mardi 19 juillet 2016

Brexit : l’ultimatum de l’Écosse à Londres, par Romaric Godin

Brexit : l'ultimatum de l'Écosse à Londres, par Romaric Godin

Source : La Tribune, Romaric Godin, 17/07/2016

Theresa May (à gauche) a rencontré Nicola Sturgeon à Edimbourg. Mais la tension anglo-écossaise demeure. (Crédits : RUSSELL CHEYNE)

Theresa May (à gauche) a rencontré Nicola Sturgeon à Edimbourg. Mais la tension anglo-écossaise demeure. (Crédits : RUSSELL CHEYNE)

La première ministre écossaise Nicola Sturgeon propose que l’Ecosse fasse partie de l’UE et du Royaume-Uni après le Brexit. Une option inspirée du statut du Groenland vis-à-vis du Danemark. En cas de refus de Londres, elle menace d’organiser un nouveau référendum sur l’indépendance dès 2017.

Nicola Sturgeon, la chef du gouvernement écossais, maintient la pression sur Londres. Vendredi 15 juillet, la nouvelle première ministre britannique Theresa May, s’est rendue à Edimbourg pour rencontrer Nicola Sturgeon. Un geste d’apaisement envers l’Ecosse qui, le 23 juin, a voté à 62 % pour le maintien dans l’Union européenne, alors que le Royaume-Uni dans son ensemble a voté à 52 % pour une sortie de l’UE.

Main tendue de Londres à Edimbourg

A l’issue de cette rencontre, Theresa May s’est engagé à ne pas utiliser l’article 50 du traité de l’UE, qui permet d’en sortir, avant d’avoir défini une position « britannique » sur la stratégie à mener. Autrement dit avant d’avoir intégré dans la position du gouvernement celle des autorités des trois nations autres que l’Angleterre (qui ne dispose pas d’autorité propre), et particulièrement de l’Ecosse.

Pour Nicola Sturgeon, cet engagement est important : il donne de fait une forme de droit de veto à l’Ecosse sur l’article 50, ce qu’elle a volontiers reconnu implicitement. Un droit qui, s’il ne lui permettra pas de stopper le Brexit, lui permettra de dicter ses conditions à l’UE – pressée d’ouvrir les négociations – et au gouvernement britannique – qui s’est engagé à réaliser le Brexit. Grâce à Theresa May, Holyrood, le siège du pouvoir écossais, dispose d’un nouveau moyen de pression.

L’exemple du Groenland

Lors de l’émission télévisée dominicale d’Andrew Marr sur la BBC ce 17 juillet, Nicola Sturgeon a ainsi reconnu ne pas exclure une solution où l’Ecosse pourrait demeurer à la fois dans l’Union européenne et dans le Royaume-Uni, alors que le reste de ce pays ne serait plus dans l’UE. Cette solution est évoquée depuis le 23 juin et est inspirée de certains précédents, comme celui du Danemark et du Groenland.

En 1983, les habitants du Groenland, territoire autonome danois, avait demandé à sortir de l’UE suite à des querelles sur des zones de pêches. En 1985, la grande île avait ainsi quitté l’UE formellement, alors que le Danemark y restait et que le Groenland continuait à faire formellement partie du royaume nordique.

Depuis, les autorités de Nuuq, la capitale du Groenland, ont gagné de plus en plus d’autonomie. Seule la politique étrangère, particulièrement celle relevant de la défense, reste l’apanage exclusif de Copenhague. Pour le reste, le pouvoir danois n’a plus guère son mot à dire dans la politique groenlandaise. Ceci a permis d’éviter l’indépendance du Groenland, mais cette province est clairement de plus en plus étrangère au Danemark. Pour le royaume nordique, cet abandon de l’idée indépendantiste (qui revient parfois, cependant, lors des élections) a un prix élevé :  le Danemark finance encore une partie des dépenses publiques de Nuuq et le Groenland envoie 2 députés sur les 179 du Folketing, le parlement danois, qui participent en théorie à la définition de la politique danoise.

Un statut complexe à définir

Un schéma du même type pour l’Ecosse serait-il pensable ? Ceci appelle plusieurs remarques. D’abord, dans le cas danois c’est la « métropole » qui est dans l’UE, ici, ce sera la « province ». L’Ecosse appartiendra à un ensemble plus grand que le Royaume-Uni, ensemble que ce pays a clairement rejeté. La cohabitation s’annonce complexe : l’Ecosse sera plus faible dans le Royaume-Uni, mais pourra s’appuyer sur un ensemble supposé plus fort. Inévitablement, ceci pourrait déboucher sur des tensions.

De quoi déplaire à Londres

Du reste, cette solution supposera des changements considérables sur le plan constitutionnel au Royaume-Uni et dépendra largement des modalités de sortie de l’UE du pays. Si le Royaume-Uni ne dispose pas d’un accès au marché unique et de la libre-circulation avec l’UE, il faudra établir des contrôles sur les borders, la frontière entre l’Ecosse et le reste du Royaume-Uni. Il faudra déterminer en cas de conflit quelle législation aura la priorité entre celle de l’UE et celle du Royaume-Uni, et dans quels domaines. Ceci risque de faire grincer bien des dents à Londres.

D’autant qu’il faudra continuer de réserver 56 sièges sur 650 à l’Ecosse à la Chambre des Communes, ce qui représente 8,6 % du total (le Groenland ne pèse que pour 1,1 % du Folketing). L’Ecosse, membre de l’UE participera donc à la confection de la politique hors-UE du Royaume-Uni. Là encore, on imagine la grimace des Conservateurs anglais et de certains partis comme le UKIP.

Vers une dérive écossaise loin du Royaume-Uni ?

Le processus sera donc très complexe et, inévitablement, la question de la nature de l’appartenance de l’Ecosse au Royaume-Uni se posera. Il y aura de fait deux Royaume-Uni : l’un spécifique à l’Ecosse, l’autre regroupant Pays de Galles, Angleterre et Irlande du Nord comme aujourd’hui. Progressivement, la situation de l’Ecosse sera proche des « dépendances de la couronne », comme l’île de Man ou les îles anglo-normandes qui ne font ni partie du Royaume-Uni, ni de l’UE. Leur lien avec Londres se résument à des accords monétaires, politiques et commerciaux et à la reconnaissance du monarque comme souverain (dans les îles anglo-normandes au titre de « Duc de Normandie »).

Rendre l’indépendance inévitable ?

C’est, du reste, peut-être le but de la première ministre écossaise, chef du parti nationaliste SNP : séparer de fait l’Ecosse avant de la séparer de droit. Rendre inévitable progressivement le saut indépendantiste en construisant une solution intenable, mais qui aura conduit à séparer l’Ecosse du reste du Royaume-Uni.

Pas de veto écossais

Face à ce risque et à celui de faire durer indéfiniment le processus écossais préalable à l’ouverture de l’article 50, le nouveau « ministre britannique du Brexit », David Davis a haussé le ton et indiqué que l’Ecosse ne disposait pas d’un droit de veto. Il a précisé la démarche de Theresa May dimanche dans une interview à Sky TV. « Le but est de prendre en compte les inquiétudes des gens qui ont voté pour le maintien dans l’UE (…) et nous ferons ce que nous pourrons pour cela. Mais ils ne peuvent pas avoir de veto parce que nous avons eu 17,5 millions de personnes qui nous ont donné un mandat et nous ont dit ce que nous devons faire. Nous ne pouvons pas leur désobéir ».

Pas de double appartenance pour Londres

David Davis a rejeté, de plus, l’option d’une Ecosse britannique et membre de l’UE. « Je ne crois pas que cela marche. Un de nos défis les plus importants est de traiter de la frontière avec l’Irlande et nous n’allons pas créer d’autres frontières à l’intérieur du Royaume-Uni », a-t-il insisté. Bref, Londres a ouvert la porte aux discussions non pas sur le Brexit, mais sur la voie à suivre. David Davis prévient donc : même sans l’accord de l’Ecosse, l’article 50 pourrait être activé en décembre.

Dilemme pour Theresa May

Face à cette réponse, Nicola Sturgeon a prévenu dimanche que c’était « pour cette raison qu’elle préparait un second référendum sur l’indépendance en 2017 ». Autrement dit, Holyrood pose un ultimatum : ou l’Ecosse reste, d’une façon ou d’une autre dans l’UE, ou il y aura un processus de sécession. « L’Ecosse n’est pas une région du Royaume-Uni, c’est une nation et elle a fait le choix de rester dans l’UE », a indiqué Nicola Sturgeon. Cette menace est sérieuse pour Londres : dans les jours qui ont suivi le vote du 23 juin, les sondages ont donné plus de 55 % de « oui » à l’indépendance. Londres risque donc de devoir choisir entre le Brexit et l’indépendance écossaise.

Référendum unilatéral ?

En réalité, la situation est plus complexe. Le référendum de 2014 avait été accepté par Londres qui s’était engagée à reconnaître le résultat à l’issue d’un accord avec le gouvernement écossais. Cette fois, il n’est pas certain que Theresa May accepte le même processus. L’Ecosse en sera réduite à organiser un référendum unilatéral qui ne sera pas reconnu par le Royaume-Uni. Une grave crise politique pourrait en découler et ceci pourrait affaiblir le camp de l’indépendance en rajoutant de l’incertitude à l’incertitude. D’autant que l’économie écossaise, dépendante du pétrole, n’est pas au mieux.

Veto espagnol

Surtout, rien ne garantit une « bonne volonté européenne ». Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, s’est fait taper sur les doigts pour avoir reçu après le Brexit Nicola Sturgeon, ce qu’a refusé de faire Donald Tusk, le président du conseil de l’UE. Dans la foulée, l’Espagne et la France ont annoncé qu’ils refuseraient toute entrée simplifiée de l’Ecosse dans l’UE. En cas de référendum unilatéral ou de déclaration unilatérale d’indépendance, l’Ecosse risque de rencontrer un refus européen, alimenté par Madrid. En Catalogne, les Indépendantistes réfléchissent en effet à de tels moyens pour se séparer de l’Espagne. Le royaume ibérique ne peut accepter en Ecosse, ce qu’il refuse en Catalogne. Bref, la stratégie de Nicola Sturgeon est pleine d’audace, mais elle a des faiblesse.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 17/07/2016

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