Les délires des médias occidentaux, par James W Carden
Source : Consortium News, le 23/11/2016
Le 23 novembre 2016
Exclusif : Les médias d’information traditionnels américains souvent se considèrent eux-mêmes comme la référence mondiale incontournable, un temple pour les informations sérieuses et la diversité des opinions en comparaison avec la propagande russe massive, mais la réalité est bien différente, nous dit James W Carden.
Par James W Carden
Dans une vaste et indispensable étude portant sur les émissions politiques russes, le docteur Gilbert Doctorow, lui-même un invité fréquent de ce genre d’émissions, observe la chose suivante :
“Les accusations – selon lesquelles les médias russes sont uniquement un outil au service de la propagande étatique dirigé d’une part vers la population du pays pour que les russes continuent à filer droit, et d’autre part vers le public étranger pour semer le trouble parmi les voisins de la Russie et au sein de l’Union Européenne – sont prises pour argent comptant alors que quasiment aucune preuve n’a été apportée. Quiconque ose remettre en question ce “mode de pensée” est immédiatement taxé de “pantin de Poutine”, voire pire.”
Le docteur Doctorow a lancé une importante discussion à la suite d’un nouveau rapport alarmant sur les médias, publié cette fois par un groupe néo-conservateur britannique baptisé (bizarrement) du nom d’un sénateur démocrate de l’État de Washington mort depuis longtemps (Henry “Scoop” Jackson), qui cherche à étouffer le débat sur la politique russe en Occident, en traitant d'”idiots utiles de Poutine” ceux qui s’opposent à la sagesse répandue consistant à dénigrer Poutine.
Par conséquent, l’expérience de Doctorow avec les médias russes a une double utilité : combattre les idées fausses intentionnellement répandues en Occident à propos du paysage médiatique russe, mais aussi servir de point de comparaison utile avec les médias américains et leur couverture de la Russie.
Si on prend l’exemple de la chaine d’actualité câblée MSNBC prétendument libérale, on trouve paradoxalement que la position de “droite dure” néo-conservatrice vis-à-vis de la Russie se retrouve pratiquement sans opposition. A propos de la Russie, en comparaison avec sa principale rivale la chaine d’actualité de centre-gauche CNN, qui, à son crédit, laisse parfois de la place aux opinions minoritaires visant à apaiser le débat, MSNBC laisse à peu près autant de place pour les opinions contraires que ne l’aurait fait la Pravda à l’époque soviétique – en fait, peut-être même moins.
Le nouveau maccarthysme
Il se trouve qu’il y eu la même différence quant à la façon dont les deux chaînes ont couvert les élections présidentielles américaines. Tandis que CNN cherchait à apporter un équilibre des plus nécessaires à sa couverture médiatique, quoique de la façon la plus inepte possible – en recrutant des agents de presse rémunérés par chacune des deux équipes de campagne pour apparaître aux côtés des vrais journalistes, MSNBC (comme sa rivale républicaine Fox News) n’a même pas cherché à faire semblant d’être objective et a plutôt servi comme un porte-parole de la campagne désastreuse de Clinton.
En tant que tel, la chaîne “libérale” s’est retrouvée à l’avant-garde du nouveau maccarthysme qui a balayé la campagne de 2016, mais qui, en fait, était une composante du débat américain sur la politique russe depuis au moins le début de la crise ukrainienne fin 2013 – voire plus tôt.
Il y a de très nombreux exemples, mais le cas le plus frappant de cette hystérie néo-maccarthyste, que MSNBC a tenté de dissimuler derrière sa préoccupation légitime de sécurité nationale, fut la diatribe que Rachel Maddow a déchainée en juin devant son public, en commençant son émission par un monologue consacré à l’idée selon laquelle Donal Trump serait de mèche avec Vladimir Poutine.
Maddow, dans son style caractéristique, l’air de dire “je suis plus maligne que vous”, a informé les lecteurs que l'”admiration” entre Poutine et Trump était vraiment réciproque. Maddow raconte : “Ce que je veux dire, non mais regardez ce titre, “Poutine fait l’éloge de Trump. C’est une personne brillante et talentueuse.” “Poutine fait l’éloge du brillant et talentueux Trump.” “Vladimir Poutine fait l’éloge de l’exceptionnel et talentueux Trump.” Il y a eu quelques polémiques sur la manière de traduire avec exactitude la remarque de Poutine, mais Poutine prend soin de flatter Donald Trump en public, exactement de la manière dont Donald Trump aime être flatté, et c’est apparemment suffisant pour Donald Trump, c’est tout ce qu’il a besoin d’entendre, c’est tout ce qu’il a besoin de savoir pour lui dire à son tour, à quel point Vladimir Poutine est grand.”
“Poutine aime Trump, il doit être intelligent, il doit être grand. C’est donc un contexte très, très inhabituel, d’avoir un candidat à la présidentiel républicain qui est très, très sensible à la flatterie. C’est la chose au monde qui marche le mieux sur lui. Si vous le complimentez, il ne l’oubliera jamais et c’est tout ce qu’il a besoin de savoir sur vous.”
Maddow a continué sur le même ton encore pendant un bon moment (c’est-à-dire avec peu de contenu factuel, mais beaucoup de “très, très” et les yeux qui roulent). Mais son idée principale, en réalité, n’était guère plus que le rabâchage des éléments de langage du comité national démocrate. Sans surprise pour personne, les accusations de Maddow ont été reprises quasiment mot pour mot dans les communiqués de presse de la campagne de Clinton, accusant Trump de n’être rien de moins qu’un partisan caché de la Russie.
La diatribe de Maddow – vide de preuve, mais lourde d’insinuations – prononcée en juin, a pris une importance supplémentaire car elle en était le messager. Après que le risible et prétentieux journaliste sportif Keith Olbermann eut quitté la chaîne en 2011, Maddow a pris la relève comme intellectuelle de service de la chaîne. Donc, ses paroles ont du poids vis-à-vis de ses spectateurs, un poids que n’ont pas les paroles de Mika Brzezinki [une autre présentatrice de MSNBC, NdT], par exemple.
Cependant, à ma connaissance, Maddow n’a à aucun moment invité quelqu’un qui réfuterait les accusations – toujours sans fondement – selon lesquelles le gouvernement russe aurait interféré sur l’élection américaine ou selon lesquelles Donald Trump serait, d’après les mots de l’ancien fonctionnaire de la CIA Mike Morell, un “agent du Kremlin malgré lui” – peu importe si le président du comité des relations extérieures du sénat Bob Corker a reconnu pas plus tard que le 15 novembre qu’il n’avait “aucune preuve” de l’ingérence de Moscou sur l’élection américaine.
Bien que l’on ne sache pas clairement si la voix de Joy Reid de MSNBC soit considérée comme aussi “sérieuse” que celle de Maddow, il est en revanche indiscutable qu’elle s’est révélée comme l’une des plus ferventes adeptes du nouveau maccarthysme.
Plusieurs jours avant l’élection, Reid a invité le plus en plus perturbé Kurt Eichanwald de Newsweek et l’ancien officier naval Malcom Nance qui a – à plusieurs reprises et sans preuve – prétendu que les emails de Podesta révélés par Wikileaks étaient faux. [John Podesta, ancien chef de cabinet de la Maison-Blanche et président de la campagne de Clinton en 2016, se serait fait piraté sa boite mail (contenant des e-mails professionnels) par des hackers russes. Wikileaks aurait ensuite publié une grande partie de ces e-mails, NdT]
Reid a demandé pourquoi les russes soutiennent-ils Trump. Comme si cette affirmation était incontestable. Eh bien, Eichenwald a répondu, “Ils détestent Hillary Clinton…” D’accord. Ensuite Reid a continué en se demandant pourquoi le FBI minimisait la soi-disant profonde inquiétude des services de renseignement selon laquelle la Russie était en train d’interférer sur l’élection.
Dénigrement anti-Poutine
Quelques jours plus tard, juste après l’élection, Reid a de nouveau réuni une assemblée comprenant Nance, l’adversaire convaincue de Poutine Nina Khrushcheva et Charles Pierce du magazine Esquire, pour réaffirmer le message que MSNBC avait soutenu depuis l’été, à savoir que le gouvernement russe avait mis la main sur l’élection américaine. Pierce, en particulier, était apoplectique.
Le fait que Pierce soit présent à l’émission de Reid était tout à fait logique. Tout au long de la campagne, Pierce s’est efforcé d’établir un lien direct entre Poutine et la campagne de Trump. Un échantillon de ses articles aide à en faire le récit. Le 24 juillet, Pierce publia “Le programme partagé par Donald Trump et Vladimir Poutine devrait alarmer quiconque se préoccupe de la démocratie”, où Pierce supposait que “Trump semble de plus en plus dépendant de l’argent de la Russie ou des anciennes républiques socialistes, au sein de sa sphère d’influence de plus en plus active.”
Dans son édition du 9 septembre, Pierce protesta : “Ce n’est pas “une chasse aux rouges” que de se préoccuper de l’ingérence russe sur notre élection.” Pierce, peut-être poussé à la folie par l’éditorial de The Nation intitulé “Contre le nouveau maccarthysme”, avait l’air d’être habité par le fantôme de James Jesus Angleton [acteur américain connu pour un rôle de “chasseur d’espions” de la CIA, NdT], en demandant “Devrions-nous croire que Donald Trump est vraiment allé à RT [la chaîne d’information internationale lancée par l’État russe, NdT] par accident ? Personne dans son équipe ne savait que la chaîne américaine du gouvernement russe reprenait les enregistrements de Larry King ?”
A peu près un mois avant l’élection, le 11 octobre, Pierce informa les lecteurs du magnifique magazine Esquire, que “Vladimir Poutine était déterminé à voir Trump dans le bureau ovale.” Pire encore, selon Pierce, “Il y a peu de doutes désormais que Poutine – rusé comme un singe – tire les ficelles de l’élection présidentielle américaine, et que Trump en est le principal bénéficiaire.”
Tous les exemples précédents tendent à démontrer que le pluralisme tant vanté des médias américains n’est rien de moins qu’une fiction quand il s’agit d’aborder la Russie. La diversité des voix de gauche et de droite du spectre politique que Doctorow a rencontré à Moscou indique que la perception largement répandue selon laquelle la culture politique de Moscou est monolithique comparé à celle de Washington est au moins contestable.
James W Carden fait partie des rédacteurs de The Nation et est rédacteur en chef de The American Committee for East-West Accord's eastwestaccord.com. Il a précédemment été conseiller en Russie dans la délégation spéciale pour les questions inter-gouvernementales mondiales du département d’État américain.
Source : Consortium News, le 23/11/2016
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant
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