vendredi 22 juillet 2016

Catalogne : les conditions d’une crise majeure avec Madrid sont réunies, par Romaric Godin

Catalogne : les conditions d'une crise majeure avec Madrid sont réunies, par Romaric Godin

2222Source : La Tribune, Romaric Godin, 21/07/2016

Carles Puidgemont, président du gouvernement catalan, choisira-t-il la voie de l'unilatéralité ? (Crédits : ALBERT GEA)

Carles Puidgemont, président du gouvernement catalan, choisira-t-il la voie de l’unilatéralité ? (Crédits : ALBERT GEA)

Les indépendantistes catalans évoquent désormais le recours à l’unilatéralité du processus de sécession. Mais Madrid pourrait réagir. Pour l’UE, ce serait un nouveau casse-tête.

Pendant que l’Europe a les yeux tournés vers Londres ou Edimbourg, les conditions d’une nouvelle crise politique entre la Catalogne et l’Espagne se mettent en place. Une crise qui, après six ans de conflits plus ou moins ouverts, pourrait être décisive. Cet été, en effet, les deux groupes formant la majorité indépendantiste du Parlement de Catalogne, Junts Pel Sí (“Ensemble pour le oui” qui regroupe notamment le Parti démocrate catalan (PDC, ex-CDC) de centre-droit et la Gauche républicaine (ERC) de centre-gauche) et la gauche radicale de la CUP vont tenter de reconstruire leur alliance. Celle-ci, péniblement née en janvier 2016 après trois de discussions, a volé en éclat le 8 juin lorsque la CUP a refusé de voter le budget du président PDC de la Generalitat, le gouvernement catalan, Carles Puigdemont. Ce dernier a alors annoncé qu’il poserait la question de confiance au Parlement en septembre.

S’ils veulent éviter de nouvelles élections incertaines et poursuivre le processus de « déconnexion » de la Catalogne de l’Etat espagnol, préliminaire à l’indépendance, les deux groupes sont donc condamnés à s’entendre. Or, l’entente pourrait précisément se faire sur la question de la méthode de « déconnexion », autrement dit sur une accélération du processus d’indépendance, seul point finalement sur lequel s’entendent réellement les partis de Junts Pel Sí et la CUP. Et ce point d’entente pourrait se traduire par la reconnaissance de la nécessité d’une démarche unilatérale. Les Indépendantistes pourraient ainsi accepter de rejeter l’ordre légal espagnol et de créer leur propre ordre légal avec l’appui de la majorité des Catalans. Ce transfert de légalité se réalisera par un Référendum unilatéral d’indépendance (RUI) qui, se passant de la sanction de la loi espagnole, permettra la naissance de l’Etat catalan en cas de majorité en faveur de l’indépendance.

Comment l’unilatéralité s’est imposée dans le camp indépendantiste

Cette idée du RUI a longtemps été rejetée par les partis composant Junts Pel Sí qui restaient attachés au respect de la légalité espagnole et à l’idée que l’on pourrait conclure un accord « à l’écossaise » avec Madrid dans lequel l’Espagne accepterait le référendum et s’engagerait à en respecter l’issue. Mais ce scénario semble de moins en moins probable. La position du gouvernement de Mariano Rajoy a toujours été de ne pas discuter « avec ceux qui veulent casser l’Espagne ». Chaque pas vers l’indépendance a ainsi été porté devant le Tribunal Constitutionnel espagnol (TC) qui a régulièrement déclaré illégaux les décisions des indépendantistes. C’est notamment le cas du référendum du 9 novembre 2014 qui était “consultatif” (et pas contraignant comme le RUI). Le succès du Parti populaire (PP) de Mariano Rajoy lors des élections espagnoles du 26 juin et le refus catégorique des Socialistes du PSOE d’accepter l’idée d’un référendum lors des discussions de formation d’un gouvernement après les élections du 20 décembre semblent avoir convaincu une grande partie des Indépendantistes modérés que l’option de la légalité espagnole était une impasse.

Dès lors, puisque la majorité indépendantiste risque d’exploser, une idée fait son chemin : celle de reconstituer un ciment avec ce RUI et de l’intégrer dans la nouvelle « feuille de route » vers l’indépendance que Carles Puigdemont devra présenter lors de la question de confiance posée au Parlement. Si bien que dans le rapport final réalisé par la Commission d’Etudes du Processus Constituant du Parlement catalan présenté le 18 juillet, Junts Pel Sí et la CUP se sont mis d’accord sur un « mécanisme unilatéral d’exercice démocratique ». Certes, certains éléments de la majorité, notamment au sein d’ERC, rechignent encore à accepter cette unilatéralité. Mais elle fait clairement son chemin, y compris au sein du gouvernement catalan lui-même.

Le gouvernement prêt à discuter de l’unilatéralité

Ainsi, mercredi 20 juillet, la porte-parole de la Generalitat, Neus Munté, a déclaré que le « débat sur la question de confiance abordera le RUI et d’autres mécanismes qui amélioreront la feuille de route ». Bref, le gouvernement catalan est prêt à discuter d’unilatéralité. Et, autre signe qui ne trompe pas, jeudi, Carles Puigdemont a annoncé qu’il rencontrera la CUP la semaine prochaine pour préparer la question de confiance, alors que, depuis début juin, il refusait tout contact avec cette formation qui, selon lui, avait détruit la majorité indépendantiste. Certes, rien n’est fait encore : Junts Pel Sí reste divisé, on l’a dit, et la CUP peut toujours se montrer trop gourmande en réclamant un processus précis, avec une date pour le référendum quand Junts Pel Sí voudrait n’en rester qu’au principe.

La question européenne

Tout semble cependant se mettre en place pour une nouvelle stratégie indépendantiste. Le moment est, du reste, assez bien choisi. Junts Pel Sí a toujours soutenu l’idée – et c’est une grande différence avec les Eurosceptiques de la CUP – que l’Union européenne interviendrait dans le débat sur l’indépendance pour soutenir le choix de la majorité des Catalans. Après le Brexit, le soutien affiché par le président de la Commission Jean-Claude Juncker à la première ministre écossaise Nicola Sturgeon a redonné des espoirs sur ce terrain. Espoirs vite éteints puisque Mariano Rajoy, soutenu en cela par Paris, a rapidement prévenu qu’il refuserait tout chemin propre à l’Ecosse dans les négociations du Brexit. Mais il n’empêche, les nationalistes écossais continuent de plaider en faveur d’un nouveau référendum d’indépendance si un statut particulier avec Londres n’est pas trouvé. Un référendum qui pourrait aussi être, cette fois, unilatéral.

Que fera alors l’UE ? Rejettera-t-elle ce RUI écossais « fait pour elle » ? Mais si elle s’engage à en reconnaître le résultat et à entamer ensuite des négociations d’adhésion avec une Ecosse unilatéralement indépendante, cela ouvrira clairement une opportunité pour une démarche catalane dans le même sens. De même, si la Catalogne entre dans une démarche unilatérale avant l’Ecosse, l’UE se trouvera face à un dilemme grave : rejeter l’expérience catalane reviendrait à repousser toute unilatéralité de la part de l’Ecosse. Or, le cas écossais est un levier important pour l’UE dans les négociations de l’après-Brexit. Bref, l’unilatéralité est aussi une façon de contraindre les Européens à s’occuper de la question catalane qu’elle s’évertue à ignorer pour le moment. C’est aussi une des raisons qui pourraient pousser les secteurs « modérés » de l’Indépendantisme à se rallier au RUI.

Le Tribunal constitutionnel espagnol menace

A Madrid, on tentera évidemment tout pour empêcher cette unilatéralité. Déjà, le Tribunal constitutionnel (TC) a réagi le 19 juillet au rapport de la Commission d’étude du processus constituant en exigeant que le bureau du Parlement catalan n’inscrive pas à l’ordre du jour le vote sur ce texte. Certains éléments de ce texte sont en effet, selon le TC, “absolument infaisables” parce qu’ils correspondent au “processus de déconnexion” prévu par la motion du Parlement catalan du 9 novembre 2015 qui avait été annulée par le TC. En clair, le TC juge déjà inconstitutionnel le “mécanisme unilatéral” prévu par le rapport.

Le bureau du Parlement catalan a suivi les recommandations du TC qui a menacé ses membres de poursuites. Le rapport n’est pas inscrit à l’ordre du jour des séances plénières de la semaine prochaine. Mais cet ordre du jour peut être modifié à la demande de deux groupes parlementaires ou d’un cinquième des députés. Chacun s’attend donc à ce qu’il soit finalement débattu et voté. Ce jeudi 21 juillet, la présidente du groupe parlementaire de la CUP, Mireia Boya, a affirmé que les conclusions de la commission seront “votées cette semaine”. Ce serait alors graver dans le marbre la réunification des indépendantistes autour de la notion d’unilatéralité.

Escalade possible

Dès lors, l’épreuve de force avec Madrid pourrait s’engager rapidement. Le président du groupe du PP au Parlement catalan, Xavier Albiol, a prévenu que “nous assistons sûrement au dernier avertissement du TC”. Et de menacer : si le Parlement catalan passe outre, cela pourrait “présenter un risque pour l’autonomie et signifier la suspension de certaines institutions”. La menace est claire : si les députés catalans acceptent la voie de l’unilatéralité, le gouvernement espagnol pourrait enclencher l’article 155 de la Constitution espagnole qui autorise le gouvernement central à “prendre les mesures nécessaires pour faire rentrer une communauté autonome dans l’exécution de ses obligations”Pour Mariano Rajoy, qui a besoin de l’abstention du PSOE pour rester président du gouvernement espagnol, ceci pourrait être un argument. Si le PSOE lui refuse l’investiture, les Socialistes deviendront « traîtres à l’Espagne » en laissant le pays sans gouvernement devant les Indépendantistes catalans. Madrid n’a donc aucune raison de ne pas jouer l’escalade. Dans ce cas, l’épreuve de force sera engagée et le gouvernement catalan n’aura d’autre choix que de se soumettre ou d’entrer dans l’illégalité espagnole, en tentant de fonder, par un geste d’unilatéralité, une nouvelle légalité catalane propre. Toutes les conditions d’une crise majeure à la rentrée en Catalogne sont donc réunies.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 21/07/2016

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