Zaki Laïdi : « La gauche n'a trahi personne »
Une chose est sûre, on ne peut reprocher à Zaki Laïdi son manque de constance. Depuis le milieu des années 90 qu'il professe qu'une « troisième voie » est possible et souhaitable à gauche, le politologue, proche de Pascal Lamy et plus récemment de Manuel Valls n'a pas bougé d'un iota.
En lisant son dernier article publié dans Le Monde ce 10 janvier 2017, moi qui ai fait mes études à l'époque où le « blairisme » était partout encensé et pris en modèle par nombre d'intellectuels français, il m'a semblé soudain avoir été renvoyé quinze ans en arrière. Les mêmes constats, et les mêmes solutions, si caractéristiques d'une pensée favorable à la mondialisation malgré tout, et à l'Europe, incapable de reconnaître sa part d'échec et d'aveuglement. Car, n'en déplaise à Monsieur Laïdi, ce sont ses idées qui sont au pouvoir ; en outre, le parti socialiste au pouvoir est déjà l'incarnation politique de cet aggiornamento qu'il appelle de ses vœux.
Un constat partagé
Monsieur Zaki Laïdi est bon pédagogue, il faut aussi lui reconnaître ce mérite.
Clair et facile à lire. La première partie de son article qui recense les causes du malaise à gauche sont, il me semble, partagées (en partie au moins) au delà du centre de l’échiquier politique qu'il représente. Il tient en trois causes principales, qu'il énonce comme suit :
1) La première serait celle de l’épuisement historique. Identifiée historiquement au salariat industriel, dont les attentes et la structure étaient relativement homogènes, la gauche ne parviendrait plus à agréger politiquement des situations individualisées et des vécus de moins en moins structurés par un imaginaire commun. Fondamentalement, donc, l’individualisme aurait définitivement tué le socialisme.
2) La deuxième explication serait celle de la trahison sociale. La gauche aurait considérablement perdu du terrain, car elle aurait fait trop de concessions au néolibéralisme, opérant ainsi une fracture entre des classes moyennes bénéficiant encore de l’ascenseur social et des classes plus populaires déclassées par le progrès technologique, la globalisation, et inquiétées par l’immigration non blanche.
3) La troisième explication est celle de l’obsolescence. Elle consiste à dire que si la gauche a échoué à combattre les inégalités, c’est parce que les lignes de clivage ne se situent plus forcément entre la droite et la gauche. Pour certains, la ligne de fracturation passerait entre les mondialistes et les nationalistes, comme si toute la dynamique sociale était réductible à la globalisation. Pour d’autres, cette même mondialisation aurait créé une nouvelle ligne de partage entre conservateurs et progressistes, quitte à mettre sur un même plan le travailleur ubérisé et le trader mondialisé.
Ce constat, beaucoup le font. Et le politologue ajoute, très justement :
Fondamentalement, les valeurs de gauche demeurent plus que jamais pertinentes en ce qu’elles reposent sur deux idées essentielles. La première est de dire qu’il n’y a pas de liberté possible sans égalité réelle. La seconde est de considérer que la priorité est de donner plus à ceux qui ont le moins. Il suffit d’ailleurs de lire le programme de François Fillon pour comprendre la différence entre la gauche et la droite. Alain Madelin, dont les lettres de noblesse libérale sont clairement établies, reconnaît lui-même que le programme de la droite vise à donner plus à ceux qui ont déjà plus.
La mondialisation est imparfaite, mais inévitable
Mais suite à ce constat, la suite de l'article est moins convaincante, c'est le mois que l'on puisse dire. Par la suite, le politologue cherche à montrer que certes, la mondialisation est pénible, mais qu'il faut faire avec, tâchant subtilement de ne pas affirmer qu'il n'y a pas d'alternative, cette idée si chère aux libéraux.
C'est pourtant ce qu'il doit penser, au fond, car la gauche n'est pas vraiment responsable de ce qui lui arrive.
En réalité, la gauche n’a trahi personne. En revanche, il est tout à fait vrai que la gauche n’a pas pris la mesure de la crise de 2008 et de ses conséquences sociales. Cette crise, dont nous ne sommes d’ailleurs pas pleinement sortis, a mis en évidence trois réalités sociales importantes : le fait que le capitalisme pouvait prendre des formes de plus en plus violentes sur le plan social s’il n’était pas bridé de manière beaucoup plus forte ;
le fait que le formidable déplacement de richesse de l’Occident vers l’Asie a eu pour conséquence de favoriser outrageusement les classes moyennes asiatiques au détriment des classes moyennes européennes et américaines ; le fait, enfin, que l’ouverture croissante des marchés accentuait le clivage entre gagnants et perdants sociaux de la mondialisation.
Ainsi, si la sociale démocratie a échouée, ce n'est pas parce qu'elle ne maîtrise plus rien, ou qu'elle a renoncé, mais plutôt parce que l'ordre du monde économique a irrémédiablement basculé, et que nous ne nous sommes pas encore adaptés.
Et ce n'est pas non plus parce que François Hollande avait promis de faire de la finance son ennemi... visiblement.
Que faire, alors ?
Zaki Laïdi propose trois pistes de réflexion avec lesquelles là encore, beaucoup pourraient être d'accord en théorie.
Elles ont pour nom la nation, la régulation et la prédistribution.
Mais que met-il au juste derrière cela ? Sans doute une remise à plat de l'intégration européenne, ouvertement libre-échangiste et déséquilibrée ? Une critique de l'euro et de la course à la compétitivité entre états du continent ?
Eh bien non.
Une régulation forte des mouvements de capitaux, alors ? La séparation des banques de prêt et d'investissement, la chasse à l'exil fiscal ? La promotion d'une agriculture en circuits courts, l'investissement dans l'autonomie énergétique du pays ? Encadrer le temps de travail et ses conditions indignes ?
Non plus.
La promotion d'une école maternelle et primaire mieux financée, qui réduirait les inégalités à la naissance ; la construction de logements à même d'en faire baisser les prix indécents ?
Certes non.
Voyons.
[…] après la loi El Khomri, dont on verra très vite qu’elle constitue une réelle avancée dans le dialogue social, il faudra aller plus loin. Aller plus loin signifie envisager la mise en place, dans les vingt ans à venir, d’une véritable cogestion à l’allemande, dont une des étapes passerait par une resyndicalisation très forte des salariés. Plus les salariés seront représentés, plus les syndicats seront forts ; et plus les syndicats seront forts, plus ils seront réformistes.
Mais ce n'est pas tout.
[Il faudra mettre en place] ces nouvelles régulations supposent une véritable révolution en France pour s’extraire de la tyrannie de la loi, qui constitue aujourd’hui un des obstacles majeurs à l’efficacité de l’action publique. Enfin, les nouvelles régulations signifient et impliquent l’intensification de la décentralisation, en posant comme acte majeur pour l’avenir du pays la mise en place d’un pouvoir réglementaire au niveau des grandes régions.
[…] pour lutter contre les inégalités scolaires, tous les instruments sont parfaitement identifiés. Il faut simplement avoir la force de les mettre en œuvre. Ce travail a commencé, mais il faut l’amplifier en accroissant l’autonomie des établissements, en dépassant les cloisonnements disciplinaires, en intensifiant la formation spécifique des enseignants et en associant l’école privée à la prise en charge des populations scolaires les plus vulnérables.
En somme, que faire ?
Libéraliser le marché du travail, poursuivre les « réformes » en France, autonomiser l'école et la rapprocher des entreprises... Au final, accentuer ce que l'on fait déjà et que rejette une majorité de citoyens, parce qu'elle y voit à juste titre une régression sociale.
Pas sûr que les électeurs se déplacent, cette fois encore, pour le parti socialiste avec un tel programme...
Antoine Lamnège
URL: https://lespoir.jimdo.com/2017/01/11/zaki-la%C3%AFdi-la-gauche-n-a-trahi-personne/
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