L'Allemagne a peur pour la France
Moi, je dirais plutôt qu'ils ont peur pour cette Union Européene qui leur apporte... Tellement... (Informations complémentaires)
Comment l'Allemagne perçoit-elle cette nouvelle responsabilité, elle qui se satisfaisait hier d'être le meilleur élève de la classe européenne et atlantique au sein de l'Union et de l'Otan ? Etre le premier de la classe est une chose, se retrouver presque seul à l'avant-garde de la défense des valeurs démocratiques en est une autre. De fait, s'il y a de la fierté en Allemagne, devant le nouveau statut de la chancelière, il y a aussi un peu d'embarras et plus encore un profond sentiment de solitude. « Pourquoi moi, s'il n'y a que moi ? » s'interrogeait Alexandre Soljenitsyne. L'Allemagne pouvait hier encore se voir comme un modèle. En reconnaissant l'étendue de ses crimes, en pratiquant une repentance qui lui avait permis de transcender son passé pour engendrer son futur au sein du projet européen, l'Allemagne a parfaitement réussi. Mais passer du rôle de modèle à celui d'acteur principal, n'est-ce pas trop, et surtout trop vite ? Quelle ironie de l'Histoire ! Au lendemain de la chute du mur de Berlin et de la réunification de l'Allemagne, la presse internationale, et particulièrement française, était pleine de caricatures représentant Helmut Kohl coiffé d'un casque prussien. Vingt-cinq ans plus tard, la chancelière serait presque décrite comme une « Walkyrie du bien démocratique » face à la montée des populismes.
A Francfort, où je me trouvais ces derniers jours, on voit certes dans le Brexit une opportunité pour vendre l'attractivité financière de la ville. Mais depuis l'élection de Donald Trump, l'avenir apparaît décidément trop incertain. Et le monde de la finance n'aime pas l'incertitude. La liste des interrogations s'allonge en effet depuis le référendum britannique du 23 juin. La bonne tenue des marchés au lendemain des élections américaines ne saurait faire illusion. Ce n'est pas parce que Donald Trump est apparu plus modéré au lendemain de sa victoire qu'il l'est réellement. Ses premières nominations en sont la preuve. Il s'est entouré d'une équipe d'« ultra-radicaux » qui ne présage rien de bon. De la même manière, les résultats du référendum italien et de l'élection présidentielle autrichienne risquent de se traduire par une nouvelle avancée des populismes. Et il faudrait parler des élections à venir aux Pays-Bas où l'extrême droite, là encore, réalisera très probablement une excellente performance.
Mais ce qui obsède réellement les élites politiques, économiques et financières de l'Allemagne, plus encore que les succès du Brexit et de Donald Trump, ce sont les résultats de l'élection présidentielle en France. Se pourrait-il que la formule « jamais deux sans trois » devienne réalité ?
Mes interlocuteurs ne semblaient pas pleinement rassurés par l'argument français : « Chez nous, c'est différent, l'élection est à deux tours. Au premier, on se fait plaisir, au second, on redevient rationnel. »
La hantise allemande est bien naturelle. Se sentir un peu seule, face à une France étrangement absente depuis quelque temps, est une chose. Se sentir abandonnée, trahie par une France qui porterait au pouvoir un parti dont les valeurs, les choix et la pratique sont une négation de tout l'effort accompli sur elle-même par l'Allemagne à travers la construction européenne en est une autre. Barack Obama peut placer entre les mains d'Angela Merkel le « flambeau de la démocratie », cette dernière ne veut, ni ne peut le tenir seule. Elle attend que la France soit à ses côtés pour partager cette responsabilité. S'il existe un « reset », qui est essentiel après la double victoire du Brexit et de Trump, c'est celui de la relation franco-allemande. Une telle relance passe par le retour d'un plus grand équilibre entre les deux pays. Cela fait trop longtemps que les deux pays ne « jouent plus dans la même division ». L'Allemagne a besoin d'une France forte qui retrouve confiance en elle-même. Il faut le répéter à l'envi, au cours des dernières années, ce n'est pas l'Allemagne qui a été trop forte, c'est la France qui a été trop faible. Aujourd'hui, l'économie européenne se porte mieux, presque tous les clignotants sont au vert, et l'Allemagne a joué plus que son rôle dans ce redressement. Tout n'est pas parfait, bien sûr. L'accroissement sans limites des inégalités est devenu une menace pour les sociétés démocratiques. Mais ce qui est nouveau, c'est surtout le changement de nature du calendrier de l'Union. Cette transformation donne à la France des cartes qu'elle ne possédait pas sur les stricts plans économique et financier. En effet, si l'on se parle de sécurité - sécurité externe face aux désordres du Moyen-Orient et aux ambitions de Poutine, sécurité interne face à la montée du terrorisme et à la nécessité de contrôler nos frontières et nos territoires - alors les « avantages comparatifs » de la France sont bien meilleurs.
Plus que jamais « le franco-allemand », en cette période troublée, est au coeur de l'Histoire. Cela suppose bien sûr que l'Allemagne demeure ce qu'elle est - un pilier de stabilité - avec la chancelière qui reste à son poste après les élections de septembre 2017. C'est probable, mais ce n'est pas certain. En Allemagne aussi, l'extrême droite de l'AfD réalise des percées significatives. Cela suppose aussi que la France ce printemps fera le bon choix en portant à sa tête un président qui fera preuve d'autorité, de sagesse et d'expérience. Pour des raisons de statut, tout autant que de calendrier, il incombe à notre pays de démontrer que la poussée des populismes n'est pas irrésistible. Sur ce plan, pour la défense de la démocratie et la survie du projet européen, les électeurs français sont au moins aussi importants que la chancelière d'Allemagne.
Dominique Moïsi
Dominique Moïsi, professeur au King's College de Londres, est conseiller spécial à l'Institut Montaigne.
Source(s) : Les Echos.fr via Contributeur anonyme
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