samedi 20 octobre 2012

Fukushima : Le sort du Japon était à la merci de quelques misérables batteries de voiture !


L’émission Morning Bird du 10 octobre diffusée sur TV-Asahi revient longuement sur les fameux extraits des 48 heures de téléconférence qui ont été enregistrées les 12 et 13 mars 2011 lors de la phase critique de la catastrophe nucléaire de Fukushima-Daiichi. Nous allons reprendre – comme d’habitude – les séquences de l’émission d’Asahi-TV dans leur ordre d’apparition chronologique afin de les analyser et de les commenter.

Une téléconférence reliant 5 interlocuteurs TEPCO différents (00:30)

Outre les 3 centrales touchées par le séisme et le tsunami du 11 mars 2011 (en haut), une caméra retransmet les images de la salle de crise du centre déporté (1) ainsi que celles du QG de l’opérateur situé à Tokyo (en bas à droite, cravates et costumes).
A Fukushima-Daiichi, le 14 mars 2011, le Directeur Yoshida s'écriait : "C'est la fin..."

Des batteries presque à plat (00:40)

En cas de défaut des réseaux électriques principaux (réseau électrique) et secondaire (générateurs auxiliaires) les équipements vitaux des salles de contrôle-commandes des unités de Fukushima-Daiichi sont alimentés par l’intermédiaire d’une dizaine de batteries d’une capacité suffisante pour assurer quelques heures d’autonomie aux appareillages essentiels de conduite et de surveillance des réacteurs (2).

Un peu plus tard sur la vidéo (04:37), Yoshida avoue qu’il a finalement pu réunir les dix batteries nécessaires mais que ces dernières s’avèrent finalement « mortes ». Plus de 50 heures après le début des événements, Tepco ne comptait que sur ces misérables batteries de véhicule pour s’extirper d’une situation de plus en plus critique.

L’Asahi demande à Tepco pourquoi les bandes de Fukushima-Daiichi sortent aussi tard des placards (1:34)

Le 5 octobre 2012, l’opérateur Tepco permet enfin aux journalistes de prendre connaissance de 6 heures d’enregistrement de vidéoconférence qui avaient jusque là été « retenues ». A la question directe du journaliste de l’Asahi-TV, l’opérateur, à peine embarrassé, répond par la pirouette habituelle : « Pour protéger certaines informations personnelles ». Tepco devrait trouver une autre excuse, celle-ci commence vraiment à s’émousser…

12 mars 2011, 11h : début des enregistrements vidéo (01:52)

L’unité n°. 1 venait d’exploser moins de sept heures avant ; cette séquence dont le son est original mais les images ont été reconstituées se déroule dans les locaux Tokyoïtes de Tepco.

Le coup de pied de l’âne de Tepco à Kan (02:06)

Un responsable de Tepco (3) déclare : « Les politiciens du PDJ au pouvoir sont très capables mais assez jeunes et peu expérimentés ; entre autres, M. Kan perd souvent son sang-froid. J’en ai moi-même fait l’expérience à six ou sept reprises !« . L’opérateur venait alors de se faire passer un savon mémorable par un Naoto Kan très énervé de ne pas être vraiment tenu au courant de la progression de la situation sur le terrain. Quelques heures plus tard, le Premier Japonais effectuait une visite-éclair (4) surprise sur le site.

Il nous manque 4 batteries ! (03:20)

Masao Yoshida, Directeur de la centrale de Fukushima-Daiichi, démarre à ce moment son incroyable tirade sur les batteries :

« il nous manque 4 batteries, quelqu’un peut-il nous prêter [sic] des batteries de voiture ? »


Les déclarations de Yoshida sont sans équivoque : Le sort du Kanto et peut-être de l’intégralité du Japon était à la merci de quelques misérables batteries de voiture ! L’opérateur aurait certes pu solliciter les autorités pour obtenir en quelques dizaines de minutes ces équipements plus que courants mais, par fierté ou encore par peur de nouveaux reproches de la part d’un Naoto Kan furieux, il ne l’a pas fait.

Une explosion contrôlée d’une paroi de l’unité n°. 1 (04:19)

Tepco avait bien évoqué à un moment l’usage d’armes militaires ; il semble, d’après cette séquence, que l’objectif exact ait été d’effectuer une ouverture dans le confinement et / ou dans les murs externes du bâtiment-réacteur n°. 1 afin de dégazer l’hydrogène qui s’y accumulait dangereusement, suite à la fusion inexorable du cœur n°. 1.
« Nous pourrions demander à l’armée de démolir le panneau anti-déflagration du côté maritime en utilisant une arme à feu. »
Cette proposition n’a pas été retenue, sans doute pour les mêmes raisons que celles évoquées ci-dessus.

L’explosion de l’unité n°. 3 (07:18) : « C’est affreux ! »

Nous avons déjà évoqué cette séquence dans laquelle M. Yoshida annonce, quasiment en direct, l’explosion de l’unité n°. 3 de Fukushima-Daiichi le 14 mars 2011 à 11h01. Si la traduction offerte est correcte, le Directeur de la centrale s’écrie à deux reprises : « C’est affreux ! ». Enfin, une réaction honnête et spontanée dans un océan d’affreuses banalités : la panique sans doute ? Yoshida avait d’ailleurs déclaré – bien plus tard – que tout le monde là-bas pensait mourir à cette minute précise…

Il n’y a plus d’eau dans le réacteur n°. 2 et nous ne pouvons dégazer… On dirait que c’est la fin ! (08:40)

Yoshida explique qu’une équipe d’intervention – une équipe-suicide – tenta d’ouvrir manuellement les vannes de dégazage du bâtiment-réacteur n°. 2 afin d’éviter au bâtiment d’exploser. Alors que cette mission délicate et dangereuse était en cours, le QG de Tepco mettait la pression sur Yoshida et ses hommes, comme si ces derniers n’avaient pas pris pleinement conscience des priorités d’action :
Tokyo : « Il faut dégazer, Yoshida, dépêchez-vous… Même si l’ouverture créée est minime, c’est mieux que rien… Est-ce enfin ouvert ? »
Yoshida : « Ne me posez pas trop de questions en même temps ! Nous faisons de notre mieux pour effectuer un dégazage sec (5) en ce moment précis... Veuillez ne pas nous déranger ! » (10:32)
Tokyo : « Ouvrez la petite vanne en premier – dépêchez-vous ! » Le ressort empêche la vanne de s’ouvrir, oui, le ressort maintient la vanne fermée !
Les enregistrements s’arrêtent à ce moment précis. Pourquoi ?

Banale apocalypse

La dernière partie de l’émission de l’Asahi-TV semble enregistrer les réactions des journalistes de plateau après la présentation du reportage ; le moins que l’on puisse dire est que le registre qui domine est bien celui de l’incompréhension la plus totale : comment une société aussi puissante que Tepco peut-elle réagir d’une manière aussi mesquine et disproportionnée par rapport au désastre qui se déroule et dont l’issue s’affirme de plus en plus certaine au fil des heures ?

Tepco à l’Asahi : quel extrait des vidéos souhaitez-vous visualiser ? (12:15)

Sans se démonter, l’équipe de l’Asahi répond : « toutes ». Malgré cette demande, l’opérateur de la centrale de Fukushima-Daiichi annonce qu’il lui est impossible de répondre à cette requête. Il semble que les 6 heures extraites l’aient été à la suite d’un sondage effectué parmi les journalistes présents le 5 octobre et qui ont eu alors l’occasion de visionner l’ensemble des enregistrements dans les locaux de Tepco.

Le reporter de l’Asahi : il existerait des situations « bien pires » dans les extraits des enregistrements non publiés

Le journaliste affirme qu’il a visualisé l’ensemble des enregistrements en y consacrant une quinzaine de jours dans les bâtiments de Tepco ; l’ensemble des retranscriptions forme un pavé impressionnant au sujet duquel le reporter affirme qu’il contient des événements « bien plus choquants » que ceux diffusés.
L’affaire des batteries ne pourrait finalement s’avérer être qu’une aimable plaisanterie ?

Sources photos et vidéos : TepcoAsahi-TV
(1) Tepco avait établi à Fukushima un centre déporté (ERC) qui aurait pu permettre de gérer un tant soit peu la crise même en cas d’évacuation complète d’une ou plusieurs des centrales ; ce centre s’est vite révélé peu adapté car trop proche de la centrale en perdition et en situation de déficit électrique prolongé
(2) Circuit de refroidissement de secours RC pour l’unité n°. 1, RC/IC pour les unités n°. 2 et 3 ; contrôle des évents de dégazage, alimentation des appareillages de contrôle vitaux…

(3) Il s’agit probablement de l’ancien PDG de Tepco Masakata Shimizu qui a disparu des écrans radarsquelques heures plus tard, le 13 mars 2011
(4) « Éclair » est également le jargon militaire indiquant une explosion nucléaire, n’y voyez aucun mauvais esprit…
(5) Dégazage à sec ou direct : déconfiner d’urgence l’enceinte secondaire afin d’éviter à tout prix une surpression explosive ; le mélange gazeux extrêmement radioactif est alors dirigé vers la cheminée voire directement vers l’extérieur du bâtiment par l’intermédiaire du panneau anti-déflagration. Aucune espèce de filtrage d’aérosols ou de gaz n’est évidemment possible dans ce cas ; le dégazage est dit « sec » car il ne s’agit pas de vapeur du circuit secondaire mais bien de gaz « secs »

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