vendredi 6 avril 2012

Crise financière crise grecque : 2011 ou le cauchemard bancaire inachevé

La crise économique de fin 2008 metamorphosé en crise bancaire européenne en 2011 n' a peut ètre pas connu sa pire année.  
2012 et le drame budgétaire espagnol risque cette fois de sonner le glas de la monnaie unique avec une crise finale de l' euro.


Robert Skidelsky est professeur émérite d’économie politique à l’Université de Warwick. 


« (...) L’imposition par la chancelière Merkel de son régime de fer à des gouvernements déjà vacillants rend la crise inéluctable. La poursuite d’un discours prônant le salut par la rigueur budgétaire au moment où l’économie pique du nez et où les banques s’effondrent tient de la répétition de l’erreur classique du chancelier allemand Heinrich Brüning, de 1930 à 1932.


La zone euro a certainement besoin de plus qu’un simple renflouement. Sa périphérie doit redevenir concurrentielle. Certains analystes trouvent d’ailleurs encourageant la fonte actuelle des déficits commerciaux des pays méditerranéens. D’après eux, les déséquilibres structurels des échanges commerciaux au sein de la zone euro sont en train de se corriger d’eux-mêmes. Malheureusement, ces ajustements ne reposent pas sur une hausse des exportations, mais bien sur les baisses des importations en baisse qui découlent du faible niveau d’activité économique. (...)


La monnaie unique peut-elle survivre dans un tel contexte ? Les deux mesures qui, appliquées conjointement, auraient pu la sauver ne sont pas au programme. La première mesure en est une d’assouplissement quantitatif à très grande échelle (à l’aide cette fois de la planche à billets). La BCE devrait avoir le pouvoir d’acheter les montants nécessaires de titres obligataires de la Grèce, de l’Italie, de l’Espagne et du Portugal pour ramener leurs rendements vers le taux allemand. Ceci aurait pour effet de stimuler la croissance réelle par divers moyens : en réduisant les taux d’emprunt, en haussant la valeur nominale des actifs publics et privés, et en affaiblissant l’euro par rapport au dollar et à d’autres monnaies. Mais les effets de l’assouplissement quantitatif sur l’activité économique sont incertains, et une telle politique inflationniste pourrait bien inciter les partenaires commerciaux de l’Europe à prendre des mesures de rétorsion.


C’est pourquoi les mesures d’assouplissement quantitatif doivent être conjuguées à un programme d’investissement pour toute la zone euro qui aurait pour objectif de moderniser les infrastructures délabrées de l’Europe de l’Est et du Sud. Les dépenses en capital des gouvernements, contrairement aux dépenses courantes, peuvent s’autofinancer par des droits d’usages. Mais même sans cette qualité, des investissements publics judicieux produisent des rendements économiques élevés : de nouvelles routes réduisent les coûts de transport et de nouveaux hôpitaux améliorent la santé de la main-d’œuvre. (...)


L’assouplissement quantitatif, combiné aux investissements publics, pourrait donner l’impulsion de croissance dont la zone euro a grandement besoin pour réduire progressivement le fardeau global de sa dette. Cependant, il est presque certain qu’aucune des deux mesures ne sera mise en place, et encore moins les deux ensembles. (...)


Cela signifie que la zone euro sous sa forme actuelle ne peut plus vraiment être sauvée ; l’euro survivra, mais la zone devra se rétrécir. Une seule question demeure. Quelle sera l’étendue des travaux de démantèlement ? Quelles en sont les échéances ? Et de quelle manière se dérouleront-ils ? La Grèce et probablement les autres pays méditerranéens déclareront forfait et recouvriront leur pouvoir d’imprimer leur propre monnaie et de la dévaluer par rapport aux autres devises.


Certes, des ondes de choc se feront sentir dans le monde entier. Mais, parfois, de telles secousses sont salutaires, car elles brisent les embâcles et refont circuler les eaux dormantes de l’économie mondiale. »


Des deux côtés de l’Atlantique, les économistes ne discutent plus seulement de la question de la survie de l’euro, mais désormais de la nécessité de faire en sorte que sa disparition engendre le moins de bouleversements possibles.


(...) Il est intéressant de relever un fil conducteur commun à tous ces cas, ainsi qu’à la crise de 2008 : les secteurs financiers se sont mal comportés, et ne sont parvenus ni à évaluer la solvabilité, ni à jauger le risque, comme ils étaient censés le faire.


Ces problèmes surviennent quoi qu’il arrive, que l’on parle de l’euro ou non. Mais l’euro a rendu plus difficile la réaction des gouvernements. Et le problème n’est pas seulement que l’euro ait fait disparaître deux outils clés - le taux d’intérêt et le taux de change - sans les remplacer par quoi que soit, ni même que le mandat de la Banque centrale européenne soit axé sur l’inflation alors que les défis actuels ne sont autres que le chômage, la croissance et la stabilité financière. En l’absence d’autorité fiscale commune, le marché unique a ouvert la voie à la concurrence fiscale - une course vers le bas destinée à attirer l’investissement et à booster une production facile à écouler à travers toute l’UE.


Par ailleurs, la libre mobilité de la main-d’œuvre signifie pour les individus la possibilité de choisir de rembourser ou non les dettes de leurs parents : les jeunes Irlandais n’ont qu’à quitter leur pays pour échapper au remboursement d’obligations de sauvetage bancaire stupides. Bien évidemment, les migrations sont une bonne chose en elles-mêmes, dans la mesure où elles relocalisent la main-d’œuvre là où son rendement est le plus élevé. Mais ce genre de migrations sabote en réalité la productivité.


Les migrations font bien entendu partie du mécanisme d’ajustement qui permet aux États-Unis de faire fonctionner un marché unique avec une monnaie unique. Plus important encore est le rôle du gouvernement fédéral dans l’aide aux États face au chômage de masse, apportée par allocation des recettes fiscales supplémentaires - la fameuse « union de transfert », si détestée par de nombreux allemands.


Mais il faut comprendre que les États-Unis sont également prêts à accepter le dépeuplement d’États entiers, lorsque ceux-ci ne sont plus compétitifs. (D’où la plaisanterie selon laquelle les compagnies américaines peuvent se rendre dans ces États pour acheter des sénateurs à un prix plus intéressant.) Mais les pays européens en retard de productivité sont-ils prêts à accepter un solde migratoire négatif ? D’un autre côté, sont-ils prêts à faire face à la douleur d’une dévaluation « interne », démarche qui a échoué avec l’étalon-or et s’apprête à échouer sous le régime de l’euro ?