Mr Xiong 43 ans à droite avec son père est un paysan d'un village rural de l'Anhui. Il fait partie des paysans n'ayant pas trouvé de femme à marier que la société appelle les « Branches mortes ». La cruelle dénomination est l'héritage patriarcal d'une tradition qui commande aux hommes d'avoir une descendance.
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Le déséquilibre hommes – femmes est un des points aveugles de la société chinoise que le Parti n'évoque jamais publiquement. Pourtant, dans les campagnes reculées désertées par les femmes, il est un grave facteur de troubles potentiels.
Récemment, le sujet a fait l'objet d'un article dans le Washington Post du 10 juin.
Signé par Anna Fiefild, correspondante du journal à Pékin, il rendait compte d'une étude effectuée par un chercheur malaisien de Fudan qui proposait de tenter la polyandrie pour remédier à la fois à la « pénurie de femmes » et au déficit de naissances.
Mais, tout à son idée dont il cherchait à démontrer l'efficacité, ignorant l'extrême sensibilité de la société à la question, il s'est, pour accréditer la possibilité qu'une femme pouvait s'accommoder de plusieurs hommes, laissé aller à évoquer les « performances des prostituées » qui, dit-il, « peuvent accueillir jusqu'à dix clients par jour. »
En Chine, les médias tous contrôlés par le parti et sa censure ne sont pas à l'affut de la moindre nouvelle scandaleuse pouvant augmenter leur audience au point jusqu'à saturer le paysage de l'information, le plus souvent par un seul bout, parfois le plus petit de la « lorgnette. »
Les hommes politiques, qui ne s'expriment jamais publiquement en dehors des limites du discours officiel de l'appareil, ne viennent pas, et pour cause, les commenter sur les ondes aux heures de grande écoute.
En revanche, les réseaux sociaux, que le parti surveille comme l'huile sur le feu, mais auxquels il répond rarement au pied levé, se sont enflammés. Logiquement les femmes furent les premières à réagir sur Weibo. « je suis révulsée écrit l'une d'entre elles que ce chercheur ne tente même pas de se mettre à la place des femmes ». « Sommes-nous vraiment au XXIe siècle ? » dit une autre. Ou encore - commentaire cette fois d'un homme - « Traduisons, il veut légaliser les esclaves sexuelles ».
Mais le Malaisien n'a pas l'intention de s'arrêter en si bon chemin. Cherchant la polémique, dans une société qui n'en parle jamais, il écrit que sa prochaine chronique visant à proposer des solutions au déséquilibre entre les sexes porterait sur la légalisation des maisons closes.
Récemment notre chroniqueur Louis Montalte a abordé la question.
++++ A propos des maisons closes.
En Chine, la prostitution est interdite. Elle existe, camouflée en saunas, salons de massage, SPA mais s'arrête juste en-dessous du seuil de visibilité.
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En mécanique des fluides, le principe des vases communicants établit qu'un liquide homogène remplissant deux récipients, reliés entre eux à leur base et soumis à des pressions différentes, s'équilibre lorsque le poids du liquide dans un des récipients est égal à la différence de pressions s'exerçant sur les deux récipients.
Pouvons-nous en tirer la conclusion d'une réouverture probable des maisons closes en Chine ?
La réponse à cette question n'est pas des plus aisées. D'abord parce que la sociologie et l'anthropologie répondent assez peu aux principes de la mécanique des fluides et d'autre part, parce que les pressions, qui agissent sur la prostitution, se font sous atmosphère extrêmement contrôlée.
Pourtant, schématiquement, la prostitution peut être représentée comme un baromètre sur lequel s'exercent, à chacune de ses extrémités, deux pressions différentes. Pulsions, traditions et loi du silence.
Les descentes de police ferment les maisons-closes.
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A l'une des extrémités, les pressions qui luttent contre la prostitution sont surtout morales. Il semble que certaines civilisations, à certains moments de l'histoire, aient montré une certaine tolérance. La prostitution a même parfois eu un caractère sacré comme nous le montrent l'épopée de Gilgamesh en Babylone, les hétaïres de la Grèce antique ou les Devadâsis « prostituées des Dieux » du monde indien.
Il faut bien néanmoins concéder, qu'aujourd'hui, les gardiens de la moralité que sont les religions, les gouvernements ou le Parti, ne sont guère en faveur des échanges économico-sexuels ponctuels, explicites et préalablement négociés.
A l'autre bout du tuyau, les forces qui poussent à la prostitution appartiennent à des domaines plus variés, principalement liés à l'argent, au désir et au besoin. S'agissant d'échanges négociés, l'argent et son pouvoir d'achat restent un facteur primordial. Le désir est généralement d'ordre sexuel pour les clients et d'ordre monétaire pour les prestataires.
Dans les années 2000, en Chine, l'amélioration du PIB avait conduit à une nette augmentation de l'offre et de la demande ; des petits coiffeurs aux néons criards jusqu'aux saunas-lupanars de luxe, des myriades d'établissements répondaient à la demande en fonction des moyens disponibles et des myriades de jeunes filles qui, cherchant à améliorer leur pouvoir d'achat, assuraient les prestations.
Actuellement, la débauche n'est plus de mise et, sous la férule de Xi Jinping, les différentes pressions se sont équilibrées, sur l'indicateur du dévergondage, juste en dessous de l'indice de visibilité. L'offre et la demande.
La demande augmente. L'offre s'adapte.
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Il est néanmoins facile de prévoir qu'une remontée de l'indice de prostitution est prévisible à court ou moyen termes. En cause, une probable poussée, difficilement contrôlable, des facteurs liés aux besoins.
En effet, la Chine compte actuellement 117 hommes pour 100 femmes. La politique de l'enfant unique, la prédilection pour des progénitures mâles et les accès faciles aux moyens de reconnaissance du sexe des fœtus ont conduit à ce déséquilibre qui ne devrait pas s'infléchir dans les prochaines années.
On parle donc d'une centaine de millions d'hommes qui, mathématiquement, ne trouvent pas de femmes à marier. A raison d'une moyenne d'un peu plus d'une centaine de rapports sexuels par an, nous sommes en face d'une dizaine de milliards de pulsions sexuelles insatisfaites.
Il y a de ça quelques années, des médecins préconisaient de se mettre la cigarette que l'on voulait fumer sur l'oreille pour tenter de pondérer les pulsions. Cette méthode n'a finalement jamais fait ses preuves et l'on voit bien que, dans le cas présent, elle ne serait d'aucun secours.
Une acceptation plus tolérante des cas de polyandrie et une augmentation drastique des couples homosexuels masculins pourraient être de nature à modérer le problème mais les changements de mentalité sont longs à voir le jour. Sans compter que les enfants, même ceux des couples à trois ou quatre, n'ont qu'un père géniteur.
En attendant, la légalisation des maisons closes, le déséquilibre perdure et produit de nombreux effets indésirables.
++++ Une « bombe » sociale à retardement ?
A une « foire au mariage » une jeune femme écrit « Je ne veux pas me marier pour me marier »。 Je veux être heureuse. Les femmes sont moins nombreuses. Elles deviennent exigeantes. Même avec un bon métier, un jeune homme a parfois du mal à trouver une épouse qui lui convienne et qui accepte de vivre avec lui.
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Le déséquilibre des naissances hommes – femmes a, à la longue, produit un déficit probable de 40 millions de femmes en 2020. Montalte évoque 117 hommes pour 100 femmes, mais il y eut des pics bien plus alarmants. En 2004, il y eut en moyenne seulement 100 naissances de filles contre 121 garçons. Le plus fort déficit a été observé cette année au Henan avec 141 garçons pour 100 filles.
La « pénurie » de femmes augmente leur « valeur » et donne aux plus éveillées une capacité de choix. Quant aux moins chanceuses ou moins « débrouillardes », moins belles, moins jeunes etc., elles sont trafiquées par des mafias sans scrupules. Cédant aux mirages de bonne fortune, elles finissent parfois mal au Cambodge, au Laos, en Thaïlande, en Birmanie et même au Vietnam où le déficit de femmes est à la même hauteur qu'en Chine.
Évidemment, le plus fort courant des trafics de femmes se fait de l'extérieur de la Chine vers les hommes chinois laissés pour compte (« Les branches mortes »). Le commerce est d'autant plus lucratif qu'en Chine les hommes paient traditionnellement une dot, « prix coûtant de la mariée » à la famille d'une femme pour qu'elle se marie.
Les médias occidentaux l'évoquent souvent – c'était récemment l'objet d'un long reportage de la chaîne Arte la pression sociale et familiale pour que les filles se marient, la tradition patriarcale poussant les hommes à s'assurer une descendance ont donné naissance à des « foires » aux mariages où les jeunes filles à recherche d'une âme sœur ou/et d'une bonne fortune sont présentées aux riches ou moins riches prétendants à la recherche d'une épouse.
Rares sont les jeunes filles qu'on appelle les « Shengnü » - « Laissées pour compte » qui résistent à ces contraintes. Lire : Les « Sheng Nü » laissées pour compte et le renforcement du patriarcat.
La pénurie qui augmente crée aussi une surenchère des coûts imposés par les trafiquants cupides au point qu'une épouse devient hors de prix pour nombre d'hommes seuls. Il y a dix ans, les prix des mariées dans les zones rurales étaient de 300 $ à 400 $. Maintenant, ils varient de 30 000 $ à 40 000 $ (soit 10 à 20 fois le salaire minimum annuel en Chine, selon les régions).
La situation est potentiellement explosive. Des recherches de l'Académie des Sciences Sociales montrent sans surprise une corrélation directe avec l'augmentation de la criminalité.
http://dlvr.it/RZDxXq
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