samedi 29 septembre 2012

Robert Fisk : Les États-Unis ont alimenté le scorpion al-Qaïda et maintenant il mord l'Amérique


The Independent | News

Un de mes amis m’a appelé de Damas ce week-end et c’était très décapant. « Vous savez, nous sommes tous désolés pour Christopher Stevens. Ce genre de chose est terrible et il était un bon ami de la Syrie. Il comprenait les Arabes. » Je ne l’ai pas interrompu, me doutant de ce qui allait suivre. « Mais nous avons pour cela une expression en Syrie :

« Si vous nourrissez un scorpion, il finira par vous piquer. » Son message ne pouvait être plus clair.
Les États-Unis ont soutenu en Libye l’opposition contre le colonel Kadhafi, ont aidé l’Arabie saoudite et le Qatar à verser des espèces et à fournir des armes aux milices, et ont maintenant récolté la tempête. Les « amis » libyens de l’Amérique se retournent contre eux, l’ambassadeur Stevens est assassiné en même temps que ses collègues à Benghazi, et un mouvement anti-américain soutenu par al-Qaïda a traversé le monde musulman.

Les États-Unis ont alimenté le scorpion al-Qaïda et maintenant celui-ci a mordu l’Amérique. Et si Washington soutient aujourd’hui l’opposition contre le président syrien Bachar al-Assad, aidant l’Arabie saoudite et le Qatar à verser des espèces et à fournir des armes aux milices (y compris les salafistes et al-Qaïda), ils seront inévitablement piqués par le même « scorpion » si Assad est renversé.

Le sermon de mon ami n’était pas tout à fait sur la même ligne que celle du gouvernement syrien. L’argument d’Assad est que la Syrie n’est pas la Libye, et que les Syriens, avec leur histoire, leur culture, l’amour de l’arabisme, etc… ne veulent pas d’une révolution. Mais la fureur arabe contre l’obscène petite vidéo anti-prophète d’Hollywood a provoqué le même choc que si l’on réécrivait l’histoire de l’Occident.

Les médias américains ont déjà inventé une nouvelle version dans laquelle l’Amérique aurait soutenu le Printemps arabe et sauvé la ville de Benghazi – lorsque ses habitants étaient sur le point d’être tués par les monstrueux voyous de Kadhafi – et a été poignardée dans le dos par les traîtres arabes dans la ville même qui a été sauvée par les États-Unis.

Le vrai récit, cependant, est différent. Washington a soutenu et armé les dictatures arabes depuis des décennies, et Saddam était l’un de nos favoris. Nous avons beaucoup aimé Moubarak d’Égypte, nous avons adoré Ben Ali de la Tunisie, nous sommes encore passionnément amoureux des États autocratiques du Golfe, les stations d’essence finançant maintenant les révolutions que nous choisissons de soutenir – et nous avons fait, pendant au moins deux décennies, des sourires à Hafez al-Assad, et même, un court instant à son fils Bachar.

Donc, nous avons sauvé Benghazi avec notre puissance aérienne et le monde arabe devrait nous aimer… Nous avons ignoré de quoi étaient faites les milices libyennes que nous avons soutenues – tout comme Clinton et La Haye ne s’attardent pas aujourd’hui sur le contenu de l’Armée Syrienne Libre. Nous ne prêtons pas attention aux avertissements d’Assad sur les « combattants étrangers », comme nous avons largement ignoré les salafistes qui circulaient parmi les braves qui ont combattu Kadhafi.

Remontons encore plus loin, et nous avons fait à peu près la même chose en Afghanistan après 1980. Nous avons soutenu les moudjahidins contre les Soviétiques sans prêter attention à leur théologie et nous avons utilisé le Pakistan pour leur acheminer des armes. Et quand certains d’entre eux se sont métamorphosés en Taliban et ont alimenté Oussama ben Laden et la piqure de scorpion du 9/11, nous avons crié au « terrorisme » en nous demandant pourquoi les Afghans nous « trahissaient ». La même histoire que hier, lorsque quatre soldats américains des forces spéciales ont été tués par leurs ingrats « stagiaires » de la police afghane.

La tragédie de ce cycle pathétique des événements est que le régime d’Assad est horrible et que ses hommes de main de la police secrète ont torturé et tué des milliers d’innocents. Ses agents ont commis des crimes de guerre et la guerre civile en Syrie consume une génération qui devrait plutôt construire une nation plutôt que la détruire. Et la Turquie a maintenant pris le rôle du Pakistan comme réserve d’armes et centre de villégiature et de loisirs pour les moudjahidins venus de Syrie. La Turquie devient-elle le Pakistan du Moyen-Orient ?

La guerre de la Syrie est en train de prendre des allures de guerre du Liban de 1975 à 1990 :

sympathisez avec les Palestiniens et vous êtes alors anti-chrétiens, ayez peur parce que vous êtes chrétien, et vous êtes alors pro-israélien. En Syrie, les snipers du gouvernement sont des tueurs d’enfants. De l’autre côté de la ligne de front, le sniper de l’Armée Syrienne Libre est plus romantique, il se marie à une infirmière de première ligne, trop désolé que la famille ne puisse pas assister à la noce… La simple suggestion que l’opposition puisse avoir commis des atrocités, fait qu’un journaliste se voit demander – comme cela m’est arrivé – combien il est payé par le service de renseignement syrien de la mukhabarat.
Ainsi vont les choses au ministère de Home truths (célèbre émission de la BBC – NdT). Quand il a été assassiné, Oussama Ben Laden était un has-been. Aucun arabe révolutionnaire n’arborait son portrait.

Mais cette organisation misérable a décidé de présenter la note. C’est pourquoi al-Qaïda ce week-end a appelé les Égyptiens à poursuivre leurs manifestations contre la vidéo anti-musulmane. Ainsi qu’à Benghazi. Le scorpion est donc au milieu des gentils. Tout ce que dont vous avez besoin est d’un cinglé à Hollywood. Et d’un peu d’hypocrisie.

Washington a déclaré à contrecœur qu’on ne peut pas interdire la vidéo car cela mettrait en danger la liberté d’expression – le même et éternel discours sur la liberté que justement les dictateurs arabes à la solde de l’Amérique interdisent à leurs peuples depuis tant d’années.

Robert Fisk: Al-Qa'ida cashes in as the scorpion gets in among the good guys - Robert Fisk - Commentators - The Independent


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