propos de la directrice d’opérations Raquel Ayora rapportés par CNN, “Il est impossible que ceux qui ont la capacité de mener des frappes aériennes ou de lancer des missiles n’aient pas su que l’hôpital Shiara était un structure de santé fonctionnelle, soutenue par MSF et qui fournissait des services critiques”. Hôpital Shiara, Yémen.En réaction à l’attaque, la diplomatie française a publié un communiqué prudent :
Pour mémoire, reprenons les termes exacts du communiqué de Jean-Marc Ayrault sur l’attaque de Ma’arrat al-Numan en Syrie :
Pour revenir à l’attaque du 10 janvier contre l’hôpital yéménite Shiara, la réponse officielle américaine à cette énième agression illégale de structures hospitalières vitales a été encore plus réservée que celle de la France. Enfouies à la page 2 d’un rapport de sept pages d’USAID posté sur le site du Département d'État, sept lignes expédient, dans les termes les plus neutres, quatre attaques contre des dispensaires de MSF au Yémen, dont celle de l’hôpital Shiara, et la saisie probable par l’ONG de la Commission internationale humanitaire d’établissement des faits, un organisme d’enquête indépendant instauré dans le cadre des Conventions de Genève et soutenu par l’ONU. Yémen toujours, l’hôpital Haydan de MSF bombardé par la coalition saoudienneLe bombardement de l’hôpital Haydan de MSF par la coalition saoudienne (Arabie Saoudite, EAU, Bahreïn, Koweït, Jordanie, Soudan et Égypte, avec le soutien de la logistique et des renseignements militaires américains), le 26 octobre 2015, n’a pas rencontré beaucoup plus d’écho. Au cours des briefings officiels de presse des jours suivants l’attaque, le Département d'État s’est cantonné à un silence prudent, alors que l’Arabie Saoudite niait toute implication et que MSF l’accusait de mensonge. Le porte-parole du Département de la Défense américain, Edgar Vasquez, a néanmoins confié à Salon.com.
Depuis, en contradiction avec ses dénégations précédentes , l’Arabie saoudite a admis sa responsabilité dans le bombardement mais en a rejeté la faute sur MSF, qui n’aurait “pas fourni les bonnes coordonnées GPS”. Selon l’ONG française, l'hôpital était la seule structure à même de sauver des vies de la région. Il a été détruit à 99%. Kunduz et la question de CNN : Le bombardement d’un hôpital afghan par les USA constitue-t-il un crime de guerre ?Pour MSF, c’est indubitablement d’une présomption de crime de guerre qu’il s’agit dans l’affaire du bombardement de l'hôpital de Kunduz par les USA. Dans un communiqué du 6 octobre 2015, Joanne Liu, présidente internationale de l’ONG, écrivait
Le jour même de l’attaque, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Zeid Ra’ad Al Hussein réclamait également une enquête “rapide, indépendante, complète et transparente” sur cet événement qu’il dénonçait comme “absolument tragique, inexcusable, et possiblement même criminel”. Bien qu’encadrés par les guillemets d’usage dans les cas où la malveillance n’est pas prouvée, les mots “crime de guerre” brandis par MSF et les médias français, les exigences d’explications de l’ONG, la déclaration de Zeid Ra’ad Al Hussein et une demande d’enquête du ministère français des Affaires étrangères ont suscité des réactions américaines pour le moins fluctuantes : en l’espace de quatre jours, quatre versions différentes se sont succédées. Samedi, l’armée américaine disait ne pas être sûre d’avoir frappé l'hôpital, mais expliquait que des forces américaines s’étaient retrouvées sous le feu des Talibans. Dimanche, c’était une ligne de front du voisinage qui était visée et non l’hôpital, frappé par erreur. Lundi, les Afghans avaient requis des frappes américaines de soutien et mardi, c’étaient bien les Américains qui avait demandé les frappes sur requête afghane. Dans une cinquième version émise le jour de l’attaque, Sediq Sediqi, porte-parole du ministère de l’Intérieur afghan, expliquait aux caméras de presse
MSF a nié toute présence de terroristes dans l’hôpital et qualifié les propos de Sediqi “d’aveu de crime de guerre“. Pour Christopher Stokes, directeur général de l’ONG,
En conclusion, le général John Campbell, commandant de la mission américaine en Afghanistan, a présenté ses plus sincères condoléances sans toutefois s’excuser, le président Obama a appelé la direction de MSF pour présenter des excuses au nom des USA, le Pentagone a proposé une compensation financière aux familles des victimes, le Département d'État a écarté les demandes répétées d’une enquête indépendante de MSF et le Pentagone a promis une enquête interne. Hôpital de Kunduz, AfghanistanEspérons que le bombardement de l’hôpital syrien de MSF de Ma’arrat al-Numan, perpétré “probablement par les Russes” selon la quasi-unanimité des médias français, verra aboutir la demande publique d’enquêtes indépendantes de la présidente internationale de MSF, Joanne Liu. La Commission internationale humanitaire d’établissement des faits, qui n’a pas encore été saisie à ce stade, se déclare prête à fournir ses services en lien avec cette triste affaire. Corinne Roussel pour www.les-crises.fr |
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