Concentrez-vous ! Se rappeler de ses rêves est un moyen de développer sa créativité
Atlantico : Plusieurs chercheurs ont entrepris de comprendre en quoi le fait de se souvenir de ses rêves permet de développer sa créativité. Les résultats de cette étude ont indiqué que les personnes qui consignaient scrupuleusement leurs rêves se montraient par la suite plus créatives. Quels sont les principaux enseignements que l'on peut tirer de cette étude ?
Pascal Neveu : Je pense qu’il faut tout d’abord différencier le fonctionnement cérébral du fonctionnement psychique, même s’il existe une interaction entre les deux. Le cerveau peut être comparé à un ordinateur qui donne une réponse suite à une stimulation. Le psychisme peut, quant à lui, être comparable à un serveur qui enregistre des milliards de données liées à notre vécu, notre environnement, nos connaissances, notre éducation, notre personnalité construite à travers notre identité… et qui va répondre de manière complexe en fonction de nos interdits, nos conflits, notre représentation du monde, nos angoisses…
Le psychisme rend vivant et dynamique, mais aussi de manière très compliquée, notre vie cérébrale, qui n’est donc pas qu’un simple ordinateur. Nous nous intéressons depuis l’Antiquité (même dans les textes religieux) au monde du rêve, qui nous échappe.
C’est pour ainsi dire la première activité du matin (se rappeler de nos rêves et notre première interaction avec l’autre - nous raconter nos rêves). Aussi, le sommeil et les rêves sont un champ de recherche depuis des décennies.
En ce qui concerne la créativité, on sait, par exemple, depuis le début des années 2000, que le sommeil améliore les capacités d’apprentissage. On sait également que les somnambules répètent la nuit des événements de la veille. On a également identifié que des rêves anxieux (rater son train, être agressé…) sont des "entraînements" psychiques, d’anticipation face à un événement futur. Par exemple, la majorité des étudiants rêvant échouer à un examen réussissent mieux leurs épreuves que ceux ayant eu un rêve plus "bucolique".
Sans doute est-ce un reste de notre cerveau reptilien, et d’époques lointaines où chasse, guerres, mécanismes de survie alimentaient notre vie psychique quotidienne. Que ce soit chez les étudiants, les artistes, les sportifs, les dirigeants, etc., non seulement les rêves, mais le fait de se rappeler ses rêves, de les revivre, amplifient notre organisation psychique et cérébrale via un dialogue intérieur : l’intériorisation du rêve (l’événement du rêve), son traitement (mon Moi face à cet événement ; le traitement des données par mon cerveau, ma mémoire, mes réussites, mes échecs, mes émotions positives et négatives…) et l’extériorisation du rêve (ma réponse à l’événement).
En les notant, en les relisant, en réfléchissant, etc., nous amplifions le traitement de l’événement afin de créer une réponse adaptée, sans doute plus efficace, en tout cas différente de la fois précédente. C’est en ce sens que se souvenir de son rêve et le travailler ouvre un champ d’ouverture psychique dépassant certaines limites que nous nous sommes forgées.
D’ailleurs, nous le voyons : lors d’une psychanalyse, certains analysants qui nous disaient ne pas rêver, commencent à se remémorer leurs rêves. Car nous rêvons tous, mais n’avons pas la même capacité à accéder à ce monde subconscient.
En quoi le fait de noter ses rêves dans un carnet peut permettre de développer notre créativité ? Quel est le mécanisme psychique à l'œuvre ?
Ouvrir un cahier de rêve, avec date, offre plusieurs avantages, tels que :
- noter la récurrence des rêves ;
- repérer les thématiques principales :
- différencier les rêves des cauchemars (tonalités positives ou négatives) ;
- préciser le contexte onirogène (ce qui s’est passé dans notre vie dans les 24-48h précédent le rêve) ;
- amplifier la mémorisation des rêves, par habitude (certains analysants peuvent se rappeler 5-6 rêves nocturnes).
En effet, notre cerveau reçoit via nos cinq sens des ressentis, des informations qu’il va traiter de manière primaire ou secondaire par une réaction appropriée. Le professeur Isabelle Arnulf (auteur de Une fenêtre sur les rêves, Ed. O.Jacob) de l’unité des pathologies du sommeil à la Pitié-Salpêtrière, travaille sur les rêves lucides.
Cela permet au rêveur d’être capable d’introspection et de maintenir une conscience éveillée sur son rêve, en l’orientant, et d'agir sur son développement personnel. Cela permet d’ouvrir, de découvrir de nouvelles pièces de notre psychisme (certains rêvent de nouvelles pièces dans une maison…). Nous pouvons repartir d’un rêve noté, d’un rêve récurrent, d’un rêve dérangeant…, et le retravailler par une technique simple.
Lors de ces expériences, notre lobe frontal, sollicité dans les activités émotionnelles, de prise de conscience, intellectuelles, etc., est alors plus largement activé. Le travail du rêve amplifie alors notre capacité de créativité et de réactivité.
A quoi servent les rêves ? En quoi sont-ils utiles pour évoluer, changer notre comportement par rapport aux individus, à certaines situations ?
Lorsque Freud appose un point final au manuscrit de sa Traumdeutung (l’interprétation des rêves) en fin d’année 1899, il a la prétention d’inaugurer le XXe siècle pour présenter la psychanalyse et une théorie du psychisme qui repose sur l’existence d’un monde auquel nous n’avons pas accès. Les rêves seraient "la voie royale d’accès à l’inconscient".
Quatre principes ressortent de la théorie freudienne :
- il existe un contenu manifeste du rêve (le récit du rêve) et un contenu sous-jacent, dit latent (le sens réel du rêve) qui échappe au rêveur, et qui peut être interprété par associations-libres du rêveur ;
- tout rêve exprime la réalisation d’un désir (non accepté, non avoué consciemment) ;
- la production du rêve tient sur la satisfaction de ses désirs, par des voies détournées qui "déguisent" nos véritables pensées.
A cette fin, le psychisme se sert d’un processus primaire par déplacement, condensation et mise en image de nos désirs, puis d’un processus secondaire créant une cohérence acceptable de notre pensée psychique, rendant méconnaissable le sens latent du rêve.
- tout rêve reste individuel et son interprétation singulière du rêveur.
Il reconnaît des rêves "typiques", tels des rêves de mort d’être proches ou de soi-même, de sexualité, mais butera sur cette question de l’existence de rêves symboliques, à laquelle répondra Carl-Gustav Jung quelques années plus tard. Freud a le mérite de défendre l’idée que des conflits psychiques peuvent expliquer certains comportements. Contrairement au discours académique qui pense que le rêve tire son origine d’un affaiblissement cérébral, il défend la thèse que le rêve est lié à une suractivité du psychisme qui tente de trouver une issue à l’opposition entre désirs et interdits.
Dès 1892, Freud pense une élaboration des rêves liée aux événements de la veille du rêve. C’est la raison pour laquelle il pense que le rêve n’est avant tout que satisfaction de désirs non satisfaits à l’état de veille. Les disciples de Jung pensent que le rêve est un révélateur de notre transformation psychique. Cette lecture du rêve ouvre des liens avec ce que la neurologie est capable d’expliquer de manière scientifique. Notre psychisme et notre cerveau interagissent face à ce qu’est la vie, et nos événements de vie… et la façon dont nous devons y répondre.
Autrement dit, le sommeil, les rêves, la remémoration des rêves… restent une activité cérébrale à part entière qui facilite l’exploration de nos facultés, afin de s’affranchir de nos propres limitations. La créativité, c’est repenser un geste, un événement… en incluant de nouveaux paradigmes… comme le rêve le permet. Car l’inconscient se moque de nos limites et interdits. Le rêve est une machine à créer. N’oublions pas que de nombreux écrivains, musiciens, chercheurs, prix Nobel, génies… ont trouvé leurs réponses une nuit… en rêvant !
Source : Atlantico.fr
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