Vincent Crouzet, ça le mine
Ancien des services secrets, ce romancier raconte à sa manière l’affaire Uramin-Areva.
Ce matin-là, dans les bureaux parisiens de sa maison d’édition, Vincent Crouzet est hors de lui. «Révulsé» par les méthodes utilisées par ses détracteurs pour parasiter la sortie de son dernier ouvrage, Une affaire atomique. «C’est la première fois que je traîne autant les pieds pour une promo, lâche l’auteur, tee-shirt et costume noir de circonstance. Il est impossible d’évoquer ce dossier sans faire l’objet de menaces ou de manœuvres de déstabilisation.»
Un mois plus tôt, fait rarissime, son éditeur a reçu un courrier d’avocat l’enjoignant de ne pas publier sous peine de poursuites pénales, la missive dénonçant la «présentation mégalomaniaque» de l’auteur et les «carences manifestes» de son enquête. La veille, c’est un autre ténor du barreau qui mettait en garde Libération contre les élucubrations de ce «zozo halluciné». Rien de moins.
Quelle est donc cette affaire qui met ainsi en émoi certains des pénalistes les plus chevronnés ? «L’hallucinante saga d’un scandale d’Etat», promet le bandeau qui barre la couverture, sur laquelle on devine une hélice de réacteur nucléaire. Le «scandale» en question : l’acquisition par Areva d’Uramin, petite société minière rachetée 1,8 milliard d’euros en 2007 malgré des gisements d’uranium quasi inexploitables. Un «acte de piraterie de la finance internationale», écrit Crouzet, ancien des services, qui n’est pas le seul zozo à être pris d’hallucinations. Car neuf ans plus tard, l’opération est considérée comme un des plus gros fiascos industriels français. L’enquête a montré que le groupe nucléaire, alors dirigé par Anne Lauvergeon et détenu à 86,5 % par l’Etat, avait dissimulé sciemment des informations à son autorité de tutelle pour mieux faire avaler la pilule. «Une histoire contemporaine emblématique des dérives de la Ve République», résume l’auteur, convaincu que ce fiasco dissimule surtout une gigantesque escroquerie. «Seule une entente entre les acheteurs et les vendeurs permet d’expliquer rationnellement le coût de l’acquisition», assène-t-il. Au total, près de 3 milliards d’euros d’argent public sont partis en fumée. Depuis, deux enquêtes sont en cours au cabinet du juge Renaud Van Ruymbeke. Un temps soupçonné de rouler pour les ennemis de Lauvergeon, nombreux sur la place de Paris, Crouzet persifle et signe : «Ce sont des accusations grotesques. Je ne suis pas justicier, simplement romancier.» Pour autant, il n’est pas seulement le narrateur de cette histoire invraisemblable, il en est aussi un acteur involontaire, entendu à ce titre par la brigade financière. Face aux policiers, il a longuement raconté comment, ce 28 octobre 2009, à la demande d’une vieille connaissance, il s’était rendu à Londres pour rencontrer Saifee Durbar. Fils d’une princesse saoudienne et petit-fils du dernier maharajah, très introduit en Afrique, ce sulfureux homme d’affaires indo-pakistanais lui assure alors détenir des informations explosives sur l’affaire Uramin, impliquant de hauts responsables politiques français. Son avion a été saboté deux jours plus tôt, et Durbar craint pour sa vie. Condamné par défaut en France pour escroquerie, il veut monnayer son silence contre la sécurité de sa famille et l’indulgence de la justice. Vincent Crouzet transmet le message et favorise l’exfiltration de Saifee Durbar. Le traitement de faveur accordé alors à sa source - trois mois de prison au quartier VIP à la Santé, pour une condamnation à trois ans ferme - le persuade que ses infos ne sont pas si fantaisistes. La thèse est simple : Uramin a été volontairement surpayé par Areva afin d’alimenter une caisse noire, cagnotte utilisée pour financer des opérations de corruption dans différents pays, sur fond de rétrocommissions versées en France. Depuis, des centaines de millions de dollars se baladeraient dans des paradis fiscaux. «Cette thèse peut être contestée, mais jusqu’ici rien n’est venu la contredire», défend-il.
Le récit de Durbar va servir de matrice à son précédent livre, Radioactif. A l’époque, Areva s’appelle Murana et les protagonistes de l’opération sont des personnages de fiction, assez proches toutefois des originaux pour être démasqués par les initiés. Trois ans plus tard, l’auteur a délaissé le roman à clé pour la narrative non-fiction, qui consiste à raconter une histoire vraie avec les outils de la fiction. Trop journaliste pour les romanciers, trop romancier pour les journalistes, comme si Crouzet n’avait jamais vraiment voulu choisir son camp. «Un gage de liberté», tranche l’intéressé.
Né en 1964 à Lyon, d’une mère prof d’histoire et d’un père ingénieur, il passe son adolescence aux Arcs, en Savoie, où son biotope naturel le prédestine à devenir moniteur de ski ou guide de haute montagne. Un jour, en scrutant les lignes de ses mains, une voisine éthiopienne de passage dans la station lui prédit une carrière en Afrique. Après des études à Sciences-Po Grenoble, il plaque tout pour rejoindre une école d’officiers de réserve. Son appétence pour la chose militaire, sa curiosité et ses facultés d’adaptation ne tardent pas à attirer l’attention des services. Pendant quinze ans, il va œuvrer pour le compte de la DGSE, les services secrets extérieurs français. Angola, République populaire du Congo, Mozambique, Zambie, Sud-Soudan, Afrique du Sud, Comores, il arpente le continent avec pour principale mission de recueillir du renseignement sur les théâtres d’opération. Au cours de ses pérégrinations, il se lie d’amitié avec le chef nationaliste Jonas Savimbi, croise le trafiquant d’armes Viktor Bout, et frôle Pablo Escobar et ses sicarios. Une vie de corsaire, ponctuée par une courte parenthèse politique.
En 1995, après avoir participé à la campagne victorieuse de Jacques Chirac, il passe quelques mois comme chargé de mission au secrétariat d’Etat au Commerce extérieur, avant de rejoindre la cellule africaine officieuse de l’Elysée, alors dirigée par Fernand Wibaux, un des piliers de la Françafrique dans l’ombre de Jacques Foccart. Une expérience qui nourrira les intrigues de palais chères au néoromancier.
Depuis la publication de son premier thriller, en 2003, Crouzet vote à gauche et s’est retiré des affaires, installé avec sa compagne dans un petit village du Luberon. Il vit «chichement» de ses droits d’auteur et développe deux séries, une sur la protection rapprochée, l’autre sur les diamants. Très informé, il continue à suivre de près les rebondissements de l’affaire Uramin. L’ex-patronne d’Areva a déjà été mise en examen pour «présentation de comptes inexacts» et «diffusion de fausses informations». Mais c’est l’autre enquête instruite par le pôle financier, ouverte pour «corruption d’agent public étranger», «abus de confiance», «détournements de fonds publics et blanchiment», qui s’annonce la plus explosive. La meilleure des promotions pour un romancier.
28 avril 1964 Naissance à Lyon.
1992 Début de sa collaboration avec la DGSE.
28 octobre 2009 Rencontre Saifee Durbar.
18 juin 2014 Entendu par la brigade financière.
19 janvier 2017 Une affaire atomique (Robert Laffont).
Source(s) : Libération.fr via Contributeur anonyme
Informations complémentaires :
URL: https://www.crashdebug.fr/loisirss/73-livres/13123-vincent-crouzet-ca-le-mine
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