Oufa : quand la réalité rattrape violemment le ministère de la santé
par Karine Bechet-Golovko
Oufa : quand la réalité rattrape violemment
le ministère de la santé
Alors que le ministère de la santé se demande très sérieusement comment interdire les futurs fumeurs adultes nés en 2015 de pouvoir acheter autrement qu'au marché noir des cigarettes, question fondamentale s'il en est, la vie continue dans les établissements hospitaliers du pays. Il s'agit, semble-t-il, d'une "vie" qui n'entre pas dans le cadre des déclarations rassurantes du Gouvernement sur la modernisation de la médecine en Russie. Il y a eu une véritable amélioration, parfois même des exploits. Mais ... reste le quotidien. Et il peut être terrible. Comme à Oufa, où la fille d'une retraitée a diffusé la vidéo de sa mère devant ramper dans les escaliers de l'hôpital pour atteindre le 1er étage de l'établissement, l'ascenseur ne fonctionnant pas depuis longtemps et le personnel hospitalier ayant autre chose à faire qu'à aider cette vielle femme. Rassurez-vous, le médecin en chef de cet hôpital vient justement de recevoir en octobre dernier une distinciton officielle pour son travail. Félicitons-le.
Voici ce par quoi le scandale est arrivé :
Une femme âgée à la retraite, avec la jambe gauche immobilisée dans du platre suite à plusieurs traumatismes et une intervention et une jambe droite moyennement mobile a été envoyée par son médecin passer une radio dans cette polyclinique. Seulement, alors que le service de radio soit être au rez-de-chausée, il est ici, comme souvent ailleurs, dans les étages. Les redéplacer au rez-de-chaussée coûte trop cher. Et le seul ascenseur de l'établissement ne marche pas. Depuis longtemps. Comme souvent ailleurs aussi. Et personne pour aider. A la réception, personne n'a rien voulu faire non plus.
Quand les journalistes sont arrivés dans les lieux, la personne travaillant à la réception y était plus que nouvelle : c'était son premier jour de travail. L'autre ... était partie. Un membre du personnel médical expliquait, devant la caméra, que normalement, comme dans l'autre polyclinique de la ville l'ascenseur fonctionnait, les médecins appréciaient le degré de mobilité des patients avant de les répartir entre ces deux établissements.
En prenant connaissance de la vidéo, les services de la Procuratura se sont autosaisis de l'affaire, se sont déplacés au domicile de la victime et ouvrent une enquête. Le Comité d'enquête, pour sa part, regarde de plus près ce qui se passe dans cet établissement médical public.
Il faut dire que cet évènement extrêmement chocant n'est pourtant pas un cas isolé de dysfonctionnement des établissements de soin en Russie. Selon un médecin, qui a voulu rester anonyme, il existe de sérieux problèmes avec les contrats passés. Ces contrats, pour l'entretient des ascenseurs, pour la fourniture de médicaments ou même pour l'achat de séringues sont passés uniquement par concours et selon la règle du moins-disant. Donc, celui qui propose le prix le plus bas gagne automatiquement. La qualité de la prestation n'est pas compensatoire du prix et souvent, une fois le contrat passé, le prestataire de service ne répond plus au téléphone, puisqu'il a été payé. Résilier le contrat ne peut se faire que devant la justice et prend du temps. Parfois, certains médecins ont dû acheter eux-mêmes les seringues pour les patients ... C'est un grand bond ... en arrière.
Il y a également des situations très "étranges", lorsqu'une même compagnie, dans une région, remporte quasiment tous les appels d'offre intéressants. Prenons l'exemple de cette polyclinique d'Oufa. Elle fait partie d'un complexe hospitalier assez important de 564 lits et rappelons que Oufa est une grande ville, l'une des plus grandes de Russie, la capitale de la république fédérée du Bachkortostan avec plus d'un million de population.
Ce complexe hospitalier a passé en 2016 six appels d'offre pour diverses interventions d'entretien des ascenseurs de ses établissements. 2 appels d'offres n'ont pas été conclus, tous les autres ont été remportés par la même entreprise, le tout pour une somme supérieure à 540 000 roubles. Il est regrettable qu'aucun appel d'offre n'ait été lancé pour l'unique ascenseur de la polyclinique n°1 concernée. Et ce depuis longtemps.
L'on notera également que cette même entreprise remporte systémiquement les appels d'offre des 20 plus grands établissements hospitaliers de la région, pour une somme de plusieurs dizaine de millions de roubles.
Et de tout cela, le ministère de la santé est au courant, car ce scandale à Oufa n'est malheureusement pas le premier. Mais tout est une question de priorités. Comme le Gouvernement promet d'approvisionner en matériel de pointe les hôpitaux russes, qui doivent ensuite se débrouiller pour l'entretien (le simple déplacement d'un spécialiste de Siemens pour le diagnostic du problème coûte 80 000 roubles, ce qui dépasse de loin le salaire moyen d'un médecin en polyclinique), la question est réglée. L'on peut maintenant s'occuper de choses fondamentales : comment déterminer arbitrairement une catégorie de personnes qui n'auront plus le droit d'acheter légalement des cigarettes. Peu importe alors le marché noir, comme peu importe la réalité des ascenseurs, l'essentiel est de pouvoir tourner la page - la mesure est adoptée.
Chers camarades, le Plan est rempli !
Karine Bechet-Golovko
jeudi 12 janvier 2017
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