2012 et le drame budgétaire espagnol risque cette fois de sonner le glas de la monnaie unique avec une crise finale de l' euro.
Robert Skidelsky est professeur émérite d’économie politique à l’Université de Warwick.
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La monnaie unique peut-elle survivre dans un tel contexte ? Les deux mesures qui, appliquées conjointement, auraient pu la sauver ne sont pas au programme. La première mesure en est une d’assouplissement quantitatif à très grande échelle (à l’aide cette fois de la planche à billets). La BCE devrait avoir le pouvoir d’acheter les montants nécessaires de titres obligataires de la Grèce, de l’Italie, de l’Espagne et du Portugal pour ramener leurs rendements vers le taux allemand. Ceci aurait pour effet de stimuler la croissance réelle par divers moyens : en réduisant les taux d’emprunt, en haussant la valeur nominale des actifs publics et privés, et en affaiblissant l’euro par rapport au dollar et à d’autres monnaies. Mais les effets de l’assouplissement quantitatif sur l’activité économique sont incertains, et une telle politique inflationniste pourrait bien inciter les partenaires commerciaux de l’Europe à prendre des mesures de rétorsion.
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L’assouplissement quantitatif, combiné aux investissements publics, pourrait donner l’impulsion de croissance dont la zone euro a grandement besoin pour réduire progressivement le fardeau global de sa dette. Cependant, il est presque certain qu’aucune des deux mesures ne sera mise en place, et encore moins les deux ensembles. (...)
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Certes, des ondes de choc se feront sentir dans le monde entier. Mais, parfois, de telles secousses sont salutaires, car elles brisent les embâcles et refont circuler les eaux dormantes de l’économie mondiale. »
Des deux côtés de l’Atlantique, les économistes ne discutent plus seulement de la question de la survie de l’euro, mais désormais de la nécessité de faire en sorte que sa disparition engendre le moins de bouleversements possibles.
(...) Il est intéressant de relever un fil conducteur commun à tous ces cas, ainsi qu’à la crise de 2008 : les secteurs financiers se sont mal comportés, et ne sont parvenus ni à évaluer la solvabilité, ni à jauger le risque, comme ils étaient censés le faire.
Ces problèmes surviennent quoi qu’il arrive, que l’on parle de l’euro ou non. Mais l’euro a rendu plus difficile la réaction des gouvernements. Et le problème n’est pas seulement que l’euro ait fait disparaître deux outils clés - le taux d’intérêt et le taux de change - sans les remplacer par quoi que soit, ni même que le mandat de la Banque centrale européenne soit axé sur l’inflation alors que les défis actuels ne sont autres que le chômage, la croissance et la stabilité financière. En l’absence d’autorité fiscale commune, le marché unique a ouvert la voie à la concurrence fiscale - une course vers le bas destinée à attirer l’investissement et à booster une production facile à écouler à travers toute l’UE.
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Les migrations font bien entendu partie du mécanisme d’ajustement qui permet aux États-Unis de faire fonctionner un marché unique avec une monnaie unique. Plus important encore est le rôle du gouvernement fédéral dans l’aide aux États face au chômage de masse, apportée par allocation des recettes fiscales supplémentaires - la fameuse « union de transfert », si détestée par de nombreux allemands.
Mais il faut comprendre que les États-Unis sont également prêts à accepter le dépeuplement d’États entiers, lorsque ceux-ci ne sont plus compétitifs. (D’où la plaisanterie selon laquelle les compagnies américaines peuvent se rendre dans ces États pour acheter des sénateurs à un prix plus intéressant.) Mais les pays européens en retard de productivité sont-ils prêts à accepter un solde migratoire négatif ? D’un autre côté, sont-ils prêts à faire face à la douleur d’une dévaluation « interne », démarche qui a échoué avec l’étalon-or et s’apprête à échouer sous le régime de l’euro ?