La Doctrine Obama [4/5] : L'Asie et la Russie
« Tous les présidents ont des forces et des faiblesses, » répondit-il. « Et il ne fait aucun doute qu’il y eut des moments où je ne fus pas assez attentif aux sentiments, aux émotions et à la politique en communiquant ce que nous faisions et comment nous le faisions. » Mais pour que l’Amérique soit performante comme leader du monde, continua-t-il, « Je crois que nous devons éviter d’être simplistes. Je pense que nous devons renforcer la capacité de résistance et s’assurer que nos débats politiques sont ancrés dans la réalité. Ce n’est pas que je n’apprécie pas la valeur du théâtre dans les communications politiques ; c’est que les habitudes que nous avons – les médias et politiciens – et la façon dont nous parlons de ces questions, sont souvent si éloignées de ce dont nous aurions besoin de faire, que, pour moi, satisfaire la frénésie des programmes d’information sur le câble nous mènerait à prendre de plus en plus de décisions. » Obama avec Jack Ma, le président d’Alibaba, au sommet de l’APEC dans les Philippines en novembre dernier – quelques jours après que l’État Islamique a tué 130 personnes à Paris.Alors que Air Force one commençait sa descente sur Kuala Lumpur, le président fit allusion aux efforts victorieux conduits par les États-Unis pour stopper l’épidémie d’Ébola en Afrique de l’Ouest comme un bon exemple de gestion continue et mesurée d’une crise terrifiante. « Durant les deux mois où tout le monde était convaincu qu’Ébola allait détruire la planète et qu’il y avait une couverture médiatique 24h/24 – 7j/7, si j’avais alimenté la panique ou, d’une façon ou d’une autre, m’étais éloigné de « Voici les faits, voici ce qui doit être fait, voici comment nous gérons la situation, la probabilité que vous attrapiez Ébola est très faible, et voici ce que nous devons faire sur le territoire national et à l’étranger pour endiguer cette épidémie », puis « peut-être que les gens auraient dit “Obama prend cela vraiment au sérieux” » mais alimenter la panique en sur-réagissant aurait pu arrêter les voyages vers et depuis les pays africains qui étaient déjà incroyablement faibles, d’une façon qui aurait pu détruire leur économie – ce qui aurait probablement signifié, parmi d’autres choses, une récurrence d’Ébola. Il ajouta : « Cela aurait également signifié que nous aurions gâché une importante quantité de ressources dans nos systèmes de santé public normalement consacrées aux vaccinations et aux autres causes qui tuent réellement les gens » en grand nombre en Amérique. L’avion atterrit. Le président, allongé dans le fauteuil de son bureau sans sa veste et la cravate de travers, n’a pas eu l’air de le remarquer. Dehors, sur le tarmac, je pouvais voir ce qui semblait être une importante partie des forces armées malaisiennes assemblées pour l’accueillir. Comme il continuait de parler, j’ai commencé à m’inquiéter que les soldats et les dignitaires qui l’attendaient prennent chaud. « Je pense que nous sommes en Malaisie, » dis-je. Il concéda que cela était vrai, mais ne semblait pas être pressé, donc je lui demandais d’expliquer sa réaction publique au terrorisme : s’il montrait plus d’émotion, cela ne calmerait-il pas les gens plutôt que de les agacer ? « J’ai des amis qui ont des enfants à Paris actuellement, » dit-il. « Et vous et moi et un bon nombre de personnes qui écrivent sur ce qui s’est passé à Paris ont arpenté les mêmes rues où les gens ont été tués. Et il est normal d’avoir peur. Et il est important pour nous de ne jamais être complaisants. Il y a une différence entre résistance et complaisance. » Il décrit une autre différence – entre prendre des décisions mûrement réfléchies et les prendre dans la précipitation, sous le coup de l’émotion. « Ce que cela signifie, en réalité, c’est que vous voulez tellement bien arranger les choses et vous n’allez céder à aucune réponse impétueuse, voire dans certains cas, fabriquée qui sonne bien mais ne produit aucun résultat. Les enjeux sont trop élevés pour jouer ce genre de jeux. » « L’Etat Islamique n’est pas une menace existentielle aux Etats-Unis. Le changement climatique est une menace existentielle potentielle dans le monde entier, si nous ne faisons pas quelque chose. » Sur ce, Obama se leva et dit : « Ok, on doit y aller. » Il sortit de son bureau et descendit de l’avion, sur le tapis rouge, devant les gardes d’honneur et le parterre d’officiels malaysiens réunis pour l’accueillir, puis dans sa limousine armoriée, s’envola vers Kuala Lumpur. (Au début de son premier mandat, toujours peu accoutumé aux opérations militaires d’envergure qui emmènent un président d’un endroit à un autre, il faisait remarquer avec une pointe d’humour : « J’ai la plus grosse empreinte carbone du monde. ») Le premier arrêt du président était un autre de ces événements destinés à mettre en lumière son tour d’Asie, celui-là, une assemblée publique d’étudiants et entrepreneurs membres de l’administration de Young Southeast Asian Leaders Initiative (Action des jeunes leaders d’Asie du Sud-Est). Obama entra dans la salle de conférence de l’université Taylor sous un tonnerre d’applaudissements. Il fit un petit discours d’ouverture, puis charma son audience avec une longue séance de questions/réponses. Mais ceux d’entre nous qui regardaient la section presse furent distraits par les nouvelles arrivant sur nos téléphones au sujet d’une nouvelle attaque djihadiste, cette fois au Mali. Obama, occupé à envouter les entrepreneurs asiatiques, n’avait aucune idée de ce qui se passait. Il ne le sut que lorsque Susan Rice lui dit une fois dans la limousine. L’ambassadrice des États-Unis auprès des Nations Unis, Samantha Power (à gauche), et le Secrétaire d’État John Kerry (au centre), écoutant Obama parlé de l’épidémie d’Ébola en septembre 2014.Plus tard dans la soirée, je rendis visite au président dans sa suite du Ritz-Carlton dans le centre de Kuala Lumpur. Les rues autour de l’hôtel avaient été fermées. Les véhicules armoriés encerclaient le bâtiment ; le hall était rempli d’équipes du SWAT. Je pris l’ascenseur jusqu’à un étage plein d’agents des services secrets, qui m’indiquèrent un escalier ; l’ascenseur de l’étage d’Obama avait été désactivé pour raison de sécurité. Deux étages plus haut, dans un couloir avec plus d’agents encore. Un moment d’attente, puis Obama ouvrit la porte. Ses deux suites étaient étranges : des rideaux et des divans surchargés. C’était immense, triste et catastrophique tout à la fois. « C’est comme le Hearst Castle, » [gigantesque propriété du magnat de la presse William Randolph Hearst, NdT], observai-je. « Eh bien, c’est loin de Hampton Inn à Des Moines, » [hôtel à des Moines, Iowa, NdT], dit Obama. La chaîne ESPN était en fond sonore. Lorsqu’il s’assit, je soulignais au président un défi majeur de son tour d’Asie. Plus tôt dans la journée, au moment où il était en train d’essayer d’encourager un groupe d’entrepreneuses indonésiennes talentueuses et enthousiastes portant le hijab, l’attention fut détournée par la dernière attaque terroriste islamiste. Ecrivain dans l’âme, il eut une suggestion : « C’est probablement une façon assez simple de commencer une histoire, » dit-il, se référant à cet article. Peut-être, dis-je, mais c’est une astuce assez facile. « C’est facile, mais ça fonctionne, » dit Obama. « Nous parlons à ces enfants, et là, il y a cette attaque qui survient. » L’écran partagé du jour entraîna une conversation au sujet de deux récentes réunions qu’il avait tenues, une qui avait généré une contestation internationale majeure et des gros titres, et une qui passa inaperçue. Celle qui attira tant d’attention sera en définitive jugée comme ayant le moins de conséquences, suggérai-je. C’était le sommet du Golfe en mai 2015 à Camp David, destiné à apaiser les cheikhs et princes en visite, qui craignaient l’accord imminent avec l’Iran. L’autre réunion s’était déroulée deux mois plus tard, dans le bureau ovale, entre Obama et le secrétaire général du parti communiste vietnamien, Nguyen Phu Trong. Cette réunion n’avait lieu que parce que John Kerry avait poussé la Maison-Blanche à violer le protocole, puisque le secrétaire général n’était pas un chef de l’État. Mais les objectifs l’emportèrent sur le décorum : Obama voulait mettre la pression sur les Vietnamiens concernant l’Accord de partenariat trans-pacifique – ses négociateurs avaient arraché la promesse des Vietnamiens qu’ils légaliseraient les syndicats indépendants – et il souhaitait approfondir la coopération sur les questions stratégiques. Les représentants de l’administration m’avaient suggéré à plusieurs reprises que le Vietnam pourrait dans un avenir proche accueillir une présence militaire américaine permanente, pour contenir les ambitions du pays qu’il craint le plus aujourd’hui, la Chine. Le retour de la marine américaine à Cam Ranh Bay serait un des plus improbables évènements de l’histoire récente de l’Amérique. « Nous avons amené le parti communiste vietnamien à reconnaître les droits des travailleurs, ce qui n’aurait pu être fait en les harcelant ou les effrayant, » me dit Obama, appelant cela une victoire clé dans sa campagne pour remplacer la menace du bâton par la persuasion diplomatique. Je faisais remarquer que les deux cent jeunes asiatiques du sud-est dans la pièce plus tôt dans la journée – incluant des citoyens de pays communistes – semblaient aimer l’Amérique. “C’est le cas,” dit Obama. “Au Vietnam actuellement, les sondages en faveur de l’Amérique atteignent 80%.” Obama en visite dans un centre de réfugiés à Kuala Lumpur lors d’un voyage en Asie du Sud-Est l’automne dernier. Il considère la région comme faisant plus partie intégrante de l’avenir de l’Amérique que le Moyen-Orient.La popularité renaissante de l’Amérique en Asie du Sud-Est signifie que “nous pouvons vraiment faire d’importantes choses – qui, d’ailleurs, auront des ramifications plus générales,” dit-il, “parce que lorsque la Malaisie rejoint la campagne anti-ISIS, cela nous aide à lever des ressources et gagner de la crédibilité pour notre combat contre le terrorisme. Lorsque nous avons de fortes relations avec l’Indonésie, cela nous aide lorsque nous allons à Paris et essayons de négocier un traité sur le climat, lorsque la tentation de la Russie ou d’autres de ces pays peut être de rendre l’accord sans objet.” Obama cita ensuite l’influence accrue de l’Amérique en Amérique latine – accrue, dit-il, en partie par sa suppression d’un obstacle majeur dans la région en rétablissant des liens avec Cuba – comme preuve que son approche délibérément diplomatique et non menaçante des relations étrangères fonctionne. Le mouvement ALBA, un groupe de gouvernements d’Amérique latine axé sur l’anti-américanisme, s’est significativement affaibli depuis qu’il est devenu président. “Quand je suis entré en fonction, au premier Sommet des Amériques auquel j’ai assisté, Hugo Chavez – le dernier dictateur vénézuélien anti-américain – “était encore la figure dominante dans les discours,” a-t-il dit. “Nous avons pris une décision très stratégique dès le début, et qui était, plutôt que de le faire exposer comme un adversaire géant de 3 mètres, évaluons correctement le problème et disons : Nous n’aimons pas ce qui se passe au Venezuela, mais ce n’est pas une menace pour les États-Unis.” Obama dit que pour atteindre ce rééquilibrage, les États-Unis doivent aller au-delà des diatribes et insultes du vieillissant Castro manqué. « Lorsque j’ai vu Chavez, je lui ai serré la main et il m’a tendu une critique marxiste des relations États-Unis-Amérique latine, » rappela Obama. « Et j’ai dû m’asseoir là et écouter Ortega » – Daniel Ortega, le président d’extrême gauche du Nicaragua – « faire une diatribe d’une heure contre les États-Unis. Mais nous étant là, sans prendre tout cela au sérieux – parce que ce n’était vraiment pas une menace pour nous » – a aidé à neutraliser l’anti-américanisme. La volonté du président de ne pas mordre à l’appât tendu par les adversaires de l’Amérique me paraît émotionnellement non satisfaisant, dis-je, et je lui dis que de temps en temps, j’aimerais le voir faire un doigt d’honneur à Vladimir Poutine. C’est atavique, dis-je, connaissant mon audience. « Ça l’est, » répondit calmement le président. « C’est ce qu’ils attendent. » Il décrivit une relation avec Poutine qui n’était pas tout à fait conforme à la perception commune. J’avais l’impression qu’Obama voyait Poutine comme un homme mauvais, brutal et petit. Mais Obama me dit que Poutine n’est pas particulièrement mauvais. « La vérité est, en réalité, que Poutine, lors de toutes nos rencontres, est scrupuleusement poli, très franc. Nos réunions ressemblent beaucoup à des réunions d’affaires. Il ne me fait jamais attendre deux heures comme il le fait avec beaucoup d’autres. » Obama dit que Poutine pensait que sa relation avec les États-Unis était plus importante que les Américains tendaient à le penser. » Il est toujours intéressé à ce qu’on le voit comme notre pair et comme travaillant avec nous, parce qu’il n’est pas complètement stupide. Il comprend que la position générale de la Russie dans le monde est très diminuée. Et le fait qu’il envahisse la Crimée ou essaye de soutenir Assad ne fait pas soudainement de lui quelqu’un de la partie. Vous ne le voyez dans aucune des réunions aider à donner forme au plan d’action. De même, il n’y a pas de réunion du G20 où les Russes établissent un plan d’action sur aucune des questions importantes. » L’invasion russe de la Crimée début 2014, et sa décision d’utiliser la force pour renforcer le régime de son client Bachar el-Assad, a été vu par les critiques d’Obama comme une preuve que le monde post-ligne rouge ne craignait plus l’Amérique. Donc lorsque fin janvier je parlais au président dans le bureau ovale, j’amenais encore cette question de crédibilité dissuasive. « L’argument est donné, » dis-je, « que Vladimir Poutine vous regarde en Syrie et pense, Il est trop logique, il est trop rationnel, il est trop dans le retranchement. Je vais le pousser encore un peu plus loin en Ukraine. » Obama n’apprécia pas beaucoup la voie que j’empruntai. « Ecoutez, cette théorie est si souvent avancée que je suis toujours perplexe face au gens qui l’avancent. Je ne pense pas que qui que ce soit pensait que George W. Bush était trop rationnel ou prudent dans son usage de la force militaire. Et comme je vous le rappelle, parce qu’apparemment personne dans cette ville ne s’en rappelle, Poutine est allé en Géorgie durant le mandat de Bush, juste pile au moment où nous avions 100 000 hommes de troupes déployés en Irak. » Obama se référait à l’invasion de la Géorgie par Poutine en 2008, une ancienne République soviétique, qui fut entreprise pour des raisons similaires à l’invasion par la suite de l’Ukraine – pour garder une ancienne République soviétique dans la sphère d’influence de la Russie. « Poutine a agi en Ukraine en réponse à un État client qui était en train de lui échapper. Et il improvisa de sorte à y garder le contrôle, » dit-il. « Il fit exactement la même chose en Syrie, avec un énorme coût pour le bien-être de son propre pays. Et la vision selon laquelle d’une certaine façon la Russie est davantage en position de force actuellement, en Syrie et en Ukraine, qu’elle ne l’était avant d’envahir l’Ukraine ou avant de déployer ses forces militaires en Syrie est fondamentalement une mauvaise compréhension de la nature du pouvoir dans les affaires étrangères ou dans le monde en général. Le pouvoir réel signifie que vous pouvez obtenir ce que vous voulez sans avoir à exercer la force. La Russie était bien plus puissante lorsque l’Ukraine ressemblait à un pays indépendant mais était une “kleptocracie” où il tirait les ficelles. » La théorie d’Obama est simple : l’Ukraine a un intérêt fondamental pour les Russes mais pas pour les Américains, donc la Russie sera toujours capable d’y maintenir une domination. « Le fait est que l’Ukraine, qui n’est pas un pays membre de l’Otan, sera vulnérable face à la domination russe quoi que l’on fasse, » dit-il. Je demandai à Obama si sa position en Ukraine était réaliste ou fataliste. « Elle est réaliste, » dit-il. « Mais c’est un exemple où nous devons être très clair sur ce que sont nos intérêts fondamentaux et sur quoi nous sommes prêt à partir en guerre. Et à la fin de la journée, il y aura toujours une certaine ambiguïté. » Il fit alors part d’une critique qu’il avait entendue à son sujet, afin de la démonter. « Je pense que le meilleur argument que vous puissiez avoir du point de vue de ceux qui critiquent ma politique étrangère est que le président n’exploite pas assez l’ambiguïté. Il ne réagit peut-être pas de façon à ce que les gens pensent, Wow, le gars est peut-être un peu fou. » « La “folle approche de Nixon”, » dis-je : dérouter et effrayer nos ennemis en leur faisant penser que vous êtes capable d’actes irrationnels. « Mais analysons cette théorie de Nixon, » dit-il. « Donc nous larguons plus d’obus sur le Cambodge et le Laos que sur l’Europe durant la Seconde Guerre mondiale, et pourtant, Nixon se retire, Kissinger va à Paris, et tout ce que nous avons laissé derrière c’est le chaos, le massacre et des gouvernements autoritaires qui finalement, avec le temps, ont émergé de cet enfer. Lorsque je vais visiter ces pays, j’essaie de comprendre comment nous pouvons, aujourd’hui, aider à enlever les bombes qui font encore sauter les jambes des enfants. En quoi cette stratégie a-t-elle promu nos intérêts ? ». Mais que se passerait-il si Poutine s’en prenait à, disons, la Moldavie – un autre ex-État soviétique vulnérable ? Serait-il utile pour Poutine de penser qu’Obama pourrait se mettre en colère et devenir irrationnel ? Jeffrey Goldberg parle avec James Bennet du processus de synthèse des entretiens et de l’écriture de “The Obama Doctrine”.« Il n’y a aucun indice dans la politique étrangère américaine moderne de la façon dont les gens réagissent. Les gens réagissent en fonction de ce que leurs impératifs sont, et ce qui est vraiment important pour quelqu’un, ne l’est pas autant pour nous, ils le savent et nous le savons, » a-t-il dit. « Il existe des moyens de dissuasion, mais cela oblige à savoir très clairement à l’avance ce qui vaut la peine d’entrer en guerre ou pas. Maintenant, si quelqu’un dans cette ville prétendait que nous envisagions d’entrer en guerre contre la Russie au sujet de la Crimée et de l’Ukraine, il devrait s’exprimer très clairement à ce sujet. L’idée que tenir des discours musclés ou se livrer à une action militaire indirecte par rapport à ce territoire en particulier va en quelque sorte influencer la prise de décision de la Russie ou de la Chine va à l’encontre de toutes les preuves que nous avons observés au cours des 50 dernières années. » Obama a continué en disant que la croyance dans la possibilité de montrer sa force est enracinée dans “des mythologies” de la politique étrangère de Ronald Reagan. “Si vous pensez à, disons, la crise des otages en Iran, il y a un récit qui a été mis en avant aujourd’hui par certains candidats républicains selon lequel le jour où Reagan a été élu, parce qu’il avait l’air dur, les Iraniens ont décidés, “Nous ferions mieux de libérer les otages,”.” Lorsque vous pensez aux actions militaires menées par Reagan, vous avez Grenade – dont il est difficile de dire qu’elle a aidé notre capacité à façonner les évènements mondiaux, bien que ce fut, pour lui, une bonne politique de retour à la maison. Vous avez l’affaire Iran-Contra, dans laquelle nous avons soutenu les paramilitaires de droite et qui n’a en rien contribué à améliorer notre image en Amérique centrale, et ce ne fut pas du tout un succès.” Il me rappela que le grand ennemi de Reagan, Daniel Ortega, est aujourd’hui l’irrécupérable président du Nicaragua. Obama cita également la décision de Reagan de retirer quasi immédiatement les forces américaines du Liban après que 241 militaires ont été tués par une attaque du Hezbollah en 1983. “Apparemment toutes ces choses nous ont vraiment aidés à gagner en crédibilité avec les Russes et les Chinois,” parce que “c’est le récit qui est donné,” dit-il sarcastiquement. “Maintenant, je pense en réalité que Ronald Reagan a eu un grand succès en politique étrangère qui fut de se rendre compte de l’opportunité que représentait Gorbatchev et d’engager une diplomatie intensive – qui fut beaucoup critiquée par certaines des personnes qui aujourd’hui utilisent Ronald Reagan pour promouvoir la vision selon laquelle nous devrions aller bombarder des gens un peu partout.” Lors d’une conversation fin janvier, je demandai au président de décrire pour moi les menaces qui l’inquiétaient, alors qu’il s’apprête, dans les mois qui viennent, à transmettre le pouvoir à son successeur. « Telles que je vois les 20 prochaines années, le changement climatique m’inquiète profondément à cause des effets qu’il a sur tous les autres problèmes auxquels nous faisons face, » dit-il. « Si vous commencez à prêter attention à la grave sécheresse ; la famine de plus en plus importante ; les déplacements du sous-continent indien et des régions côtières en Afrique et en Asie ; les continuels problèmes de pénurie, les réfugiés, la pauvreté, la maladie – cela aggrave tous les autres problèmes que nous avons. Ça va bien au-delà de simples problèmes existentiels dans une planète qui commence à entrer dans une mauvaise boucle de rétroaction. » Le terrorisme, dit-il, est aussi un problème à long terme « quand il se combine avec le problème des États en déliquescence. » Quel pays considère-t-il comme représentant le plus grand défi pour l’Amérique dans les décennies à venir ? « En termes de relations traditionnelles entre grandes puissances, je pense vraiment que la relation entre les États-Unis et la Chine va être la plus problématique, » dit-il. « Si nous comprenons bien cela et que la Chine continue son essor pacifique, alors nous avons un partenaire dont la capacité à supporter avec nous les charges et responsabilités du maintien de l’ordre international augmente. Si la Chine échoue ; si elle n’est pas capable de maintenir une trajectoire qui satisfasse sa population et doive recourir au nationalisme comme principe directeur ; si elle se sent si dépassée qu’elle ne puisse assurer les responsabilités d’un pays de cette taille dans le maintien de l’ordre international ; si elle voit seulement le monde en termes de sphères régionales d’influence – alors, nous ne faisons pas seulement face au potentiel conflit avec la Chine, mais nous aurons également davantage de difficultés à gérer les autres défis qui vont survenir. » Beaucoup de gens, fis-je remarquer, veulent que le président soit plus énergique dans une confrontation avec la Chine, spécialement en mer de Chine du Sud. On a entendu Hillary Clinton, par exemple, dire en privé : « Je ne veux pas que mes petits-enfants vivent dans un monde dominé par les Chinois. » « J’ai été très clair en disant que nous avions plus à craindre d’une Chine faible et menacée que d’une Chine en plein essor et performante, » dit Obama. « Je pense que nous devons être fermes lorsque les actions de la Chine minent les intérêts internationaux, et si vous regardez comment nous avons opéré en mer de Chine du Sud, nous avons été capables de mobiliser la plus grande partie de l’Asie pour isoler la Chine d’une façon qui la surprenne, franchement, et le renforcement de nos alliances a énormément servi nos intérêts. » Une Russie faible et gesticulante constitue également une menace, mais cependant pas la menace numéro un, « contrairement à la Chine, ils ont des problèmes démographiques, des problèmes économiques structurels, qui ne demanderaient pas seulement une vision mais une génération pour les surmonter, » dit Obama. « Le chemin que Poutine est en train d’emprunter ne va pas les aider à relever ces défis. Mais dans cet environnement, la tentation d’envoyer des forces militaires pour montrer sa puissance est forte, et montre quelle est l’inclination de Poutine. Donc, je ne sous-estime pas les dangers de ce côté-là. » Obama revint à un point qu’il avait développé à plusieurs reprises avec moi, un point qu’il espérait que le pays et le prochain président intègrent : « Vous savez, la vision selon laquelle la diplomatie et les technocrates et les bureaucrates aident en quelque sorte à garder l’Amérique en sécurité, beaucoup de gens pensent, “He, c’est un non-sens.” Mais c’est vrai. Et d’ailleurs, c’est l’élément du pouvoir américain que le reste du monde apprécie sans ambiguïté. Lorsque nous déployons des troupes, il y a toujours un sentiment dans les autres pays que, même lorsque c’est nécessaire, la souveraineté est violée. » Durant les dernières années, John Kerry est régulièrement venu à la Maison-Blanche demander à Obama de violer la souveraineté syrienne. A plusieurs reprises Kerry a demandé à Obama de lancer des missiles sur des cibles spécifiques du régime, durant la nuit, pour « envoyer un message » au régime. Le but, disait Kerry, n’est pas de renverser Assad mais de l’encourager, ainsi que l’Iran et la Russie, à négocier la paix. Lorsque l’alliance d’Assad a eu la main haute sur le champ de bataille, comme elle l’a eu ces derniers mois, elle n’a pas montré de dispositions particulières à prendre au sérieux les appels insistants de Kerry à négocier de bonne foi. Quelques missiles de croisière, argumentait Kerry, pourraient attirer l’attention d’Assad et de ses alliés. « Kerry est regardé comme un idiot par les Russes, parce qu’il n’a aucun levier, » me dit un représentant de l’administration haut placé. Les États-Unis n’auraient pas à se prévaloir des attaques, disait Kerry à Obama – mais Assad reconnaîtrait certainement l’expéditeur des missiles. Source : The Atlantic, le 09/03/2016 Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source. |
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