« La France nous a trahis » : Thierry Mariani livre les témoignages de Syriens recueillis à Alep
Russia Today
Des civils marchent dans les rues d'un quartier d'Alep est après sa reprise par les forces gouvernementales.
« La France nous a trahis » : Thierry Mariani livre les témoignages de Syriens recueillis à Alep
Soulagement et incompréhension de la politique française menée dans leur pays animent les Syriens rencontrés par le député Thierry Mariani lors de son voyage à Alep et Damas. Il revient sur son expérience fustigeant le discours unique tenu en France.
RT France : Ce voyage de cinq jours en Syrie est votre troisième depuis le début du conflit. Quel bilan tirez-vous de la situation du pays suite à ce séjour ?
Thierry Mariani (T. M.) : Ce qui est certain, c'est qu'on observe un recul des djihadistes et des terrains gagnés par les forces gouvernementales. La première fois que nous nous sommes rendus là-bas, en novembre 2014, Damas était encore bombardée et une partie de la ville était tenue par les djihadistes. Lors de notre deuxième visite en mars 2016, Palmyre avait été reprise - même si elle est aujourd'hui perdue - et l'armée russe était arrivée et avait fait changer le cours des choses. Cette fois-ci, nous y sommes allés juste après la reprise d'Alep, qui est un événement important. C'est tout de même la deuxième ville du pays. La situation va dans le sens du régime syrien et cela le rend de plus en plus incontournable. En France, nous en sommes encore au débat de plus en plus ridicule de se demander si on doit lui parler ou non. Chaque jour Bachar el-Assad devient de plus en plus incontournable. Ceux qui annonçaient depuis quatre ans que le régime devait tomber doivent être aujourd'hui déçus.
« Il faut parler des morts civiles
mais pas dans cette sorte d'hystérie communicative
où chacun se sent obligé de rajouter un superlatif »
RT France : Vous avez pu passer deux jours à Alep. Dans quel état avez-vous découvert la ville reprise par les forces gouvernementales depuis quelques semaines ?<P/>
T. M. : Mon premier constat a été de découvrir que la situation était dramatique mais en vérité je m'attendais à pire. Le problème en France, c'est qu'on a plus aucune notion de la nuance avec les mots. J'avais lu avant d'arriver à Alep que la population avait été exterminée et la ville rasée. Quand on fait le bilan aujourd'hui - et tous les observateurs sur place sont d'accord avec ces chiffres - 15% de la ville est complètement rasée, 20% de la ville est endommagée. C'est-à-dire des immeubles qui peuvent être réparés. Il reste donc 65% de la ville intacte. Durant le voyage, j'ai dit à d'autres journalistes français que la population civile n'avait pas été exterminée et cela fait maintenant polémique sur les réseaux sociaux. Mais quand on regarde la définition de ce mot, cela veut dire « anéanti, éliminé jusqu'au dernier ».
Avant la guerre, il y avait trois millions d'habitants à Alep, il en reste aujourd'hui 1,5 million car la plupart ont fui le pays et la guerre. Durant cette bataille, le nombre de civils tués à Alep est de 35 000. Cette réalité est totalement dramatique et inacceptable mais elle n'est pas telle qu'on l'a décrite. Ces 35 000 morts sont 35 000 morts de trop. Il faut en parler mais pas dans cette sorte d'hystérie communicative où chacun se sent obligé de rajouter un superlatif sur ces événements. Alep est une ville qui a été sévèrement touchée, où sa population a profondément souffert. Les dégâts et les pertes civiles sont importantes et inadmissibles mais les mots ont un sens. On ne peut pas dire que la population a été exterminée et que la ville a été rasée.
« Dans les zones à l'Est tenues par le Front al-Nosra des stocks impressionnants de médicaments avaient été trouvés sans jamais être redistribués aux populations »
RT France : Vous avez eu l'opportunité de rencontrer des habitants et associations d'Alep. Quel était leur discours et état d'esprit ?
T. M. : Ce qui a été très intéressant pendant ces deux jours passés à Alep, c'est que nous avons eu l'occasion de rencontrer beaucoup de personnes, civils, ONG ou autorités. Nous avons d'abord été à la célébration du Noël arménien, où tout le monde n'a pas pu rentrer dans l'église, tant les Alépins s'étaient déplacés pour venir. Nous avons ensuite visité deux hôpitaux, des camp de réfugiés, on a rencontré le Croissant rouge et des dirigeants d'ONG à Alep. Dans toutes ces étapes, nous avons pu discuter avec des habitants - car beaucoup de Syriens parlent français - qui nous disaient : « On est soulagé que tout cela soit fini. »
Il faut tout de même se souvenir de la situation de la ville durant ces cinq dernières années. En juillet 2012, progressivement la partie Est est passée sous contrôle des terroristes. De juillet 2012 à janvier 2013, il y a une sorte de prise de contrôle de la partie Est de la ville par ces rebelles, mais le passage du côté Est à Ouest se fait sans trop de problème. Janvier 2013 marque un tournant pour cette ville : les rebelles de l'est commencent à bombarder les habitants d'Alep-Ouest. Il y a eu 12 700 civils tués à Alep-Ouest. Pendant trois ans, Alep-Ouest a été bombardée par l'est. Imaginez une seule seconde que la Belgique se mette à bombarder les villes françaises frontalières pendant trois ans. Laisserait-on faire cela indéfiniment ? Voilà d'où vient la « bataille finale » d'Alep. Les populations étaient exaspérées et épuisées d'être bombardées. Nous avons recueilli de nombreux témoignages très émouvants. Des témoignages surprenants aussi. Dans les hôpitaux ou au Croissant rouge - et le Croissant rouge n'est pas là pour faire de la politique - on nous a parlé plusieurs fois que dans les zones à l'est tenues par le Front al-Nosra, des stocks impressionnants de médicaments avaient été trouvés. Ils n'avaient jamais êté redistribués par les rebelles aux populations. Quand on discutait avec les évacués d'Alep-Est dans les camps, l'histoire racontée est la même : « Si on voulait avoir de la nourriture, il fallait que nos enfants prennent les armes avec eux. »
« Le président de la Chambre de commerce d'Alep m'a dit : « La France nous a trahi. La France nous a
abandonné et nous ne sommes pas prêts de l'oublier. »
RT France :Vous avez aussi rencontré Bachar el-Assad. Dans son interview donnée aux médias français, il a déclaré entre autres que « la politique française en Syrie avait nui aux intérêts français ». A l'heure où les pays occidentaux sont absents des discussions de paix et du destin de la Syrie, y a-t-il encore une place pour la France dans la résolution de ce conflit ?
T. M. : C'est la vraie question : est-ce que la France, qui a une histoire commune avec la Syrie, où la majorité des élites syriennes parlent le français, est-ce qu'on a encore une place ? Je me souviens des propos du président de la Chambre de commerce d'Alep qui m'a dit : « La France nous a trahis. La France nous a abandonnés et nous ne sommes pas prêts de l'oublier. »
Je crois que ces cinq années ont creusé un véritable fossé. Il y a beaucoup de rancœur due à une grande incompréhension de l'attitude de la France. L'attitude de l'Italie, de l'Allemagne, des Etats-Unis ou je ne sais quoi, ça n'a pas tant d'importance pour les Syriens car il n'y a pas de point commun. Mais pour la France, ils le vivent comme une véritable trahison. Sur le thème, « comment la France, qui a toujours eu pour nous de bonnes relations, une tradition et des liens d'amitié a-t-elle pu passer d'un extrême à l'autre ? »
Surtout que quand on l'observe, après cinq ans de guerre en Syrie, peut-on dire que la situation en France est plus sûre ? La réponse est non, on a jamais eu autant d'attaques terroristes - et on sait très bien qu'une grande partie de ces attentats est le fruit de ceux qui sont partis de Syrie. La France est-elle protégée de la crise migratoire ? La réponse est non. La politique française de ces cinq dernières années a choisi de toujours dire non à toute possibilité de dialogue avec le pouvoir en place. Le résultat aujourd'hui, c'est que la France est totalement absente du jeu diplomatique, totalement perdante en matière d'influence et aura beaucoup de retard lorsque la Syrie redémarrera. Je pense que les rancœurs et les déceptions contre la France resteront bien après la résolution de cette guerre.
« Nous sommes dans une diplomatie de l'autruche qui refuse de voir que nous avons les mêmes ennemis »
Bachar el-Assad a rappelé un événement qui date de 1981 où Louis Delamare, l'ambassadeur de France au Liban, a été assassiné et les services syriens ont été accusés. Trois ans après, François Mitterrand était en Syrie. Cela veut dire qu'il faut toujours rétablir le dialogue. Même quand des événements gravissimes se produisent, il faut être capable de rétablir des rapports avec des conditions. On est incapable de faire cela en France. Ces cinq années de politique française en Syrie ont été catastrophiques. Nous sommes dans une diplomatie de l'autruche qui refuse de voir que nous avons les mêmes ennemis sur notre territoire car ceux qui assassinent en Syrie sous souvent les même que ceux qui assassinent à Paris, à Nice, à Berlin ou à Bruxelles.
Une politique qui a aussi été complice de manipulations hallucinantes. L'une des plus belles manipulations de ces dernières semaines a tout de même été cette histoire de pseudo maire d'Alep-Est qui a circulé sur tous les plateaux télévisés, qui a été reçu à la Mairie de Paris et au ministère des Affaires étrangères alors qu'en réalité, il n'a jamais été élu. Il n'y a jamais eu de poste tel que celui-ci. Il s'agit de celui qui a été chargé de l'administration d'Alep-Est par les forces djihadistes qui contrôlaient cette zone, principalement le Front al-Nosra. Pour moi, cet exemple est hallucinant et montre à quel point nous ne sommes plus capables d'entendre un autre discours en France.
9 janvier 2017
Thierry Mariani est député de la 11e circonscription des Français à l'étranger, co-fondateur de la Droite populaire, président du dialogue franco-russe, ancien ministre des Transports. |
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