Leur ennemi c'est la finance !
Comment le Ministre Français, nommé par le Gouvernement, en charge de l'économie , viole sciamment les procédures en particulier des appels d'offre qui sont gérées par le Code des Marchés publics , fait du "à la va vite" sur un dossier particulièrement essentiel qui est celui de l'outil essentiel au redressement économique français .. en pleine période aoûtienne , qui comme tout le monde le sait, en France , ne brille pas par le nombre de responsables et de techniciens présents derrière leurs bureaux .. en tenant de plus totalement à l'écart , le collègue avec qui il est supposé bosser ..
MOSCOVICI-MONTEBOURG (AFFAIRE PIGASSE): LES ENJEUX CACHÉS DU DUEL
Source : MEDIAPART
Une polémique peut en cacher une autre ! Les médias ont fait leurs choux gras ces derniers jours des ennuis qu’a connus Arnaud Montebourg au sujet de la Banque publique d’investissement (BPI) et se sont longuement attardés sur les conflits d’intérêts que pourrait connaître avec ce dossier le ministre du redressement productif. Las ! L’histoire n’est pourtant pas celle qui a circulé dans la presse et qui, sur fond d’envolée du chômage, a transformé la rentrée du gouvernement en un psychodrame. Selon notre enquête, c’est plutôt une sorte de piège dans lequel est tombé Arnaud Montebourg.
Et si le fait mérite qu’on s’y arrête, c’est qu’il va bien au-delà des détestations ou des animosités qui peuvent opposer certains ministres du gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Il révèle aussi que les deux principaux ministres de Bercy, d’un côté Pierre Moscovici qui a en charge les finances, de l’autre Arnaud Montebourg, en charge de l’industrie, ont des visions très différentes de la Banque publique d’investissement, l’un des projets phare du quinquennat de François Hollande. En clair, deux des plus fortes personnalités du gouvernement ont des conceptions divergentes de la politique économique à suivre.
Pour le comprendre, reprenons le fil de notre feuilleton. C’est un article du Nouvel Observateur qui met le feu aux poudres, jeudi, en suggérant que le projet de constitution de la BPI pouvait être entaché, dès sa conception, d’un grave conflit d’intérêts (lire Ce que l’affaire Pigasse révèle sur le capitalisme parisien). Révélant que Matthieu Pigasse, dirigeant de la branche française de la banque Lazard, avait obtenu ce mandat pour conseiller le gouvernement lors de la création de la future Banque publique d'investissement, l'article pointait au détour de son enquête qu'au moment où cette décision était prise, le même banquier d’affaires nommait Audrey Pulvar, la compagne d'Arnaud Montebourg, à la tête du magazine Les Inrockuptibles dont il est le propriétaire – il est aussi l’un des copropriétaires du Monde.
Colère d’Arnaud Montebourg qui a aussitôt juré ses grands dieux qu’il n’était au courant de rien et que s’il avait été dans la confidence, il se serait opposé au choix pour la BPI du banquier d’affaires. Explication du ministre : « La Banque publique d'investissement, je trouve qu'elle ne peut pas être réalisée par des banquiers, parce que faire une banque qui ressemblerait à d'autres banques, ce n'est vraiment pas ce que l'on cherche à faire. » De son côté, le ministre des finances, Pierre Moscovici, a semblé voler au secours de son collègue du gouvernement en affirmant, dans un communiqué (il est ici), qu’il était le seul responsable de la décision, et qu’il l’avait prise après une procédure classique de sélection d’une banque conseil, conduite par l’Agence des participations de l’État (APE) et la direction générale du Trésor.
Le boycott d'Arnaud Montebourg
Mais malgré ces dénégations, le mal était fait : même si c’est à tort, l’opinion aura pu retenir qu’une méchante histoire de conflit d’intérêts – encore une ! – entachait l’action du gouvernement. Or, l’histoire n’est pas précisément celle-là. Pour dire vrai, elle est même très différente.
Le projet de Banque publique d’investissement, c’est donc l’un des grands projets portés par François Hollande pendant la campagne présidentielle, qui vise, en s’adossant à des structures déjà existantes, comme le Fonds stratégique d’investissement (FSI), Oséo, CDC entreprises et peut-être la Coface, à doter la France d’une grande banque publique destinée à financer les projets industriels, notamment des PME, soit par des concours financiers, soit par des apports en fonds propres. C’est un projet très volontariste qui a pour ambition de pallier les carences des grandes banques privées, qui ont largement délaissé au fil de ces dernières décennies leur mission initiale, celle du financement de l’économie, pour s’adonner à des activités plus spéculatives et rémunératrices. Dans la campagne du candidat François Hollande, la BPI était donc présentée comme devant être un levier majeur pour enrayer le déclin industriel en même temps que l’envolée du chômage.
Dès la constitution du gouvernement, il était donc entendu que le pilotage de ce projet serait conduit en partage entre le ministre de l’économie, Pierre Moscovici, et celui du redressement productif, Arnaud Montebourg. Cela coulait d’autant plus de source que les deux ministères exercent une tutelle partagée sur l’Agence des participations de l’État (APE), qui supervise toutes les participations publiques et qui sera donc au cœur de cette opération. Cela apparaît clairement dans les décrets d’attribution pris lors de la constitution du gouvernement. Dans le cas d’Arnaud Montebourg, le décret (il est ici) précise ceci : « Pour l'exercice de ses attributions, il a autorité, conjointement avec le ministre de l'économie, des finances et du commerce extérieur, sur le service à compétence nationale Agence des participations de l'État. »
Or, les choses déraillent très vite. Certes, quand, le 31 juillet, Pierre Moscovici fait publier par ses services un communiqué (il est ici) annonçant que le haut fonctionnaire chargé d’une mission de préfiguration de la BPI lui a remis un rapport, il prend bien soin de préciser qu’il supervise ce chantier « en étroite association avec Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif ». Mais par la suite, le même Arnaud Montebourg est mis sur la touche par son collègue, ainsi que par les dirigeants de l’APE qui ne l’informent pas des avancées du dossier. C’est le témoignage recueilli par Mediapart auprès de plusieurs hauts fonctionnaires de l’APE et du Trésor : dans les jours qui suivent ce communiqué du 3 juillet, une procédure exceptionnelle est mise en place, et aucun membre du cabinet d’Arnaud Montebourg n’est en copie des très nombreux mails qui sont échangés entre le cabinet de Pierre Moscovici et les directions financières de Bercy.
Une procédure exceptionnelle, sans appel d'offres
Comme l’admettra ultérieurement Pierre Moscovici dans son communiqué en date du 31 août (le revoici), il a demandé le 2 août « à l’Agence des Participations de l’État (APE) et à la Direction Générale du Trésor (DG Trésor) de rechercher, dans les meilleurs délais, un conseil, afin de les assister dans la création opérationnelle de la future BPI ». Selon les témoignages concordants que nous avons recueillis au sein de ces directions, le numéro deux de l’Agence des participations de l’État décroche donc son téléphone le lendemain, le 3 août, pour appeler plusieurs banques et leur demander si elles veulent venir plancher le 7 août suivant à Bercy, pour expliquer la vision qu’elles ont de ce que pourrait être la BPI, et pour dire ce que seraient leurs conditions financières si elles étaient choisies comme banque conseil pour aider au lancement du projet.
Selon nos témoins, les banques sollicitées tombent pour beaucoup d’entre elles des nues. Car il ne s’agit pas d’un appel d’offres, comme elles en voient souvent passer et auxquels elles cherchent périodiquement à concourir : aucun document écrit n’est transmis aux banques sollicitées ; et il n’est pas demandé à ces mêmes banques de produire elles-mêmes un document. Non ! Pendant tous ces premiers jours du mois d’août, tout se passe de manière orale. Et alors qu’il s’agit d’un projet majeur pour le quinquennat, c’est une procédure d’urgence qui est choisie, très peu souvent usitée. En clair, c'est à la va-vite, un vendredi, juste avant un week-end, que des banques sont démarchées, afin qu'elles se prononcent dès le mardi suivant sur l'un des grands projets du quinquennat, sur lequel elles n'ont au préalable jamais travaillé ni réfléchi. Ubuesque...
Pour finir, toujours sans que le cabinet d’Arnaud Montebourg n’en soit informé, quatre banques d’affaires viennent à tour de rôle ce mardi 7 août exposer à Bercy leur vision de la BPI et les honoraires qu’elles pourraient solliciter. Tout cela est bâclé, les banques candidates n’ont eu aucun délai pour travailler au sujet – sont-elles d'ailleurs compétentes ? –, mais enfin, les quatre établissements, dont la banque Lazard, la banque Rothschild, Crédit suisse et une quatrième banque d’affaires, ont une heure chacune pour convaincre les hauts fonctionnaires devant lesquels ils planchent.
Selon les témoignages recueillis par Mediapart, les projets en compétition sont assez voisins. Les seules vraies différences portent sur les rémunérations demandées par les banques : Lazard et une autre banque demandent une rémunération comprise entre 250 000 et 300 000 euros pour cette mission de conseil tandis que les deux autres établissements demandent un prix sensiblement supérieur. Mais en vérité, la différence n’en est pas une longtemps car le numéro deux de l’APE rappelle le même jour les banques les plus gourmandes en leur demandant si elles accepteraient de revoir leurs commissions à la baisse et de s’aligner sur les honoraires demandés par Lazard. Ce qu’elles acceptent de faire, après un bref délai de réflexion.
Décision logique ! Si de nombreuses banques d’affaires ne ratent aucun appel d’offres de l’État, ce n’est pas pour les profits qu’elles en espèrent – qui sont notoirement plus faibles que lors des grandes opérations financières dans le secteur privé. C’est à cause du pouvoir d’influence qu’elles gagnent dans ces opérations : en faisant miroiter auprès de leurs riches clients privés qu’elles travaillent aussi avec l’État, ces banques d’affaires se rendent ainsi indispensables. Un seul exemple : Matthieu Pigasse inonde de notes tous les cabinets ministériels sur la situation du groupe Peugeot, ce qui lui permet de se faire passer pour indispensable auprès du groupe privé ; d'autant plus indispensable qu'il est aussi un patron de presse. En quelque sorte, c'est la technique Alain Minc...
Désaccords sur la Banque publique d'investissement
Les jours suivants, plusieurs banques apprennent, quoi qu'il en soit, par la direction générale du Trésor que la décision sur le choix de la banque conseil est imminente et que la décision sera prise par le cabinet du ministre des finances. Ce qui ne correspond pas exactement à la version officielle que donnera le 31 août Pierre Moscovici. Dans son communiqué celui-ci fera en effet valoir ceci : « Sur la base de ces auditions et des documents de présentation remis par les candidats, l'APE et la DG Trésor ont recommandé au ministre de l’économie et des finances la sélection de la banque Lazard Frères. Cet établissement a en effet présenté la meilleure offre, au regard des attentes exprimées et du prix, pour apporter un appui strictement technique à la mise en œuvre des décisions du gouvernement. »
Pourquoi le ministre des finances prend-il ces libertés avec les faits ? Longtemps proche de Dominique Strauss-Kahn, dont le même Matthieu Pigasse a été dans le passé le collaborateur, veut-il écarter le soupçon que le choix de Lazard était largement joué à l’avance ? Le plus étrange dans l’histoire, c’est que cette mauvaise manière faite à Arnaud Montebourg et à son cabinet, qui ne sont pas associés à cette consultation, se double d’une faute. Selon le témoignage de l’un des hauts fonctionnaires que nous avons consultés, l’article 6 du contrat de mission passé entre l’APE et la banque Lazard prévoit expressément que l’APE devra s’assurer que l’affaire n’est entachée d’aucun conflit d’intérêts. Alors pourquoi le cabinet du ministre du redressement productif n’est-il pas destinataire des notes de l’agence ? Et pourquoi faudra-t-il que l’affaire éclate au travers de cet article du Nouvel Observateur ? C’est le côté obscur de l’histoire car en ne procédant pas à un appel d’offres classique, en veillant à ce que la procédure se déroule avec le moins de traces écrites possible, le ministère des finances et l’APE prêtent le flanc au soupçon.
Ont-ils voulu placer Arnaud Montebourg dans l’embarras ? Ou ont-ils pensé que l’intéressé mettrait son veto au choix de Matthieu Pigasse comme banquier d’affaires ? D’un phrase, c’est ce que l’intéressé a suggéré en faisant valoir qu’on ne peut pas créer une banque nouvelle en s’appuyant sur les recommandations d’une banque ancienne, engluée dans les mœurs financières qui ont conduit à la crise que l’on connaît.
L’hypothèse prend d’autant plus de crédit que, selon des indications concordantes recueillies au sein de ces directions financières de Bercy, les deux ministres n’ont pas du tout la même vision de la banque publique qu’il faut constituer. Un premier schéma, défendu par le cabinet de Pierre Moscovici, consisterait à aller vite en rationalisant un peu les établissements financiers devant entrer dans le périmètre de la BPI (FSI, CDC Entreprises, Oséo, etc.) et en installant au-dessus une instance de coordination. La BPI serait donc moins une banque nouvelle qu’une sorte de holding de tête, mais pas véritablement intégrée. Et au total, ses moyens financiers resteraient limités à ceux dont disposent actuellement les établissements financiers qui passeraient sous son orbite, ce qui correspond environ à 30 milliards d’euros d’actifs.
Le gisement de l'assurance-vie
Or, même si Arnaud Montebourg ne veut pas contrevenir à la discipline gouvernementale que Jean-Marc Ayrault cherche tant bien que mal à faire respecter – et plutôt mal que bien –, les couloirs de Bercy bruissent de la rumeur d’un projet beaucoup plus ambitieux et volontariste. D’abord, le ministère du redressement productif plaide pour une véritable banque de l’industrie, c’est-à-dire pour une banque intégrée, et pas pour une juxtaposition de structures qui existent déjà. Ensuite, il aimerait que la nouvelle banque soit réellement une banque de service public, n’ayant que l’intérêt général comme ligne conductrice, et pas le souci permanent des commissions et retour sur investissement dont sont si friandes les grandes banques privées et qui siphonnent les trésoreries des PME au lieu de les reconstituer. D’où d’ailleurs l’agacement du ministère de voir Matthieu Pigasse faire irruption dans ce dossier. S’il s’agit d’imposer une logique de service public et non pas une logique de marché – sinon d’influence ou de connivence –, ce n’est évidemment pas le conseil adéquat.
Et puis surtout, selon les témoignages que nous avons recueillis dans les directions financières de Bercy, Arnaud Montebourg souhaite que la force de frappe de la nouvelle banque soit non pas de 30 milliards d’euros mais de… 200 milliards ! L’argument est le suivant : mettre une somme sous-calibrée dans un contexte de crise économique, et alors que les banques privées se désengagent du financement de l’économie, serait vain. Il est donc urgent d'afficher une plus grande ambition. D’autant qu’il existe de nombreux gisements inexploités, si une politique fiscale adéquate est mise en place : l’assurance-vie, pour ne parler que d’elle, a ainsi des encours qui dépassent 1 600 milliards d’euros, dont seulement 4 % viennent financer l’économie française et à peine 1 % les PME.
On aurait donc tort de ne voir dans l’affrontement, pour l’instant feutré sinon même masqué, entre Pierre Moscovici et Arnaud Montebourg qu’une opposition de style ou de tempérament – tous deux se sont encore rencontrés ce lundi matin pour faire le point, et les échanges selon nos informations ont été rugueux. Car assurément, ces deux-là ne s’apprécient guère, et cela se sent. Mais l’essentiel est ailleurs : ils sont porteurs de politique économique dont les philosophies n’ont sans doute pas grand-chose de commun. C’est ce qui commence à transparaître au travers de cette affaire Pigasse.
Pour l’heure, l’Élysée temporise et fait mine de croire que l’affaire n’est pas importante. François Hollande devra pourtant arbitrer d’un jour à l’autre. Et il y a fort à parier que cela relancera le débat de politique économique. Et au demeurant faut-il s’en plaindre ? C’est assurément une preuve de faiblesse de ce gouvernement de ne pas admettre qu’un débat d’orientation le traverse. Qu’y a-t-il de mal à cela ? Mieux vaut un débat libre et serein, devant les citoyens – le gouvernement Jospin en a connu de nombreux – qu’une fausse caporalisation, avec en arrière-fond de petites intrigues et des coups tordus…
1 commentaire:
Félicitations pour cet artcle fort bien documenté.
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