jeudi 11 février 2016

Forgerons de la fraternité des peuples: Plaidoyer pour les binationaux

Forgerons de la fraternité des peuples: Plaidoyer pour les binationaux

«Quand tu lances la flèche de la vérité, prends soin avant de la tremper dans du miel» Proverbe algérien

 

D'une façon tout à fait synchrone, l'Algérie et la France révisent leurs Constitutions. A des degrés divers, ces pays pensent que leurs constitutions actuelles prennent insuffisamment en compte les nouveaux défis qui se présentent à elles. Dans cette contribution, après une présentation rapide de ces défis et de la façon de les résoudre, nous allons nous appesantir sur ces binationaux en apesanteur, ces pas tout à fait algériens et pas tout à fait algériens mal aimés ou chéris selon la conjoncture et donner notre avis sur ce qu'ils peuvent apporter en sérénité à des relations tumultueuses qui ont démarré il y a plus de 184 ans. C'est dire si l'imaginaire et l'inconscient collectif profond de part et d'autre sont marqués d'une façon quasi-indélébile. Certaines études récentes disent même que les ADN des descendants sont dans une certaine mesure marqués par les souvenirs douloureux des ascendants. (1)

La révision de la Constitution en France

On sait que depuis le 11 septembre 2001 les pays occidentaux ont mis entre parenthèse beaucoup de droits humains pour cause de terrorisme. Les Etats-Unis avaient donné le «la» avec le «Patriot Act» suivi par la France et les autres pays d'Europe. On se souvient que le président Hollande dans le feu de l'action et voulant un oecuménisme de la classe politique trois jours après les attentats sanglants de Paris, avait proposé d'exclure de la nationalité française les binationaux. En théorie cela concerne tous les Français ayant deux passeports par exemple, français et américain, français et allemand, français et israélien… En réalité – terrorisme islamique oblige – l'inconscient collectif dirait Jung auquel fait allusion le président Hollande fait référence exclusive aux Franco-Maghrébins tenus soigneusement à l'écart de la République.

Code noir, traite esclavagiste, Code d'indigénat, 2e collège. Résurgence: la déchéance de nationalité et ses avatars

Sans remonter très loin dans le temps, il est utile de remarquer que la ségrégation a toujours accompagné les civilisations humaines et les luttes pour s'accaparer des territoires où des ressources ont bien souvent relégué au second plan la condition humaine. La première mention de la défense des opprimés est au crédit du dominicain Bartolomé de Las Casas et ses fameuses disputations où il défendait le sort des Noirs durant les conquêtes espagnoles au milieu du XVIe siècle en vain. Les nations européennes rivalisèrent de cruauté vis-à-vis des Noirs. Ce sera le Code noir, le nom qui a été donné à partir de 1718 à l'ensemble des textes juridiques relatifs aux colonies françaises esclavagistes. Où il fallait «prioritairement conditionner l'outil esclave».

Le Code noir légitime les châtiments corporels pour les esclaves, y compris des mutilations comme le marquage au fer. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 énonce le principe de l'abolition de l'esclavage, Napoléon Bonaparte rétablit l'esclavage qui ne fut aboli que le 4 mars 1848. «Autre caractéristique de cette France que l'on dit des Droits de l'homme. Le régime de l'indigénat 1881-1940(code de l'indigénat) qui consiste à concevoir une justice répressive où il n'y a pas séparation de pouvoir. C'est l'autorité administrative qui punit au mépris d'«un principe fondamental du droit français à savoir la séparation des pouvoirs judiciaires et administratifs» Isabelle Merle: De la «légalisation» de la violence en contexte colonial. Le régime de l'indigénat en question»(2)

Il est vrai que la Révolution de 1789 avançait que les droits de l'homme ne s'appliquent qu'en France. Un siècle plus tard Jules Ferry affirme que les droits de l'homme ne sont pas valables dans les colonies. De là est né le deuxième collège.

La déchéance de la nationalité

 «Le débat actuel autour de la déchéance de nationalité lit-on dans une contribution du journal Le Monde, est caractérisé par le flou. Mercredi 27 janvier, Manuel Valls a proposé une nouvelle version du projet de loi de révision constitutionnelle, qui hérisse une bonne part de la gauche. Mais ces modifications ne changeront en réalité que peu la situation. Explications: il est possible de déchoir une personne de sa nationalité si elle l'a acquise, donc si elle n'est pas née française. Le droit actuel le permet, pour des cas très graves. Par ailleurs, le droit actuel (la loi du 16 mars 1998) prévient la création d'apatrides: l'idée du gouvernement est de rendre cette peine applicable également aux Français de naissance. La France est liée par plusieurs traités internationaux définissant ce concept, celui d'individus qui ne sont pas citoyens reconnus par un Etat ».(3)

«  Elle a ratifié la convention de 1954 qui définit l'apatridie (sans l'interdire). Et a signé, mais sans la ratifier, la convention de New York en 1961, dans laquelle les Etats s'engageaient à ne pas créer d'apatrides. Dès lors qu'on ne revient pas sur l'apatridie, la question demeure: ne peuvent être déchus de nationalité que ceux qui en ont plus d'une. Donc les «binationaux». On estime ces derniers à 3,3 millions de personnes. (…) Sous pression de la droite, dont François Hollande espère les voix pour la révision constitutionnelle, elle sera désormais possible également pour les délits (apologie, par exemple…). Malgré ces longs débats, cette peine de déchéance est unanimement considérée comme symbolique: d'une part, son caractère dissuasif peut être discuté, s'agissant de djihadistes très déterminés.» (3)

Le réquisitoire élégant de Christiane Taubira

Dans cette foire d'empoigne pour crier sur le haro, sans oublier les retombées électorales à Gauche comme à droite l'hypocrisie bat son plein. S'il  faut redonner à César  ce qui appartient à César en attribuant la prise de cette mesure extrême à savoir déchoir de leur nationalité les binationaux à Nicolas Sarkozy dans son discours de Grenoble. Il faut dans le même temps dénoncer l'hypocrisie des  socialistes  BCBG ( bon chic bon genre) qui au nom de leur conscience, des droits de l'Homme et du progrès avaient dénoncé cette « incartade », le premier ministre actuel en tête. Dans ce marigot  nauséabond où la mercuriale est de discuter de la nuisance des binationaux  une dame et non des moindres, il s'agit de Christiane Taubira,  fidèle à son magister- pour le moment ??- avait lors de son passage à Alger, début janvier déclaré que cette déchéance ne s'appliquait pas aux binationaux. Et pour cause elle était l'hôte du pays qui dispose d'une communauté de près de 5 millions d'âmes, dont dit-on plus de la moitié seraient binationaux.

Dans «Murmures à la jeunesse», écrit Thomas Wieder l'ancienne garde des Sceaux s'attaque à la déchéance de nationalité. «Un pays doit être capable de se débrouiller avec ses nationaux» (…) Christiane Taubira expose ses arguments. D'abord contre «l'inefficacité» de la mesure et de ses «effets nuls en matière de dissuasion». Ensuite contre le «symbole» qu'elle représente. «Osons le dire: un pays doit être capable de se débrouiller avec ses nationaux. Que serait le monde si chaque pays expulsait ses nationaux de naissance considérés comme indésirables? Faudrait-il imaginer une terre-déchetterie où ils seraient regroupés?», demande l'ex-garde des Sceaux (…) Et l'auteur de poursuivre: «A qui parle et que dit le symbole de la déchéance de nationalité pour les Français de naissance? Puisqu'il ne parle pas aux terroristes [...], qui devient, par défaut, destinataire du message? Celles et ceux qui partagent, par totale incidence avec les criminels visés, d'être binationaux, rien d'autre. [...] » (4)

« C'est à tous ceux-là que s'adresse, fût-ce par inadvertance, cette proclamation qu'être binational est un sursis. Et une menace: celle que les obsédés de la différence, les maniaques de l'exclusion, les obnubilés de l'expulsion feront peser, et le font déjà par leurs déclarations paranoïaques sur ceux qu'ils ne perçoivent que comme la cinquième colonne.» «Pour des délits, infliger une peine aussi lourde que la déchéance de nationalité et, de plus, ne l'appliquer qu'aux binationaux, heurterait le principe de proportionnalité, outre celui de l'égalité. (…) Oui, au pays de Descartes, convoquons la raison.» (4) Tout est dit.

Le Premier ministre, appelant à «l'unité» face à la menace terroriste, a tenté vendredi de convaincre les députés d'inscrire les épineuses questions de l'état d'urgence et de la déchéance de nationalité dans la Constitution. Pas une fois Manuel Valls n'a prononcé le mot «binational», mais il n'a eu de cesse d'évoquer «la menace». (…) Manuel Valls l'assure: «Le principe de l'égalité de tous devant l'exigence républicaine [sera] inscrit au coeur de la Constitution.» (5)

Il est hors de doute malgré le recul tactique du gouvernement Hollande que le mal est fait. Le vers de la suspicion est dans le fruit et chacun sait que plus rien ne sera comme avant. Le terrorisme a réussi à donner raison aux pyromanes qui n'ont jamais digéré que ces Français, pour une part scories de l'histoire des chevauchées coloniales de la France avec son cortège de rapines, de meurtres de masses sur plus de 132 ans. La double nationalité n'est pas un cadeau pour celui qui la reçoit si elle appartient à une sphère civilisationnelle autre que celle du pays d'accueil. Il passera son temps à se justifier. Il n'y a pas de problème pour les Espagnols, les Hongrois, les Arméniens les Italiens les Roumains (toutes ces nationalités constituent l'élite politique française) du fait que le fonds rocheux spirituel est le même.

Ce n'est pas le cas des Maghrébins même sans religion qui sont marqués au rouge par leur patronyme et leur histoire. Ils seront en suspicion toujours et même si la proposition de la déchéance est diluée, le mal est fait. Les Français d'origine maghrébine sont convaincus que plus rien ne sera comme avant et qu'en plus du plafond de verre qui les cloue au-sol une Epée de Damoclès est toujours au-dessus de leur tête. La République devrait de mon point de vue faire admettre que l'altérité et les problèmes actuels sont plus d'ordre socio-économique que religieux.

Le binational et son apport en Algérie

En Algérie l'article 51 a fait l'objet de nombreuses interprétations. Résumées simplement, les critiques y voient une mise à l'écart de ces Algériens partagés entre deux mondes, leur patrie d'adoption et leur patrie originelle ou celle de leurs parents dans le cas de l'émigration en France. Qu'en est-il à titre d'exemple en Tunisie? Ahmed Menaï nous en parle: «Alors qu'en France, la «déchéance de nationalité» fait débat, en Algérie, c'est le nouveau projet de Constitution qui est en débat et une vive polémique a éclaté entre autres sur l'article 51 de ce projet qui ferme les hauts postes de responsabilité aux binationaux. (…) la Constitution de 2014 autorise même un bi ou trinational à se présenter à l'élection présidentielle à la seule condition qu'il renonce à la deuxième nationalité en cas d'élection… Depuis 2011, les gouvernements tunisiens successifs ont compté de nombreux membres bi et trinationaux et même le chef de l'un d'entre eux était un Franco-Tunisien. On ne compte pas non plus les ambassadeurs et consuls généraux tunisiens accrédités dans des pays dont ils portent la nationalité.» (6)

Nous savons que les binationaux avec la France représenteraient plus de 90% de notre émigration. Il nous faut distinguer entre l'émigration d'avant 1962, où les Algériens étaient considérés comme Français en devoirs, notamment de servir de chair à canon, mais pas en droits. L'émigration prévue par les accords d'Evian et à laquelle Boumediene a mis fin suite au meurtre raciste d'un Algérien à Marseille. Bien plus tard, il y eut une évolution vers une émigration choisie. De plus en plus ce sont des universitaires. Ces cadres passerelles sont de plus en plus montrés du doigt des deux côtés de la Méditerranée ce sont des variables d'ajustement de politiques politiciennes de courte vue qui misent sur le passé et sur des réflexes d'un autre âge.

Ce que nous pensons essentiel pour la Constitution

L'émigration algérienne a changé en qualité et au moment où le pays a le plus besoin de matière grise, il s'en trouve  dépossédé.  Il eut été plus instructif de parler du fait pourquoi cette exode des compétences, ce body shopping sans foi ni loi. Si il n'ya pas d'échelle dans le patriotisme, il eut été plus judicieux de lutter  contre ce désamour  des jeunes qui ont une  grande valeur ajoutée. Ce qu'il y a de sûr c'est qu'ils ne trouvent pas la considération au pays pour leur savoir . Il n'est pas de ce fait, normal de considérer tout les parcours universitaires de la même  façon ! un diplômé qui a traversé d'une façon marginale  l'université actuelle sans avoir rien appris ne peut avoir la même considération que celui qui sue sang et eau pour son diplômes. Les universités étrangères ne s'y trempent pas. Elles siphonnent ces élites sous l'œil indifférent qui observe le pillage scientifique du pays

L'émigration choisie qui fait que la fine fleur de l'Université algérienne se trouve à l'étranger sans que les pays d'accueil n'ait déboursé un centime sachant que d'après l'Unesco un bac +5 ou 6 revient environ à 100.000 dollars pour sa formation est un problème qui attend d'être résolu.  Nos compétences expatriées ont choisi de vivre à l'étranger. C'est le pays qui a besoin d'eux, nous ne demandons pas leur présence physique, à l'ère du Web 3.0 nous avons besoin de compétences, bref de sauveurs qui sont de loin plus utiles et opérationnels que certains restés au pays et à qui il manque une vertu cardinale, celle de l'humilité, qui ne font pas dans l'exclusion comme le fut le sinistre article 120 du bréviaire du FLN qui stérilisait ce parti de toute compétence du fait qu'elle n'est pas adoubée; le manque de pédagogie dans cet article – ce fut rattrapé en partie.

L'article 51 est sujet à plusieurs interprétations. Une explication rapide amène à dire que l'Algérie se méfie de ses binationaux.  Elle craint des cinquièmes colonnes de citoyens partagés et capables de « vendre le pays au plus offrant » Rien n'est moins vrai!  Il n'est pas dit que les nationaux actuels hauts fonctionnaires  – qui pour certains sont binationaux- soient  plus patriotes que les futurs prétendants potentiels à ces postes. La vraie crainte que l'on devrait avoir  est de confier le pays à des analphabètes mus par la logique du gain, du pouvoir et de la gloire aussi éphémère soit elle.

De ce fait, ce qu'il faut pour prémunir l'Algérie des convulsions du futur, c'est d'inscrire dans le marbre le savoir sous toutes ses formes. Cela commence d'abord avec celui qui brigue la magistrature suprême qui doit être absolument d'un rang universitaire et avoir servi quelle que soit sa fonction d'une façon digne et irréprochable (enquête de moralité par une autorité indépendante). Il n'est pas nécessaire, il ne doit pas être permis d'être élu du fait d'allégeance suspecte en prise directe avec la corruption et ses corollaires la Chkara ( l' argent sale de la corruption ) .

L'Algérie ne fait appel pour le moment qu'aux binationaux quand il s'agit d'amuser les foules avec une équipe de football off shore. S'il est indéniable que l'équipe de foot hybride donne quelques joies aux jeunes et moins jeunes à l'occasion de ses victoires, il n'en demeure pas moins qu'être binational ce n'est pas uniquement cela, c'est la participation harmonieuse au développement de l'Algérie et de la France dans une coopération de la dignité bien comprise. Notre pays s'honorerait à affirmer haut et fort qu'il a besoin de tous ses enfants qui ont un amour envers ce pays.

Encore une fois s'il nous faut compter sur nos cerveaux, il est important que notre émigration participe réellement même à distance au développement du pays. Graduellement une conscience devra se développer sur la nécessité dans un premier temps, pour certains de ne pas participer à la démolition de l'économie du pays en alimentant le change parallèle. Il est important que les émigrés comprennent qu'on ne peut pas venir passer ses vacances en pays conquis en changeant le minimum. Ce n'est pas cela le patriotisme.

L'immense majorité des Français dits musulmans travaillent construisent et peuvent faire réussir la France. Ils ne demandent qu'à vivre dans la dignité A tort, les binationaux seront par la force des choses ostracisés des deux côtés de la Méditerranée. Le passé entre la France et l'Algérie ne passera que si les choses sont mises en place et que tout soit fait d'une façon honnête dans l'égale dignité de chaque peuple. Justement, ces forgerons de la fraternité, ces passerelles que constituent les binationaux pourront donner la pleine mesure de leurs talents d'une façon utile et pérenne pour le plus grand bien des deux peuples.

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique enp-edu.dz

1. http://www.mondialisation.ca/nous-transmettons-nos-souvenirs-genetiquement-que-devient-la-predestination/5384676

2. http://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_2004_num_17_66_1019

3. http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/01/28/decheance-de-nationalite-comprendre-le-tour-de-passe-passe-du gouvernement_4855514_4355770.html#X0Ws6KZKYXuRrYUm.99

4.Thomas Wieder  http://www.lemonde.fr/politique/article/2016/01/31/le-requisitoire-de-christiane-taubira-contre-la-decheance-de nationalite_4856833_823448.html#sxmKx5verH1B 5cC5.99

5. http://www.france24.com/fr/20160502-france-manuel-valls-decheance-nationalite-projet-loi-revision-consitution-assemblee-nationa

6.     https://tunisitri.wordpress.com/2016/02/

 

Article de référence :

http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_ chitour/234930-plaidoyer-pour-les-binationaux.html

 

 




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