lundi 25 février 2013

10 ans après l’invasion anglo-américaine, l’Irak au bord de l’implosion


Peu de temps après que la campagne anglo-américaine de bombardement - nommée « Opération Renard du Désert » - ait dévasté plusieurs zones en Irak en décembre 1998, je discutais avec un ami dans le hall de l’Hôtel Palestine à Bagdad.
19 FÉVRIER 2013
J’étais déçu par le fait que notre emploi du temps chargé en Irak - l’essentiel du temps consistant à visiter les hôpitaux remplis de blessés ou de victimes des armes à l’uranium - ne m’ait laissé guère de temps pour acheter quelques livres en arabe et les ramener pour ma fillette à mon retour. Comme je me préparais à monter dans le bus pour le long trajet vers la Jordanie, un Irakien avec une épaisse moustache et une barbe soigneusement taillée s’est approché de moi. « C’est pour votre fille, » me dit-il avec un sourire alors qu’il me tendait un sac en plastique. Le sac contenait plus d’une douzaine de livres avec des illustrations de couleur de contes traditionnels pour enfants irakiens. Je n’avais jamais rencontré cet homme avant, et nous n’allions jamais nous rencontrer à nouveau. C’était un client de l’hôtel et par hasard il avait eu vent de mon souci. Comme je le remerciais avec profusion et rapidement avant de prendre ma place dans le bus, il me fit comprendre que mes mots n’étaient pas nécessaires : « Nous sommes frères et ta fille est comme la mienne. »

Je n’étais qu’à moitié surpris. La générosité dans les pensées comme dans les actes est une caractéristique qui distingue les Irakiens, et les Arabes ne le savent que trop bien. D’autres qualités irakiennes sont la fierté et la persévérance, la première s’expliquant par le fait que la Mésopotamie - qui englobe l’essentiel de Irak d’aujourd’hui - est « le berceau de la civilisation », et la seconde par les misère indicibles vécues par les Irakiens dans leur histoire moderne.

C’est la Grande-Bretagne qui a déclenché la tragédie moderne de l’Irak, en commençant par sa prise de Bagdad en 1917 et le remodelage du pays pour l’adapter au mieux aux besoins coloniaux et aux intérêts économiques de Londres. Le désordre précoce et sans égal produit par les envahisseurs britanniques a continué à faire des ravages, qui se sont manifestés de diverses manières jusqu’à ce jour : le sectarisme, la violence politique et les querelles frontalières entre l’Irak et ses voisins.

Mais bien évidemment, les États-Unis supportent l’essentiel des responsabilités pour avoir détruit ce qu’avait réalisé le peuple irakien pour acquérir son indépendance. C’est l’ancien secrétaire d’État James Baker, qui avait menacé Tarek Aziz, le ministre irakien des Affaires étrangères lors d’une réunion à Genève en 1991, en disant que les États-Unis détruiraient l’Irak et « le ramèneraient à l’âge de pierre ». La guerre américaine qui s’étend de 1990 à 2011, va d’un blocus dévastateur à une invasion brutale. Ces guerres étaient autant sans scrupules que violentes. Outre leur coût humain énorme, elles s’inséraient dans une stratégie politique horrible visant à exploiter dans le pays des lignes de fracture existantes, à déclencher des guerres civiles et à favoriser une haine sectaire dont l’Irak est peu susceptible de guérir avant de nombreuses années.

Pour les Américains, c’était une simple stratégie visant à atténuer la pression exercée sur ses soldats, lesquels se sont retrouvés confrontés à une vive résistance au moment où ils ont mis les pieds en Irak. Mais pour les Irakiens, tout ceci représentait un cauchemar qui ne peut être exprimé ni par des mots, ni par des chiffres. Mais les chiffres ne font pas défaut. Selon les estimations des Nations Unies, cités par la BBC, entre mai et juin 2006 « une moyenne de plus de 100 civils (ont été) tués chaque jour dans des violences en Irak. » Les Nations Unies estiment le nombre total de morts parmi les civils en 2006 à 34 000. C’est l’année où la stratégie américaine de diviser pour régner, a produit le plus de succès.

Le fait demeure, cependant, que les États-Unis et la Grande-Bretagne ont conjointement détruit l’Irak moderne et aucun remords ni aucune excuse - bien qu’il n’y ait rien eu de tel jusqu’à aujourd’hui - n’y changeront rien. Les anciens maîtres coloniaux de l’Irak, comme les nouveaux, n’avaient aucune base légale ou morale pour envahir ce pays dévasté par les sanctions. Dépourvus de toute pitié, ils ont détruit une génération et préparé le terrain pour de futurs conflits qui promettent d’être aussi sanglants que ceux de ces dernières années.

Quand la dernière brigade américaine de combat a quitté l’Irak en 2011, ce devait être la fin d’une époque. Les historiens savent bien que les conflits ne se terminent pas par un décret présidentiel ou un déploiements de troupes.L’ Irak est tout simplement entré dans une nouvelle phase de la guerre et les États-Unis, la Grande-Bretagne et d’autres, demeurent parties intégrantes de ce conflit.

La réalité de la guerre et de la période qui a suivi l’invasion, c’est que l’Irak a été divisé en zones d’influence basées sur des critères purement sectaires et ethniques. Dans la classification des médias occidentaux des gagnants et des perdants, les sunnites, accusés d’avoir été favorisés par l’ancien président irakien Saddam Hussein, sont apparus comme les plus grand perdants. Alors que de nouvelles élites politiques irakiennes ont été divisées entre politiciens chiites et politiciens kurdes (chaque partie avec son armée privée, quelques-unes réunies à Bagdad et d’autres dans la région autonome du Kurdistan), la population chiite s’est retrouvée considérée par divers groupes militants sunnites comme responsable de leurs malheurs. Rien que le 8 février dernier, cinq voitures piégées ont explosé dans ce qui a été rapidement présenté comme des « zones chiites » , tuant 34 personnes. Quelques jours plus tôt, le 4 février, ce sont 22 personnes qui avaient été tuées de façon similaire.

Le conflit sectaire en Irak, qui est responsable de la mort de dizaines de milliers de personnes, est de retour. Les sunnites irakiens, avec leur principales tribus et leurs partis politiques, exigent l’égalité et la fin de la ségrégation dont ils sont les victimes dans le système politique irakien partisan incarné par le le premier ministre Nouri al-Maliki. Des manifestations massives et des grèves ont été organisées avec un clair message politique et unificateur. Cependant, de nombreux autres partis exploitent la polarisation de toutes les façons imaginables : réglant de vieux comptes, poussant le pays au bord de la guerre civile, amplifiant le chaos en cours dans divers pays arabes, notamment en Syrie, et dans certains cas ajustant les frontières sectaires d’une manière qui pourrait créer des opportunités intéressantes pour s’enrichir.

Oui, la division sectaire et le business font bon ménage dans l’Irak d’aujourd’hui. L’agence Reuters a rapporté que Exxon Mobil avait engagé Jeffrey James, un ancien ambassadeur américain en Irak (de 2010 à 2012) en tant que « consultant . Bien sûr, c’est un exemple de la façon dont la politique d’après-guerre et la diplomatie d’affaires sont des alliés naturels, mais il y a cependant plus. Profitant de l’autonomie de la région du Kurdistan, le géant pétrolier et gazier multinational a concocté des affaires lucratives qui sont indépendantes du gouvernement central à Bagdad. Ce dernier a amassé des troupes près de la région contestée et riche en pétrole depuis la fin de l’année dernière. Le gouvernement kurde a fait de même. Impossible de savoir qui a la haute main sur ce conflit pour contrôler l’avenir des ressources pétrolières. Exxon Mobile est déchiré : doit-il honorer ses contrats avec les Kurdes, ou doit-il chercher des contrats plus lucratifs dans le sud [chiite]. James pourrait avoir de bonnes idées, surtout quand il exploite son influence politique acquise au cours de son mandat comme ambassadeur américain.

L’avenir de l’Irak est actuellement déterminé par diverses forces et presque aucune d’entre elles n’est composée d’Irakiens ayant une vision d’unité. Coincé entre le sectarisme, l’extrémisme, des élites assoiffées de pouvoir, de richesses, de puissance acteurs régionaux, des intérêts occidentaux et un héritage très violent de la guerre , le peuple irakien souffre au-delà de ce que peuvent exprimer des analyses politiques ou des statistiques pour faire saisir son angoisse. Cette nation fière, au potentiel humain impressionnant et aux remarquables perspectives économiques, a été littéralement mise en lambeaux.

L’écrivain irakien Hussein Al-alak, qui vit au Royaume-Uni, a écrit un hommage aux « victimes silencieuses du conflit », les enfants, à l’occasion du dixième anniversaire de l’invasion de l’Irak. Selon le ministère irakien des Affaires sociales et du travail, il y a environ 4,5 millions d’enfants qui sont maintenant orphelins, avec « un choquant de 70 pour cent » d’entre eux ayant perdu leurs parents depuis l’invasion de 2003.

« Sur ce nombre total, près de 600 000 enfants vivent dans les rues, sans abri ni nourriture ni de quoi survivre », écrit Al-alak. Ceux qui vivent dans les quelques orphelinats gérés par l’État « manquent de ce qui est le plus essentiel. »

Je pense toujours à l’homme bienveillant qui a offert à ma fille un recueil de nouvelles irakiennes. Je pense aussi à ses enfants. Un des livres qu’il avait achetés était l’histoire de Sindbad, présenté dans le livre comme un brave et bel enfant qui aimait l’aventure autant qu’il aimait son pays. Peu importe combien cruel son sort a pu être, Sinbad est toujours rentré en Irak pour tout recommencer à nouveau, comme si rien ne s’était passé.

Ramzy Baroud
12 février 2013
Traduction : Info-Palestine.eu - Claude Zurbach

* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com

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