République et multiculturalisme (billet invité)
Billet invité de l'œil de Brutus A l'occasion d'un dîner avec Alain Juppé, l'ancien ministre du logement de Nicolas Sarkozy, Benoist Apparu, s'est fendu d'un tweet dont il faudra se souvenir : «Oui au multiculturalisme, non au communautarisme, c'est ça l'identité heureuse!». Fort justement, Charles Beigbeder[i]s'est fendu d'un remarquable article (ici) démontrant pas à pas comment le multiculturalisme encourage le communautarisme et détruit les fondements même de la République. M. Apparu s'est montré bien moins inspiré pour lui répondre (ici). Il consacre ainsi la moitié de sa réplique non à débattre sur le fond mais à reprocher à M. Beigbeder d'avoir voulu faire un coup médiatico-politique. Mais que recherche-t-il lui-même, M. Apparu (et bien des membres de la classe politicienne), lorsqu'il tweet inconsidérément et à tout va ? A contrario, sur la question de fond, celle du multiculturalisme, la réponse de M. Apparu pointe hors-sujet. Il n'emploi ainsi le terme qu'une seule et unique fois … pour en faire un synonyme de « diversité culturelle », montrant ainsi son absence complète de profondeur sur un sujet aujourd'hui pourtant crucial. Car, en effet, la diversité culturelle est à la fois un fait et une richesse. Elle est un fait car la France est constituée de cultures corse, bretonne, antillaise, maghrébine, africaine, alsacienne et bien d'autres encore. Elle est une richesse car chacune de ces cultures va elle-même et d'elle-même alimenter et enrichir la culture française. C'est cette richesse qui, entre autres, fait de la France un pays unique, un pays d'universel qui a su apprendre à se défier de l'universalisme, cet impérialisme autoritaire qui avance masqué. C'est cette richesse qui permet de clamer comme le fit Dominique de Villepin que « tous les hommes sont des Français en devenir. […] Nous somme un Nouveau Monde resté sur sa rive ancienne »[ii]. Mais cette richesse a une exigence, car il ne suffit pas d'être juste là pour devenir français. C'est là que se noue la différence, majeure, fondamentale, inévitable, entre la diversité culturelle que notre pays admet et revendique et le multiculturalisme qu'il doit rejeter. Car la culture française n'a de sens que dès lors que les autres cultures qui cohabitent en son sein l'acceptent comme culture commune. Ce n'est donc pas une question de répartition privé-public comme semble le croire M. Apparu, mais bien d'un socle commun – la culture française – qui définit les règles du vivre-ensemble auxquelles doivent se plier les autres. Il ne s'agit pas non plus de déterminer une échelle de valeur qui placerait la culture française au-dessus de toutes les autres mais de reconnaître ce qui n'a rien de nouveau : pour vivre ensemble, il faut une culture politique commune (qui n'exclut pas que l'on puisse se référer à d'autres culture) ; cette culture c'est la France. C'est ce qui fonde (mais pas seulement) la République une, indivisible et laïque. Or, le multiculturalisme, comme j'ai déjà eu l'opportunité de l'écrire, est l'exact opposé de cela. Le multiculturalisme est un relativisme culturel qui place toutes les cultures sur le même plan[iii]. Par essence, le multiculturalisme rejette le principe de culture commune puisque chacun peut – doit – avoir sa propre culture et n'a pas à se plier aux principes de culture de son pays d'accueil. De fait, le multiculturalisme est intrinsèquement lié au communautarisme. Pire même : il mène potentiellement au racialisme essentialiste, comme le démontrent maintenant à visage découvert les « indigènes de la République » et leurs affidés[iv]. Tout ceci, M. Apparu ne devrait pas l'ignorer. Ou sinon, pire, il feint de l'ignorer par intérêt bassement électoraliste. En tout état de cause, ce débat (qui n'en est pas vraiment un puisqu'à un article d'une réelle profondeur intellectuelle de M. Beigbeder, M. Apparu a répondu par de l'anathème assortie de quelques imprécations) aura eu le mérite de continuer à clarifier les choses. D'un côté, nous avons un parti dit « socialiste » à l'ascendance libertaire et aux tendances néolibérales désormais clairement assumées. De l'autre, des dits « Républicains » au néolibéralisme encore plus assumé (il suffit de voir les aberrants programmes économiques de leurs candidats à la primaire) qui, bon an mal, par idéologie ou par cynisme, s'avèrent en pratique tout aussi libertaires[v]. Les deux faces d'une même pièce. Aucun des deux ne peut se prétendre républicains. Car en effet, où est la République, lorsque l'on massacre son école depuis des décennies[vi] ? où est la République lorsque l'on dissous la souveraineté du peupledans des traités honteux ? où est la République lorsque l'on bafoue la volonté du peuple exprimée par référendum pour le contraindre à accepter les dits-traités ? où est la République lorsque les ploutocrates peuvent se parjurer sans vergogne devant la représentation nationale[vii]pendant que les fonctionnaire fidèles au devoir et au service se font ostraciser[viii]? Où est la République quand les plus riches peuvent sans difficultés fuir l'impôt ? où est la République lorsqu'un ancien président mouillé dans de multiples affaires – dont une suspicion de tricherie à une élection présidentielle – ose prétendre revenir se soumettre au suffrage des Français ? où est la République lorsque l'on inverse la hiérarchie des normes pour l'intérêt que individuel particulier prime sur l'intérêt collectif[ix] ? P « S » et « Républicains » ne représentent qu'une chose : la tyrannie libérale-libertaire du chacun pour soi qui finit toujours en loi de la jungle puis en guerre de tous contre tous. Ils sont fondamentalement, radicalement, anti-républicains, au sens complet comme étymologique du terme (la préservation de la « chose publique »). Illustration : Tableau d'Honoré Daumier, 1848. [i] Avec qui j'ai pourtant bien des désaccords sur d'autres sujets, notamment économiques. En outre, si M. Beigbeder veut demeurer en cohérence avec ses prises de partie radicalement divergentes sur des sujets aussi importants que celui dont il est ici question, il se doit d'achever de couper les ponts avec les dits « Républicains ». [ii] Notre vieux pays, Plon 2011, page 85. [iii] Et qui, par exemple, tolère l'existence de tribunaux islamiques dans un Etat de droit qui, de fait, n'en est plus un. Cf. Les tribunaux islamiques tolérés au Royaume-Uni, Xavier Frison, Marianne, 29-mai-16. [iv] Lire La mouvance antiraciste malade du confusionnisme, Jack Dion, Marianne, 20-mars-15 ; Le djihadisme version bisournous, Jack Dion, Marianne, 18-nov.-15 ; Indigènes de la République: Thomas Guénolé démontre le racisme, la misogynie et l'homophobie de Houria Bouteldja, Bruno Rieth, Marianne, 21-mars-16 ; Houria Bouteldja ou le racisme pour les nuls, Jack Dion, Marianne, 09-avr.-16 ; Une proche des Indigènes de la République dans DPDA : le CSA épingle France 2, Louis Hausalte, Marianne, 15-avr.-16. [v] Il suffit de constater, entre autres, l'extraordinaire continuité de la politique de déconstruction de l'école menée par-delà les alternances. [vi] Lire Elisabeth Lévy : «Les réformateurs de l'école prennent les enfants de pauvres pour des cons», Elisabeth Lévy, Figarovox, 11-mars-16 ; Une étude qui dénote, Loys Bonod, La vie moderne, 17-mars-16 ; Contresens dans la querelle des anciens et des modernes sur l'éducation nationale, Marc Rameaux, Le Troisième homme, 26-sept.-15 ; L'école et ses Khmers, Eric Conan, Marianne, 14-sept.-15 ; École : «L'idée que le savoir n'a plus d'importance est le plus grand mythe des pédagogues», Daisy Christodoulou, Figarovox, 29-mai-15. [viii] Pourquoi le cardinal de Richelieu n'aurait pas évincé le général Soubelet, Alexandre Malafaye, Figarovox, 18-mai-16. [ix] Article 2 de la loi Travail : pourquoi NON, Hollande n'a pas été élu pour ça, Thomas Vampouill, Marianne,27-mai-16. |
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