Cette procédure restée au garage pour le rapport Gallois trouve une application pour la loi Taubira
Tout homme politique est nécessairement opportuniste. Partant du fait que le mariage pour tous est un texte nettement plus complexe que prévu à insérer dans notre droit, le gouvernement a prévu de recourir aux ordonnances pour modifier de manière plus rapide et plus sereine les parties des 14 codes (code civil, code de la santé publique, etc.) qui doivent faire l'objet de modifications substantielles.
Rappelons que l'article 38 de la Constitution définit les ordonnances comme des mesures à valeur législative. Autrement dit, on retrouve l'esprit des décrets-lois de la IIIe République. Une loi d'habilitation est requise en amont et autorise ainsi le gouvernement à prendre "pendant un délai limité des mesures qui sont normalement du domaine de la loi". Puis, il y a retour devant le Parlement pour le vote solennel de ratification des ordonnances. Sans ce vote, elles sont caduques et ont une valeur administrative de même nature qu'un décret.
Au plan du contrôle constitutionnel, le Conseil est compétent pour examiner la loi d'habilitation et son étendue (voir le cas de "strictes réserves d'interprétation" par les décisions des 25 juin et 2 juillet 1986) et bien entendu il est reconnu de pleines compétences pour juger de la constitutionnalité du contenu des ordonnances (décision du 4 juin 1984).
C'est donc la loi relative au mariage de personnes de même sexe qui a contraint le Président et son équipe de juristes à recourir à l'idée-choc des ordonnances. C'est un choc pour le parti socialiste de culture parlementaire que de s'en remettre ainsi à l'exécutif. C'est un choc pour la gauche de la gauche au Sénat qui voulait "un vrai débat suivi" (Pierre Laurent). Dans ces conditions, et avec une opposition parlementaire dont le tonus est visible (Messieurs Poisson, Le Fur, Larrivé, etc.), il va y avoir des chocs de mots et de procédures lors des votes d'habilitation et de ratification. À noter que celui-ci est programmé, au mieux, fin septembre ce qui va continuer d'appesantir l'atmosphère politique au sein du Parlement et à ses abords...
Lors de sa conférence de presse du 13 novembre 2012, le Président Hollande évoquant le choc de compétitivité réclamé par l'auteur du rapport Gallois avait eu cette phrase : "L'économie n'aime pas les chocs". Depuis sa référence au "choc de simplification" (issu de son entretien télévisé du 28 mars 2013), il est clair que le mot "choc" est à la mode et que de surcroît l'idée de recourir aux ordonnances pour faire "passer" des réformes structurelles a fait son chemin. Cela peut concerner la réforme des retraites, celle de l'indemnisation du chômage, des intermittents du spectacle, de l'assurance-maladie. Bref autant de sujets sur lesquels le Président a une majorité parlementaire plus ébréchée qu'il n'y parait et donc moins fiable ou même moins aisée à convaincre sur des thèmes complexes.
Quand on songe au vide qui entoure l'application opérationnelle de certaines des réformes finement suggérées par Louis Gallois, la déception s'installe même si la précision conduit ici l'auteur à citer son propos du 5 novembre 2012 : "Puisqu’il s’agit de récupérer du temps au nom de l’intérêt économique général et de ne pas visiter certaines vasières de la vie parlementaire qui n’ont rien à voir avec la noblesse du légitime débat démocratique, nous suggérons aux Pouvoirs publics qu’ils aient recours à la procédure des ordonnances. Ceci éviterait bien des aléas et serait de surcroît compris de l’opinion" (site Atlantico : "Trucs et astuces : comment le gouvernement pourrait faire appliquer le rapport Gallois tout en sauvant les apparences politiques").
Nous maintenons nos propos d'alors et constatons que des mois se sont écoulés sans qu'une politique de l'offre n'ait été mise sur les rails. Sur ce point et sur l'absence de grand chantier sur la décentralisation dans les six premiers mois de son mandat, le Président est resté sous le choc de la crise et a laissé le pays s'enliser davantage.
Lors du récent séminaire gouvernemental du 6 mai 2013, le Président a dit attendre des résultats. Les Français sont de même. Pour y parvenir, les ordonnances sont un instrument constitutionnel parfaitement adapté à la vie des partis et à l'urgence des défis.
Cette procédure est restée au garage des idées perdues pour le rapport Gallois, mais trouve une application pour la loi Taubira. Dès lors, face aux chocs que la conjoncture économique nous réserve (non-inversion de la courbe du chômage pour 2013, etc.), il serait avisé que le Président laisse un marque-page devant l'article 38 de la Constitution.
Pour le Chef de l'État, ce recours aux ordonnances ne sera pas spontané et sera une sorte de choc intérieur. À ceux qui contesteraient ce recours à cette pratique, rappelons la loi N°60-101 du 4 février 1960 "autorisant le Gouvernement, à prendre, par application de l'article 38 de la Constitution, certaines mesures relatives au maintien de l'ordre, à la sauvegarde de l'État, à la pacification et à l'administration de l'Algérie". La durée de la délégation demandée par le gouvernement nommé par le Général de Gaulle fut d'un an (ndlr : Un an).
http://lecercle.lesechos.fr/politique/vie-politique/221172142/chic-remaniement-et-choc-ordonnances
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