lundi 4 juillet 2016

L’Italie veut éviter que ses banques soient le premier domino de l’après-Brexit, par Romaric Godin

L'Italie veut éviter que ses banques soient le premier domino de l'après-Brexit, par Romaric Godin

Source : La Tribune, Romaric Godin, 28/06/2016

La banque Monte dei Paschi di Siena est considérée comme la plus fragile d'Italie.Elle est fragilisée par le Brexit. (Crédits : © Stefano Rellandini / Reuters)

La banque Monte dei Paschi di Siena est considérée comme la plus fragile d’Italie.Elle est fragilisée par le Brexit. (Crédits : © Stefano Rellandini / Reuters)

La crise de l’après-Brexit a fortement touché le très fragile secteur bancaire italien. Rome essaie de trouver des solutions en évitant de recourir à la résolution unique de l’union bancaire européenne.

Un premier domino serait-il sur le point de tomber en Europe après l’annonce du vote britannique en faveur du Brexit et ses conséquences sur les marchés financiers. La rumeur circule en effet depuis quelques jours que le gouvernement italien préparerait un plan de sauvetage des banques italiennes et entendrait le finaliser avant la fin de la semaine. Il est vrai que le secteur bancaire italien est le talon d’Achille connu de la zone euro avec ses 360 milliards d’euros de créances douteuses. Un mal qui n’a jamais été totalement réglé. Logiquement, les banques de la Péninsule ont été sous pression. Malgré le rebond du mardi 28 juin, l’action Mediobanca, par exemple, affiche un recul d’un quart de sa valeur. Une chute pas si éloignée de celle de l’action Unicredit ou de l’action Monte dei Paschi di Siena.

Le problème, c’est que, si cette chute se poursuit, les banques italiennes risquent de voir leurs besoins de capitaux déjà importants en raison des créances douteuses augmenter et leur capacité à lever des fonds sur les marchés se réduire. Plus la crise post-Brexit durera, plus les investisseurs tableront sur une facture élevée pour les créances douteuses avec la contagion de la récession britannique au continent et la perte générale de confiance, et plus la situation deviendra critique. La BCE offre certes des liquidités gratuitement, mais pas des fonds propres. L’Etat italien doit donc se préparer à agir. Et pourrait avoir besoin de 40 milliards d’euros.

Première crise de l’union bancaire ?

Mais cette crise bancaire italienne qui se profile est la première crise de l’ère de l’union bancaire européenne qui est pleinement entrée en vigueur, avec son aile de résolution des crises, le 1er janvier dernier. On se souvient que cette résolution unique avait été jugée comme une grande avancée pour la stabilité financière du continent. Dans cette nouvelle disposition, la priorité est donnée au sauvetage de « l’argent des contribuables ». Le sauvetage bancaire direct par les Etats, comme en 2008-2009, est donc interdit. Pour renflouer une banque, il faut faire participer les actionnaires, les créanciers et les déposants de plus de 100.000 euros. Si cela ne suffit pas, un Fonds de résolution unique, sorte d’assurance payée par le secteur lui-même, peut intervenir.

Le problème italien du « bail-in »

En Italie, cependant, ce processus est particulièrement redouté. Pour plusieurs raisons. D’abord parce que de nombreux petits épargnants ont, sur les sollicitations des banques, acheté des obligations de leurs établissements. En cas de « sauvetage par les créanciers » (« bail-in »), ils risquent de tout perdre, n’étant pas protégé par la garantie de 100.000 euros qui ne concernent que les dépôts. En novembre, lors du sauvetage de quatre petites banques, le gouvernement italien avait dû faire face à de fortes protestations et au scandale du suicide d’un créancier retraité qui avait vu ses économies réduites à néant. Ceci aura des conséquences sur la confiance des ménages et des entreprises et pourraient alimenter une épargne de précaution qui bloquerait le moteur de la consommation des ménages, un des rares qui fonctionne encore en Italie. Rome vient d’ailleurs de faire adopter un décret pour rembourser les petits porteurs de dette des quatre banques “sauvées” en novembre  à hauteur de 80 %. Bref, au final, ce sont bien les contribuables qui ont payé l’essentiel de la facture, mais ceci n’est plus possible dans le cadre du mécanisme de résolution.  On comprend alors que le gouvernement, depuis des mois, cherche des moyens de « contourner » l’union bancaire.

Contourner l’union bancaire…

Selon le quotidien économique italien Il Sole 24 Ore, lors du sommet des 28 et 29 juin, Matteo Renzi pourrait ainsi demander des dérogations à ses partenaires, notamment pour ne pas avoir recours au « bail-in » de la clientèle particulière. Mais en faisant porter le fardeau aux seuls investisseurs institutionnels, le gouvernement italien risquerait de renforcer encore le manque de confiance vis-à-vis des banques italiennes sur les marchés. Ces investisseurs, dont les actions pourraient être diluées et les créances transformées en capital avec une décote, seront particulièrement prudents et toute levée de capitaux sur les marchés des banques serait impossible pendant longtemps. Le risque serait alors de reporter le risque sur les déposants, alors que le « troisième pilier » de l’union bancaire, la garantie européenne de ces dépôts de moins de 100.000 euros, n’existe pas. La charge en reviendrait à l’Etat italien, alors que les dépôts des entreprises seraient mis à rude épreuve, réduisant encore les perspectives d’investissement et de croissance.

Certes, la facture de la recapitalisation des banques italiennes pourrait n’être que de 40 milliards d’euros si l’on ne prend en compte que les créances les plus douteuses. Mais en cas de crise financière, cette facture peut vite grimper et épuiser les solutions les unes après les autres. Rome ne veut pas, en réalité, de bail-in. Il Sole-24 Ore évoque alors la demande d’une intervention « préventive » du MES pour recapitaliser les banques non pas après le « bail-in », comme c’est prévu, mais avant. Ce serait là un changement de règles important pour le mécanisme de résolution et, de toute façon, l’intervention se fera moyennant un « plan d’ajustement » du pays qui risque de coûter politiquement et économiquement très cher à Matteo Renzi.

Vers un fonds Atlante II ?

Rome préparerait donc d’autres solutions « nationales » et pourrait, là aussi, demander la possibilité d’agir à ce niveau, malgré l’union bancaire, lors du sommet. Il Sole-24 Ore évoque plusieurs pistes : garanties du Trésor sur la dette bancaire, une « bad bank » (mais les discussions avec Bruxelles sur le sujet sont en cours et pourrait durer jusqu’à l’automne) ou même une recapitalisation directe, en levant l’interdiction actuelle. Le quotidien turinois La Stampa considère, de son côté, que, compte tenu de l’incompatibilité de la résolution unique européenne avec la situation italienne, le scénario le plus probable est celui d’un fonds « Atlante 2 » sur le modèle du fonds « Atlante » ( du nom italien du géant Atlas qui portait le monde sur ses épaules) créé au printemps pour sauver deux petites banques, Banco Popolare di Vicenza (BPV) et Banco Veneta.

Les difficultés d’Atlante I

Mais est-ce une solution ? Le fonds Atlante est abondé par les banques privées et par la banque publique Cassa dei Prestiti e Depositi (CDP, équivalent italien de la Caisse des Dépôts et Consignations). Les montants levés ont été de 4,8 milliards d’euros, à charge ensuite à Atlante de lever dix fois ce montant pour parvenir à 50 milliards d’euros. Or, ces levées de fonds sont loin d’être acquise dans le contexte actuel. Déjà en avril, Atlante avait eu du mal à récolter les fonds nécessaires auprès des grandes banques privées. Ce devrait être encore plus difficile à présent. D’autant que le sauvetage des « petites banques » par ce fonds revient à un transfert du risque de ces établissements modestes vers les grands, qui n’ont pas vraiment besoin de cela. Atlante n’avait pas réussi à rétablir la confiance : la levée de fonds de Banco Popolare di Vicenza avait été un échec cuisant et Atlante avait dû racheter 91,7 % de l’augmentation de capital. Les investisseurs étrangers avaient boudé la BPV, malgré Atlante.

Une intervention déguisée de l’Etat ?

Dans le cas d’Atlante II, la difficulté est plus grande : les grandes banques vont devoir abonder pour se sauver elles-mêmes. Selon La Stampa, il s’agirait en réalité de sauver la banque toscane Monte dei Paschi di Siena, maillon faible du système italien. Mais en puisant dans les fonds propres des autres banques, on risque de les affaiblir. A moins que, via la CDP, ce fonds ne soit que le vecteur d’une aide d’Etat déguisée. La CDP est publique, mais a un statut de droit privée. Sauf qu’elle peut compter sur la garantie de son actionnaire, l’Etat. Le problème, c’est que la CDP ne dispose pas, malgré cette garantie de fonds illimités. « Atlante II » – qui viendrait confirmer l’échec d’Atlante I et de son « effet de levier » – pourrait donc ne pas suffire. Or, la partie est serrée. Un sauvetage bancaire italien porterait déjà un coup à la confiance en zone euro en mettant à jour la contagion de la crise née du Brexit sur le continent, mais aussi, malgré les spécificités italiennes, les limites du nouveau mécanisme de résolution de l’union bancaire européenne. Mais un échec de ce sauvetage aurait un effet très négatif sur le secteur et la confiance.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 28/06/2016

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Bruxelles autorise Rome à soutenir ses banques, mais pas à les sauver

Source : La Tribune, Romaric Godin, 01-07-2016

L'Italie peut soutenir ses banques, pas encore les sauver. (Crédits : © Alessandro Bianchi / Reuters)

L’Italie peut soutenir ses banques, pas encore les sauver. (Crédits : © Alessandro Bianchi / Reuters)

La Commission européenne a autorisé l’Italie à offrir une garantie publique pendant six mois pour aide la liquidité des banques italiennes. Une façon de stopper les attaques sur les marchés après le Brexit, mais le problème de fond demeure et n’est pas résolu.

La Commission européenne a permis à l’Italie de venir en aide à ses banques dimanche dernier. Rome a donc pu activer pendant six mois un programme de 150 milliards d’euros de garanties publiques pour soutenir le besoin de liquidités des établissements financiers italiens. Bruxelles a cependant refusé de préciser quels montants ont été débloqués, précisant cependant qu’ils étaient « proportionnés ».

Stopper l’incendie

Ce soutien permet aux banques d’émettre de la dette à court terme avec la garantie publique pour pouvoir faire face à des besoins de liquidités. Rappelons que la BCE a mise en place plusieurs mesures de soutien à la liquidité des banques de la zone euro. Outre les prêts à long terme, de quatre ans, proposés dans le cadre du programme TLTRO, la BCE s’engage depuis 2007, à fournir toutes les liquidités nécessaires aux banques à son guichet pourvu qu’elles apportent les collatéraux suffisants (titres placés en garanties). L’aide validée par l’UE hier permet donc notamment aux banques italiennes « d’économiser » leurs collatéraux auprès de la BCE.

C’est aussi une mesure principalement psychologique, prise en réaction à des turbulences de marchés et qui vise principalement à stopper les attaques violentes contre le secteur. Les banques italiennes ont été fortement secouées par les incertitudes qui ont suivi sur les marchés financiers à l’annonce du résultat du référendum britannique le 23 juin. Les grands établissements péninsulaires ont perdu entre 25 % et 30 % de leur valeur en Bourse. Avec l’annonce de cette aide, les titres bancaires italiens ont fortement progressé à Milan. Mais cet enthousiasme a été de courte durée et n’a pas été en mesure de compenser les pertes de la semaine précédente.

Le problème de fond n’est pas réglé

Car si cette annonce peut rassurer sur les risques à court terme liée aux banques italiennes, elle ne règle pas le vrai problème du secteur : celui de créances douteuses s’élevant à 360 milliards d’euros. Or, ce montant et la quasi-impossibilité pour le secteur de réaliser des levées de fonds suffisantes sur le marché pose le problème de la solvabilité des banques italiennes. Le vrai enjeu pour elles est donc de savoir comment elles vont pouvoir être recapitalisées pour un montant estimé à 40 milliards d’euros. Or, sur ce plan, le problème demeure entier : le gouvernement italien voudrait éviter d’avoir recours au mécanisme de résolution bancaire unique européen qui met à contribution les créanciers (dont de nombreux particuliers en Italie), les actionnaires et les déposants. Rome négocie avec ses partenaires européens la « mise entre parenthèses » de ce mécanisme et la possibilité de renflouer directement ou indirectement son secteur bancaire avec des fonds publics, ce qui est désormais strictement interdit en zone euro. L’aide annoncée à la liquidité est peut-être un message positif, mais ce n’est pas la validation d’un « sauvetage » bancaire italien.

Dilemme bancaire

Avec cette mesure, la Commission européenne essaie donc de calmer l’incendie boursier pour donner un peu de temps aux discussions entre Rome et ses partenaires. Mais pour le moment, l’Allemagne demeure ferme sur son refus d’autoriser l’aide publique au secteur. L’enjeu n’est pas faible. En faisant un premier accroc au mécanisme de résolution bancaire six mois après sa mise en œuvre, on avouerait  de facto que l’union bancaire – une des rares réalisations européennes de l’après-crise que les dirigeants européens peuvent mettre en avant – ne fonctionne pas. L’argument de l’urgence de la crise ne saurait tenir : ce mécanisme de résolution est précisément prévu pour faire face aux crises. De plus, si Rome « sauve » ses banques, le poids des problèmes bancaires seront transféré vers les comptes publics italiens. On se retrouverait donc dans la même situation qu’en Irlande ou en Espagne en 2010 : il y aurait transfert du risque bancaire vers le risque souverain. Mais, à l’inverse, si on applique la règle européenne, l’impact sur les ménages et les entreprises italiennes risque d’être fort et de frapper une économie italienne encore convalescente. C’est donc le choix entre la peste et le choléra.

La crise latente que traverse le secteur bancaire italien n’est donc pas terminée avec cette aide ponctuelle. Les effets du Brexit sur la valorisation des banques ne seront pas effacés : l’incertitude vis-à-vis de leur avenir demeure et nul, à part l’Etat italien, n’est prêt à investir dans le secteur bancaire de la Péninsule. Le “domino” italien n’a pas disparu, loin de là. Comme souvent, la Commission a paré au plus pressé en renvoyant les problèmes à plus tard. Une stratégie qui, là aussi, rappelle beaucoup la crise de 2010…

Source : La Tribune, Romaric Godin, 01-07-2016

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