Le discours d'adieu de Barack Obama :
fin de la « politique de l'autruche »
Par John Laughland
Le discours d'adieu de Barack Obama :
fin de la « politique de l'autruche »
L'heure du bilan est arrivée ; le deuxième mandat de Barack Obama touche à sa fin. Le président sortant a-t-il atteint ne serait-ce qu'un de ses objectifs importants ? L'historien John Laughland revient sur les grandes ambitions de Barack Obama.
Le dernier discours du président Obama, prononcé le 10 janvier 2016 dans son fief de Chicago, est en réalité le troisième discours d'adieu de son mandat. Il en a déjà fait deux, en juillet et en novembre derniers. Tel un vieux chanteur qui peine à quitter la scène, tellement il a envie d'un énième bis, l'épitaphe du président américain dont le slogan de campagne en 2008 était « Oui, nous pouvons » sera plutôt, et sans le charme d'Edith Piaf, « Non, nous ne pouvons rien ».
« Les dirigeants les plus puissants de la planète
sont, pour la plupart, les prisonniers
du système étatique dont ils héritent »
Car, fondamentalement, qu'est-ce qu'Obama aura changé en Amérique ? La révélation par un chercheur que les Etats-Unis ont largué trois bombes par heure, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, lors de la dernière année de sa présidence est choquant, certes, à cause de la violence aveugle et des nombreux morts qui en résultent. Mais cette campagne de bombardement constante et oubliée – on pourrait parler de guerre en pilote automatique – confirme la terrible insouciance de la politique étrangère de ce lauréat du prix Nobel de la paix. Un homme pour qui les mots ne sont que des mots. Elle confirme aussi, une fois pour toutes, que les dirigeants les plus puissants de la planète sont, pour la plupart, les prisonniers du système étatique dont ils héritent. C'est lui qui les domine, et non pas eux qui le maîtrisent. Barack Obama a-t-il voulu la guerre permanente ou a-t-il laissé faire ?
Comme François Hollande, Barack Obama lèguera comme monument une terrible impression d'impuissance. A Washington, les faucons lui reprochent de ne pas être intervenu en Syrie en 2013. Mais la réalité, pitoyable, a été confirmée le 6 janvier par le secrétaire d'Etat, John Kerry : Obama n'est pas intervenu parce qu'il se sentait incapable de le faire. Le vote de la chambre des Communes à Londres le 30 août 2013, refusant la guerre en Syrie, a moralement contraint Washington à ce qui l'était déjà sur le plan constitutionnel : un vote par le Congrès américain sur la nouvelle guerre qu'Obama voulait mener. Le président s'est plié à une force supérieure. On ne peut que se réjouir de ce tournant inattendu, mais le fait est qu'Obama n'était pas maître des événements.
« C'est en grande partie grâce à sa grande gueule,
notamment lorsqu'il s'agit de l'islam, que Trump a été élu,
car cela a été ressenti comme une bouffée d'oxygène
dans une atmosphère politique étouffante »
Idem pour la grande initiative prise au début de sa présidence, celle de réconcilier le monde musulman avec les Américains. Le discours qu'il a prononcé au Caire le 4 juin 2009 nous paraît aujourd'hui ridicule de naïveté et d'incohérence par rapport à la politique américaine de soutien accordé aux mêmes islamistes et extrémistes, en Tunisie, en Egypte et en Syrie, qu'il a condamnés. Mais un constat s'impose : sa volonté de voir s'ouvrir une nouvelle ère d'entente entre l'islam et l'Occident s'est en réalité soldée par les attentats grotesques du Bataclan, de Charlie Hebdo, d'Orlando, de Nice, de Berlin et j'en passe. Entendrons-nous de ses lèvres un aveu d'échec ? Non. Comme tous les autres clones qui nous gouvernent en Occident, Obama veut volatiliser le problème par une astuce : il refuse de désigner l'ennemi par son nom, se disant déterminé à ne pas admettre l'évidence que ces attentats sont motivés par l'islam. La troisième loi de Newton s'applique autant en politique qu'en physique : le pendant de cette politique de l'autruche d'Obama sont les propos très poussés de Donald Trump dans la foulée de la tuerie islamiste à San Bernardino en décembre 2015 ( bilan : 14 morts), quand le président élu a dit qu'il ne voulait plus d'immigrés musulmans aux Etats-Unis. C'est en grande partie grâce à sa grande gueule, notamment lorsqu'il s'agit de l'islam, que Trump a été élu, car cela a été ressenti comme une bouffée d'oxygène dans une atmosphère politique étouffante.
Sur le contrôle des armes, c'est la même chose. Suite à une tuerie dans une école en décembre 2014 (bilan : 28 morts dont 20 enfants) Obama avait promis de réglementer le port d'armes. Vœu pieux. A scruter les graphiques montrant les différentes tueries de masse depuis les années soixante - car la tuerie de masse est une spécificité américaine - il apparaît clairement que celles-ci sont devenues plus fréquentes encore sous Obama que pendant les présidences précédentes. Avec 371 tueries de masse en 2015, il y avait plus d'un massacre par jour cette année-là.
Obama est le premier président noir de l'histoire. Les tensions raciales dans ce pays se sont-elles apaisées pour autant ? L'atroce vidéo d'actes de tortures ouvertement racistes d'un homme blanc handicapé par une bande de noirs, comme celles qui montrent des policiers tirant sur des noirs, souvent dans le dos, nous permettent d'en douter.
Obama s'était plusieurs fois engagé à fermer le camp de prisonniers de Guantanamo, dont il a dit à plusieurs reprises que son existence était incompatible avec les valeurs fondatrices de la république américaine. Les premiers prisonniers étant arrivés à Guantanamo le 11 janvier 2002, le camp prendra donc sa douce revanche sur Obama, fêtant tranquillement son quinzième anniversaire au lendemain du discours d'adieu de celui qui voulait s'en débarrasser. Rira bien qui rira le dernier. Ce camp militaire, qui se trouve légalement en dehors du système judiciaire américain car dépendant de l'armée, n'est pas seulement le symbole de la barbarie américaine et de son abandon de ses fameuses valeurs, mais aussi celui qui montre que le pays n'est pas gouverné par ses élus mais par les militaires.
« La politique contre la Russie montre la pire rancune
des perdants, à laquelle se rajoute une profonde bêtise,
car seuls des gens avec très peu d'esprit critique
pourraient prêter la moindre crédibilité
au rapport publié par les agences de sécurité sur
l'ingérence russe dans les élections présidentielles »
Et que dire des dernières salves tirées par l'administration sortante contre la Russie et contre Israël ? Certes, ce sont deux politiques très différentes. L'une, contre la Russie, montre la pire rancune des perdants, à laquelle se rajoute une profonde bêtise, car seuls des gens avec très peu d'esprit critique pourraient prêter la moindre crédibilité au rapport publié par les agences de sécurité sur l'ingérence russe dans les élections présidentielles américaines. Au mieux, on pourrait interpréter l'expulsion de 35 diplomates russes comme une manœuvre cynique pour empoisonner le travail de l'administration Trump, en posant une bombe à retardement pour le nouveau gouvernement. Mais sur Israël, quel avantage Obama espère-t-il tirer d'un lâchage de Netanyahou pendant les tout derniers jours de son mandat, d'autant que, jusqu'à présent, il avait continué la politique traditionnelle des Etats-Unis d'opposer un veto à toute résolution critiquant Israël au Conseil de sécurité, y compris pendant les récents conflits à Gaza ? Peut-on conclure que cette politique critique d'Israël est ce qu'Obama aurait toujours voulu, mais jamais osé pratiquer ?
Barack Obama mérite la critique qu'Eric Zemmour a appliquée au mandat du président de la République française : un quinquennat pour rien. Sauf que - pauvre Amérique ! - aux Etats-Unis, un mandat dure quatre ans et qu'Obama en aura obtenu deux. Il faut se réjouir que ce discours constitue ses adieux et non pas un « au revoir ».
John Laughland
11 janvier 2017
John Laughland est directeur des Etudes à l'Institut de la Démocratie et de la Coopération (Paris), philosophe et historien. De nationalité britannique, il est l'auteur de plusieurs ouvrages historiques et géopolitiques traduits en sept langues. |
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