dimanche 10 juillet 2016

Avec les tribunaux d’arbitrage, les cigarettiers poursuivent les Etats pour les lois anti-tabacs

Avec les tribunaux d'arbitrage, les cigarettiers poursuivent les Etats pour les lois anti-tabacs




Des victoires qui n'en sont pas

Bien sûr, on peut se réjouir de ces défaites judiciaires de Philip Morris, mais ces dernières posent plusieurs graves problèmes. Le célèbres cigarettier poursuivait l'Australier pour avoir introduit il y a 5 ans les paquets neutres, qui auraient provoqué une baisse de 10% de la consommation. Mais si les tribunaux d'arbitrage (ou ISDS en anglais) ont rejeté sa plainte, ce n'était pas alors pour des raisons de fond, refusant de statuer sur la légalité des paquets neutres, mais du fait des manœuvres légales du cigaretier, passé par arrangements artificiels pour poursuivre l'Etat en rattachant sa filiale locale à une entité de Hong-Kong, pays qui dispose d'un traité d'investissement avec l'Australie. Il y a quelques jours Philip Morris a été débouté d'une plainte contre l'Uruguay, au motif de l'interdiction des variantes mentholées et d'une augmentation de 80% de la taille des messages sanitaires sur les paquets de cigarettes.

Le cigarettier plaidait que cela violait l'accord d'investissement entre la Suisse et l'Uruguay, dont le président est un cancérologue qui a interdit la cigarette dans les lieux publics. L'ancien maire de New-York, Michael Bloomberg, s'est réjouit de l'annonce, qui montre, pour lui que les Etats peuvent « se mesurer à l'industrie du tabac et gagner ». Mais cela ne pose-t-il pas de gros problèmes ? Est-ce à dire que si ce « tribunal » avait donné raison à Philip Morris, alors, les Etats devraient lui payer des millions, ou même renoncer aux lois anti-tabac qu'ils ont pu passer ? N'est-il pas extrêmement problématique que des multinationales, qui vendent, comme ici, des produits très dangereux pour la santé, puissent ne serait-ce que poursuivre des Etats qui passent des lois pour réduire la consommation de tabac ?

Est-il admissible que des juges indépendants puissent ainsi se placer au-dessus des Etats, mis au même niveau que les multinationales ? Cette indifférenciation en dit long sur une époque qui a totalement perdu le sens des choses. Un Etat, qui représente ses citoyens, et plus encore la démocratie, ne devrait pas pouvoir être mis sur le même plan qu'une multinationale, qui n'est qu'un véhicule pour la création de richesse de ses actionnaires. Voici le vice de forme révoltant et scandaleux de ces tribunaux d'arbitrage. Comment peut-on accepter une telle remise en cause de la démocratie, un tel bouleversement de ce que devrait être l'ordre des valeurs ? Est-il légitime qu'une multinationale puisse chercher des compensations contre des lois qui n'iraient pas dans son intérêt, qu'elles protègent la santé ou non ?


Malheureusement pour nous, et heureusement pour les multinationales, les jugements contre Philip Morris les préservent sans doute d'une remise en cause du principe même des tribunaux d'abitrage. Mais le simple fait que cela puisse être jugé de la sorte n'en est pas moins fondamentalement révoltant.

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