mercredi 16 mars 2016

Les nouveaux plans de torture du Parti Républicain, par Nat Parry

Les nouveaux plans de torture du Parti Républicain, par Nat Parry

16Source : Consortiumnews.com, le 14/02/2016

Le 14 février 2016

L’échec du président Obama à poursuivre les tortionnaires de l’époque de Bush a créé une impunité qui a encouragé quelques candidats républicains au poste présidentiel à vanter les mérites de nouveaux plans pour plus de torture, s’ils parviennent à la Maison-Blanche. Un exemple grotesque de « l’exceptionnalisme américain », comme l’explique Nat Parry.

Par Nat Parry

Des commentaires troublants dans la campagne des républicains à l’élection présidentielle sur l’éventuel rétablissement de la torture et la mise en œuvre d’autres crimes de guerre ont attiré la critique récemment, avec le candidat républicain à la présidentielle investi en 2008, le sénateur de l’Arizona John McCain, qui s’est même senti contraint à la modération, la semaine dernière, déplorant les « propos grossiers » de la primaire républicaine.

Le 9 février, McCain a condamné au Sénat des remarques de ses collègues républicains à propos de l’utilisation de la torture, déclarant que « ces propos ne doivent pas rester sans réponse, car ils induisent en erreur les Américains sur la réalité des interrogatoires, la façon de recueillir des renseignements, ce qu’il faut pour défendre notre sécurité et au niveau le plus fondamental, ce contre quoi nous nous battons en tant que nation et quelle nation nous sommes. »

10 Nov 2008, Washignton DC, USA --- President-Elect Barack Obama is escorted to the Oval Office by President George W. Bush at the White House. This is the first visit for Barack Obama to the White House before he is sworn into office as President of the United States. First lady Laura Bush took soon to be first lady Michelle Obama on a tour of the White House as the President and Mr. Obama walked along the colonnade to the Oval Office where they will have a meeting. --- Image by © Gary Fabiano/Pool/Corbis

Barack Obama, alors président élu, et le président George W. Bush à la Maison-Blanche lors de la transition de 2008.

Les remarques de McCain furent un souffle bienvenu de santé mentale dans une course républicaine à la présidentielle qui a été récemment dominée par un discours qui sonne beaucoup comme une compétition tordue pour voir qui serait le plus brutal et hors la loi dans le traitement de présumés terroristes. Le débat télévisé du 6 février, par exemple, présentait les candidats Marc Rubio, Ted Cruz et Donald Trump, rivalisant pour l’élection  du “dur à cuire”, chacun exprimant divers niveaux de soutien à la torture par noyade et à d’autres honteuses “techniques d’interrogation améliorées”.

Tandis que Cruz a déclaré qu’il soutiendrait la torture par noyade dans des circonstances limitées, Trump a promis de non seulement réintroduire largement la technique, mais aussi d’introduire des pratiques de torture encore plus cruelles, s’il est élu : “Je rétablirais la torture par noyade et je rétablirais vraiment bien pire que la torture par noyade,” a-t-il dit.

Rubio a réaffirmé son soutien à la torture par noyade, affirmant que les affaires de terrorisme ne doivent pas être conduites avec les mêmes normes traditionnelles d’application de la loi. “Eh bien, quand les gens parlent d’interroger des terroristes, ils parlent comme si c’était une sorte de fonction de l’application de la loi,” a-t-il dit. L’application de le loi concerne la collecte de preuves pour juger et condamner une personne. L’anti terrorisme c’est trouver des informations pour prévenir une attaque future, donc les mêmes tactiques ne sont pas applicables.”

Cela mène logiquement à la conclusion que ce que Rubio semble dire est qu’il est parfaitement permis de retenir des individus soupçonnés de liens avec le terrorisme, sans procédure régulière, de les torturer pour qu’ils fournissent des informations, qui peuvent être vraies ou pas – comprenant peut-être l’identification d’autres présumés terroristes – dans un processus sans limite de détention extra-légale et de torture qui ne produit ni renseignement exploitable, ni preuve qui puisse être utilisée dans une cour de justice.

C’était précisément cette sorte de stratégie qui a mené à la détention non justifiée et à la torture d’au moins 26 détenus sur 119, dans le programme d’extraditions spéciales de la CIA sous George W. Bush, selon le rapport sur la torture fait par le Sénat, diffusé fin de 2014. (Une fois questionné à ce sujet plus tard, l’ancien vice-président Dick Cheney a froidement déclaré qu’il est « plus concerné par les méchants qui sont sortis libres que par les quelques-uns qui, en fait, étaient innocents. »)

Cette conception de la détention sans fin et des interrogatoires est aussi en grande partie responsable de l’abomination légale de Guantanamo et a compliqué les efforts du président Obama pour fermer la prison. Une grande partie des preuves contre les détenus étant entachées par la torture, les preuves ne sont donc pas recevables devant un tribunal, ce qui rend impossible de les déférer devant la justice aux États-Unis.

Mais Rubio – ainsi que d’autres candidats républicains – a précisé que c’est une erreur de fermer la prison de Guantanamo, qui pendant 14 ans a servi de trou noir légal où on a refusé aux détenus les droits et protections qu’auraient dû leur procurer les Conventions de Genève ou la Déclaration des Droits de l’Homme.

Au lieu de fermer la prison, Rubio a soutenu qu’elle devrait être gardée en fonction indéfiniment : « Voici le plus grand problème avec tout ça, » a-t-il dit. « Nous n’interrogeons personne actuellement. Guantanamo ayant été vidé par ce président. Nous devrions mettre des gens à Guantanamo, ne pas le vider et nous ne devrions pas libérer ces tueurs qui rejoignent le champ de bataille contre les États-Unis. »

Dans un précédent débat présidentiel, Rubio a fait comprendre que sous son administration, la détention sans limite et la torture seraient les bienvenues. “Si nous capturons des terroristes, a-t-il dit, ils iront à Guantanamo, et nous découvrirons tout ce qu’ils savent.

Quant à Trump, quand ses déclarations de retour à la torture par noyade et d’invention de tortures encore plus brutales ont attiré l’attention sur lui, il a décidé de doubler la mise plutôt que de revenir en arrière.

Le 7 février, le magnat-de-l’immobilier-devenu-star-de-la-téléréalité-devenu-candidat-à-la-présidentielle est apparu à « This Week » avec George Stephanopoulos. « En tant que président, vous autoriseriez la torture ? » a demandé Stephanopoulos à Trump.

« J’autoriserais absolument quelque chose au-delà de la torture par noyade, » a dit Trump. « Et croyez-moi, ce sera efficace. Si nous avons besoin d’information, George, on a notre ennemi qui coupe les têtes de chrétiens et beaucoup d’autres, par centaines, par milliers. »

A la question « gagnerons-nous en leur ressemblant davantage, » c’est-à-dire, en imitant les tactiques de l’État islamique terroriste, Trump a répondu catégoriquement, « Oui ».

« Je suis désolé, a-t-il développé, il faut faire ainsi. Et je ne suis pas sûr que tout le monde soit d’accord avec moi. Je suppose que beaucoup de gens ne le sont pas. Nous vivons à une époque aussi mauvaise qu’elle puisse être. Vous savez, quand j’étais jeune, j’ai étudié l’époque médiévale. C’est ce qu’ils ont fait, ils ont coupé des têtes. »

« Donc, nous allons trancher des têtes ? » a demandé Stephanopoulos.

« Nous allons faire des choses au-delà de la torture par noyade peut-être, cela peut se produire à l’avenir, » a répondu Trump.

Trump a même insinué que Cruz est assez « faux cul » pour laisser entendre qu’il pourrait faire preuve d’un certain degré de retenue dans l’utilisation de la torture. Avec cette sorte de discours, il est clair que du côté républicain, la discussion s’est enclenchée, amenant plusieurs groupes de droits de l’homme à rappeler aux États-Unis ses obligations morales et légales de ne pas s’engager dans des pratiques sadiques et cruelles comme la torture par noyade.

« La torture par noyade est conforme à la définition légale de la torture et est donc illégale, » a rappelé, le 11 février, Raha Walla de Human Rights First. « La torture selon la loi des États-Unis et le droit international désigne les actes qui causent de graves souffrances ou supplices psychiques ou physiques. Sans aucun doute la torture par noyade répond à cette définition. »

Naureen Shah d’Amnistie internationale a aussi publié une réfutation au débat sur la torture par noyade, qu’elle a décrite comme « une asphyxie au ralenti ». Elle a indiqué qu’à l’évidence « les atrocités du groupe armé s’appelant l’État Islamique et d’autres groupes armés ne rendent pas acceptable la torture par noyade. »

Ce que le « débat » actuel sur le retour de la torture met au premier plan, outre à quel point le dialogue républicain est devenu pervers, est pourquoi les poursuites contre le programme de torture de la CIA à l’époque de Bush sont essentielles, et pourquoi il est si destructeur que l’administration Obama se soit soustraite à ses responsabilités à cet égard pendant plus de sept ans.

Comme les avocats des droits de l’homme l’ont longtemps maintenu, poursuivre en justice l’administration de Bush et les membres de la CIA impliqués dans la torture de suspects de terrorisme dans la période après le 11-Septembre, est nécessaire pour que la torture ne soit pas répétée à l’avenir par les administrations suivantes qui – à cause des décisions précédentes de ne pas poursuivre en justice – peuvent se considérer au-dessus de la loi.

Voilà donc précisément pourquoi il est nécessaire, en vertu du droit international, que les accusations de torture soient suivies d’enquêtes et de poursuites – afin que la torture ne devienne pas une « option stratégique » utilisée ou suspendue selon les caprices politiques du moment.

C’est un point sur lequel Amnesty International, pour sa part, a insisté après la publication du rapport du Sénat sur la torture par la CIA, en décembre 2014. Dans une déclaration intitulée « Le rapport de synthèse du Sénat sur le programme de détention de la C.I.A. ne doit pas être la fin de l’histoire, » Amnesty a déploré que les enquêtes limitées du ministère de la Justice lors des interrogations de la CIA se soient terminées en 2012 sans inculpations.

Human Rights Watch est de cet avis, notant qu’à moins que la sortie du rapport du Sénat ne mène aux poursuites, la torture restera “une option politique” pour de futurs présidents.

Le rapporteur spécial de L’ONU sur les droits de l’homme et le contre-terrorisme, Ben Emmerson, a clairement affirmé que de hauts fonctionnaires de l’administration de Bush qui ont autorisé des crimes, tout autant que les représentants de la CIA et du gouvernement américain qui les ont effectués, doivent être mis en examen et poursuivis.

« Il est maintenant temps d’agir, » a déclaré Emmerson, le 9 décembre 2014. « Les personnes responsables de l’association de malfaiteurs révélée dans le rapport d’aujourd’hui doivent être traduites en justice, et doivent faire face à des sanctions pénales proportionnelles à la gravité de leurs crimes. Le fait que les politiques révélées dans ce rapport ont reçu une autorisation à un niveau élevé du gouvernement américain ne fournit aucune excuse. En effet, cela renforce la nécessité de la responsabilité pénale. »

Le droit international interdit l’octroi d’immunité aux fonctionnaires qui se sont impliqués dans des actes de torture, fait remarquer Emmerson. Il a plus loin souligné l’obligation internationale des États-Unis de poursuivre pénalement les organisateurs et les auteurs des méthodes de torture décrites dans le rapport :

« Comme le droit international le prescrit, les États-Unis sont légalement obligés à traduire en justice les responsables. La convention de l’ONU contre la torture et celle sur les disparitions forcées exigent que des États poursuivent les actes de torture et la disparition forcée là où il y a une preuve suffisante à fournir une perspective raisonnable de condamnation. Les États ne sont pas libres de maintenir ou de permettre l’impunité pour ces crimes graves. »

Zeid Raad al-Hussein, le Haut-commissaire de l’ONU pour les Droits de l’homme, a dit qu’il est « clair comme de l’eau de roche » que les États-Unis ont l’obligation, conformément à la convention de l’ONU contre la Torture, d’assumer leur responsabilité.

« Dans tous les pays, si quelqu’un commet un meurtre, il est poursuivi et emprisonné. S’il commet un viol ou une attaque à main armée, il est poursuivi et emprisonné. S’il ordonne, permet ou commet la torture – reconnue internationalement comme un crime grave – on ne peut pas simplement lui accorder l’impunité à cause d’une opportunité politique, » a-t-il dit.

Le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a exprimé l’espoir que la publication du rapport sur la torture était « le début d’un processus » vers des poursuites, parce que « l’interdiction de la torture est absolue, » a dit le porte-parole de Ban Ki-moon.

Inutile de le dire, ces appels sont en grande partie tombés dans l’oreille d’un sourd, sans ouverture de quelque enquête criminelle que ce soit. Au lieu de cela, le Congrès américain a répondu par « une réaffirmation » symbolique de l’interdiction de la torture – un texte législatif en grande partie superflu et inutile, puisque la torture est depuis longtemps interdite sans équivoque en vertu du droit international, de la Constitution des États-Unis et des lois pénales américaines.

De son côté, Obama a utilisé la publication du rapport du Sénat comme une occasion de vanter les mérites des vertus des États-Unis et a en fait loué la CIA de son professionnalisme dans l’exécution de ses responsabilités.

Suivant la publication du rapport du Sénat, dans une déclaration claironnant indirectement sur la notion d’« exceptionnalisme américain », Obama a dit : « Au cours de notre histoire, les États-Unis d’Amérique ont fait plus que toute autre nation pour défendre la liberté, la démocratie et la dignité intrinsèque et les droits de l’homme pour les peuples de par le monde. » Il a continué à offrir une défense tacite des techniques de torture tout en vantant sa propre vertu à mettre fin à ces politiques.

« Dans les années après le 11-Septembre, avec des craintes légitimes de nouvelles attaques et avec la responsabilité de prévenir des pertes de vies plus catastrophiques, la précédente administration a fait face à des choix atroces sur la façon de poursuivre al-Qaïda et empêcher des attaques terroristes supplémentaires contre notre pays, » a-t-il dit. Bien que les États-Unis aient fait « de nombreuses choses bien dans ces années difficiles, » il a reconnu que « certaines actions qui ont été prises étaient contraires à nos valeurs. »

« C’est pourquoi j’ai sans équivoque proscrit la torture quand j’ai pris mes fonctions, » a dit Obama, « parce que l’un de nos outils les plus efficaces dans le combat contre le terrorisme et le maintien de la sécurité des Américains est de rester fidèle à nos idéaux chez nous et à l’étranger. » Il a continué en promettant d’utiliser son autorité en tant que président « pour m’assurer que nous n’ayons plus jamais recours à ces méthodes à nouveau. »

Mais clairement, en obstruant les enquêtes criminelles sur les responsables politiques, Obama a fait très peu en pratique pour garantir que ces méthodes ne soient pas à nouveau utilisées.

Dans une tribune libre publiée par Reuters après la sortie du rapport du Sénat, le directeur de Human Rights Watch Kenneth Roth a interpellé le président sur son « refus ferme de permettre une enquête large sur l’usage de la torture après le 11-Septembre, ne permettant qu’une enquête réduite sur des techniques d’interrogatoire non autorisées qui n’ont pas abouti à des poursuites. »

À moins que les révélations du rapport du Sénat ne mènent à des poursuites de hauts responsables, la torture restera une « option politique » pour les futurs présidents, a relevé l’Observatoire. C’est exactement ce que nous voyons se passer aujourd’hui avec le « manque de retenue », comme l’appelle McCain, au sujet du retour de la torture comme politique officielle des États-Unis.

Après le premier anniversaire de la publication du rapport du Sénat sur la torture, Human Rights Watch a réitéré ses appels à des poursuites dans un rapport de 153 pages, « No More Excuses: A Roadmap to Justice for CIA Torture » [Plus d’excuses : une feuille de route vers la justice pour la torture de la CIA]. Le rapport de l’Observatoire, sorti le 1er décembre, conteste les affirmations que les poursuites ne sont pas possibles légalement et souligne les obligations légales des États-Unis à offrir une réparation aux victimes de la torture. Il détaille aussi des mesures que les autres pays devraient prendre pour poursuivre les enquêtes criminelles sur la torture de la CIA.

Bien sûr, ce rapport, comme pratiquement tous les appels à la justice sur la question de la torture des sept dernières années, a été soigneusement ignoré par les hautes sphères de Washington. Et avec les Républicains qui se prennent maintenant les pieds dans le tapis en soutenant des politiques illégales de torture et de brutalité, nous voyons les fruits du refus d’Obama de faire respecter la loi du pays.

Source : Consortiumnews.com, le 14/02/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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